Le godron des chapiteaux normands. Origine et symbolique
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des éléments de décor et de l’iconographie • Article
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Nous avons donné «carte blanche» à Madame Dusanter, auteure
de l'ouvrage Au cœur de l’art roman
normand. Abbatiale Saint-Georges de Boscherville,
pour la rédaction de cet article consacré à la symbolique du
godron qui complète et conforte deux de nos articles écrits
précédemment : la
symbolique de la vie, et la
feuillée.
Origine du
godron
Le godron est un ornement que l’on trouve depuis l’antiquité
en décoration, plus particulièrement sur les plats, coupes
et vases. Les godrons, sortes de cannelures bombées,
symbolisent l’abondance et la richesse.
Le godron est spécifique de l’art roman normand. Il est
apparu pour la première fois en France sur les chapiteaux de
l’abbaye de Lessay, à la fin du XIesiècle (image 1). Mais il
aurait vu le jour en Angleterre en 1078 dans la chapelle
Saint-Jean de la Tour de Londres, construite par Saint
Gondulfe, originaire du Vexin, moine du Bec Hellouin, devenu
évêque de Rochester. Les godrons hors de Normandie et
Angleterre sont toujours sous influence normande.
* En vieux
français, le goderon est un pot ou godet. Le godet est aussi
un pli de vêtement.
* En allemand, le
chapiteau à godrons se dit Faltenkapitell
qui signifie chapiteau à plis ou godets.
* En anglais le
godron s’appelle gadroon
ou plus anciennement godroon.
Si on coupe le mot godroon en deux, on obtient deux mots : God
= Dieu en anglais et roon.
Or run
signifie en runique : secret ou murmure. Les runes
sont des signes-symboles. Ils étaient la langue sacerdotale
et mystérieuse des anciens scandinaves entre les IIIe
et XVIIesiècles.
À Saint-Georges de
Boscherville, dernière abbatiale romane construite en
Normandie à 11km de Rouen, les godrons (image
2) nous livrent leur secret sculpté sur les
chapiteaux : ce sont les godets stylisés de la plante arum
maculatum ou gouet
tacheté.
Symbolique du godron
• La 1ère
symbolique très visible de la plante est celle de l’homme et
la femme : par le godet ventru qui contiendra les fruits et
graines et par le spadice dressé dans la spathe (image
3).
• La 2e
symbolique est à chercher dans les mots arum
et aron
qui remontent loin dans l’histoire ; la plante arum
maculatum cumule une incroyable variété de symboles
exprimés dans les appellations qui traduisent les
différentes approches considérées.
Dans la Bible, Adam et Ėve avant la désobéissance sont arum
= nus. En grec, la plante s’appelle Aron,
en allemand Aronstab
=
Bâton d’Aaron (images
7 et 8), en hollandais Aronskelk
= calice
d’Aaron. Mais en hébreu, Aron
signifie coffre
ou Arche (d’alliance) (image
4).
Adam et Ėve ont été maculés par le péché, tachés, comme sont
tachetées les feuilles (image
5). Le nom botanique arum
maculatum a donc un lien avec la plante appelée en
anglais Adam
and Eve.
En anglais, le gouet tacheté porte aussi d’autres noms, par
exemple Holy
Grail (parce qu’une légende dit que Saint Joseph
d’Arimathie aurait recueilli du sang de Jésus crucifié), ou
même Gethsemane
(parce que Jésus a souffert une atroce sueur de sang dans le
jardin de Gethsémani). Et pourquoi y a-t-il des arums
maculata (avec godet) et de beaux arums d’Ethiopie (sans
godet et tout blancs) dans ce jardin de Gethsémani ? Ils
fleurissent justement aux alentours de Pâques.
• 3esymbolique
: La Parole de Dieu est une semence de Vie.
De même que la pluie (les eaux d’en bas) tombe du ciel et
fait germer les graines (image
6), la Parole de Dieu (les eaux d’en haut) descend
dans le cœur de l’homme, germe et produit du fruit. Les
plantes illustrent la vitalité et la fécondité spirituelles.
Le godron normand évoque à
la fois l’Arche d’Alliance, le Calice de la Cène, le
Graal, le Tabernacle intérieur, le cœur de l’homme.
Incroyable richesse de la symbolique du vase sacré qui
reçoit tout d’en haut ! Il fallait en redécouvrir les clés
de lecture.
Dans l’art roman normand, chaque détail a une signification
hautement spirituelle : Implantation de l’église,
orientation, lumière, signes solaires, eaux bibliques,
plantes, animaux, personnages, vêtements, oreilles, yeux…
Tout a du sens. La stylisation parfois extrême permet
d’aller à l’essentiel. Les moines du XIIesiècle
ont légué un message de sagesse universelle pour guider le
croyant et l’homme de bonne volonté sur un chemin de
conversion et de progrès spirituel (image
9) en cheminant le long de la nef pour atteindre le
bonheur de la Rencontre avec Dieu dans la lumière de
l’abside.
Sylvie Dusanter
Toutes les images de cette page nous ont
été fournies par Madame Dusanter, mis à part les deux images 10 et 11 prises
par nos soins.
Madame Dusanter est l'auteure du livre référencé ci-dessus (image 12). Ce livre,
dont nous conseillons vivement la lecture, décrit d'autres
thèmes en rapport avec la symbolique romane : l'eau, la
lumière, etc.