Évolution des piliers
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Introduction
Nous ne parlons ici que des piliers soutenant les murs
gouttereaux du vaisseau central d’une basilique à trois
nefs. On pourra les désigner sous le nom de « piliers
centraux ». L’étude de ces piliers se fait en liaison avec
l’étude des arcs, vue précédemment. De fait, plutôt que de
parler de « l’évolution des piliers » on devrait dire
« évolution du système piliers-arcs ».
Autre remarque : en fonction de nos constatations nous avons
décidé de distinguer plusieurs catégories de piliers nommées
: « piliers cylindriques », « piliers rectangulaires », «
piliers cylindriques et rectangulaires en alternance ».
L’évolution ayant pu se produire différemment à l’intérieur
de chacune des catégories, il ne faudra pas déduire de cette
étude une chronologie trop restrictive du style : les
piliers rectangulaires ont « succédé » aux piliers
cylindriques.
A.
Piliers cylindriques
Nous désignons par « piliers cylindriques » des piliers à
section horizontale circulaire. On parle en général de
colonnes. Ces colonnes sont soit des réemplois récupérés sur
des monuments antiques, soit des copies directement
inspirées de modèles antiques.
1. Colonnes monolithes
portant des architraves
Nous ne faisons ici que reprendre ce que nos avons vu
précédemment au sujet des arcs : dans les premières
basiliques chrétiennes, les murs gouttereaux étaient portés
par des architraves (linteaux rectilignes) en bois (images 1 et 2).
2.
Colonnes monolithes portant des arcs
Là encore, nous reprenons ce que nous avons dit dans la page
précédente : le remplacement des architraves par des arcs à
permis d’espacer les colonnes et en conséquence d’éclaircir
la nef tout en répartissant au mieux la charge sur les
piliers (images 3 et 4).
Comment a pu évoluer ce système ? Constatons d’abord que ces
premiers modèles se situent principalement en Italie. Il
n’existe pas, à notre connaissance, en France, d’église à
colonnes monolithes portant des architraves, ou même des
arcs. Nous pensons donc qu’en Italie il y a eu une tradition
très forte en faveur de ces modèles. Deux possibilités
s’offrent à nous : soit ces églises à colonnes monolithes
sont très anciennes, du IVe ou Ve siècle,
mais elles ont été très restaurées (remplacements de
colonnes, réfection des toits, pose de mosaïques ou
fresques), soit elles sont plus récentes VIIIe?
IXesiècle ?) mais ont copié des modèles plus
anciens.
L'image 5 montrant
un détail de la basilique Saint-Nicolas de Bari nous fait
découvrir une évolution possible de ce système. Le voûtement
du bas côté a entraîné une poussée vers l’intérieur des murs
gouttereaux du vaisseau central. Cette poussée a été
contrebattue par l’installation d’arcs portés par des
piliers. Ces piliers et leurs chapiteaux ont été adossés aux
piliers antérieurs. Le résultat est que l’on a deux piliers
côte à côte. La leçon a été retenue pour la cathédrale de
Trani où l’on voit deux piliers accotés et non un seul (image 6).
Piliers
maçonnés
Le schéma de l'image 7 nous
présente deux modifications par rapport à celui de l'image
3. D’une part le matériau n’est plus le marbre
mais la pierre. Et d’autre part, nous n’avons plus de grande
colonne monolithe mais des petits moellons assemblés.
Malgré la pauvreté apparente des images
8 et 9, il nous semble que le remplacement des
colonnes monolithes en marbre par de simples piliers en
moellons assemblés constitue une innovation. On peut
constater en effet que le marbre a été abandonné dans la
construction. Bien sûr, il subsiste dans la décoration mais
pas comme support d’un grand ensemble. Et si de nombreux
palais contiennent de magnifiques colonnes de marbre – ainsi
le palais du Grand Trianon à Versailles – on s’aperçoit que
ces colonnes ne supportent pas grand-chose. En tout cas
beaucoup moins que les piliers de maçonnerie en pierre de
nos grandes cathédrales. Il suffit d’avoir fait un peu de
sculpture sur marbre pour connaître les difficultés à
travailler ce matériau : un matériau lourd, cassant, qui ne
supporte pas les chocs trop violents et qui se désagrège
sous les outils à percussions répétées.
Selon une opinion de Viollet-le-Duc qui nous a été
rapportée, les monuments antiques seraient caractérisés par
leur rigidité alors que ceux du Moyen-Âge auraient une
propriété d’élasticité. Selon nous, c’est cette propriété
qui aurait permis de construire de grands monuments. La
pierre est moins rigide que le marbre dans la mesure où elle
est moins sensible aux vibrations. La construction en
moellons de pierre est plus élastique que le bloc monolithe.
B. Piliers rectangulaires
Premières Remarques
On devrait plutôt parler de piliers à section rectangulaire.
Bien sûr les piliers à section carrée en font partie. Il
existe bien sûr des piliers à section polygonale (polygones
régulier à 6 ou 8 côtés), mais sur la période étudiée nous
n’en connaissons pas.
Il faut bien comprendre que ces piliers dits «
rectangulaires » forment un groupe très important. En effet,
au fur et à mesure de l’évolution des piliers on a accolé à
ces piliers des colonnes ou des pilastres transformant ainsi
le plan de base de ces piliers. Ainsi le pilier dit «
cruciforme » est un dérivé du pilier rectangulaire. Mais
comme on le verra plus loin, il n’y a pas qu’un type de
pilier cruciforme mais au moins trois, chacun décrivant des
situations différentes.
L'image 10 nous
permet de comprendre comment nous allons procéder. Elle
présente un modèle de pilier rectangulaire supportant des
arcs. C’est le modèle de base. Le mur situé au dessus du
pilier est plat. Nous avons représenté ce mur en pointillés
bleus sur l'image 10 .
Ce mur, prolongé vers le bas, donne la forme rectangulaire
du pilier. Ce pilier sera dit de type R0000.
On a vu dans la page Glossaire : Analyse des piliers que
l’ajout d’un pilastre ou d’une demi-colonne incrémente de 1
point la valeur de Rxxxx suivant la position où il est
ajouté successivement Est, Sud, Ouest, Nord. Le côté sud
désignant le collatéral Sud, le côté Nord désignant le
vaisseau central.
L'image 11 montre
trois formes de piliers cruciformes. Il faut comprendre que
ces formes sont bien spécifiques et présentent des étapes
différentes dans le processus d’évolution.
Piliers
rectangulaires de type R0000
C’est le pilier rectangulaire de base. Dans la pratique, il
présente une évolution par rapport à la colonne cylindrique
(on a vu cependant que la colonne a pu longtemps coexister
avec le pilier rectangulaire). Nous ne connaissons pas de
pilier rectangulaire taillé dans une colonne monolithe.
Hormis à Stonehenge, mais ça, c’est une autre histoire.
Nous présentons trois piliers de type R0000.
Ils ne diffèrent que par les impostes (représentées ici en
texture de marbre blanc). La première de ces impostes
déborde vers l’extérieur dans toutes les directions.
Le premier type d’imposte est une imposte à débord ou
chanfrein sur les quatre faces du pilier (image
12). Ce serait selon nous (mais sans preuve) la
première étape du pilier rectangulaire. Nous avons joint
deux images de ce type de pilier avec son imposte :
Saint-Aphrodise de Béziers (image
13) et Beaumont (image
14). A remarquer que ces deux églises sont voûtées
et non charpentées comme elles l’étaient à l’origine. De
fait le voûtement a été tardif : pour Saint-Aphrodise, au XVIIIe
siècle (voûte en plâtre), pour Beaumont vers le XVIe
siècle (voûte sur consoles).
Le deuxième type de pilier est le
pilier dépourvu d’imposte ou à imposte sans débord (image
15). Nous ne savons pas très bien comment situer ce
type de pilier par rapport aux autres types. D’ailleurs, ne
faut-il pas distinguer les deux : sans imposte et avec
imposte sans débord ? Il semblerait au vu des images que le
pilier dépourvu d’imposte soit plus archaïque que tous les
autres. Mais ces piliers étaient probablement enduits comme
on le voit encore à Ambon (image
16). Ces enduits étaient recouverts de fresques (il
en existe à Ambon mais nettement plus tardives). Il est donc
possible que les constructeurs aient décidé de se passer des
impostes qu’ils connaissaient pour privilégier la décoration
murale. Autre exemple de pilier sans imposte à
Saint-Michel-de-Cuxa (image
17). On y voit des arcs outrepassés. Cela pourrait
permettre de dater ces piliers par comparaison avec ceux que
l’on trouve en Espagne.
Voir les nefs d’Ebreuil (image
20) et de Perrecy-les-Forges (image
21) A noter que ces deux nefs sont toutes deux
charpentées (Pour Ebreuil, c’est visible sur d’autres
images).
Notre raisonnement est issu d’une constatation. Mais auparavant examinons le pilier de l’église de Loctudy (image 22) :
Nous avons imaginé de représenter deux
coupes horizontales (symbolisées sur l’image
22) du pilier. La première, coupe
(AB), est la coupe proprement dite du pilier. La
deuxième, coupe
(A’B’), est effectuée juste au dessus des impostes
ou chapiteaux qui surmontent le pilier. Si la première est
inchangée quelle que soit sa position à la verticale du
pilier, la seconde se modifie en s‘élargissant lorsqu’on
s’élève au-dessus des impostes. Les deux coupes sont
représentées sur l’image
23. On remarque que les deux coupes sont presque
identiques. Bien sûr, la même remarque a été faite pour
beaucoup d’autres édifices. Elle montre le lien qui existe
entre arcs et piliers. En effet, si revenant à l’image
22, on fait coulisser vers le haut la coupe (A’B ‘)
on voit, au fur et à mesure apparaître des arcs. Et on
réalise que chaque arc s’appuie sur un pilastre qui
correspond à une saillie de la coupe (A’B’), laquelle
correspond à une saillie de la coupe (AB).
L’idée que nous avons envisagée est la suivante. A un moment
donné, il y a eu dans le passé la décision d’effectuer un
ouvrage dans ou pour une église. Cet ouvrage peut être, soit
la construction de l’église proprement dite, ex-nihilo, soit
un réaménagement de l’église. On songe en particulier pour
cette dernière hypothèse, au voûtement d’une église
auparavant charpentée. Mais, dans chacun des cas,
l’architecte a été obligé de prévoir son plan, et ce
faisant, il a imaginé l’édifice déjà construit. Or, en ce
qui concerne une maison d’habitation ou une église,
l’objectif principal est de recouvrir et de protéger un
groupe de personnes. L’architecte a donc commencé par
déterminer quel devait être le mode de couverture et ayant
fixé ce mode (charpente ? ou voûte ?), il en a déduit à
partir du haut et en descendant jusqu’au sol quelles
devaient être les bases de la construction. Ainsi, s’il
avait prévu de voûter l’église d’une voûte en plein cintre
sur doubleaux, il doit prévoir que des pilastres supportent
les doubleaux et que, toujours en descendant, il doit y
avoir d’autres pilastres dans le prolongement des
précédents. Il en déduit la forme du pilier de base (image
24).
Et réciproquement, le plan du pilier de base permet de
reconstituer la forme des arcs.
Mais pourquoi privilégier le plan du pilier de base et non
la forme des arcs ? Tout simplement parce que bien souvent
les piliers sont les seuls restes d’une église primitive :
les parties supérieures ont disparu.
Piliers à base cruciforme mais de type R0000
Nous abordons ici une situation paradoxale et qui
semble, au moins en partie, en contradiction avec ce que
nous avons dit précédemment. Nous avons dit ci-dessus que la
coupe horizontale au dessus du pilier devait être analogue à
celle qui traverse le pilier. Dans les images
25, 26 et 27 ci-dessous, cela ne semble pas être le
cas. Cependant l’anomalie doit pouvoir être expliquée par le
fait que les architectes du Moyen-Âge avaient une conception
différente de la nôtre de la notion de force. Nous pensons
qu’ils la considéraient comme un liquide qui doit être
canalisé.
Piliers rectangulaires de type R1010
Les piliers de type R1010
sont caractéristiques des églises à trois nefs dont les
vaisseaux ne sont pas voûtés mais charpentés. Par contre,
les arcs qui supportent les murs gouttereaux du vaisseau
central sont doubles. Nous pensons (mais il faudrait le
vérifier sur un grand nombre de cas) que les piliers de type
R1010 ont succédé
aux piliers de type R0000.
Ce n’est que par la suite que les nefs auraient été voûtées
(images 28 et 29).
Piliers
rectangulaires de type R0100
Ce type de pilier caractériserait une nef dont seuls les
collatéraux sont voûtés (image
30). Nous n’avons pas retrouvé d’image
correspondant à cette situation.
Piliers rectangulaires de
type R0001
Ce type de pilier caractériserait une nef dont seul
le vaisseau central est voûté, les collatéraux étant
charpentés. C’est ce que l’on retrouve sur les images
31, 32, 33. On peut penser que la partie centrale
de la nef préalablement charpentée a été voûtée sans qu’on
ait décidé de voûter les bas-côtés. Il a néanmoins fallu
ajouter de puissants arcs-boutants aux collatéraux (image
33) pour compenser les poussées de la voûte
centrale.
Piliers rectangulaires de type R0101
Cette situation est sans doute beaucoup plus
fréquente. Elle se rencontre lorsque les trois vaisseaux de
la nef, initialement charpentés, ont été voûtés
ultérieurement. Dans ce cas, il a fallu accoler aux piliers
des pilastres destinés à supporter les doubleaux porteurs de
chaque voûte. C’est le cas de l’église Notre-Dame-des-Pins
d’Espondeilhan (images 34
et 35). On constate que la pose des pilastres côtés
Nord et Sud a nécessité d’endommager les impostes (image
36).
On retrouve le même type de pilier à l’église Sainte-Marie de Quarante, dans l'Hérault (image 37). Là encore, l’imposte a été endommagée pour laisser le passage du pilier. Concernant l’église Saint-Michel de Castenau-Peygayrolles (image 38), l’imposte n’a pas été abîmée car c’est une imposte à débord vers l’intrados. Mais la différence de styles entre les deux pilastres adossés (celui côté Nord et celui côté Ouest) montre bien une différence entre les périodes de construction, le pilastre Nord étant très probablement postérieur au pilastre Ouest.
Piliers
rectangulaires de type R1111
On vient de voir que des édifices avaient pu être voûtés
après avoir été initialement charpentés. Cela semble avoir
été le cas de l’église de Til-Châtel. En effet on constate
sur l’image 39
ci-dessus que tous les piliers sont semblables à un détail
près. Sur celui de l’extrême gauche, les tailloirs des deux
chapiteaux sont prolongés par une corniche qui les réunit en
contournant le pilastre. On n’assiste pas à la même
configuration sur les autres piliers. Notre hypothèse est
que, primitivement, les pilastres qui soutiennent les
doubleaux du vaisseau central ainsi que le pilier de gauche
n’existaient pas. Les pilastres ont été ajoutés durant la
construction. Et pour des raisons d’esthétique, on a
complété le dernier pilier d’une corniche rejoignant les
tailloirs. Concernant les autres piliers, cette corniche ne
pouvait être ajoutée.
Le pilier de type R1111 semble,
jusqu’à preuve du contraire, le modèle le plus achevé …
lorsqu’il a été conçu pour le projet initial. Les édifices
ayant ce type de pilier seront donc considérés comme les
plus tardifs. Cependant, il peut parfois être difficile de
faire la différence entre un pilier conçu initialement pour
supporter des voûtes et un pilier réaménagé dans ce but (images 40, 41, 42).
Remarquer que la présence de piliers de type R1111
n’implique pas obligatoirement l’existence d’une voûte (image 40).
Piliers
cylindriques et rectangulaires en alternance
Il existe aussi des formes qui semblent échapper aux
classifications précédentes. C’est le cas des nefs à
alternance de piliers cylindriques et rectangulaires (image 43).
On trouve ce type de nefs dans les pays de culture
germanique. Il semblerait que les travées aient été
regroupées par deux. De part et d’autre de chaque double
travée, les piliers rectangulaires devaient servir à porter
de grands arcs de pierre, transverses au vaisseau central.
Ces grands arcs remplaçaient les grandes poutres de bois et
ils devaient servir à porter les charpentes du toit. Il ne
s’agit là que d’une hypothèse très ténue qui doit être
vérifiée sur un grand nombre d’exemples pour être validée.
Toujours est-il que les piliers de l’église de Lautenbach de
l’image 43
présentent un caractère archaïque qui fait envisager une
haute datation (VIIe? VIIIe siècle?).
Retour
aux piliers cylindriques. Piliers cylindriques supportant
des voûtes
Au début de cette page nous avons parlé des piliers
cylindriques. Et nous avons fait apparaître que ces piliers
étaient directement issus des colonnes antiques en général
monolithes. Puis nous avons abordé le problème des piliers à
section rectangulaire. Nous pensons que ce type de pilier
constitue un progrès par rapport au pilier cylindrique :
d’une part, parce qu’il y a une sorte de standardisation ;
les faces Nord et Sud du pilier sont dans le prolongement
des surfaces Nord et Sud des murs gouttereaux. D’autre part,
parce que ce type de pilier permet d’ajouter sans trop de
dommages sur le plan esthétique des pilastres ou des
contreforts. Il est donc normal que le pilier cylindrique
ait fini par disparaître durant le Moyen-Âge.
Cependant, on est obligé de constater des cas de survivance
assez étonnants. Ainsi, à Saint- Nectaire (images
44 et 45), on peut voir des piliers cylindriques
supportant, côté vaisseau central, une voûte en berceau
simple, et, côté collatéraux, des voûtes d’arêtes. Ce type
de voûtement est relativement tardif, du Xeou
XIesiècle. Dans d’autres églises, à Civaux ou
Saint Savin-sur-Gartempe, ce sont les chapiteaux qui
témoignent d’une période analogue du Xe ou XIe
siècle. De telles églises à piliers cylindriques, sans doute
relativement récentes (aux alentours de l’an mille) forment
très probablement un groupe spécifique qui doit être étudié
séparément.