Évolution des nefs à trois vaisseaux
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Dans les précédentes pages concernant l’évolution des arcs,
puis des piliers, nous avons en grande partie anticipé les
conclusions de la page actuelle. On a déjà pu identifier
divers types de nefs de basiliques à 3 vaisseaux en fonction
des piliers porteurs des murs gouttereaux du vaisseau
central.
Ont été déjà distingués deux grands groupes. Le premier est
celui des basiliques à colonnes cylindriques : on
identifiera ce groupe sous le nom de C. Le second celui des
basiliques à piliers rectangulaires : groupe R.
Chacun de ces groupes ayant pu évoluer séparément, nous
effectuerons des classifications séparées.
1. Les
Basiliques à colonnes cylindriques
• Groupe C I : Ce
sont les basiliques (nefs à 3 ou 5 vaisseaux) à colonnes
monolithes et entrecolonnements à architraves rectilignes.
Le modèle se serait directement inspiré de la forme très
primitive dont l'image 1 (halles
de Craon, du XIXesiècle) donne une idée. Ce
type de construction a très probablement existé durant la
Haute Antiquité ; voire même avant. Mais il n’en existe plus
de trace (hormis peut-être dans des fouilles
archéologiques). Une basilique à 3 nefs est une grande
surface horizontale rectangulaire destinée a accueillir un
grand nombre de personnes (ou dans le cas de halles d’étals
de commerçants). Cette grande surface est protégée par un
toit. Les contraintes techniques limitant les dimensions des
toits, les constructeurs ont été obligés de fractionner le
toit des basiliques en plusieurs parties. La solution la
plus simple qu’ils ont imaginée a été de construire un toit
à deux pentes sur la partie principale et deux toits à une
pente sur les parties latérales. Avec un décrochement entre
les pentes de la partie principale et celles des parties
latérales. Ce décrochement permet l’ouverture de fenêtres
éclairant la partie principale.
Ce modèle a été reproduit presque intégralement dans les
basiliques romaines primitives. La seule différence se
trouve dans le matériau des piliers qui, au lieu d’être en
bois, comme à Craon (image
1) sont des colonnes cylindriques monolithes (le
plus souvent en marbre). Des linteaux ou architraves
rectilignes sont posés sur ces colonnes afin de supporter le
mur gouttereau du vaisseau central. La portée de ces
architraves étant aussi limitée, l’écartement des piliers
est réduit et les architraves sont, pour la période
envisagée (IIIe-IVe siècle), en
bois (image 2. Remarque : la
basilique romaine Saint-Martin-du-Mont, représentée ici est
datée sur le site Internet des « églises de Rome », du « IIIe ou
du IVe siècle ». Il ne faut pas néanmoins en
déduire que l’église que l’on voit ici est bien l’église
primitive. Un grand nombre des églises romaines ont été
reconstruites à la Renaissance. Souvent en copie des modèles
anciens).
• Groupe C 2 : Ce
sont les basiliques (nefs à 3 ou 5 vaisseaux) à colonnes
monolithes et entrecolonnements à arcs de pierre. La
présence de ces arcs de pierre permet de reporter les
poussées sur les piliers et autorise un plus grand
écartement de ceux-ci . Cet écartement n’est pas très
apparent sur l'image 3 de
l’église de Saint-Paul-Hors- les-Murs après son incendie en
1823. Il est donc possible que l’innovation ait été récente.
La basilique de Saint-Paul-Hors-les-Murs aurait été
construite entre 386 et 395.
• Groupe C
3 à colonnes monolithes (arcs simples) : on a ici
les mêmes caractéristiques que précédemment. Mais cette
fois-ci, l’écartement entre les colonnes est plus important
(par augmentation du rayon de l’arc en plein cintre) (image 4 de l’église
Santa Maria Assunta de l’ile de Torcello dans la lagune
vénitienne).
Nous pensons qu'au cours du premier millénaire il y a eu une
augmentation du rayon des arcs en plein cintre. Et ce pour
arriver au groupe suivant :
• Groupe C 4 à
colonnes monolithes (arcs doubles). Ce sont les basiliques à
colonnes monolithes et entrecolonnements en arcs doublés (image 5 de la
basilique Saint- Nicolas de Bari).
• Il y aurait sans doute un groupe suivant
C 5 des basiliques à colonnes monolithes (arcs
brisés) spécifiquement romanes mais, pour le moment, nous
n’avons pas eu l’occasion d’en rencontrer.
Passé ce stade, on arrive aux nefs gothiques.
Notons que ces basiliques à colonnes monolithes se
retrouvent principalement en Italie, et moins fréquemment en
Espagne.
Parallèlement à ces groupes de
basiliques à colonnes cylindriques monolithes (souvent en
marbre) on découvre des basiliques à colonnes cylindriques
non monolithes. Les colonnes ne sont pas taillées dans un
seul bloc de pierre, mais formées de petits moellons
soigneusement appareillés. Nous pensons que parallèlement
aux groupes C3, C4 et C5,
ont existé des groupes C’3,
C’4 et C’5
ainsi définis :
• Groupe C'3
à colonnes cylindriques bâties (arcs simples) : image
6 de l’église ruinée de Saint-Martin de Volonne.
Cette église comme les précédentes devait être charpentée.
Cela ne semble pas être le le cas de l’église de Bossòst -
Val d’Aran (image 7)
qui elle, est voûtée. Mais nous pensons que l’église de
Bossòst était primitivement charpentée. Le voûtement serait
nettement plus tardif : les arcs doubleaux s’appuient sur
des consoles insérées directement dans les murs et non sur
des pilastres adossés aux murs. Selon nous, cette pratique
de construction (voûtement tardif sur des consoles) s’est
développée à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle.
La période de construction de ce type de basilique (C3
ou C’3) a été
probablement assez longue. En effet si on observe l’église
de Farges en Bourgogne (image
8), on constate une évolution par rapport à
l’église précédente : les collatéraux sont voûtés, ce qui
n’était pas le cas précédemment.
• Groupe C'4
à colonnes cylindriques bâties (arcs doubles). Ce sont les
basiliques à colonnes monolithes et entrecolonnements en
arcs doublés (image 9 de
la cathédrale de Plaisance).
• Groupe C'5
des basiliques à colonnes bâties et arcs brisés.
Les églises à colonnes cylindriques bâties sont relativement
rares par rapport aux églises à colonnes monolithes.
2. Les
Basiliques à piliers rectangulaires
Ce paragraphe doit être mis en concordance avec le
paragraphe précédent décrivant les basiliques à colonnes
cylindriques. Nous ne connaissons pas de basilique à piliers
rectangulaires monolithes ou à entrecolonnements à
architraves rectilignes. En conséquence nous ne pouvons
définir un groupe R1 analogue
au groupe C1
étudié auparavant. Nous ne connaissons qu’un exemple
d’église qui pourrait appartenir à un groupe R2
analogue à C2.
C’est la basilique Sankt Maria im Kapitol située à Cologne
(image 10).
Cette église présente la particularité que les piliers sont
massifs, proches entre eux, et l’arc qui les relie est de
faible rayon. Il est possible que primitivement il n’y ait
pas eu d’arcs mais, comme pour l'image
2, des architraves horizontales reliant chaque
pilier. La basilique Sainte-Marie du Capitole serait-elle la
plus ancienne de Cologne ? C’est bien possible. On sait en
effet que les cathédrales primitives étaient dédiées à la
Vierge Marie.
Il y a ensuite le groupe désigné par R3
des églises à piliers rectangulaires de type R0000.
On en distingue trois sortes :
• R3a :
Églises à impostes à saillies débordantes dans toutes les
directions : image 11 (Gross
Sankt Martin de Cologne) et image
12 (Sant Pere de Besalú).
•
R3b serait le groupe des églises à piliers
dépourvus d’impostes (ou à impostes non saillantes) : voir
les images 13, 14 et 15.
Il est possible que ces deux derniers groupes R3a
et R3b aient
coexisté. En tout cas pour le moment, on ne peut savoir
lequel des deux groupes aurait précédé l’autre.
•
R3c serait le groupe des églises à piliers à
impostes à saillie tournée vers l’intrados de la courbe (images 16, 17 et 18).
Nous pensons (mais sans preuve formelle) que ce type de
pilier pourrait être postérieur aux deux précédents. Et
dater de la fin du Premier Millénaire.
•
R3d. Le groupe désigné par R3d
serait caractéristique d’une situation paradoxale : les
basiliques à piliers cruciformes de type R0100
ou R0001 ou R0101. Ces piliers ont
la particularité d’être dotés de pilastres ou de colonnes
demi-cylindriques adossés : côté collatéral pour
R0100, côté vaisseau central pour R0001,
côté collatéral et côté vaisseau central pour R0101.
Dans la plupart des cas, les piliers étaient primitivement
quadrangulaires de type R0000
(il est souvent facile de le vérifier). Ultérieurement, il a
été décidé de voûter certains des vaisseaux. Pour cela il a
été nécessaire d’adosser aux piliers des pilastres ou des
colonnes afin de porter les doubleaux destinés à supporter
la nouvelle voûte. Le pilier R0100
correspondrait donc au voûtement des collatéraux. Le pilier
R0001, au voûtement
du vaisseau central. Le pilier R0101,
au voûtement des trois (vaisseau central et collatéraux).
Sur les images 19, 20 et
21 d’un pilier de l’église Saint-Michel de
Castelnau-Pégayrols, on découvre ce qui a dû se passer.
L’église primitive devait être charpentée à piliers
quadrangulaires et de type R3c
(impostes à saillant vers l’intrados). Il a été décidé de
voûter les collatéraux et le vaisseau central. On ne voit
pas ici le résultat sur les collatéraux. Par contre, en ce
qui concerne le vaisseau central, on note la présence de
deux demi-colonnes adossées au pilier. Tout en haut de l'image 20, ces deux
demi-colonnes portent des chapiteaux dont la forme et le
style sont très différents de l’imposte de l'image
21. En conséquence, on peut en déduire - si notre
hypothèse est la bonne - qu’il y a eu au moins deux étapes
de travaux : une église construite au cours du premier
millénaire (VIe ou VIIe siècle ?) a
été voûtée ultérieurement (XIIesiècle ?).
Une telle situation est loin d’être anecdotique. On la
retrouve assez fréquemment.
Le lecteur aura compris que les nombres
1,2, 3, insérés dans les codes C1,
C2 ou R3a
de notre classification doivent nous renseigner sur des
périodes historiques. Les lettres, a, b, c nous renseignent,
quant à elles, sur des variantes à l’intérieur de ces
périodes. La causalité des variantes en question est en
général difficile à établir : évolution temporelle ?
Différences entre cultures ? Différences entre pratiques
religieuses?
Le groupe suivant, R3e,
présente des cas isolés de ces variantes, témoins des
diverses hésitations qui se sont produites au cours de la
période 3.
•
R3e : exemples d’édifices présentant de
légères modifications du modèle R3
défini précédemment (piliers à section rectangulaires,
grandes arcades installées entre les piliers. La plupart de
ces exemples sont représentés par des édifices uniques).
L’église de Vignory (images
22 et 23): Dans la classification précédente,
cette église pourrait être rangée dans le groupe R3a
(piliers rectangulaire à impostes saillantes). Elle se
différencie cependant des autres par la présence de ce qui
semble être une galerie ou une tribune au-dessus des arcades
(image 22) ;
pourtant en passant dans le collatéral Sud (image
23) on ne découvre pas de galerie, mais un mur
percé de baies. Pourquoi cette disposition ? Y avait-il
primitivement une galerie séparée de la partie inférieure
par un plancher, plancher qui a disparu ?
L’église de Lavardin se détache aussi du
modèle R3a. En
observant l'image 24 ,
on voit que son vaisseau central n’est probablement pas
voûté (absence d’arcs doubleaux ; en fait il est couvert
d’un plafond en planches). Par contre, l’existence d’arcs
doubleaux dans le collatéral Sud montre que celui-ci doit
être voûté. On a vu dans le paragraphe précédent R3d
que le voûtement a pu être effectué postérieurement à la
première construction. Mais ce n’est sans doute pas le cas
ici. En effet l’imposte (cf image
25) est conforme à un pilier de type R0100.
Le voûtement du bas-côté devait être prévu dès la conception
du plan initial.
L’église d’Arles-sur-Tech est dérivée du modèle
R3c (impostes à saillies vers l’intrados). Le plan
des piliers est pourtant nettement différent. En fait, il
existe un système de deux piliers rectangulaires accolés.
Côté vaisseau central, les piliers servent à soutenir des
arcs portant les murs gouttereaux du vaisseau central. Côté
collatéral, les piliers servent à soutenir des arcs portant
les murs gouttereaux du collatéral. Tout se passe comme si
le vaisseau central et les collatéraux étaient des nefs
uniques indépendantes entre elles et accolées (images
26 et 27). Cette disposition a dû faciliter le
voûtement des vaisseaux qui, selon nous, doit être
postérieur à la construction initiale, au moins pour le
vaisseau central, en voûte brisée.
Autre groupe caractéristique de la
période 3 : les cathédrales dites « ottoniennes » de Mayence
et de Worms (images 28
et 29). Celle de Brême ferait partie de ce
groupe. Il s’agit d’églises qui étaient initialement
charpentées de type R3a
et qui ont été ultérieurement voûtées. Elles ont la
particularité d’être de grandes dimensions. Ces cathédrales
auraient été construites à l’initiative d’empereurs
successeurs de Charlemagne : Otton I, Otton II et Otton III.
Elles dateraient donc du Xesiècle. Nous
aimerions en savoir davantage sur la question, car selon
nous, elles pourraient être bien plus anciennes. On constate
en effet l’absence d’arcs doubles. Selon nous, la présence
d’arcs doubles témoigne d’un progrès technique apparu bien
avant le Xesiècle. Ces cathédrales étant des
monuments majeurs, elles n’ont pu être réalisées que par des
architectes de talent très bien renseignés sur les diverses
innovations de l’époque. En conséquence, si ces édifices
avaient été construits au Xesiècle, ils
contiendraient des arcs doubles. Bien sûr, il est toujours
possible que nous nous soyons trompés. Mais cette
constatation devrait inciter les spécialistes à réétudier
les textes qui ont conduit à qualifier ces églises «
d’ottoniennes ».
On se permet d’ajouter ici une forme exceptionnelle qui,
elle aussi, pourrait être antérieure à l’an 1000. C’est
l’alternance de piliers cylindriques et quadrangulaires que
l’on peut voir dans des églises comme Lautenbach ou
Echternach. Dans ce type de nef, les travées sont groupées
par deux. Deux travées successives sont séparées des deux
suivantes par un pilier quadrangulaire porteur d’un arc
maître. Les deux travées d’une paire sont séparées entre
elles par une colonne non porteuse d’arc maître (voir l'image 30).
Nous en arrivons à ce qui nous semble
être une innovation : l’arc double déjà décrit dans les
pages précédentes.
Mais auparavant observons l'image
31 de l’église de Nant. On constate sur cette
image que l’arc qui sépare deux piliers successifs est
simple. Néanmoins, cet arc ne repose pas directement sur le
pilier mais, par l’intermédiaire de chapiteaux, sur des
colonnes séparées du pilier. Cette nef de type R3e
appartient à la période 3. Mais elle préfigure la période 4
qui voit l’apparition de l’arc double.
• Groupe R4. L'arc double est
présent dans l’église San Michele Maggiore de Pavie (image 32). Pour nous
il apparaît comme un progrès technique qui s’est épanoui
dans l’art roman. Dans un premier temps nous avions envisagé
que cet arc double était apparu vers la fin du premier
millénaire au Xesiècle. Nous sommes obligés
de réviser notre position.
En effet, observons l’église San Michele Maggiore de Pavie (image 32). Les
grands pilastres situés à l’avant des piliers portent les
ogives d’une croisée d’ogives, donnant à cette église une
apparence gothique. Si, par un effort de pensée, on les
enlève, on obtient une église qui devait être, à l’origine,
charpentée. Les arcs doubles sont portés par des chapiteaux.
L’iconographie de l’un d’entre eux (image
33), le prophète Daniel entre deux lions, n’est
pas romane, mais nettement antérieure à l’époque romane.
Nous avons remarqué que les formes analogues à celles de
Nant ou de Pavie se situent dans des zones d’occupation
gothique (Wisigoths en Espagne et Bas-Languedoc, Ostrogoths
puis Lombards en Lombardie). Nous pensons donc que l’arc
double est apparu relativement tôt (VIIe-VIIIe siècle)
dans des zones anciennement occupées par des populations
d’origine gothique (Wisigoths, Ostrogoths, voire Lombards).
Sa diffusion aurait été plus lente dans les autres régions.
On retrouve dans les images
34, 35 et 36 la même problématique. D’une part,
l’existence d’arcs doubles à Bourg-Saint-Andéol et dans les
deux premières travées de Sénanque. Ce serait, pour nous,
des preuves d’innovations. D’autre part, la présence dans
ces deux églises d’impostes à saillies tournées vers
l’intrados (image 35).
A remarquer que, si les deux églises sont voûtées, le
voûtement a dû être conçu dès l’origine pour la première et,
plus tardivement à l’époque gothique pour la seconde. Ces
deux constructions (Bourg-Sain- Andéol et Sénanque) seraient
postérieures à la précédente, Pavie (et aussi Saint-Ambroise
de Milan) mais toujours antérieures à l’an mille.
Avec les images
37, 38, 39 nous abordons une dernière période, la
période 5 qui amène à l’art roman proprement dit, présent
dans de multiples églises. Les caractéristiques de cet art
roman sont celles-ci : des piliers de type R1111.
C’est à dire des piliers à section rectangulaire. Sur
chacune des faces du pilier sont adossés des piliers de
dimensions plus réduites. Plus précisément il s’agit de
demi-colonnes adossées portant des chapiteaux sur montés de
tailloirs. Au dessus de ces tailloirs, reposent des arcs
doubleaux portant les arcs intercalaires des piliers ou les
voûtes de chacun des vaisseaux.
Si les deux premières églises qui témoignent de ce type de
construction semblent dater des environs de l’an 1000, le
dernière serait plus tardive (fin du XIesiècle
? : cette estimation est dûe à la présence d’arcs
simultanément doubles et brisés).