Les arcatures lombardes
On appelle arcatures
lombardes une série de petits arcs juxtaposés
situés dans la partie supérieure de murs gouttereaux. Cette
série d’arcs peut être continue (image
1). Mais le plus souvent elle est entrecoupée de
piliers étroits (pilastres) appelés lésènes (image
2) . On obtient des façades décorées de bandes
verticales juxtaposées. On parle parfois de « bandes
lombardes ». L'image 3 fait
apparaître non pas un mur mais un chevet contenant une
abside et deux absidioles. L’ensemble est décoré de ces «
bandes lombardes ». Cette image
3 est intéressante pour d’autres raisons. Tout
d’abord on constate que les fenêtres s’insèrent parfaitement
dans les bandes lombardes. On peut en déduire que la
décoration de basalte des fenêtres est contemporaine des
arcatures lombardes. On remarque ensuite que l’appareil des
pilastres (lésènes) est globalement plus gros et mieux
soigné que l’appareil entre lésènes. Ceci laisse envisager
que les bandes lombardes n’ont pas seulement une fonction
décorative. Les lésènes devaient être posées en premier, les
intervalles entre lésènes étant comblés par des moellons en
blocage.
On retrouve sur l'image
4 l’association entre arcatures lombardes et la
polychromie dûe aux bandes de basalte.
L'image 5, quant
à elle, associe aux arcatures lombardes un cordon en dents
d’engrenages. Cette association est aussi fréquente. Ici le
décor semble trop neuf mais il pourrait être le résultat
d’une restauration à l’identique.
Sur l'image 6 on
retrouve le décor d’arcatures sur l’abside principale de
cette église de Longwy. Ce décor semble récent (XVesiècle
?). Plus en tout cas que le reste de l’édifice. L’image a
été prise pour montrer que ces arcatures lombardes ne
devaient pas seulement avoir une fonction décorative. Elles
devaient permettre l’avancée du toit (comme les génoises des
toits actuels).
Quelques explications
générales :
Pourquoi le mot «
arcatures lombardes » ?
C’est une question que nous nous posons. En effet les dites
« arcatures lombardes » n’ont rien de particulièrement
lombard. Il en existe certes en Lombardie, mais,
semble-t-il, moins que de part et d’autre des Pyrénées.
Alors, pourquoi « arcatures lombardes » ? et pas « arcatures
catalanes » ? L’explication est sans doute à trouver dans
une légende selon laquelle l’architecture romane aurait été
inventée par des maçons lombards qui, par la suite, auraient
propagé leur art à travers l’Europe en franchissant les
Alpes. Nous appelons cela une « légende » mais elle est
racontée comme une véritable histoire par bon nombre de
spécialistes de l’art roman. Ceux-ci doivent sans doute
s’appuyer sur des textes montrant que tel ou tel maçon
venait de Lombardie. Mais ces textes constituent-ils la
preuve de l’invention d’une architecture purement lombarde ?
Et à titre de comparaison avec l’époque actuelle, doit-on
considérer que l’architecture actuelle est portugaise sous
prétexte que bon nombre de maçons viennent du Portugal ?
Malgré nos doutes, nous continuerons à appeler ce décor
architectural « arcatures lombardes ».
Une diffusion
extraordinaire
On trouve des arcatures lombardes dans presque toute
l’Europe, de l’Espagne (images 7, 11, 12)
à l’Allemagne (image
10). Les seules contrées chrétiennes qui semblent
ne pas avoir connu ce type d’architecture se situent en
Grèce, et au Proche Orient (Arménie, Géorgie). Mais cela n’a
pas de quoi surprendre, car on constate une franche
séparation des styles architecturaux entre les parties est
et ouest de l’Europe chrétienne et ce, avant même la fin du
premier millénaire.
Un grand nombre d’édifices
concernés
Une toute première estimation effectuée sur la base des
édifices que nous avons visités évalue à environ 130 le
nombre des édifices concernés. Mais nous estimons que ce
nombre doit être au moins multiplié par 5. Un tel nombre est
très intéressant par la masse d’informations qu’il apporte.
Il permet d’établir des cartes d’implantation de ces
édifices. Il permet aussi d’effectuer des comparaisons.
Un important marqueur de
datation
Une analyse très provisoire nous permet d’envisager que
l’installation de ce type de décor correspond à la période
transitoire du voûtement des églises. Une période qui se
situerait autour de l’an 1000 (Xe - XIesiècle).
A partir du début du XIIesiècle, le style
devient plus raffiné et on assiste progressivement à la
disparition de ce type de décor.
Une étude plus poussée que nous comptons réaliser
ultérieurement devrait permettre d’affiner les datations.
Car ces constructions ont été réalisées sur plusieurs
siècles : au moins deux, le Xeet le XIe.
C’est à cause de cette longévité qu’il en subsiste tant (et
c’est parce qu’il en subsiste tant qu’on peut en déduire une
grande longévité). Cette étude plus poussée devrait
permettre de discerner les différentes périodes
d’élaboration d’arcatures lombardes et de les classer
(arcatures lombardes 1, arcatures lombardes 2, …) ; Par la
suite il deviendra plus facile de dater certains monuments.
Et, tout particulièrement les clochers. En effet, les
clochers ayant plusieurs étages et sachant que les étages
inférieurs sont les plus anciens, la présence d’arcatures
lombardes à un étage donné doit permettre d’évaluer la
datation de tous les étages du clocher.
L'image
7 représente une maison romane à SanFéliu de
Guixols. On peut voir à l’étage inférieur des arcs
outrepassés. On retrouve ces arcs outrepassés à l’étage
supérieur. Et au-dessus encore, en bordure du toit, une
arcature lombarde. En règle générale dans cette région,
l’arc outrepassé est antérieur à l’an 1000. Cette arcature
lombarde pourrait donc être antérieure à l’an 1000.
Sur l'image 8 on
peut voir, adossée au mur, une série de colonnes surmontées
de chapiteaux. Et, entre les chapiteaux, des consoles. A
droite, un petit arc est posé sur le dernier chapiteau et la
dernière console. Y a-t-il là une des premières ébauches des
arcatures lombardes ? En tout cas, le chapiteau du milieu à
protomes de taureaux, et celui de droite (arbre de vie) font
penser à des modèles issus de l’antiquité.
Image 9 :
Peut-être comme dans l’image précédente, une ébauche des
arcatures lombardes ?
Image 10 :
Arcatures lombardes à Cologne, en Allemagne.
Image 11 : Les
fenêtres ne sont pas situées au centre des panneaux. Les
deux constructions, arcatures lombardes et fenêtres, ne sont
sans doute pas contemporaines. Mais quelle est la plus
ancienne ?
Image 12 : A la
même église, arcatures lombardes sur le clocher.
Image
13 : La grande homogénéité (au moins jusqu’au
pignon supérieur central) de la façade ouest de l’abbatiale
de Tournus permet d’envisager qu’elle a été construite en
une seule étape.
Image 14 : Sur la
façade nord, on retrouve les même arcatures lombardes que
celles observées dans l’image précédente. Et on constate
qu’il existe une continuité de ces arcatures sur l’ouvrage
ouest (narthex de l’église). Par contre on ne retrouve pas
cette continuité sur la nef. Une hypothèse qui doit être
vérifiée sur place ; l’ouvrage ouest dans son ensemble date
de la première période des arcatures lombardes (Xesiècle).
La nef pourrait être antérieure d’un siècle.
Image 15 : Sur la
tour de croisée de l’église Saint Trophime d’Arles, les
arcatures lombardes ne semblent avoir qu’une fonction
décorative. L’appareil est très régulier contrairement à
celui observé dans les premières images. La construction
doit se situer en fin de période des arcatures lombardes
(fin XIIesiècle ?).