Historionomie et Historiologie
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1. L’histoire est-elle une
science exacte ? Une science humaine ?
L’objet de la présente réflexion est apparu au cours d’une
discussion avec une jeune collègue, enseignante en
histoire-géographie.
Je n’ignorais pas, l’ayant appris depuis ma vie d’étudiant,
que l’histoire faisait partie des « sciences humaines ».
Cependant, depuis peu de temps, je remettais cette idée en
question. En conséquence, j’ai expliqué à ma collègue que,
selon moi, l’histoire était une science exacte. Et j’ai
développé quelques arguments allant en ce sens.
Le premier argument est issu du fait que l’histoire raconte
le passé. Ce passé est la réalité : pas la fiction. Les
faits historiques ne sont pas issus de l’imagination
humaine. Ils se sont réellement déroulés, même si leur
interprétation a été éventuellement faussée.
Dans certains cas particuliers - c’est le deuxième
argument-, l’exactitude dans la description d’un événement
historique est exigée au détriment de l’aspect humain.
Ainsi, dans un procès d’assises, il est demandé à chaque
juré de répondre par oui on non à la question « l’accusé
est-il coupable ? ». De fait, on demande à chaque juré de
faire un travail d’historien, même s’il ne s’agit là que
d’une petite histoire. Le juré doit répondre à la question «
l’accusé est-il coupable ? », non en fonction de ses
sentiments personnels, mais de la réalité des événements.
Ce devoir d’exactitude imposé aux jurés d’assises ne
pourrait-il pas concerner aussi les témoins conviés au
tribunal de l’histoire que sont les historiens ?
Une objection pourrait éventuellement être faite. À savoir
qu’il existe beaucoup d’inconnues en histoire. L’histoire
est floue. Dans ce domaine, il y a le « vrai », le
« faux », et le « peut-être ». Et dans la plupart des cas,
c’est le « peut-être » qui l’emporte. On pourrait donc
considérer que cette notion de « flou » est contraire à la
notion
« d’exactitude ». Peut-on faire un compte rendu « exact » si
on ignore certains détails ? À cette question très logique,
il est possible d’apporter la réponse suivante : on sait que
les mathématiques constituent le summum des sciences
exactes. Or - et c’est là le troisième argument - il existe
une branche spéciale des mathématiques, le calcul des
probabilités, chargée de gérer la question de la possibilité
qu’un événement se produise, c’est-à-dire de gérer le « flou
». L’exactitude consiste aussi à accepter l’existence du
flou, du « peut-être ». D’ailleurs, pour en revenir à la
question, « l’accusé est-il coupable ? », posée à un juré
d’assises, le problème lié au « peut-être », à
l’indéterminé, est réglé à l’avance suivant la phrase bien
connue : « le doute doit profiter à l’accusé. »
En conséquence, et aussi paradoxal que cela puisse paraître,
l’histoire deviendra de plus en plus exacte si on accepte
d’y introduire à côté des certitudes établies (mais toujours
à vérifier) des incertitudes, des incompréhensions.
À ce plaidoyer en faveur d’une exactitude de l’histoire, mon
interlocutrice m’a répondu que cette question avait fait
l’objet d’un débat organisé par des professeurs d’université
auquel elle avait assisté. De cette confrontation entre
historiens, il était ressorti que la stricte objectivité en
histoire est impossible. Dans ses recherches et ses
commentaires, l’historien fait passer, parfois sans en avoir
pris conscience, ses propres idées. En cela, selon elle,
l’histoire est bien une science humaine.
La discussion s’est arrêtée là. La sonnerie de fin de
récréation avait retenti et mon interlocutrice a dû partir
afin d’assurer son cours d’Histoire-Géographie. Nous n’avons
pas eu l’occasion de reprendre cette conversation.
2.
Astronomie et Astrologie
Cette discussion m’avait cependant incité à approfondir la
réflexion et je me suis posé la question suivante : « Est ce
que nous n’aurions-nous pas tous les deux eu
raison ? ». Cette question en a aussitôt amené une autre : «
Est-ce qu’il n’y aurait pas deux façons de concevoir
l’histoire ? L’histoire ne serait-elle pas une science
exacte par certains côtés, humaine par d’autres ? ».
L’idée m’est alors venue de comparer l’étude de l’histoire
avec l’étude des objets célestes. Car, en ce qui concerne
cette dernière, il y a bien deux façons de procéder :
l’astronomie et l’astrologie.
3. L’astronomie est une
science exacte
Cette affirmation ne devrait susciter aucune objection. Elle
ne signifie pas pourtant que toutes les affirmations des
astronomes sont vraies. Ils peuvent se tromper. Mais ils
partent du principe que tous les phénomènes astronomiques
sont rationnellement explicables, indépendants de l’humain
ou du divin.
4. L’astrologie est une
science humaine
Cette affirmation devrait quant à elle susciter « une volée
de bois vert ». En commençant par cette objection : «
l’astrologie n’est pas une science ! ». Et il suffit de lire
dans le « Dictionnaire de l’Académie Française 1798 » la
définition du mot « astrologie » pour comprendre le
discrédit dont elle a souffert et souffre encore-auprès des
savants : « Art chimérique suivant lequel on croît pouvoir
connaître l’avenir par l’inspection des astres. L’Astrologie
est une science vaine. La plupart des Astronomes se moquent
de l’Astrologie… ». Arrêtons-nous d’abord à cette définition
pour montrer qu’elle ne correspond pas tout à fait à la
démarche de l’astrologie. En effet, le client de
l’astrologue ne cherche pas à connaître l’avenir, mais à le
modifier à son profit. S’il sait, à coup sûr, qu’il ne
gagnera pas au loto, il n’achètera pas de billet. Dans le
cas contraire il se précipitera pour acheter le fameux
billet gagnant. En conséquence, sa rencontre avec
l’astrologue est censée influer sur son comportement. Et
donc sur l’avenir.
Le discours de l’astrologue doit s’adapter à cette
situation. En admettant même qu’il connaisse cet avenir –
dans certains cas il est tout tracé et ce n’est même pas
nécessaire de connaître le parcours des astres pour
l’anticiper – il doit s’abstenir de le prédire dans les
détails mais aider son client à prendre les bonnes décisions
qui permettront de modifier son avenir. Il agit comme le
ferait un psychologue. D’ailleurs, il suffit de lire
quelques horoscopes pour s’en persuader. L’astrologue
s’exprime comme un psychologue. On est donc bien dans une
situation concernant les sciences humaines.
5. Petite histoire de l’étude des astres célestes avant
les découvertes de Copernic
Nous avons été tellement formatés par les discours mettant
en exergue le génie scientifique des grecs ou des romains
qu’il nous est difficile de les imaginer crédules et
superstitieux. Pourtant, on a conscience en lisant leurs
écrits que les événements astronomiques tels que les
éclipses ou la position des astres le jour de la naissance
d’un prince avaient pour eux une grande importance. Ils
avaient recours à des spécialistes pour prédire l’avenir. Au
début du premier millénaire, ces spécialistes étaient
désignés sous le nom de … mathématiciens. C’est tout de même
assez surprenant … et amusant, que l’on ait donné ce nom aux
premiers astrologues. Car on apprend que les «
mathématiciens » dont il est question prédisent l’avenir.
Ils peuvent même subir les conséquences de leurs actes.
Ainsi, il est arrivé que certains d’entre eux soient
exécutés pour avoir fait de fausses prédictions. C’est
d’ailleurs en ces occasions que l’on découvre l’importance
de l’astrologie pour les pouvoirs publics ou les potentats.
D’une part, le fait de faire appel à des mathématiciens
montre que ces pouvoirs publics voulaient obtenir le maximum
d’exactitude pour anticiper le mouvement des astres et
l’interpréter. D’autre part, le fait de vouloir contrôler
les prédictions des mathématiciens-astrologues quitte à
faire exécuter ceux-ci si ces prédictions ne leur
convenaient pas, montre l’importance qu’ils attachaient à la
maîtrise de l’information. Il montre aussi que l’astrologie
pouvait être une affaire d’état dans l’empire romain.
6. Plaidoyer en faveur de
l’astrologie du passé
La lutte d’influence entre astrologues et astronomes après
les découvertes de Copernic a conduit ces derniers à
développer une attitude totalement négative vis-à-vis du
travail des astrologues d’antan. Effectivement, si le
travail des astrologues avait seulement consisté à prévoir
le trajet des planètes et autres objets célestes, ils
étaient incompétents par rapport aux astronomes modernes.
Cependant, le travail des astrologues ne s’arrêtait pas là :
ils conseillaient leurs contemporains pour les prises de
décision. Et nous sommes persuadés que bien des guerres et
des conflits ont été évités grâce aux interventions des
astrologues. Nous pensons aussi que vis-à-vis de leurs
consultants, leurs comportements devaient être plus proches
de ceux des psychologues modernes que de ceux généralement
attribués aux gourous ou aux devins. Ils devaient savoir en
effet que ce n’est pas en reportant la faute sur les
planètes que les problèmes humains seraient résolus.
7. L’astrologie et la
religion chrétienne
Nous avons vu dans le paragraphe 5
ci-dessus l’importance du rôle confié aux
mathématiciens-astrologues dans l'Antiquité. Mais qu’en
était-il durant la période suivante, le Moyen-Âge ?
À cette époque, la recherche était essentiellement dirigée
par l’Église Chrétienne. Il faut savoir que pour les
questions de croyances en général, et, dans ce cas
particulier, de la croyance à l’influence des astres, la
position de l’Église Catholique, est, à l’heure actuelle
encore, très ambiguë. D’une part, elle sait et affirme que
Dieu intervient dans la vie des croyants. D’autre part, elle
admet mal l’existence d’intermédiaires entre Dieu et les
croyants. Ainsi, les saints ou la Vierge sont des
intercesseurs auprès de Dieu : ce ne sont pas eux qui font
des miracles, mais Dieu qui les fait sur leur demande. Cette
méfiance de l’Église vis à vis des intermédiaires entre Dieu
et les hommes devait être encore plus manifeste à l’égard
des astres, objets en apparence inanimés. Cependant,
l’Église Catholique ne pouvait se priver d’en faire l’étude.
D’abord pour des raisons pratiques. Les astres rythment le
comportement humain (les heures de prière des moines,
l’emploi du temps de la semaine, les travaux des mois, le
calendrier des fêtes). Mais aussi pour ne pas laisser à des
astrologues indépendants le monopole des prédictions. Nous
n’avons pas connaissance de documents, mais il y a eu
probablement des astrologues parmi les moines, les prêtres
ou les évêques. Toujours est-il que les représentations des
astres abondent dans l’iconographie chrétienne du Moyen-Âge.
Sont ainsi régulièrement évoqués les 12 signes du Zodiaque
alternant avec les 12 travaux des mois. Mais aussi le soleil
et la lune souvent représentés sous forme humaine.
8. La recherche en
astronomie avant les découvertes du XVIeet
XVIIesiècle
Je pense qu’il y avait deux démarches dans cette recherche.
Une première démarche « scientifique » consistant à
déterminer l’exact mouvement des astres ; une seconde
démarche « ésotérique » consistant à évaluer l’influence des
astres sur les humains à titre individuel (passions,
maladie, mort …) ou collectif (famines, épidémies, guerres,
…). Nous pensons que ces deux démarches pouvaient être
simultanées, le même savant pratiquant les deux à des degrés
divers. Il faut aussi comprendre que cette étude ne s’est
pas imposée d’un coup. Elle s’est adaptée en fonction des
découvertes. Ainsi, le partage de la circonférence en 360°
vient du fait que les astrologues s’étaient aperçus que
chaque jour le soleil s’avançait d’un degré (le mot degré
vient de dies gradus) dans le cercle du zodiaque. En
conséquence de cette observation, dans le premier calendrier
romain, l’année était constituée de 360 jours. Pour se
conformer à l’année réelle les astrologues romains
ajoutaient en fin d’année cinq ou six jours néfastes. En
instituant le principe des années bissextiles, le calendrier
Julien a, en 46 avant Jésus Christ, amélioré la précision
avec une année de 365,25 jours. Plus tard, en 1582, après
avoir constaté un décalage de 3 jours tous les 400 ans, le
pape Grégoire XIII a imposé dans les états catholiques un
nouveau calendrier, le calendrier grégorien. Une telle
précision dans les mesures (3 jours sur 400 ans
correspondent à une erreur de 2 sur 100 000) ne peut être
expliquée que par le soin très particulier employé à leur
mise en œuvre : instruments de plus en plus sophistiqués,
archives de relevés astronomiques sur plusieurs siècles.
Une étude « ésotérique » a très certainement accompagné
l’observation régulière du déplacement des astres dans le
ciel. Cette étude « ésotérique » pouvait avoir elle-même un
contenu scientifique par la recherche de concordances.
Ainsi, l’apparition subite d’une comète pouvant annoncer un
malheur, il devait être important de relever tous les
malheurs liés à l’apparition d’une comète.
Plus que cela encore ! La démarche ésotérique répondait à
une nécessité. Une nécessité liée au fait que tout événement
inattendu crée de l’inquiétude. À l’heure actuelle, nous
rions des frayeurs des hommes du Moyen Âge lors de
l’apparition d’une comète. Mais si nous nous en moquons,
c’est parce que nous avons connaissance longtemps à l’avance
de l’arrivée de cette comète. Pour nous il n’y a aucune
surprise. Qui plus est, nous savons que le phénomène est
explicable et qu’il survient régulièrement. À quoi bon s’en
émouvoir? Par contre, un événement inattendu et inexpliqué
suscitera peurs et émotions. Et nous serons à la recherche
d’explications. Explications que nous croirons trouver
auprès d’un « connaisseur ». Lequel « connaisseur » devra
fournir ces explications s’il veut garder sa réputation de «
connaisseur ». Et il arrive que le connaisseur ne connaisse
pas la réponse. En ce cas, le « connaisseur » autoproclamé
se sentira obligé d’inventer une explication ou de se
référer aux explications des anciens, faute de trouver une
explication convenable qui lui soit réellement personnelle.
C’est ce qui s‘est très probablement passé en ce qui
concerne l’astronomie avant les découvertes successives de
Copernic, Galilée, Kepler et Newton.
9. Et
après Copernic ?
On a donné le nom de « révolution copernicienne » à cette
période. Le terme de « révolution » est bien adapté si l’on
accepte l’idée que les découvertes de Copernic ont entraîné
des changements profonds. Des changements dont on n’a
probablement pas encore totalement mesuré l’importance. Car
la conception nouvelle d’un univers ouvert et compréhensible
a très certainement provoqué des comportements nouveaux.
Ainsi, il est possible que la querelle littéraire des «
Anciens et des Modernes » ou l’indépendance d’idées des
philosophes du XVIIIesiècle soient issues de
cette nouvelle vision du monde.
Cependant, le mot de « révolution » est, dans ce cas,
inadapté si on l’interprète dans le sens d’un changement
subit et inattendu. Car il a fallu beaucoup de temps pour
que ce changement soit considéré comme achevé. Il y a très
probablement eu un « avant Copernic », une période durant
laquelle un certain nombre de chercheurs commençaient à se
poser des questions sur le modèle de Ptolémée. Mais surtout
il y a eu, après le décès de Copernic, une longue période
silencieuse. Les savants de l’époque ont mis beaucoup de
temps à adopter cette nouvelle théorie qui bouleversait tout
ce qu’ils avaient appris. Le manuscrit De
Revolutionibus Orbium Coelestium aurait été achevé
vers 1530 et le premier exemplaire imprimé n’est édité qu’en
1543 peu avant la mort de Copernic. Mais ce n’est que très
longtemps après que la théorie est définitivement adoptée.
En effet, l’ouvrage de Copernic est mis à l’index en 1616,
soit 73 ans après avoir été publié pour la première fois.
Moins de vingt ans après, en 1633, Galilée, qui défendait la
théorie de Copernic, est condamné par l’église catholique.
Ce n’est qu’après 1664 que les auteurs en faveur des thèses
de Copernic sont retirés de l’index. Les travaux d’Isaac
Newton sur la mécanique céleste débutent en 1677. Ils
finissent par emporter l’adhésion de la grande majorité des
savants, au début du
XVIIIesiècle. « Mis
à part l'Angleterre, la France, les Pays-Bas et le
Danemark, le reste de l'Europe garde sa position
anti-copernicienne pendant encore un siècle.
»(phrase extraite de la page consacrée à Copernic du site
Internet Wikipedia) . Le même article poursuit un peu plus
loin : « Au XVIe
siècle, on croit fermement que la Terre est immobile et
que la théorie du géocentrisme est la règle universelle
. On accepte mal que la
Terre soit mobile. Les chercheurs et scientifiques du XVIe
siècle acceptent certains éléments de la théorie, en
revanche la base de l'héliocentrisme est rejetée.
L'acceptation de la nouvelle théorie va devenir l'enjeu
d'une lutte d'influence aux confins de l'Université, de la
politique et de la religion. Dès 1533, le pape Clément VII
avait connaissance des travaux de Copernic sans les
critiquer et, en 1536, le cardinal-archevêque de Capoue,
Nikolaus von Schönberg l'encourage à communiquer ses
recherches. Fort de cet accueil, Copernic fait parvenir au
pape Paul III un exemplaire dédicacé de la première
version de son livre De revolutionibus coelestium. De son
vivant, à aucun moment, Copernic ne fut inquiété par
l'Église.
Cependant, seuls une dizaine de clercs de son époque lui
accordent un appui. Mais ces chercheurs travaillent
souvent à l'extérieur des universités (subventionnées),
dans des cours royales ou impériales, ou encore même tout
près de l'Église. Les plus célèbres sont Giordano Bruno et
l'astronome allemand Johannes Kepler (1571-1630). En 1582,
lors de la grande réforme du calendrier par le pape
Grégoire XIII, les travaux de Copernic sur
l'héliocentrisme furent utilisés. Ce n'est qu'après,
qu'une féroce bataille d'universitaires va déclencher la
polémique qui aboutira à la condamnation des travaux de
Copernic, malgré des efforts pour tenter de trouver un
compromis. »
Il y a dans cet article un raccourci un peu trop rapide. Il
réside dans la suite de phrases : « Cependant
seuls une dizaine de clercs de son époque lui accordent
son appui… Les plus célèbres sont … Johannès Kepler
(1571-1630) ». Kepler est né à peine moins de 100
ans (98 ans exactement) après Copernic. Il y a donc entre
eux deux une différence de trois ou quatre générations.
Peut-on dire qu’ils vivaient à la même époque? Il nous faut
donc envisager que les quelques dizaines de clercs qui
soutenaient initialement Copernic ont fait des émules dans
la génération suivante, qui à leur tour ont fait des émules
dans la génération d’après. Lesquels ont initié Kepler aux
nouvelles théories.
Nous ne connaissons rien de ces émules, de ces personnages
qui ont continué à faire vivre le modèle héliocentrique
longtemps après la mort du concepteur de cette théorie. Mais
il faut accepter l’idée qu’ils ont existé et qu’ils ont au
fur et à mesure accumulé des preuves.
On a tort de croire que le procès de Galilée était un combat
de la science contre la religion. Le combat a d’abord eu
lieu entre scientifiques. C’est en tout cas ce que suggère
la phrase : « Mais ces
chercheurs travaillent souvent à l'extérieur des
universités (subventionnées), dans des cours royales ou
impériales, ou encore même tout près de l'Église .
». Les universités censées avoir le monopole du savoir
auraient été les plus réticentes à ces théories nouvelles.
Les savants coperniciens indépendants avaient sans doute
plus de succès auprès des cours royales ou impériales à
cause de la précision de leurs calculs. On sait ainsi que
Kepler vendait - très cher - des horoscopes : il était
capable de prévoir à l’avance la conjonction des planètes ;
ce qui donnait du crédit à d’autres prédictions. Finalement,
il semblerait que, de toutes les institutions, ce soit
l’Église qui ait été le plus en pointe sur ces idées. C’est
sans doute pour cela que la condamnation par l’Église des
idées de Copernic, puis de Galilée, est devenue une
nécessité pour les scientifiques adversaires de ces idées.
Ils devenaient de plus en plus à court d’arguments
scientifiques. Il leur fallait opposer des raisons
religieuses (contradictions avec le texte de la Bible) ou
politiques (risques de troubles à l’ordre public de la part
d’une populace furieuse qu’on l’ait trompée).
Ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si, au moment
même où les ouvrages des coperniciens sont retirés de
l’index (1664), est créé l’Observatoire de Paris (1667) sous
l’égide de l’Académie des Sciences fondée quant à elle un an
plutôt en 1666. Les travaux s’effectueront dans une grande
indépendance. On découvre dans cette démarche une véritable
révolution dans les mentalités. En effet, elle s’effectue
avec au moins l’approbation, si ce n’est sous l’égide, de
Colbert. Or Colbert est bien connu pour son
interventionnisme en matière économique, interventionnisme
que l’on a d’ailleurs qualifié de « colbertisme ». Ici, en
ce qui concerne la science, il se révèle très libéral. Il a
compris que l’intérêt de l’état résidait plus dans la
recherche de la vérité que dans la maîtrise de
l’information.
10. Et maintenant
l’astronomie ?
Après les créations d’observatoires à Paris (1667), à
Londres (Greenwich - 1675) et en d’autres villes d’Europe,
il faudra attendre près d’un siècle pour que les idées
nouvelles soient adoptées par les scientifiques, puis au
moins un siècle de plus pour qu’elles soient généralisées
dans l’enseignement. À l’heure actuelle, la grande majorité
des humains connaissent deux grandes branches de la science
des astres : une science reconnue pour son exactitude,
l’astronomie, une science qui s’adresse aux humains,
l’astrologie. À remarquer que l’existence de ces deux
sciences ne crée pas de conflit chez l’usager qui peut tour
à tour utiliser son GPS, pur produit de l’astronomie, et
consulter son horoscope, pur produit de l’astrologie (
remarque personnelle : je ne suis pas moi-même intéressé par
l’astrologie).
11.
Retour à l’Histoire
Les commentaires précédents ont peut être été longs et
fastidieux. S’ils ont été ainsi présentés, c’est pour mieux
introduire le discours sur l’Histoire. Car il y a, selon
moi, analogie entre ce qui s’est passé dans le domaine de la
science des objets célestes (astrologie et astronomie) et ce
que nous vivons actuellement dans le domaine de l’Histoire.
Il faut bien comprendre que l’Histoire a été, et ce, de tout
temps, une construction artificielle donnant une vision
déformée de la réalité. Cette construction artificielle peut
avoir été faite inconsciemment, par suite de circonstances
particulières. Mais elle peut aussi avoir été opérée d’une
façon délibérée et volontaire.
12. Les déformations
involontaires de la vérité historique
La réalité historique peut être déformée sans que
l’historien lui-même en prenne conscience, et ce, de
plusieurs façons. La première vient du fait qu'un
témoignage, même impartial, est le plus souvent partiel. Un
témoin ne raconte que ce qu’il a vu ou ce dont il a eu
connaissance. S’il ne détient qu’un seul témoignage,
l’historien a tendance à le privilégier, en négligeant toute
hypothèse qui pourrait le corriger, suivant le principe : «
on a trouvé un témoin cela nous suffit ! ».
Le rapport que l’historien fait du témoignage s’avère être,
lui aussi, le plus souvent, partiel. D’ailleurs les
historiens eux-mêmes ne s’en cachent pas. Ainsi, lorsque
Grégoire de Tours publie son ouvrage sur l’histoire des
Francs, il lui donne pour titre « Histoire Ecclésiastique
des Francs », réduisant cette histoire à son contenu
« ecclésiastique».
Il faut bien comprendre que ce caractère « partiel » des
témoignages ou de leur rapport qu’en fait l’historien
constitue un handicap sérieux. Encore plus si le témoignage
devait se révéler partial.
Pourtant, la plus grande cause de déformation de la vérité
historique semble être l’absence de témoignage. La pratique
de « citer ses sources » amène l’historien à reconnaître
pour « vrai » un article étayé par des documents
indépendants de l’auteur de cet article et « douteux »,
voire même « faux », un article non étayé considéré alors
comme un pur produit de l’imagination de l’auteur. Ce qui
n’empêchera pas l’article en question d’être accepté s’il
est signé par un universitaire reconnu part ses pairs. Cette
approbation par les pairs, non étayée par des preuves
tangibles, sera utilisée comme source sûre par d’autres
historiens. C’est ce qui s’est passé concernant les
monuments du premier millénaire. C’est à dire l’essentiel du
contenu de l’actuel site. Les historiens de l’art qui ont
étudié ces monuments ont cherché des documents les
concernant. Malheureusement, plus on remonte dans le temps,
moins on trouve de tels documents. Face à la rareté des
documents antérieurs à l’an 1000, les historiens de l’art
n’ont pu envisager qu’il pouvait subsister des monuments
datant de cette période.
13. Les déformations volontaires de la vérité historique
Tout le monde a entendu parler du négationnisme, cette
pratique déviationniste de quelques chercheurs niant
l’Holocauste des Juifs dans les années 40. Mais le
négationnisme doit il être seulement réduit à la
contestation de l’holocauste ? D’autres événements
historiques peuvent être volontairement niés par des
historiens indépendants. Nous l’avons ainsi constaté pour le
débat concernant le nombre de victimes lors du sac de
Béziers par les croisés en 1209. Certains historiens
estimaient ce nombre à quelques dizaines, alors que d’autres
parlaient d ‘une centaine de milliers : évaluations aussi
peu crédibles les unes que les autres, mais qui traduisaient
plus un débat d’idées qu’un réel travail d’historiens.
Il me semble pourtant que le négationnisme le plus important
qui soit est le négationnisme des États. Le terme de «
négationnisme » appliqué aux États apparaît à priori très
choquant et, à tout le moins, ne concerner que quelques cas
particuliers, comme la Turquie qui nie le génocide arménien.
En fait le négationnisme concerne tous les États. Pas
seulement d’ailleurs les États, mais aussi les corps
constitués tels que les groupes religieux ou les partis
politiques. Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas à
proprement parler de « négationnisme », mais plutôt d’un
détournement semi-volontaire de la vérité historique. Chaque
État, chaque Corps Constitué, veut créer une cohésion dans
le groupe d’individus qui le constitue. Pour cela, il lui
faut montrer l’existence d’une communauté de valeurs dans le
groupe. En conséquence, l’État ou le Corps Constitué crée sa
propre Histoire en maximisant ses succès et en minimisant
ses échecs. Il en est ainsi, par exemple, de l’église
catholique qui, avec ses vies de saints ou sa Légende Dorée,
s’est efforcée durant le Moyen-Âge de montrer le côté
positif de son Histoire.
Dans ses ouvrages tels que «
La nostalgie des origines », « Le
mythe de l’éternel retour », l’historien des
religions, Mircea Eliade, a bien décrit le processus de
transformation de l’histoire en légende. Je pense qu’il en
est de même pour les États. Ils ont besoin de montrer qu’ils
ont été établis à partir de valeurs communes à l’ensemble
des citoyens. Ainsi, en 1945, au lendemain de la Libération
de la France, les français étaient réputés s’être dressés
comme un seul homme face à l’envahisseur. On découvre, au
fur et mesure des témoignages, que la réalité a été
peut-être un peu moins belle : la collaboration, puis les
purges après la libération, les bombardements alliés dont
certains étaient totalement inutiles et injustifiés, … et
sans doute d’autres événements encore passés sous silence.
Cette volonté de montrer la cohésion sociale se fait au
détriment de la vérité historique. Je peux témoigner de
cette déformation de l’Histoire dans le cas particulier de
l’Histoire de France et du Premier Millénaire. Dès le plus
jeune âge, une vision édulcorée de cette Histoire m’a été
enseignée. Cette vision édulcorée n’a pas été corrigée par
la suite, car l’enseignement historique français suit
l’ordre chronologique des événements et l’histoire
antérieure à l’an 1000 n’est plus inscrite dans les
programmes scolaires à partir de l’âge de 12 ans. Si bien
que jusqu’à une date relativement récente, mes connaissances
sur cette période étaient celles d’un enfant de 12 ans.
C’est d’ailleurs après avoir pris conscience de mes
insuffisances que j’ai décidé d’étudier plus profondément le
premier millénaire. Ma plus grande surprise a été de
découvrir que je n’étais pas le seul concerné : les
historiens issus de l’université étaient dans le même cas
que moi. Ils ont certes appris des méthodes de recherche,
mais comme ils se sont spécialisés dans des domaines très
particuliers, leurs connaissances générales sur le Haut
Moyen-Âge sont restées à l’état embryonnaire et surtout
leurs aptitudes à raisonner, à critiquer et à remettre en
question des jugements préétablis, aptitudes mises en œuvre
pour des périodes récentes, semblent inutilisées pour ces
périodes anciennes : on en est encore au bon romain qui
construit tout et au méchant barbare qui détruit tout ce que
le bon romain avait patiemment construit.
Comprenons bien qu’il n’y a, dans ce que j’écris, aucune
volonté de polémique même si mes affirmations risquent d’en
mécontenter plus d’un. Je décris un fait. À titre de
comparaison, je vais citer Galilée. Lorsque, selon la
légende, il s’est insurgé : « Et
pourtant elle tourne ! », il décrivait, lui aussi,
un fait. Il savait que ce fait était dérangeant pour
certains. Devait-il s’abstenir de le dire ?
Quant au fait que je décris, il a été établi sur des bases
solides à partir d’observations principalement
architecturales effectuées sur plus de 600 « monuments »
(églises, châteaux, musées). Il ressort de ces analyses que
plus du tiers des édifices qualifiés de « romans » et datés
du XIeou du XIIesiècle sont
antérieurs à l’an 1000.
Ces analyses sont loin d’être terminées. Mais, en ce qui me
concerne, le fait est acquis. Chacun est certes libre d’y
croire. Cependant, mes observations ne peuvent être écartées
d’un revers de main. Il faut les refaire, les critiquer,
proposer éventuellement d’autres solutions plus cohérentes
que les miennes.
La question est de savoir si l’obscur chercheur que je suis,
qui par ailleurs ne fait pas partie du sérail des
historiens, peut avoir raison contre la grande majorité de
ceux-ci. De fait, la question ne se pose pas pour moi car
jusqu’à présent, aucune objection solide n’est venue mettre
mes arguments en défaut. Mais cela étant, la question
précédente se repose d’une autre façon : « Comment se
fait-il qu’une grande majorité de chercheurs se soient
trompés ? ». Il serait peut-être satisfaisant pour moi de
parler d’incompétence en ce qui les concerne. Mais je ne
pense pas que ce soit le cas. Certaines pratiques de
recherche comme la trop grande importance donnée aux textes
écrits évoquée dans le paragraphe « Les déformations
involontaires de la vérité historique », peuvent être
évoquées. Cependant toutes ces justifications sont
insuffisantes pour expliquer l’étendue du phénomène. Je suis
persuadé que la méconnaissance que nous avons en France de
l’histoire du premier millénaire est dûe à l’action de
l’État Français qui a voulu créer une image idéalisée des
Origines de la France.
Durant longtemps, je n’ai pas compris pour quelles raisons
l’Histoire de France était enseignée dans l’ordre
chronologique. Il me semblait en effet que, plus on remonte
dans le temps, plus il est difficile de comprendre et
d’expliquer les événements qui se sont succédés. Et je
pensais plus raisonnable d’enseigner l’Histoire des Temps
Anciens à des grands adolescents qu’à des enfants. Ce n’est
que récemment que j’ai compris le caractère volontaire de
construction des programmes en suivant un ordre
chronologique. Les petits français doivent savoir comment
s’est constituée la France (selon l’interprétation qu’en
donne l’État Français). Devenus adultes, ils ne doivent pas
en savoir plus. Ils risqueraient de mettre en doute ce qu’on
leur avait appris.
Le résultat, on peut l’observer dans certains propos
entendus récemment, à forts relents de xénophobie ou de
racisme, tels que : « Moi, on m’a appris à l’école que mes
ancêtres étaient Gaulois. » (sous-entendu : « Et ils
n’étaient pas noirs, arabes ou chinois »).
Cette conception archaïque et orientée de la formation de la
France - il en est de même pour beaucoup d’autres pays - a
conduit à négliger tous les progrès accomplis durant la
période de l’an 400 à l’an 1000. À l’heure actuelle, des
périodes comme la préhistoire sont mieux connues et étudiées
que celle-ci. Ainsi, une chronologie a pu être établie à
partir de l’évolution de la technique de fabrication des
outils (paléolithique, néolithique, chalcolithique),
chronologie affinée par la suite (solutréen, magdalénien,
…). Et ce depuis le XIXesiècle. Il devrait
être paradoxal pour tous qu’une méthode analogue n’ait pas
été mise en application concernant les évolutions
architecturales des basiliques à trois vaisseaux. En
admettant même que toutes ces basiliques, dites romanes,
soient postérieures à l’an mille comme l’affirment les
actuels historiens de l’art, il devrait être possible de
définir un classement, de la plus ancienne à la plus
récente. À ma connaissance, la seule ébauche d’un tel
classement se trouve dans l’actuel site. Suis-je donc un
génie pour y avoir pensé ? Certainement pas ! À coup sûr,
d’autres y ont pensé avant moi, mais ils n’avaient pas
suffisamment d’arguments, de soutiens ou de moyens pour le
faire.
Comment se forge le négationnisme des États ? Il ne faut pas
s’imaginer que la responsabilité d’un négationnisme d’État
doit être imputée aux seuls donneurs d’ordre de cet État :
les peuples ont leur mot à dire. Et, dans bien des cas, ils
le disent. En prenant pour exemple l’Histoire relativement
récente de la Guerre d’Algérie, on voit bien, dans le
déchaînement des passions aux moindres allusions, que la
vérité est difficile à établir.
14. Une histoire
réellement objective est-elle possible ?
Il faut tout d’abord remarquer que, actuellement, les
historiens sont beaucoup plus objectifs que ceux d’il y a
une centaine d’années. De plus en plus des questions
historiques concernant des États particuliers sont traitées
par des groupes internationaux d’historiens. Cependant,
l’indépendance des historiens par rapport aux États n’est
pas encore totalement assurée. On connaît la polémique qui a
accompagné le projet de création, il y a quelques années,
d’un Musée de l’Histoire de France, polémique si forte que
le projet n’a pas abouti. Je ne suis pas parfaitement au
courant de ce qui s’est passé, mais je pense qu’il y a eu
conflit entre un pouvoir désireux d’interpréter l’Histoire
de France en donnant un vision déformée de la réalité, et
ce, à des fins pédagogiques, et des historiens soucieux de
rétablir une vérité historique. Même si cette polémique a eu
un certain retentissement, ce ne pourrait être qu’un
épiphénomène, la partie émergée d’un contrôle de l’état sur
l’enseignement de l’histoire. Car même si les universités
sont déclarées indépendantes, l’État dispose de nombreux
leviers d’intervention, comme, par exemple, la possibilité
de financer des thèses.
15. Les deux néologismes : « Historionomie » et «
Historiologie »
Il faut bien comprendre que l’historien actuel est confronté
à deux choix : soit il étudie l’histoire dans sa vérité,
soit il fait référence à cette histoire à fins d’éducation
ou de modifications de comportement des auditeurs. Dans le
premier cas, l’histoire est conçue comme une science exacte,
dans le second cas, comme une science humaine. Pour
clarifier mon raisonnement, j’ai voulu créer deux
néologismes, en analogie avec les mots : « astronomie » et «
astrologie ». « L’historionomie » correspondrait à la
première situation : l ‘étude de l ‘histoire dans sa vérité.
« L’historiologie » serait la seconde : l’enseignement de
l’histoire. Sous ce point de vue, l’historien-chercheur en
université pourrait être qualifié « d’historionome » alors
que l ‘enseignant en histoire serait qualifié «
d’historiologue ».
Cependant, en admettant même que ces néologismes soient un
jour adoptés, nous sommes loins qu’ils soient conformes à la
réalité actuelle. Jusqu’à preuve du contraire,
l’universitaire français est toujours au service de la
nation française et il lui est difficile d’émettre des
points de vue estimés contraires aux intérêts de l’Etat.
16. Mais quels sont les intérêts de l’état ?
On a vu précédemment que l’Histoire - du moins l’Histoire de
la formation de chaque état - a été artificiellement
transformée en légende de façon a intégrer plus aisément des
groupes disparates. Si les États ont agi ainsi, c’est sans
doute parce qu’ils y trouvaient leur intérêt. Cependant nous
sommes bien obligés de constater que ces expériences
d’intégrations de communautés ont pu parfois échouer. La
négation d’un passé ou d’une culture propre à une partie
d’une nation crée dans cette partie un sentiment
d’exclusion, puis une exacerbation qui peut conduire à un
désir d’indépendance. Inversement, une meilleure
connaissance de l’histoire locale pourrait atténuer les
velléités d’indépendance à l’intérieur des nations. Car plus
on remonte dans le temps, plus le concept de nation, établi
sur la base de critères communément partagés (frontières,
langues, religions, cultures) devient complexe. En
conséquence, je ne suis pas du tout certain qu’une
construction artificielle de l’histoire soit un atout pour
une nation.
Mais, dira-t-on, quelle peut donc être l’utilité pour une
nation d’enseigner une histoire qu’on ne peut pas trafiquer
à sa guise ?
Il nous faut bien réaliser qu’une histoire vraie est source
de profits pour celui qui la connaît. Prenons l’exemple
d’une œuvre d’art. Cette œuvre n’a de valeur que par
l’histoire qui lui est rattachée et non par sa beauté
intrinsèque. Le même tableau de Van Gogh qui était méprisé
du vivant de l’artiste fait actuellement l’admiration de
tous. Ce changement de regard de l’amateur d’art est en
grande partie dû à l’histoire qui s’y rapporte. Une histoire
qui peut prendre un aspect très élémentaire : l’histoire
d’un tableau qui ne valait pas un clou et qui vaut à présent
des millions. Imaginons que ce tableau se révèle être un
faux. Immédiatement il perdra sa valeur. Non seulement sa
valeur vénale, mais aussi sa valeur esthétique. Car tous
ceux qui auparavant s’étaient efforcés d’expliquer la beauté
de ce tableau se tairont subitement.
17. Comment devient-on « historionome » ?
La grande majorité des historiens le sont déjà dans la
pratique. Cependant, il existe des blocages au niveau des
questions abordées. Ces blocages sont le fait des États ou
des Corps Constitués. Ils le sont principalement au niveau
des origines du groupe : mythes de création pour des groupes
religieux, mythes de fondation pour des sociétés. Ces
blocages peuvent aussi exister pour des périodes récentes
lorsque le groupe refuse d’endosser sa responsabilité dans
des actes répréhensibles. Face à ces blocages, l’historien,
aussi objectif qu’il soit, ne dispose pas des crédits
nécessaires à ses recherches et doit les interrompre.
À l’heure actuelle, la seule façon de contourner ces
obstacles serait de créer des instituts d’histoire
indépendants des états. Tout comme il existe une Cour Pénale
internationale, il pourrait exister une (ou plusieurs)
Faculté(s) Internationale(s) d’Histoire. Ou plutôt
d’Historionomie, si ce mot ou un autre ayant le même sens
devait être adopté.
On m’objectera sans doute l’inutilité d’une telle opération
pour la France : « Qu’apportera donc cette création ? En
France tout a été déjà correctement traité ! ». Je peux
témoigner que, en ce qui concerne le premier millénaire, on
est loin du compte !
Mais l’intérêt d’une telle institution pourrait ne pas se
limiter au rétablissement de la vérité historique avec, pour
corollaire, la redécouverte de patrimoines ignorés. Elle
pourrait aussi fournir des bases objectives et indiscutables
en vue de règlements de conflits. Enfin, cette institution
pourrait proposer des pistes de réflexion sur les méthodes
de recherche en histoire. Actuellement cette recherche est
essentiellement basée sur les textes écrits. Une nouvelle
compréhension de l’histoire devrait permettre de raisonner
dans les cas d’absence ou de rareté de documents écrits.
En attendant la création de tels Instituts Internationaux
d’Historionomie, une création qui pourrait attendre des
siècles, le relais pourrait être assuré par des particuliers
ou des Sociétés Savantes. On sait que dans un passé
relativement récent (XVIIIe- XIXesiècle),
des initiatives privées soutenues par des Sociétés Savantes,
et sans aide de l’État, ont permis l’émergence de nouvelles
branches de la science (Paléontologie, Archéologie,
Botanique, etc.). Comme l’astronomie avant elle,
l’historionomie pourrait être une de ces branches
nouvellement créée.
Norbert Breton