Histoire des Goths : un peuple de mystères (IIe partie)
Après l’an 500
Petit préambule
Nous ne comptons pas décrire par le menu une telle histoire
des Goths après l’an 500. Une histoire qui ne pourrait
d’ailleurs être que très incomplète. En effet, nous
connaissons certains pans de cette histoire grâce à des
auteurs comme Isidore de Séville, en ce qui concerne les
wisigoths, et Procope, en ce qui concerne les ostrogoths.
Mais il faut bien réaliser qu’il ne s’agit là que de
morceaux d’histoire. On pourrait bien sûr développer
abondamment ces fragments d’histoire, s’y « étaler » dessus.
Mais ce serait comme entourer de guirlandes de Noël l’arbre
qui cache la forêt.
Car, de fait, ce que nous connaissons d’après les textes est
très probablement nettement plus réduit que ce que nous
ignorons. On connaît l’existence des wisigoths en Espagne et
des ostrogoths en Italie. Certes ! Mais les autres ? Ceux
qui ont vécu sur les bords de la Mer Noire ? dans les
Balkans ? près de l’embouchure de la Vistule ? Que sont-ils
devenus ? Quelle est donc leur histoire ?
Et, même en ce qui concerne les Wisigoths et les Ostrogoths,
on ne sait pas grand chose. Comment ont-il fait pour asseoir
leurs dominations respectives ? Quelles villes d’Espagne
pour les uns, d’Italie pour les autres ont-ils occupées ?
Quel a été le mode de gouvernement de ces villes, des
territoires ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser,
il ne s’agit pas là de questions secondaires qu’on pourrait
effacer d’un trait de plume. Conformément à ce que nous
avons dit dans la page précédente concernant les peuples
fédérés, il devait y avoir coexistence entre des populations
vivant sous des lois différentes. Cela suppose des rapports
de forces, des instances de négociation. On peut penser que
les villes, de tradition ancienne, étaient gérées par des
élites issues des classes romaines. Les territoires par
contre, unifiés par la mainmise des Goths, devaient être
gérés par ceux-ci. Mais une telle organisation ne tient pas
compte de la complexité des situations. Car dans des villes
restées romaines il existait des quartiers réservés aux
Goths. Et dans les campagnes sous protection des Goths
subsistaient des villas romaines.
Quelques points forts de
cette histoire
En Italie, le royaume Ostrogoth dure plus d’un siècle avec
une apogée sous le règne de Théodoric le Grand (474-526).
Cependant, par suite des campagnes menées par Bélisaire,
général byzantin, la chute est rapide et en 553 meurt le
dernier roi, Theias. Cette mort ne signifie pas la
disparition du peuple Ostrogoth. Mais dès 561 apparaissent
les Lombards, autre peuple d’origine germanique et de même
religion que celle des Goths. En conséquence, l’assimilation
entre les deux ethnies a due être relativement rapide et le
peuple goth a dû disparaître dans la foulée.
Le peuple Wisigoth installé en Gaule, puis en Espagne, a,
quand à lui, survécu plus longtemps. D’une part, les
conquérants arabes sont arrivés plus tard, au début du
VIIIesiècle. D’autre part leur culture, leur
langue et leur religion étaient fondamentales différentes de
celles des pays occupés. Si bien que, trois siècles après
l’invasion arabe, on parle encore de la Gothie : Il s’agit
d’un petit territoire entourant Narbonne et comprenant les
villes de Carcassonne, Agde et Béziers.
Nous aurons l’occasion de reparler de la Gothie dans une des
pages suivantes : Histoire
des Goths 3.
Les Goths : autres mystères
Dans la page Histoire
des Goth 1, nous avons eu l’occasion de décrire
quelques uns des mystères concernant les Goths. En voici
quelques autres :
Quelle était leur religion
? Jordanès y répond en partie : lorsque les
Goths, chassés par les Huns, ont demandé aux Romains de les
accueillir, ils auraient accepté de se convertir à la foi
chrétienne. Cela se serait passé vers l’an 375. Mais
l’empereur Valens qui les accueillait était lui-même adepte
de l’hérésie arienne. Remarque
: L’hérésie arienne propagée par le prêtre chrétien libyen
Arius (256-336) fut une des plus graves que connut l
‘église catholique. Cette hérésie prônait la primauté du
Père sur le Fils. Les premiers empereurs (Constantin Ier,
Constance, Constantin II et Valens), furent ariens.
En conséquence, tous les wisigoths seraient devenus des
hérétiques ariens. L’explication est un peu courte et il est
difficile d’admettre que tout le peuple se soit converti à
l’instigation d’un seul prince. Très probablement, cette
conversion à la religion chrétienne se serait faite bien
avant grâce à l’envoi de missionnaires orthodoxes ou ariens.
Il est même possible qu’une grande partie des Goths ait été
christianisée avant même le déclenchement de l’hérésie
arienne. Quant aux questions théologiques censées diviser
les chrétiens de cette époque, il faut certes les prendre en
considération, mais ne pas en exagérer l’importance. Y
a-t-il Primauté du Père sur le Fils ? Qu’en savons-nous ? Le
Père nous l’a-t-il dit ? Et pourquoi certains en
sauraient-ils plus que d’autres ? Soyons certains que, à
l’époque, il y avait un doute analogue au nôtre concernant
la nécessité d’aborder ces questions. Soyons aussi certains
que ces débats d’idées n’étaient pas la conséquence d’une
véritable réflexion théologique mais d’un conflit de
personnes, chacun voulant imposer sa primauté à l’autre.
La conversion des rois Wisigoths à la foi orthodoxe
chrétienne et le rejet des idées ariennes s’effectue à
partir de Reccarède [586, 601]. Néanmoins il est à parier
que cette conversion fut purement fictive et que la liturgie
arienne a subsisté à travers la liturgie dite mozarabe.
Cette liturgie mozarabe serait la seule qui ait survécu à la
réforme du XIesiècle tendant à unifier l’ensemble
des liturgies.
Quelle était leur langue
? La langue des goths fait à l’heure actuelle
l’objet de recherches approfondies. Elle aurait disparu
rapidement au profit du latin en Espagne et en Italie mais
elle aurait subsisté plus longtemps dans certaines régions
de l’Europe orientale.
Comment se fait-il que ce
peuple semble n’avoir laissé aucune trace de son passage
dans l’histoire ? alors qu’il existe une
foule de traces des Grecs ou des Romains. C’est pour nous le
plus grand des mystères. En effet, on sait que le peuple
Goth a été un des peuples les plus importants de l’antiquité
et qu’il a survécu durant près de mille ans.
En fait ce n’est peut être pas un vrai mystère : ces traces
du peuple Goth existent mais on ne peut pas les voir ou on
ne veut pas les voir. Probablement les deux : on ne peut pas
les voir et on ne veut pas les voir.
On ne peut pas voir ces traces, car pour cette période du
premier millénaire, l’attribution d’un objet à une culture
donnée est complexe. En effet, dans tous les territoires
qu’ils ont occupés, les Goths n’ont constitué qu’une partie
des habitants. L’autre partie étant constitué de divers
autres peuples, dont les Romains. Il faut concevoir ces
territoires comme plus comparables à ce qu’est actuellement
le Liban, avec ses communautés dispersées et antagonistes
qu’à la France, pays unifié.
Il est donc difficile de distinguer les productions
spécifiques d’un peuple donné. C’est en général le cas de
l’orfèvrerie. Les bijoux sont en effet susceptibles d’être
transportés, modifiés, offerts, volés. Néanmoins il
semblerait que les wisigoths aient produit des bijoux de
type « cloisonné ». Voir à ce sujet les images
1, 2 et 3.
Pour d’autres productions plus
monumentales, la localisation ou le décor permettent
d’émettre certaines hypothèses. Montrons quelques exemples
qui seront plus détaillés dans de futurs chapitres :
Le chrisme.
Représenté sur une face de sarcophage de l'image
4. Le chrisme est la combinaison des deux lettres
grecques « khi » et « rho ». Ces deux lettres forment une
croix à 6 branches. De part et d’autre sont représentées les
lettre grecques « alpha » et « oméga » signifiant : le
commencement et la fin. C’est ce symbole qui aurait permis
la victoire de Constantin au Pont de Milvius. On retrouve ce
symbole dans tout le monde romain. Mais il semble plus
fréquent de part et d’autre des Pyrénées dans les
territoires occupés par les goths (ou, plus exactement, que
les goths partageaient avec d’autres peuples) . Certains
auteurs estiment que ces chrismes sont relativement récents,
du XIIesiècle. Cependant une telle hypothèse est
peu probable. On trouve le chrisme sur des céramiques
sigillées du IVesiècle ainsi que sur des
sarcophages du Veou VIesiècle. On le
retrouve sur des stèles discoïdales. Certaines de ces stèles
ont pu servir de décoration à des portails du XIIesiècle
mais il semblerait que ce soit un réemploi. Le chrisme
disparaît par la suite. Compte tenu de sa localisation, il
se pourrait bien que le chrisme ait été utilisé par les
wisigoths, de culte arien.
La croix pattée (image 5) peut aussi
avoir été introduite par les goths.
Comme pour le chrisme, on la retrouve dans toute la
chrétienté (à Trèves en Allemagne, en Égypte, en Arménie, en
Grèce). Une telle dispersion pourrait provenir d’une égale
dispersion du peuple goth sur tout le pourtour du bassin
méditerranéen. On trouve plus particulièrement le signe de
la Croix Pattée dans le sud de la France ou le Nord de
l’Espagne, régions occupées par les wisigoths. Cependant il
faut noter que, à la différence du Chrisme, symbole
complexe, d’inspiration chrétienne, la Croix Pattée est un
symbole simple, non christique, que des religions non
chrétiennes ont pu adopter. Elle est d’ailleurs bien
présente sur bon nombre de nos médailles militaires sans que
le caractère laïc de notre République Française en soit
affecté.
On hésite beaucoup moins à attribuer aux goths la nécropole
de l'image 6. Cette
nécropole est située en effet au voisinage du Rhône à la
frontière de la Narbonnaise Première. Les wisigoths
s’étaient vus confier la défense de cette Province. De
telles nécropoles avec fosses creusées dans le roc ne sont
pas rares dans cette zone frontalière. On en trouve aussi,
de l’autre côté du Rhône, en Province Viennoise, à
Montmajour près d’Arles.
L'image 7 présente
pour nous un intérêt majeur. Pendant longtemps le chevet de
l’église Saint-Jacques de Béziers a été considéré comme une
œuvre du XIIesiècle. Les spécialistes affirmaient
que les constructeurs s’étaient inspirés de monuments
romains nombreux dans la région. Nous estimons que cette
œuvre est nettement antérieure au XIIesiècle.
Elle date probablement des débuts de l’installation des
goths à Béziers. Cette construction est attribuable aux
Goths (présence d’entrelacs dits « barbares ») mais avec
imitation de modèles romains. Il existe dans le sud de la
France des monuments analogues (Alet dans l’Aude,
Saint-Queunin à Vaison la Romaine). On en recherche dans
d’autres parties de l’Empire Romain. En découvrir ne serait
pas une surprise.
La petite église de Quintanilla de Las Vinas (image
8) est quant à elle attribuée aux wisigoths par les
spécialistes espagnols. Selon eux elle daterait du VIIesiècle.
Avec ses deux bandeaux horizontaux sculptés en bas-relief
faisant le tour de l’édifice, elle surprend quelque peu et
inaugure un nouveau style. Un style qui a peut-être été
reproduit ailleurs.
Les images
9, 10, 11 nous montrent des arcs outrepassés. L’arc
outrepassé est probablement wisigothique. Il a été créé
avant l’invasion des arabes en Espagne. Ceux-ci l’ont adopté
pour la construction de leurs mosquées. A remarquer que les
édifices que l’on voit ici sont bien des églises et non des
mosquées. Les historiens ont grossièrement schématisé
l’histoire en séparant radicalement ce qui s’était passé
avant les invasions arabes, pendant et après celles-ci :
avant, les wisigoths, pendant, les arabes, après, les
mozarabes. La réalité est probablement moins simpliste :
durant la domination arabe, les chrétiens ont dû continuer à
construire des églises.
On constate sur l'image 12
que l’Espagne n’a pas l’exclusivité de l’arc
outrepassé. L’archivolte à 4 rangs d’arcs de l’église de
Loupian est nettement outrepassée.
Il est manifeste que les goths devaient
se différencier des autres peuples et on aimerait identifier
ces différences. Mais l’exercice est délicat. Prenons
l’exemple du portail de Lapeyre (images
13 et 14). Comme tant d’autres il a été daté du XIeou
XIIesiècle. Pourtant la scène de « Daniel entre
les lions » (image 14)
est caractéristique des premiers temps de l’ère chrétienne.
Pour nous, ce tympan doit dater du VIIe, VIIIesiècle.
Il représenterait des personnages de l’époque dans leurs
accoutrements (Tunique descendant jusqu’aux genoux ceinte à
la taille).
De même, le linteau de Saint-Génis des Fontaines montre des
saints entre des colonnes portant des arcs outrepassés. Ce
linteau porte une inscription ayant permis aux chercheurs de
proposer une datation aux alentours de l’an 1000. Cependant
on n’est pas certain de cette datation et les saints
représentés s’apparentent plus à ceux de miniatures
irlandaises du VIIeou VIIIesiècle qu’à
des représentations romanes du XIeou XIIe
siècle.
Le problème de l’identification des goths (mais aussi des
autres peuples), de leurs modes de vie, de leurs productions
artistiques, est donc extrêmement complexe et nous n’avons,
jusqu’à présent, fait que l’aborder en constatant cette
complexité et la rareté des témoignages. Mais nous estimons
que de réels chefs d’œuvre créés par les Goths en Espagne ou
en Italie ne sont pas restés isolés, n’ont pas été créés «
ex-nihilo ». D’autres chefs d’œuvres les ont précédés ou
suivis. Et il importe de retrouver ces chefs d’œuvre qui
peuvent se situer dans des régions fort éloignées des
premiers monuments.