Histoire des Goths : des origines à l’an 450
Les Goths, un peuple
mystérieux
Il faut tout d’abord remarquer que les Goths constituent un
des rares peuples de l’Antiquité pour lesquels a été établie
une histoire. En effet, en ce qui concerne de nombreux
peuples, l’histoire est totalement ignorée. Il existe une
Histoire des Romains, une Histoire des Grecs, une Histoire
des Francs. Le plus souvent ces histoires sont très
incomplètes car des livres ont été perdus. Néanmoins elles
ont le mérite d’exister. Par contre, on ne sait pratiquement
rien de ce qui s’est passé en Gaule avant la conquête
romaine, et ce, alors que Tite-Live fait remonter son
Histoire de Rome depuis la fondation de celle-ci, vers 750
avant J.C. (en fait il donne une date beaucoup plus précise
mais dont l’authenticité reste à prouver). De même on ne
sait rien de l’Histoire sûrement très riche des Germains,
des Marcomans ou des Daces. Et puisqu’on ne sait rien de
cette histoire on a tendance à s’imaginer qu’ils n’ont pas
eu d’histoire.
L’histoire des Goths quant à elle est plus documentée car
plusieurs auteurs ont essayé de nous renseigner sur ce
peuple. Le premier d’entre eux est Cassiodore qui aurait
écrit une monumentale Histoire des Goths en 12 volumes sur
la demande de l’empereur ostrogoth Théodoric. Cette histoire
a été perdue mais un deuxième auteur, Jordanès, a lui aussi
écrit une histoire des Goths. Selon Jordanès lui-même cette
histoire serait un abrégé de l’œuvre de Cassiodore auquel il
aurait apporté des compléments dus à une enquête
personnelle. D’après l’encyclopédie en ligne Wikipedia,
cette histoire, intitulée De
l’origine et des actes des Gètes, aurait été
composée en 551.
Enfin, plus tard, vers l’an 620, Isidore de Séville a écrit
un petit traité : Histoire
des Goths, des Suèves et des Vandales.
Les deux sources principales sont donc Jordanès et Isidore
de Séville. Elles sont complétées par des historiens latins
du IVesiècle comme Ammien Marcellin ou
Eutrope, ou du VIesiècle comme Grégoire de
Tours, et Procope. L’ensemble permet d’avoir une idée assez
précise du peuple Goth jusqu’au début du VIIesiècle.
Cependant, à partir de l’an 620, l’information devient
beaucoup plus lacunaire et ceci sur une durée de 4 siècles.
Vers l’an mille les Goths disparaissent de l’histoire, comme
peuple représentatif d’une force politique.
Et c’est là qu’apparaissent le premier mystère : « Alors que
l’histoire des Romains ou l'histoire des Francs ont fait
l’objet de nombreuses publications comment se fait-il que
l’histoire des Goths nous soit pratiquement inconnue ?
Comment se fait-il que nous ignorions l’existence de
Jordanès , historien des Goths? ». Cette question est
confortée par une remarque faite sur Wikipedia : Jordanès a
été très peu étudié en France. Ce qui signifie en fait qu’il
y a eu une négligence presque totale de cet auteur. Cette
négligence est plus que surprenante. En effet tout historien
moderne est un enquêteur. Et, on le sait toute enquête doit
se faire à charge et … à décharge. Or, dans la question des
conflits ayant opposé l’Empire Romain et les peuples
barbares, on ne connaît que le son de cloche des historiens
romains. Le seul historien barbare qui pourrait
éventuellement témoigner à décharge est justement Jordanès
et on se refuse de l’étudier ! Pourquoi cet état de fait?
Selon Jordanès le peuple des Goths
serait originaire de Scandinavie. Voici ce qu’il nous dit de
cette contrée.
« Revenons à l’île
Scanzia que nous avons tantôt abandonnée. C’est d’elle que
fait mention, au second livre de son ouvrage, l’illustre
géographe, Claudius Ptolémée quand il dit : « Il y a dans
l’Océan du nord une grande île qui s’appelle Scanzia ;
elle figure la feuille du cèdre. Ses côtes se prolongent
au loin, et puis se resserrent pour l’enclore ; l’Océan
s’introduit dans ses rivages. Elle est située vis-à-vis le
fleuve la Vistule, qui sort des montagnes de la Sarmatie,
et qui, en regard de l’île Scanzia se jette dans l’Océan
septentrional par trois embouchures séparant la Germanie
de la Scythie. A l’Orient, au sein des terres, cette île a
un lac fort vaste ; c’est de ce lac, comme d’un ventre que
sort le fleuve Vagi qui roule à grands flots vers l’océan.
A l’Occident elle est entourée d’une mer immense. ».
Un peu plus loin Jordanès nous parle des peuples de l’ïle
Scanzia en disant que Ptolémée n’en donne que 7. Lui-même en
cite 26.
La description de cette île Scanzia faite par Jordanès
correspond à celle de la Sandinavie actuelle avec toutefois
certaines erreurs tout à fait pardonnables au vu des moyens
de l’époque. Existe-t-il un grand lac correspondant à la
description de Ptolémée ? La réponse est oui : le lac Vanern
situé dans la partie Sud de la Suède en son centre. De ce
lac sort il un fleuve allant presque en droite ligne en
direction de l’océan ? Encore oui ! Mais il existe une
surprise encore plus grande : près de l’embouchure de ce
fleuve se trouve la ville de Götebörg. Et puis il existe
dans la Baltique une île appelée Gothland. En poursuivant
notre enquête, constatons que parmi les 21 peuples de l’île
Scanzia que cite Jordanès, on en découvre trois : les
Vagoths, les Gautigoths et les Ostrogoths. Certes, le fleuve
effluent du lac Vanern ne s’appelle pas Vagi, mais Götha
Alv. Et une localité toute proche du fleuve a pour nom
Vargön. Mais il y a mieux : à l’heure actuelle, le lac
Vanern est encadré par deux provinces suédoises, à l’ouest
le Västergötland (capitale Götebörg), à l’est le
Ostergötland (en Français Ostrogothie). Selon les
explications données, cette partie de la Suède aurait été
autrefois occupée par le peuple des Götha.
Deuxième mystère : de nombreux historiens contesteraient
l’idée même que le peuple goth ait pu être issu de
Scandinavie comme le prétend Jordanès. Pourquoi ce refus ?
D’autres affirmations du même type comme par exemple que
Marseille a été fondée par des colons grecs issus de l’ile
de Phocée, n’ont fait l’objet d’aucune contestation. Et
pourtant elles sont étayées par beaucoup moins de preuves.
Jordanès nous apprend par la suite qu’un
groupe de Goths conduits par le roi Bérig aurait débarqué de
3 navires aux abords de l’embouchure de la Vistule et fondé
une ville dénommée Gottiscanzia. Au cours des temps le
peuple Goth aurait remonté la Vistule et abordé les plaines
de l’actuelle Ukraine pour arriver à la Mer Noire. Jordanès
nous dit que le processus de migration de la Mer Baltique à
la Mer Noire aurait été initié par le cinquième roi après
Bérig, un certain Filimer.
Cette fois-ci encore les commentaires de Jordanès semblent
plausibles. En effet, il est fort possible que, dans le
courant du premier siècle avant Jésus-Christ, un groupe de
Goths, issus de Scandinavie se soit progressivement installé
aux abords de l’embouchure de la Vistule puis, environ un
siècle après les débuts de cette installation et, par suite
de disettes, leurs descendants aient décidé de se déplacer
vers l’est. Que les auteurs romains ne parlent pas de cette
migration ni même d’ailleurs des Goths, est tout à fait
normal étant donné que durant toute cette période les Goths
ont été séparés des Romains par d’autres peuples. En fait,
il semblerait que la progression des Goths vers l’est ait
accompagné celle des conquêtes romaines : les Romains
auraient d’abord attaqués les Gaulois puis par un lent
mouvement en direction de l’Est, successivement les
Germains, les Sarmates, les Quades, les Daces.
Le récit de Jordanès devient ensuite
moins crédible. Il a dû se faire l’écho de diverses légendes
d’origine grecque, peut-être transmises par l’intermédiaire
des comptoirs grecs de la Mer Noire. Parmi ces légendes il
en est une cependant qui mérite une attention particulière.
Selon cette légende, au cours de leur pérégrination, les
Goths auraient décidé de franchir un fleuve sur un pont.
Durant ce franchissement de fleuve le pont se serait brisé
séparant le groupe en deux parties, l’une qui ne pouvait
plus avancer, l’autre qui ne pouvait plus reculer. La
légende est sans doute fausse. Elle traduit pourtant une
réalité. De tout temps le peuple Goth a été divisé en deux
parties. C’est le cas actuellement pour les deux provinces
suédoises séparées par le lac Vanern. Mais bien auparavant
au début de l’ère chrétienne il y a eu séparation entre les
Goths de Scandinavie et ceux du continent. Puis il y a eu
séparation entre ceux de l’embouchure de la Vistule et ceux
des steppes de l’Ukraine.
Plus encore ! Jordanès nous apprend que lorsque les Goths
étaient en Scythie et sur les bords de la Mer Noire ceux qui
demeuraient du coté de l’Orient et avaient pour chef
Ostrogotha prirent le nom d’Ostrogoths. Les autres qui
s’étaient établis à l’Occident reçurent le nom de Wisigoths.
Cette partition se serait effectuée vers la fin du deuxième
siècle de notre ère car le Goth Maximin qui fut empereur
romain en 236 était issu d’un petit groupe de Goths
sous-groupe des Wisigoths, restés en deçà du Danube. Plus
d’un siècle après vers l’an 370, nouvelle partition. Elle
est due à une attaque de Huns. Une partie des Goths,
refoulée par les Huns, demande à l’empereur Valens de
franchir le Danube pour se réfugier en Thrace. Tandis que
l’autre partie accepte de payer un tribut aux Huns et
demeure sur place. Cette fois-ci c’est le Danube qui sépare
les Ostrogoths des Wisigoths. A l’occident la situation
s’aggrave. En effet, selon l’aveu même d’Ammien Marcellin
officier romain, les généraux romains chargés de contrôler
la situation commettent d’importantes erreurs. D’une part
ils sous-estiment l’arrivée massive de ces immigrants.
D’autre part ils les exploitent massivement et les
rabaissent. En conséquence les Goths se révoltent et
ravagent tout le pays.
Par ailleurs cette troupe désorganisée
se donne des chefs très compétents comme Fritigern, Alatheus
et Safrach. En particulier, Fritigern qui fut sans doute un
habile général, à la fois tacticien et stratège. La bataille
définitive se déroule près de la ville d’Andrinople. Cette
bataille aura un profond retentissement car les Goths sont
vainqueurs et l’empereur Valens est tué.
A la suite de cette victoire les Goths se partagent en deux
groupes. Le premier dirigé par Alatheus et Safrach ravage
l’Achaïe. L’autre groupe conduit par Fridigerne conquiert
l’Illyrie. C’est de ce groupe de Goths, issus d’Illyrie, que
sortira une vingtaine d’années plus tard un certain Alaric
qui partira à la conquête de Rome. Ses descendants et le
peuple qui les accompagne s’installeront en Gaule et en
Espagne où ils formeront le groupe des Wisigoths. Ceux qui
ont accompagné Alatheus et Safrach regroupés avec d’autres
dispersés de part et d’autre du Danube, constitueront le
groupe des Ostrogoths qui occuperont l’Italie.
Vers l’an 450 les Goths occupent une
grande partie de l’Europe : Espagne, Italie, les plaines de
Roumanie ou d’Ukraine, la Suède, et sans doute aussi des
contrées saisies au cours de leur périple en Pologne ou dans
les Balkans. Il faut cependant préciser que ces cartes ne
sont qu’indicatives. Elles n’expriment qu‘une densité de
présence et non une présence exclusive. Dans les territoires
qu’ils sont censés occuper, les Goths cohabitent avec
d’autres peuples avec lesquels ils partagent des pouvoirs.
Ainsi, par exemple, dans le Bas-Languedoc ils sont présents
comme peuple fédéré. En conséquence, ils constituent une
sorte d’armée mercenaire et sont rétribués comme tels par
les populations locales dont ils assurent la protection.
Bien sûr, au fur et à mesure que le temps passe, leur
situation évolue : ils acquièrent des terres par achat ou
mariage et finissent par s’implanter solidement. Mais ils
restent détachés de la population autochtone en suivant
leurs propres lois (voir l’article sur les peuples fédérés).
Les cartes font apparaître un troisième mystère. Celui –ci
est tout à fait différent de ceux vus précédemment qui
concernaient le comportement surprenant des historiens. Il
s’agit cette fois-ci du comportement surprenant du peuple
goth. Il s’agit en effet d’une nation vivant parmi d’autres
nations, qui a pérégriné dans presque toute l’Europe, et,
qui, à chaque étape de sa migration, s’est presque à chaque
fois partagée en deux, une partie à l’est et une autre
partie à l’ouest. Comme si, à chaque fois, les chefs de
partis, craignant que les conflits internes se transforment
en guerres civiles, aient préféré émigrer avec leurs
partisans, soit à l’est, soit à l’ouest. Mais est-ce
vraiment un mystère ? Après tout quel est le comportement
actuel de nos démocraties qui ne connaissent que deux grands
partis : la gauche et la droite ?