Exemple d'attitude dogmatique : le Mare Rubresus et la Septimanie 

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Tout d'abord, je dois parler d'une histoire personnelle. Il y a une vingtaine d'années, à la recherche d'une documentation sur Béziers et le Biterrois, en vue de la rédaction du CD Rom Béziers 2002, je suis tombé presque par hasard sur le livre « Histoire de la Ville et les Évêques de Béziers » par E . Sabatier, livre daté de 1854. J'ai découvert dans ce livre des informations que j'ignorais totalement : l'existence d'un pont sur la Voie Domitienne (voie romaine), l'importance des dépôts alluvionnaires des fleuves méditerranéens. Voici quelques extraits ce ces révélations :

« À Nissan, il (le chemin de Colombiers) se lie à un chemin désigné sur le cadastre de cette localité sous le nom « d'ancien chemin de Narbonne à Béziers », dit « lou cami farrat », qui ... mène au bord de l'étang de Capestang. Sur les vieux plans de cet étang, ce dernier chemin est marqué jusque vers le milieu du marais, et la ligne qu'il décrit aboutit à un point appelé l'arcade cardinale. C'est un débris de la chaussée au moyen de laquelle on traversait ce marais. La voie allait droit à Narbonne par la plaine, après avoir franchi l'Aude entre Cuxac et Coursan. Cette chaussée où plusieurs ponts avaient sans doute été intercalés pour donner passage aux eaux que l'étang reçoit par les inondations de l'Aude, où qu'y déversent plusieurs autres affluents, fut appelée par les anciens « Pons Septimus » ; ce qui ferait penser que les arcades étaient au nombre de sept, ou que la chaussée se composait, par intervalles et sur sept points différents de parties maçonnées ; ou encore, que ce pont était le septième jeté sur les lagunes ou les fossés d'écoulement qui pouvaient exister dans la plaine entre Narbonne et le Pas-du-Loup. Dans le Moyen-Âge, le pont Septime, ou Sepme par contraction, prit le nom de Pons Seremus, d'où celui de Pontserme que porte un domaine situé sur le bord occidental de l'étang ... Catel attribua ce pont à Septime sévère. Il crut que son vrai nom était Pons Septimius. Mais de Marca avait lu dans plusieurs actes originaux « ultra ponte Septimo » et « super ponte Septimo ». Il avait trouvé dans ces actes que la longueur de ce pont était de mille pas, ce qui forme la lergeur actuelle de l'étang à l'endroit où était la chaussée ... »

Un peu plus loin, Sabatier parle d'une autre voie romaine allant directement de Béziers à Carcassonne. Cette voie romaine, proche de l'actuelle route dite « minervoise », passait au Nord de l'étang de Capestang. Quelques kilomètres après Capestang, un embranchement de cette voie permettait d'accéder à Narbonne. Actuellement, cette voie est appelée « Voie Héracléenne ». Ayant constaté que divers itinéraires romains donnent des distances différentes entre Narbonne et Béziers, il échafaude l'hypothèse suivante : cette différence de distances ne serait pas dûe à une erreur de transcription. Pour lui, le trajet par la voie héracléenne qui contournait l'étang de Capestang (ou plus exactement le « Mare Rubresus » : voir plus loin) était le trajet primitif. La distance donnée par les itinéraires plus anciens faisait référence à ce trajet. Plus récent, le Pons Septimus, construit sur ce « Mare Rubresus », permettait de raccourcir ce trajet d'environ 6 kilomètres. Les nouveaux itinéraires romains ne faisaient que traduire les effets de cette construction.

Un peu plus loin encore, Sabatier fournit une autre insformation : « Un savant a prétendu que ce bassin (la vallée inférieure de l'Aude), entre les deux crêtes de la montagne de la Clape et de Lespignan, était à l'époque de la domination romaine, couvert d'eaux marines, depuis Sériège et Capestang jusqu'à la mer. Il établit d'après ses observations, l'exhaussement qui s'est opéré progressivement du sol de ce bassin par les alluvions de l'Aude, et il l'évalue à 32 centimètres par siècle. De plus, il est constant que jusqu'au XVesiècle, on a exploité des salines dans l'étang de Capestang, et le sol de cet étang se trouve de nos jours élevé de 4 mètres au-dessus du niveau de la mer ... »

Voilà donc ces quelques informations données par Sabatier. Je reviendrai sur certaines d'entre elles pour lesquelles mon opinion diffère de celle de cet auteur. Mais l'essentiel n'est pas là ! Sabatier nous offre deux renseignements importants : l'existence d'un pont sur la Voie Domitienne et une évaluation de l'exhaussement de 32 centimètres par siècle. Le premier point semble apparemment d'une grande banalité : des ponts romains, il y en a partout dans l'ancienne zone d'occupation romaine. Certains témoignent de prouesses technologiques comme ceux de Tarragone, de Ségovie, ou plus près de nous, le Pont du Gard. Sauf qu'aucun de ces ponts n'est cité dans des documents très anciens. Ce qui n'est pas le cas du Pons Septimus, cité à plusieurs reprises. Et avec des dimensions importantes : mille pas = 1,6 kilomètre en longueur (nous verrons plus loin qu'on doit envisager des dimensions encore supérieures). Ce pont, on ne le voit pas actuellement. Mais ça ne signifie pas qu'il n'a pas existé. Ou qu'il ne reste plus rien de ce pont ; même pas la fondation des piles.

Le deuxième point apparaît lui aussi, à première vue, sans importance. Qu'est ce que trente centimètres ? Par siècle ! Multiplion par vingt : 20 X 0, 32 = 6, 4 mètres. Cela signifie qu'en l'an 1 de notre ère, le sol de l'étang de Capestang se trouvait à environ 6 mètres en dessous de ce qu'il était en 1854 (4 mètres au dessus du niveau de la mer). Soit donc à 2 mètres en dessous du niveau de la mer.

J'ai immédiatement mesuré l'importance de ces informations. Si le niveau du sol s'est élevé d'environ 6 mètres depuis la période romaine, on pouvait espérer retrouver des restes non négligeables du Pont Septimus sous l'actuel chemin de la Voie Domitienne parfaitement identifié. Le seul problème étant de fouiller à une profondeur de plus de quatre mètres dans un terrain rendu instable à cause des infiltrations d'eaux souterraines. Mais il y avait plus important encore. On se trouve en effet dans des zones actuellement marécageuses, mais qui pouvaient être maritimes à l'époque romaine. Or un milieu marin ou marécageux favorise la conservation de matières végétales comme le bois ou le papier. On pouvait espérer retrouver à proximité immédiate de ce pont, voire même sur celui-ci, des constructions humaines relativement bien préservées. Qui plus est, la perspective qu'il y ait eu au cours des siècles de fortes inondations provoquant un abandon total de certaines habitations faisait envisager la découverte, comme à Pompéi, de bâtiments intacts sur une certaine hauteur, d'embarcations en bon état.

Une fouille à 6 mètres de profondeur est confrontée à divers problèmes, avec des coûts financiers importants. Mais une telle fouille n'est pas inenvisageable. Et, de toute façon envisager une telle fouille - c'est-à-dire envisager l'existence de restes archéologiques importants dans l'étang de Capestang et aussi dans la basse plaine de l'Aude - ne coûte rien.

Voilà donc quelles ont été mes réflexions en lisant ce livre sur Bèziers et le Biterrois. Et presque immédiatement, une idée m'est venue : comment se fait-il qu'une série d'informations émises en 1854 aient été ignorées pendant plus de 150 ans ? D'autant que l'Abbé Giry, ancien curé de Nissan, ayant effectué des fouilles dans tout le secteur, a relayé l'information dans son livre « Le Biterrois Narbonnais », publié en 2001. D'autant aussi que le CD Rom Béziers 2002, coécrit et publié en 2002, alimente notablement la réflexion. On peut certes penser que ces informations n'ont pas été portées à la connaissance des personnes susceptibles d'être intéressées. Néanmoins, nous avons eu un écho de divers débats entre chercheurs. Certains ont envisagé que les ports d'estuaire ont été déplacés au cours des siècles vers l'aval des vallées. Au fur et à mesure, les ports étaient enterrés par les alluvions et étaient remplacés par des ports situés plus en aval et au bord de la mer. D'autres chercheurs, arguant que les littoraux n'ont pas changé au cours des siècles, nieraient de tels changements. Notons cependant qu'une opération de ce genre a été observée pour les siècles plus récents. Ainsi, le port de Narbonne, actif durant le Moyen-Âge, a été remplacé aux XVIIIeet XIXesiècles paz le port méditerranéen de Port-la-Nouvelle.

Autre remarque. Il y a moins de 5 ans, j'ai eu l'occasion de discuter de tout cela avec un ami archéologue d'une grande compétence mais aussi d'une grande modestie. Amateur éclairé mais peu diplômé, il était très respectueux vis-à-vis des opinions émises par des spécialistes dotés de diplômes universitaires. Je lui ai présenté les arguments de Sabatier ainsi que mes propres observations et une analyse réaliste de celle-ci. Bien qu'ébranlé par celle-ci, il ne pouvait objecter que par des phrases telles que : « Le professeur éclairé X n'a pas dit cela. » 

Je décèle là une attitude dogmatique. Non en ce qui concerne mon ami archéologue, mais le professeur X ou d'autres comme lui qui préfèrent faire état de leurs diplômes et de la compétence censée en découler plutôt que de présenter des contre-arguments convaincants.


Le Mare Rubresus

Voici les textes du CD-Rom Béziers 2002. Bien qu'écrits il y a un peu moins de 20 ans, ces textes n'ont rien perdu de leur actualité :

« Le littoral languedocien a beaucoup changé depuis la préhistoire.

Il y a environ 3000 ans, une véritable mer intérieure envahissait tout le territoire actuel des basses vallées de l’Aude, de l’Orb et de l’Hérault. On peut estimer que toutes les zones de moins de 10 mètres d’altitude étaient, à ce moment là, en dessous du niveau de la mer.

La mer occupait les villages de Coursan, Sallèles d’Aude. Elle baignait Narbonne en contournant le massif de la Clape. Elle arrivait jusqu'à Capestang. Le tracé actuel du Canal du Midi permet de délimiter l’ancien rivage. En effet, des écluses de Fonseranes, à Béziers, jusquà Marseillette, l’altitude du Canal du Midi est d’environ trente mètres et, par endroits, il surplombe la plaine de plus de 10 mètres. Cet immense territoire maritime était appelé par Pline le « Mare Rubrensis » et par Strabon, le « Mare Rubresus ». L’Aude se déversait dans ce grand lac qui communiquait avec la mer à l’est et à l’ouest de la Clape.

L’origine du mot « rubresus » vient très probablement de « rouge » : le « Mare Rubresus » serait donc une autre « Mer Rouge ». La coloration en rouge des eaux pourrait provenir des boues alluviales, mais plus probablement du fait que dans l’antiquité il y avait là une vaste lagune littorale où les eaux, fortement salines, se coloraient en rouge par l’effet d’une algue spécifique, comme celle des actuels marais salants. Le « Mare Rubresus » aurait donné son nom au canal de la Roubine qui coule à Narbonne.

Par suite des apports alluvionnaires des divers fleuves et ruisseaux, le golfe a été comblé au cours des siècles. Bien sûr, ce comblement s’est effectué d’une façon progressive. Les divers dessins ci-joints permettent d’avoir une idée, très imparfaite, de cette évolution.

Correspondent-ils à la réalité ?

Il y a d’abord le témoignage des historiens. Ainsi, par exemple, durant la période wisigothique, une flotte romaine a participé au siège de la ville. Ce témoignage incite à croire que Narbonne était accessible par la mer. Sabatier signale qu’on a exploité des salines dans l’étang de Capestang jusqu’au XV ème siècle . Les documents anciens concernant la géographie du Biterrois (textes d’Avienus, de Strabon, de Pomponus Mela, de Ibn Abi Bakr à consulter ci-dessous) confirment ces hypothèses et montrent que l’envasement des basses vallées de l’Aude, de l’Orb, du Libron, de l'Hérault, s’est effectué d’une façon progressive depuis le néolithique. Par ailleurs, les textes épigraphiques signalent l’existence, jusqu’à une date récente, d’îles qui sont à présent rattachées au littoral : Sète, Maguelonne. Le cas le plus intéressant est celui de la Clape ainsi citée : «Insula Lici» ou «Insula Licia» en 821, 870, 899, 969, 1080; «Insula de Lucho» en 1305, et enfin, «Isle de Lec appelée La Clape», en 1631 (image 5).

Il y a aussi le témoignage des cartes. Les plus anciennes comme la carte de Peutinger (copie d’une carte du IIeou IIIesiècle : image 4) sont imprécises. Néanmoins, on peut nettement distinguer les îles longeant le littoral languedocien. Les plus récentes, comme celles du Canal Royal du Languedoc, datée de 1726, ont l’avantage de délimiter avec précision les contours des étangs et de mesurer leur évolution (images 6 et 7).

Mais surtout, il y a les témoignages archéologiques.

De nombreux villages qui, à l’heure actuelle sont à l’intérieur des terres, étaient en fait des ports. En partant de l’ouest : Agde, Portiragnes, Villeneuve-lès-Béziers ; Sérignan, Vendres ; Poilhes ; Capestang, Sérièges, Narbonne, Fleury. Certaines villas romaines étaient aussi dotées de ports. Ainsi Saint Christol, dans la commune de Nissan. On sait que ces ports, directement en contact avec la mer, ont été utilisés, pour certains d’entre eux, jusqu’au Moyen-Âge. On pense que, dans le courant du premier siècle avant notre ère, les romains envisagèrent de raccourcir les distances en allant directement d’Ensérune à Narbonne, par franchissement de la zone lagunaire actuellement appelée, l’étang de Capestang. Pour cela, ils construisirent une digue de plus de 8 Kilomètres de long, entrecoupée de plusieurs ponts pour le passage des eaux. L’un de ceux-ci, désigné comme pont romain, mais plus probablement, du Moyen-Âge, présente, à l’heure actuelle deux arcades, fortement enterrées. La digue étant à environ quatre mètres d’altitude, on en déduit que les piles du pont sont au niveau de la mer et qu’elles sont assises sur un socle situé à, au plus, quatre mètres sous le niveau de la mer.

Enfin, il faut remarquer que l’emplacement même de cette digue est significatif. Pourquoi en effet les romains ont-ils effectué des travaux aussi importants alors qu’il aurait été beaucoup plus direct pour eux de franchir la zone, actuellement marécageuse, qui sépare Lespignan de Fleury : 2 Kilomètres au lieu de 8 ? La réponse est simple : lorsque les travaux ont été entrepris, la basse vallée de l’Aude, entre Lespignan et Fleury, était beaucoup trop profonde ou trop exposée aux tempêtes de la mer pour permettre la construction d’un tel ouvrage. Inversement, on devine qu’à la même époque, la zone située au nord de Coursan était une vaste lagune dont la profondeur n’excédait pas trois mètres. Ce trajet de la voie Domitienne en ligne brisée, permet d’imaginer quel pouvait être ce Mare Rubresus à l’époque romaine et donne la limite des eaux profondes. Un millénaire plus tard, le Mare Rubresus était à peu près comblé, ce qui permit de construire la ligne directe, actuelle RN 113, longue de deux kilomètres, entre le Pas du Loup et Coursan.

Au début de notre ère , l’Aude avait son embouchure près de Narbonne. Dès ce moment-là, les Narbonnais se sont sans doute inquiétés de l’ensablement provoqué par les crues de l’Aude. C’est probablement à cause de celles-ci que le cours de l’Aude a été régularisé grâce à une digue située à Salelles d’Aude. L’ouvrage avait peut être pour fonction de détourner les crues vers l’étang de Capestang, l’ancien lit de l’Aude étant conservé pour alimenter le port de Narbonne. Durant environ un millénaire, l'Aude continua à traverser Narbonne où Ibn Abi Bakr signale l'existence d'un pont. Le texte suivant décrit les fluctuations du lit de l'Aude : « En 1343, un détournement du lit de l’Aude se produisit au pont de «Béranger Martin», un peu en amont de Cuxac. On envisagea de fermer la brèche par un barrage mais le flot était si puissant qu’on dut renoncer en 1345 » (Document : De l’inondation à l’assèchement. Voir Bibliographie). À partir de là, l’Aude se fraya un passage vers Coursan. L'ancien lit de l'Aude, qui traversait Narbonne, est devenu, au moment de la construction du Canal des Deux Mers, le canal de la Robine.

Il est probable que la construction du Pont Septime situé sur la voie Domitienne, celle de la route entre Le Pas du Loup et Coursan, ont provoqué des modifications sur le milieu et sur le cours de l’Aude, en ayant un effet de barrage. Après 1343, l’Aude a continué à divaguer. Ses eaux sont venues baigner les abords de Nissan, Lespignan et Vendres, permettant à ces localités de profiter d’une activité portuaire au cours du Moyen-Âge.

Le même ensablement se manifestait à l’embouchure de l’Orb. Au néolithique, les constructions mégalithiques retrouvées lors de la construction du Pont Canal, sont situées au bord de la mer. Durant les périodes celtes puis romaines, les localités de Saint-Pierre «a pullo» (sur la plaine Saint Pierre), Villeneuve, puis Sérignan, sont des avant-ports de Béziers. Portiragnes et Vias constituent des petits ports de pêche, Agde, à l’embouchure de l’Hérault, est au bord de la mer. Durant le Haut Moyen-Âge, le port de Saint-Pierre s’ensable, puis c’est au tour de celui de Villeneuve. Sérignan et Portiragnes ont une activité portuaire durant tout le Moyen-Âge jusqu’au XVIe siècle ( Sérignan sera même le siège d’une amirauté). Agde doit sa survie à sa position sur le fleuve Hérault. Néanmoins, lorsque Richelieu envisage de créer un port sur la côte du Golfe du Lion, c’est parce que Agde n’est plus en mesure d’accueillir les navires de gros tonnage. Une première digue est construite en face de l’îlot de Brescou, puis le projet est abandonné au profit de Cette.

Enfin, le dernier argument concernant la transformation par ensablement d'une côte découpée en un rivage rectiligne et sablonneux repose sur de simples constatations objectives. Selon Sabatier, des expériences ont montré que, en zone inondable, le niveau du sol pouvait monter de 32 centimètres par siècle. Ce chiffre n’est pas irréaliste. Il est même sans doute bien plus important au niveau des bassins de décantation des rivières. Les biterrois, habitués aux débordements du lit de l’Orb, ont souvent pu constater qu’une simple inondation pouvait amener 5 cm de limon. Or, de telles inondations, moins fréquentes depuis la construction de barrages écrêteurs de crues, sont décennales. Trente centimètres par siècle, cela fait 6 mètres en deux millénaires.

À l'appui de ces considérations, il faut aussi citer ce texte : « Dans un rapport précis de 1843, l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées cite le rapport d’un de ses prédécesseurs de 1820, affirmant que de 1700 à 1800, le sol de la plaine (il s’agit de la plaine de Capestang) s’est élevé de plus de 2 mètres et s’est encore élevé depuis. ». (Document : De l’inondation à l’assèchement. Voir Bibliographie). Ce dernier témoignage expliquerait la rapidité avec laquelle la colline de la Clape, citée comme île en 1631, apparaît rattachée au continent sur les cartes du Canal des Deux Mers. »


Les textes d'auteurs anciens

« Géographie ancienne du Biterrois,

Texte d’Avienus : « Non loin de là, un autre golfe s’ouvre, s’enfonçant dans la contrée et entoure de ses profondeurs 4 îles (mais un usage ancien les appelle toutes PIPPAS). Le peuple des Elisyques (ou Elisyces) occupait autrefois ces lieux et la cité de Naro était là la très grande capitale d’un royaume belliqueux. Là, le fleuve Attagus (Aude) se précipite dans l’onde salée ; auprès et en arrière le marais Helice (étang de Capestang). Plus loin se trouvait Besara (Béziers) au dire d’une antique tradition. Mais aujourd’hui les fleuves Heledus et Orobus (Le Lirou et l’Orb) coulent à travers des champs déserts et des monceaux de ruines témoins d’un bonheur ancien… De cette région, un rocher élevé s’avance en direction d’un autre, le promontoire qui, je te l’ai dit s’appelle Candidus. L’île Blasco (Brescou) est près de là, qui, par sa forme arrondie, signale la contrée à la haute mer. Sur le continent et entre les crêtes des hauteurs qui s’élèvent là , de nouveau se déploient des surfaces sableuses et s’étendent des villages vides d’habitations. Puis l’imposant Mont Setius (Sète), planté de pins dresse son sommet. La masse du Setius étend sa base jusqu’au Taurus (Thau). Le Thaurus est un marais que les gens du pays appellent ainsi et qui est proche du fleuve Oranus (Hérault) dont le lit sépare la terre ibère et les rudes ligures. (Avienus : Ora Maritima). »

Le texte continue en citant les localités de «Mansa» (Mèze?), «Polygum» (?) et «Naustalo» (Balaruc?).


Commentaire sur le texte d’Avienus.


Avienus est un écrivain d’origine probablement marseillaise. Il écrit au IVe siècle après J.-C. Néanmoins, son livre «Ora Maritima» serait une compilation d’un ouvrage plus ancien : la méthode était fréquente dans l’antiquité et on ne craignait pas de plagier les auteurs antérieurs. Avienus relate le périple d’un navigateur marseillais. On ne sait trop de quand date cette primitive source mais d’après Monique Clavel («Béziers et son territoire dans l’Antiquité»), ce périple pourrait être daté du Ve siècle avant J.-C. (vers 575 avant J. –C.): le texte ne signale pas l’existence d’Emporion (Ampurias) de création plus tardive, les villes de Narbonne et Béziers sont citées par leurs anciens vocables : Naro et Besara, et il est fait mention d’un peuple disparu très puissant, les Elisyques, antérieur aux celtes ibères et ligures des IIIe et IVe siècles avant J.-C. Madame Clavel estime que ces peuplades Elisyces auraient disparu vers 650 avant J.-C.

Il semblerait que Avienus, rapporteur de ce périple, n’a pas contrôlé ses sources et qu’il n’a pas lui-même accompli ce voyage. En effet, ce texte contient de nombreuses erreurs. Malgré les nombreuses modifications de relief que le Bas-Languedoc a connues durant l’Antiquité, le mont Setius (Sète) ne pouvait pas voisiner avec le fleuve Oranus (Hérault). Il semblerait qu’il y ait eu des confusions entre le mont Setius (Setius) et le mont Sigion (Saint-Loup, montagne d’Agde).

Par contre, une lecture «maritime» de ce texte invite à envisager son authenticité. Imaginons, en effet, un navigateur revenant vers Marseille. Après avoir franchi les promontoires pyrénéens, son bateau entre dans le golfe de Narbonne entre la Clape (qui autrefois était une île) et le continent. Il croise 4 îlots : Sainte-Lucie, Saint-Martin (Gruissan), l’Aute, roc de Berrière (Peyriac de Mer). Il arrive ensuite directement à Narbonne en longeant des zones marécageuses. Derrière Narbonne, c’est à dire, entre Narbonne et Salelles d’Aude, il peut voir une zone marécageuse. Le navire poursuit son périple en passant entre Narbonne et la Clape. Il aborde le rivage aux abords de Nissan, passe à côté d’Ensérune, traverse à pieds la colline du Malpas et arrive dans la vallée de l’Orb. Il peut voir, dans la plaine entre Lirou et Orb, des monuments mégalithiques, restes d’une civilisation disparue. Certains de ces restes seront découverts beaucoup plus tard lors de la construction du Pont-Canal (Chambre Verte).


Il revient à son navire. Celui-ci passe entre la colline de la Clape (autrefois une île du nom de «Lissius»), et la presqu’île de Vendres et Valras. Puis, il poursuit son chemin en longeant la côte. Il passe devant un certain nombre d’endroits non habités qui deviendront des ports à l’époque romaine : Sérignan, Portiragnes, Vias. Il arrive alors au Mont Saint-Loup ( Mont Siggion) qui est séparé de l’Hérault par une zone marécageuse, le Taurus (Etang de Thau).

La lecture précédente est, certes, sujette à caution. Elle ressort de l’idée que le massif calcaire de la Clape pourrait être le «Candidus», dont l’origine du mot évoque la blancheur. Par contre, le Mont Saint-Loup, volcanique, est noir. Inversement, l'îlot de Brescou, qu’Avienus situe à côté du Candidus est, en fait, à proximité du Mont Saint-Loup ... et il n’a pas une forme arrondie!



Texte de Strabon : « La direction de la côte vers l’ouest tend ... devenir plus marquée ; mais un peu plus loin que Marseille, à 100 stades (15 à 20 km) environ et à partir d’un grand promontoire … elle commence à décrire une courbe pour former avec l’Aphrodision, extrémité du mont Pyrénée, le golfe Galatique dit Massaliottique. Ce golfe est double, car du milieu de l’arc qu’il dessine, se détache le mont Sigion qui, avec l’île voisine de Blascon, divise le golfe en deux bassins. Le plus grand de ces deux bassins forme le golfe Galatique proprement dit. C’est celui où le Rhône décharge ses eaux ; le plus petit est le golfe de Narbonne qui s’étend jusqu’au mont Pyrénée. »


Commentaire sur le texte de Strabon

Strabon est un géographe du premier siècle après J.-C. qui écrit en langue grecque. Il a fait une relation à peu près correcte de nombreuses contrées du bassin méditerranéen. Certaines de ses descriptions sont très précises, montrant qu’il a réellement effectué le déplacement. D’autres sont de pures compilations non vérifiées. À la suite d’autres spécialistes, Madame Clavel, auteur de «Béziers et son territoire dans l’Antiquité», déduit de ce texte que le rivage languedocien a très peu varié depuis l’antiquité. En effet, la description de Strabon pourrait s’appliquer à ce que nous connaissons : le rivage languedocien est divisé en deux golfes par le promontoire d’Agde. La côte de sable fin décrit une courbe régulière des Pyrénées jusqu’à Agde, puis d’Agde jusqu’à l’embouchure du Rhône. Néanmoins, une telle description oublie le promontoire de Sète que Strabon ne cite pas.

En fait, on peut effectuer une autre lecture du texte de Strabon. Si, sur une carte du Bas Languedoc, on supprime tous les cordons littoraux actuels et si on relie entre eux les étangs littoraux, on fait apparaître entre le Cap d’Agde et Marseille un golfe d’une courbure nettement plus accentuée qu’actuellement, atteignant presque Montpellier, Arles et Martigues. Ce golfe était parsemé d’îles qui depuis ont été intégrées au continent : Sète, Maguelonne, les Sainte Maries de la Mer. De même, la suppression des cordons littoraux entre le Cap d’Agde et les Pyrénées fait apparaître un autre golfe contenant des îles comme le massif de la Clape. La ville de Narbonne se trouve au bord de ce bassin, presque en son milieu, ce qui permet de le désigner sous le nom de «Golfe de Narbonne». Inversement, il serait difficile de l’appeler aujourd’hui sous ce nom : Narbonne est à 15 kilomètres de la côte. Le tracé obtenu par suppression des cordons littoraux semble donc le plus proche de la réalité antique. Il reste néanmoins quelques zones d’ombre dans le commentaire de Strabon : il ne mentionne pas les promontoires de Leucate et de Vendres.


Texte de Pomponius Mela
: « La colline de Mesua (Mèze) , presque entièrement ceinte par la mer ; et qui serait une île si une étroite levée de terre ne la rattachait pas à la terre. »

Commentaire sur le texte de Pomponius Mela

Pomponius Mela est un auteur latin de la fin du Ier siècle après J.-C. qui écrit en langue grecque. Le texte de Pomponius Mela montre qu’au premier siècle de notre ère, la colline de Mèze était une presqu’île. Or, l’examen attentif sur une carte au 1/25000 montre que la levée de terre concernée se trouve sur la route joignant le bassin réservoir à la roseraie. L’isthme était situé à environ 3 km de la rive actuelle de l’étang de Thau. Les terrains avoisinants sont à plus de 5 mètres au dessus du niveau de la mer. Ceci montre qu’en 2000 ans, les dépôts d’alluvions ont dépassé 6 mètres épaisseur.


Texte de Ibn Abi Bakr : « Arbuna est une grande ville. C’est (momentanément) le point extrême de la conquête musulmane dans le pays des Afrans (francs). Cette ville est traversée en son milieu par un grand fleuve, le plus grand du pays des Afrans. Un grand pont l’enjambe sur lequel on trouve des marchés et des maisons. On compte un paransange (4 km 260 mètres) entre cette ville et la mer. ». (Traduction pat M. Personneaux d’un compilateur andalou du XIIe siècle , Mohammed Ibn Abi Bakr Al-Zhari inspiré d’un géographe du IXe siècle. Document Atlas Historique du Bas-Languedoc).

Commentaire du texte de Ibn Abi Bakr

Il est manifeste que le géographe arabe auteur de ce récit fait état d’une situation intermédiaire, soit au début de la conquête par les arabes du Bas-Languedoc, entre 713 et 725, soit à la fin de cette conquête, entre 737 et 759. Durant ces périodes, en effet Narbonne constituait la limite extrême de l’expansion arabe en pays franc. Le fait que l’Aude soit mentionné comme «le plus grand fleuve du pays des Afrans» milite en faveur de la première période car, plus tard les Arabes ont découvert le Rhône, plus important que l’Aude. Il est cependant possible que l'Aude ait eu dans l’Antiquité un débit plus fort qu'actuellement. Depuis, en effet, l’altitude moyenne du bassin inférieur s’est élevée de plusieurs mètres recouvrant de nombreuses sources qui, à présent, alimentent la nappe phréatique. Remarquer aussi que le commentateur arabe indique que Narbonne est à environ 4 kilomètres de la mer. C’est exactement la distance qui sépare Narbonne de la Nautique, sur l’étang de Bages. Au IXe siècle, les navires ne pouvaient plus contourner l’île de la Clape (si ce n’est, en utilisant le cours de l’Aude et les ramifications de son delta). Par contre, ces navires pouvaient librement accéder à la Nautique, car il n’y avait pas de cordon littoral entre Port-la-Nouvelle et Gruissan-Plage. »

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Rectificatif

Les textes ci-dessus d'auteurs anciens ont été recopiés aux alentours de l'an 2000. Les commentaires personnels adjoints aux textes ont été rédigés au même moment. Depuis, la réflexion a évolué et certains points de vue ont changé. Il en est ainsi concernant notre commentaire du texte de Strabon dont voici un extrait : « Si, sur une carte du Bas Languedoc, on supprime tous les cordons littoraux actuels et si on relie entre eux les étangs littoraux, on fait apparaître entre le Cap d’Agde et Marseille un golfe d’une courbure nettement plus accentuée qu’actuellement, atteignant presque Montpellier, Arles et Martigues. Ce golfe était parsemé d’îles qui depuis ont été intégrées au continent Sète, Maguelonne, les Sainte Maries de la Mer. De même, la suppression des cordons littoraux entre le Cap d’Agde et les Pyrénées fait apparaître un autre golfe contenant des îles comme le massif de la Clape. ». Ce commentaire laisse penser que l'actuel Golfe du Lion était partagé en deux golfes dans l'Antiquité. Ce que dit d'ailleurs Strabon. Mais nous avons situé un peu trop rapidement la ligne de démarcation de ces deux golfes au niveau du Cap d'Agde. Nous avons depuis réalisé que le Mont Saint-Clair, colline surplombant la ville d'Agde était actuellement rattaché au continent par des terrains situés à moins de 6 mètres au-dessus du niveau de la mer. D'où l'idée, nouvelle pour nous, que ce Mont Saint-Clair pouvait être une île au cours de la période antique. En conséquence, la séparation entre les deux golfes ne se situerait pas au Cap d'Agde, mais plutôt du côté de Sète ?. Plus exactement sur le massif de la Gardiole, qui devait être dans l'Antiquité accroché au continent, alors que Sète était, lui aussi, très probablement une île.

Une autre erreur éventuelle est d'avoir désigné l’îlot de Brescou comme étant l'antique « Blascon » . Nous pensons à présent que cet îlot est trop petit pour avoir justifié une telle dénomination. Blascon serait sans doute l'ancienne désignation dev Mont Saint-Clair, de forme arrondie.


D'où vient le mot «Septimanie» ?

Ce mot de «Septimanie» désignait durant le Haut_Moyen-Âge le Bas-Languedoc ou une partie de ce territoire. Il y a quelques années, le député Georges Frêche a voulu rebaptiser la région Languedoc- Roussillon en «Septimanie» mais a échoué dans ce projet. À ce moment-là, on s'est posé la question : « D'où vient cette appellation ? ». Les diverses réponses n'étaient pas très satisfaisantes. L'explication que nous allons donner nous semble plus convaincante.

Mais auparavant lisons cette phrase extraite du livre de Sabatier : « L'anonyme de Ravenne, qui écrivait vers le milieu du VIIesiècle, parlant de quelques îles du littoral, mentionne celle de Vénus : « Iteram littus maris septimaniae sunt insulae, ex quibus aliquantas nominare volumus , id est Sterondeca, Terlenia, Veneris ». » .
Sabatier envisage que l'île de Véneris puisse être Vendres. Ou plutôt une île située sur l'étang de Vendres sur laquelle se trouvait un temple dédié à Vénus, temple de Vénus identifié dans d'autres documents. Et non la ville de Port Vendres située près de la frontière espagnole. Cette dernière identification à Port Vendres a pu faire croire que le territoire de Septimanie s'étendait jusqu'aux Pyrénées.

Nous avons une autre explication : la Septimanie dont parle l'anonyme de Ravenne ne serait pas le territoire entourant le Golfe du Lion, mais le Mare Rubresus, le golfe de Narbonne. Ce territoire contient Vendres. Nous ne voyons pas où se trouvait l'île de Sterondica, probablement recouverte par les alluvions de l'Aude. Par contre, le nom de Ternelia pourrait se retrouver dans Montel = Mons Terlenia. Mais alors ? D'où viendrait le mot de «Mare Septimania» ? La réponse semble évidente ; du Pont Septime ! Un pont de dimensions très importantes (minimum 1 km et sans doute beaucoup plus) portant des marchés et des habitations, véritable ville à côté de la ville de Narbonne. Un tel pont est-il envisageable ? Très certainement. Le guide des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle daté du XIIIesiècle mentionnerait même l'existence d'un conflit entre les citadins d'une ville située à proximité d'un pont et les habitants de ce pont. Preuve, si la légende témoigne d'une réalité, d'une égalité de puissance entre la communauté urbaine et de la population installée sur le pont. Mais dans ce cas, d'où proviendrait le mot «Septime», attribué au pont ? 

Il faut savoir que la construction d'un tel pont nécessitait la mobilisation d'importants capitaux qu'un simple particulier ne pouvait fournir. À l'heure actuelle, seuls les fonds de pension ou les caisses de retraite en sont capables. Nous avons eu sur ce site l'occasion de parler de telles caisses de retraite durant la période romaine. Nous avons, en effet, réalisé que le plan de carrière d'un soldat romain (à la retraite après 25 ans de loyaux services) nécessitait une organisation efficace disposant d'importants capitaux. Des capitaux qu'il fallait faire fructifier. Cette organisation, c'était la légion. Et Béziers était le siège de la septième légion romaine. On voit donc ce qui s'est probablement passé. Le pont de la Voie Domitienne a été construit pas la septième légion romaine. Il a donné son nom de Septime au marais qui l'entourait. Ce lieu aurait à son tour donné son nom à l'ensemble du territoire.


Les ports de Narbonne

Ami lecteur, vous êtes enclin à dire : « Tout cela est bien joli, mais il n'y a aucune preuve de ce que vous avez avancez. Et l'existence d'un pont romain de plus d'un kilomètre de long est contestable ; on n'a jamais vu ça. ».

Effectivement, nous n'apportons pas de preuve de l'existence d’un tel pont.

Cependant, des découvertes archéologiques relativement récentes confortent cette position. Des fouilles effectuées sur le site de Mandirac, en bordure de l’étang de Bages, ont révélé deux digues parallèles distantes d'une centaine de mètres. Ces digues encadraient un chenal, ancien lit probable du fleuve Aude (image 27). Le tracé de ce chenal a été bien identifié grâce à des analyses géo-magnétiques. Mais seulement sut une distance d'environ 800 mètres. Ces traces s'orientent en direction de Narbonne mais disparaissent rapidement. Cela vient du fait que les dépôts alluviaux oint commencé par le Nord. Et donc plus on remonte vers le Nord, plus la couche de dépôts s'épaissit.

Ces découvertes ont fait apparaître l'importance que devaient avoir les infrastructures portuaires de Narbonne. Et ces faits rendent possible l’existence d'un pont de grandes dimensions sur la Voie Domitienne.

Lors d'une conférence donnée à la Société archéologique de Béziers, Madame Corine Sanchez, archéologue directrice des fouilles de Mandirac, nous a révélé l'importance des découvertes effectuées. Elle nous a aussi appris que ces découvertes n'étaient peut-être pas exceptionnelles. Il y aurait sans doute d'autres trésors archéologiques restant à découvrir, enfouis dans l'ancien golfe de Narbonne.


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