La conservation des sources  

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La conservation des sources (textes anciens, archives de sociétés, restes de fouilles, etc)


À l'origine, il n'était pas prévu de rédiger cette page mais nous avons reçu un article de Mr Yves Vellas que nous avons décidé de publier sur notre site avec son consentement (voir la page suivante). Cet article nous a forcés à réfléchir sur le problème général de conservation des sources.

On peut penser que le problème de la conservation des sources est du seul ressort des états qui peuvent mobiliser de très gros moyens financiers et humains afin d'assurer la conservation de données jugées primordiales. Les états sont aussi capables de former des spécialistes : métiers de conservateurs de musées, d'architectes du patrimoine, d'archivistes, de bibliothécaires, etc.

Mais les états ne peuvent pas tout faire, ne savent pas tout faire, ne veulent pas tout faire.


Les états ne peuvent pas tout faire en matière de conservation du patrimoine

Les initiatives privées en vue de conserver le patrimoine et les sources d'information sont nombreuses et variées. On en a un exemple tout récent avec les dons massifs effectués pour la restauration de Notre-Dame de Paris. Ces initiatives prouvent que les états ne peuvent pas tout faire.


Les états ne savent pas tout faire en matière de conservation du patrimoine

Une telle affirmation peut surprendre. Car, même s'il arrive que certains postes soient confiés à des gens incompétents, on doit estimer que les agents de l'État sont globalement très compétents en ce qui concerne la conservation des biens qui leur sont confiés. Mais force est de constater qu'un grand nombre de projets sont le résultat d'initiatives privées. Ainsi, par exemple ce sont des amateurs ou des marchands d'art qui ont découvert le talent des impressionnistes. Et ce n'est que beaucoup plus tard qu'on a décidé de créer des musées d'impressionnistes. De même, nombre de musées d'art populaire ont été créés par des entrepreneurs privés.


Les états ne veulent pas tout faire en matière de conservation du patrimoine

Il faut bien comprendre que les politiciens qui dirigent les états raisonnent dans une perspective d'avenir et principalement dans le court terme. Ils y sont d'ailleurs poussés par leurs électeurs désireux d'obtenir le maximum d'avantages au cours de la durée du mandat. Inversement, la conservation du patrimoine, et, dans ce patrimoine, les archives, concerne le passé . Un passé qui se projette aussi dans l'avenir car les décisions futures sont conditionnées par les leçons en termes de succès ou d'échecs du passé.

Les décideurs ont tendance à conserver de ce passé ce qu'ils estiment important pour la société qu'ils animent et à négliger le reste. Mais quels sont les souvenirs du passé qui sont considérés comme importants ? Il en existe une grande variété mais on peut en distinguer au moins deux groupes : les souvenirs de socialisation et les souvenirs de sécurisation. Comme exemple de souvenirs de socialisation on peut citer tous les lieux permettant de rassembler des personnes ayant les mêmes convictions : églises, théâtres, monuments aux morts, champs de bataille, etc. Les souvenirs de sécurisation sont recueillis en prévision d'éventuels problèmes. Ces problèmes peuvent concerner des états mais aussi de simples particuliers : contestations de voisinages, contestations d'héritages. Des actes sont rédigés en vue d'éviter des conflits ou de les régler au mieux. Ce sont ces actes qui sont conservés et non d'autres que, actuellement, nous estimons plus importants : noms des architectes, dates et modalités de construction des édifices, révoltes populaires, pogroms, affaires de mœurs, religiosité, etc.

Dans leur désir de rassembler autour d'un projet commun tous les membres d'une société, les décideurs adoptent souvent une attitude historiologique. Je donne ici deux exemples d'ailleurs liés entre eux.


La repentance

À l'occasion de l'année jubilaire 2000, le pape Jean Paul II a exprimé la volonté de repentance de l'église catholique par rapport aux crimes accomplis dans le passé au nom de la foi catholique. À titre personnel, j'ai été opposé à cette démarche. Non pas pour nier la réalité de tels crimes ou pour minimiser leur importance. Mais parce qu'on ne peut pas (et on ne doit pas) demander pardon pour les crimes commis par d'autres. J'estimais (et je le pense encore) que la repentance doit commencer par la reconnaissance de ses propres crimes ou insuffisances. La suite me donne au moins en partie raison. Le pape Jean Paul II, dans son désir de repentance a omis de préciser que lui-même avait pu couvrir les crimes pédophiles de responsables ecclésiastiques.

Cette attitude ambivalente de Jean Paul II devrait nous aider à réfléchir. Car il n'est pas question de nier son désir de repentance. De même, il devait désapprouver les crimes pédophiles. Mais il a sans doute estimé que, en ce qui concerne ceux-ci, il ne pouvait pas agir autrement. Question qu'il aurait dû se poser au sujet des crimes passés. Ceux qui les ont tolérés pouvaient-ils agir autrement ? Avant de condamner un acte, on devrait se poser la question des conditions qui l'ont provoqué.


Le Devoir de Mémoire ... et le droit d'oubli ?

On a tous entendu parler du Devoir de Mémoire. On omet à chaque fois de préciser de quelle mémoire il s'agit : la mémoire des crimes de guerre nazis entre 1942 et 1945. Mais il semblerait que dans ces appels au « Devoir de Mémoire » il n'y ait qu'une seule mémoire concernée et, par là même, un oubli de toutes les autres.

Lors d'un voyage aux États-Unis en juillet 2001 (donc peu avant les attentats du 11 septembre), j'ai dû signer un document affirmant que je n'étais pas un criminel de guerre nazi. Ce que n'importe qui aurait pu confirmer grâce à la date de naissance marquée sur mon passeport : 1947. Et par la même occasion disculper de toute participation à des crimes de guerre nazis plus de 95% des passagers de l'avion. Il paraît que le formulaire permettant de nier qu'on est un criminel de guerre nazi existe encore. À ceci près qu'on a ajouté le terroriste au criminel de guerre nazi.

Pendant longtemps, j'ai considéré que ce formulaire me demandant si j'étais un criminel de guerre nazi était complètement stupide. En fait il est intelligent … et très révélateur. Il nous révèle que pour l'administration américaine, il n'y a pas eu d'autre criminel de guerre après les nazis, …. et les terroristes, qui ne sont pas américains. Ceci sans doute pour faire oublier que les États-Unis n'ont pas signé la Convention de la Haye au sujet de la traque et de la mise en jugement des criminels de guerre ... après les nazis. Dont certains sont peut-être américains.


Des mémoires privilégiées au détriment d'autres mémoires

Dans leur désir de rassembler les peuples dans une vision commune, les politiciens ont tendance à privilégier certaines mémoires. Avec parfois des positions équilibristes lorsqu'il y a des conflits de mémoires. Il en est ainsi des mémoires de l'esclavage ou de la colonisation.

Mais il existe des cas pour lesquels il y a volonté d'oubli. L'idée est d'étouffer les affaires en espérant que, le temps passant, les esprits seront apaisés.

Il y a quelques années, j'ai assisté à un débat à la télévision concernant les camps de prisonniers allemands à la fin de la guerre de 1939-1945. Un des participants, historien allemand qui avait fait une étude très poussée sur le sujet, certifiait la gravité de ce qui s'était passé dans ces camps. À l'opposé, des historiens français niaient cette gravité. Le débat a fini par des invectives … et je n'en ai plus entendu parler. Par contre, j'ai eu l'occasion de rencontrer un italien qui, à la fin de la guerre, avait été pendant un certain temps détenu dans le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) . Il m'a raconté que, dans ce camp, il avait souffert de la faim. Les allemands, eux, n'avaient rien à manger. Ils mourraient de faim.


En guise de conclusion

La conservation des mémoires ne peut-être pleinement assurée par les états. Elle ressort de chaque individu, de chaque société, de chaque association. Les archives de l’État Français sont différentes des archives d'une congrégation religieuse, d'une loge maçonnique, d'une entreprise ou d'un syndicat. Elles sont aussi différentes de l'arbre généalogique d'une famille. Et de beaucoup d'autres documents.


Norbert Breton