La basilique Sainte-Marie Majeure de Bergame 

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Nous avons visité cette basilique d'une façon rapide, en octobre 2009, et pour tout dire, nous n'avons pas à ce moment-là décelé dans cette église, apparemment baroque, de signes de restes romans. Hormis les porches aux lions que nous décrirons un peu plus loin. Nous avons donc été un peu surpris que ce monument soit évoqué dans l'ouvrage « Lombardie Romane » de la collection Zodiaque, écrit par Sandro Chierici. Voici un extrait de son exposé : « Il n'est certes pas facile, pour le visiteur qui entre dans cette basilique, d'imaginer, au delà du faste baroque qui anime tout son intérieur, la présence d'une structure romane du milieu du XIIesiècle. Et pourtant, la fondation de l'église romane remonte à 1137 et fut motivée par la demande de secours que le peuple bergamasque adressa à la Vierge après que, quatre années durant, cité et comté eurent été frappés d'une grande sécheresse, suivie de l'inévitable famine et, plus encore, de l'inévitable peste.

La construction de l'église traîna en longueur puisqu'en 1185, elle n'était pas encore finie. Cependant, cette année-là, on put consacrer l'autel. L'analyse des maçonneries révèle deux phases de construction : une première qui comprend la partie absidale et le chœur, jusqu'au transept ; une seconde, le reste de l'édifice. Il est difficile d'évaluer le délai qui s'écoula entre elles ; elles furent probablement séparées par la période de la ligue lombarde et la succession des désordres intestins qui culminent dans la guerre civile de 1206. [...] ».

Les images de cette page proviennent, pour la plupart d'entre elles, des vues photographiées en 2009. Les autres sont issues d'Internet. Le plan de l'image 1 est révélateur : les parties tracées en trait noir confirment qu'on est bien en présence d'une église romane. Mais, immédiatement, nous détectons une incohérence. Ou plus exactement une inadéquation avec le texte ci-dessus. Car le chevet (abside principale + avant-chœur de deux travées) témoigne d'une construction archaïque. Si l'on croît ce que nous apprend le texte, la construction de ce chevet aurait débuté en 1137. Or, au même moment, en France, toutes les églises importantes étaient dotées d'un chevet à déambulatoire. Parfois même avec des chapelles rayonnantes. Et ce, au moins depuis l'an 1100. Nous estimons que le chevet à déambulatoire est une invention très importante (,pas sur le plan technique, mais liturgique,) qui a dû se répandre rapidement à toute l'Europe. On peut bien sûr imaginer que le société italienne de l'époque était moins évoluée que la française mais, en toute honnêteté, nous ne le pensons pas. Une analyse analogue peut être faite pour la suite du discours de M. Chierici. Il constate qu'il y a eu deux phases de construction et il émet l'idée que ces deux séquences de travaux sont séparées par la période des désordres qui culminent en 1206. Ce qui signifie que la deuxième partie romane aurait été construite bien après 1206. Alors que, au même moment, en France, l'art gothique ( importante innovation quant à la technique architecturale) était en plein essor, avec de grandes œuvres déjà en grande partie achevées. Là encore, on peut objecter que l'Italie pouvait être en retard par rapport à la France ... ce que nous continuons à contester. On pourrait aussi dire que ce sont les français qui se trompent dans les datations des églises gothiques et qu'il faut repousser les datations de celles-ci bien après l'an 1206. Mais outre le fait qu'on dispose de plus de documents écrits, on ne peut pas repousser indéfiniment la datation des édifices. Il faut tenir compte du fait qu'ils ont évolué et leur accorder du temps pour cette évolution.

Dernière remarque qui concerne le rapprochement entre les deux phrases : « la fondation de l'église romane remonte à 1137 ... » et « La construction de l'église traîna en longueur puisqu'en 1185, elle n'était pas encore finie. » : 48 ans séparent les deux dates ! Connaissez- vous une construction humaine réalisée en plus de 48 ans ? Nous n'en connaissons pas ! Nous parlons ici d'une construction unique qui a été le résultat d'un projet humain. Lorsqu'un homme (ou un groupe d'hommes) échafaude un projet de construction, il veut voir son projet réalisé. Et ce, le plus rapidement possible. Et un homme de 40 ans ne veut pas attendre d'avoir 88 ans pour assister à la réalisation de son œuvre. Il est bien sûr possible que deux constructions soient séparées d'une cinquantaine d'années, mais elles ne font en général pas partie du même projet. Et en tout cas, les architectes doivent être différents.

Nous pensons que le chevet (abside et choeur de deux travées) de cette église est nettement plus ancien que l'an 1137. Nous pensons que l'attribution de la date de fondation est liée à un texte daté de 1137. Mais il faudrait connaître la traduction exacte de ce texte. Une traduction qui, dans bien des cas, se révèle insuffisamment précise. Un exemple : la construction de la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers a été datée de l'an 1130. Et ce, sur la foi d'un texte, daté de 1130, qui relatait l'octroi d'une somme d'argent à l'opus nazarii. C'est très bien ! Sauf que nous avons eu connaissance de deux autres textes bien antérieurs à l'an 1130, qui, eux aussi relataient l'octroi d'une somme d'argent à l'opus nazarii.

Nous pensons que cette première partie de l'église est en fait le reste d'une basilique antérieure qui devait avoir 7 travées. Cette basilique aurait été partiellement détruite. On n'aurait laissé que l'abside et les deux premières travées de l'ancienne nef. On zurait remplacé les 5 autres travées par le transept et les deux travées de la nouvelle nef.


L'image 2 montre la complexité de cette église devant laquelle se détache en premier plan la chapelle Colleoni, décorée de marbre blanc. À côté de ces structures en marbre, on devine les formes romanes de couleur marron.

Les images 5 (absidiole Nord et avant-chœur) et 6 (abside principale) font apparaître ces parties romanes. Celles-ci ont subi des transformations dès la période romane. Il en est ainsi de l'absidiole décorée d'arcatures lombardes et surmontée d'une colonnade d'art roman tardif. De même, l'abside principale a certainement été dotée d'une galerie sommitale au cours d'une deuxième période de travaux. Le décor est d'une grande finesse, comme en témoigne le détail d'une frise où surgissent des animaux (image 7).

Lors de notre visite, nous avions admiré les porches supportés par de fines colonnettes, elles-mêmes soutenues par des lions (image 2). Nous ignorons pour quelles raisons on ne retrouve pas de tels porches en France (hormis dans deux ou trois églises dans les Alpes. En particulier celle d'Embrun). Par contre, en Italie, ils sont relativement fréquents. Nous nous sommes particulièrement attachés à la recherche de leur signification. Pour quelles raisons les colonnes sont-elles soutenues par des lions (image 4) ? Pourquoi la présence d'un homme à côté du lion (images 8 et 9) ? Dans un premier temps, ne comprenant pas la signification de ces représentations, nous avons envisagé une grande ancienneté, peut-être préromane. Puis, au fur et à mesure de la découverte de ces porches, nous avons retardé cette estimation. D'abord en les attribuant à une période romane tardive. Cela étante nous n'avons pas décelé le lien pouvant exister avec des œuvres bien identifiées de l'art roman comme, par exemple, « Samson et le lion » ou « Daniel et les deux lions ». Mais nous ne pensions pas qu'elles pouvaient être postérieures à l'an 1250. M. Chierici rectifie notre jugement en nous apprenant ceci : « Le portail vers la place est l’œuvre, dans les années immédiatement postérieures à 1350, de Giovanni de Campione, l'artiste qui travailla au baptistère voisin à partir de 1340 ».


Datation envisagée pour la basilique Sainte-Marie Majeure de Bergame (première étape de travaux) : an 1000 avec un écart de 150 ans. Cette datation peut être réévaluée après un examen plus attentif de cette partie de bâtiment.