L'église Saint-Sigismond de Rivolta d'Adda 

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Nous n'avons pas visité cette église. Les images ci-dessous sont extraites d'Internet.

Cette église a fait l'objet d'une description détaillée écrite par Sandro Chierici dans l'ouvrage « Lombardie Romane » de la collection Zodiaque. En voici des extraits :

« Nous ne nous attarderons pas comme nous l'avons fait pour Saint-Ambroise (de Milan), sur l'histoire de cette église. [...] ; nous nous limiterons, sur la base des documents existants, au point qui nous paraît le plus important : sa datation, parce que celle-ci peut aider à saisir avec plus de clarté le problème des rapports directs entre Saint-Sigismond et Saint-Ambroise, tandis que nous ferons seulement mention des événements les plus marquants de l'histoire de l'édifice.

Il faut noter d'abord que toutes les discussions archéologiques sur la datation de l'église de Rivolta se basent sur un document dont on n'a commencé à parler qu'au siècle passé (il s'agit du XIXesiècle), bien qu'il remonte en 1144 ! L'apparition si tardive de ce texte suscite déjà, de soi, de forts doutes sur son authenticité ; si l'on y ajoute que la copie la plus ancienne de ce document - que ses inventeurs ont fait remonter au XVIesiècle - a disparu, on comprendra qu'il est nécessaire de faire montre de beaucoup de prudence pour se baser d'un point d'appui aussi faible.

Le document en question consiste en une bulle du pontife Lucius II en date du 13 avril 1144, qui rapporte que l'église de Saint-Sigismond fut donnée par les habitants de Rivolta d'Adda au pape Urbain II en 1088.

Cette date n'est pas vraisemblable : il est au contraire plus probable que l'église ait été consacrée par le même pape Urbain II lors du voyage que ce dernier fit en 1095 et 1096 en Lombardie et en France pour y prêcher la croisade. Durant ce voyage, entre autre chose, nous savons qu'Urbain consacra plusieurs églises en Italie et en France comme, par exemple, la Cathédrale d'Aoste et Sant'Abbondio à Côme. La date de consécration ne prouve cependant pas que la construction de l'église était achevée ; il était en effet courant de profiter au maximum de la présence d'un pontife, pour obtenir de lui la consécration d'une église locale en cours d'exécution, même si cette dernière n'était pas encore pleinement terminée. [...] »


À la lecture de ce texte de Monsieur Chierici, on devine l'existence d'une polémique sous-jacente. Polémique entre les partisans d'une datation de l'église antérieure à 1088 et ceux qui, à l'image de Monsieur Chierici, soutiennent l'hypothèse d'une construction plus tardive, du XIIesiècle.

Les arguments de M. Chierici sont un peu spécieux. Il commence à mettre en doute l'authenticité d'un texte remontant à l'année 1144. texte perdu connu par un document du XVIesiècle lui-aussi perdu. Sa prudence vis-à-vis de l'authenticité de ce texte est tout à fait légitime. Mais un peu surprenante quant on sait que nombre d'historiens de l'art exploitent et interprètent abusivement des sources d'archives sans vérification d'authenticité. C'est d'ailleurs ce que fait par la suite M. Chierici : de la connaissance de consécrations d'églises par Urbain II en 1095-1096, il déduit sans preuve qu'il en a été de même pour Saint-Sigismond. Pour aussitôt après lancer une autre hypothèse, là aussi sans preuve : que l'église n'était pas achevée au moment de la consécration.

On sent que M Chierici fait tout pour nous convaincre - et sans doute aussi, se convaincre- d'une construction effectuée au XIIesiècle.

Nous voyons cependant dans cette démarche de M. Chierici deux motifs de satisfaction. Nous avons répété à de nombreuses reprises dans ce site Internet que la consécration d'un autel d'église ne devait pas être interprétée comme une inauguration de cette église, une fin de travaux (bien que , comme dans toute cérémonie officielle, il y ait toujours des travaux, au moins d'embellissement). Sans doute involontairement, M. Chierici conforte notre point de vue.

Cette interprétation des textes par M. Chierici nous apporte une autre leçon : à savoir que « on peut faire dire aux textes anciens ce que l'on veut ». Il s'agit là d'une boutade. De fait, on ne peut pas faire dire ce que l'on veut. Par contre, il faut user de grandes précautions. Le doute - ou plutôt le questionnement - doivent toujours être présents. Ainsi, plutôt que de laisser apparaître des doutes sur le texte de 1088, M. Chierici aurait dû se poser la question de textes antérieurs à 1088. On nous répondra que la question ne se pose pas : il n'y en a pas ! Je ne sais absolument rien de mes arrière-grands-parents du côté paternel. Cela signifie-t-il qu'ils n'ont pas existé ?


Examinons de plus près cet édifice.

Le campanile (images 1 et 2) est décoré d'arcatures lombardes dans sa partie inférieure.

Il en est de même pour la façade Nord (image 3). Il semblerait que les arcatures de la partie supérieure (mur gouttereau du vaisseau central) soient plus anciennes que celles de la partie inférieure (mur extérieur Nord). Nous estimons que les arcatures lombardes, très répandues, ont été utilisées sur plusieurs siècles aux alentours de l'an mille.

Image 4 : On voit ici une très belle représentation d'un mur bâti en «cc», appareil en épi ou en «arête de poisson», type d'appareil très présent dans les églises préromanes qui disparaît par la suite. La fenêtre située en dessous semble avoir été percée ultérieurement.

On retrouve des arcatures lombardes sur le chevet (images 5 et 6). Cette abside semble avoir été modifiée dans le passé. Ainsi, nous ne pensons pas que les grandes fenêtres soient d'origine. Il en serait de même pour le parement de pierres blanches ou grises (en marbre ?) des images 7 et 8.

On retrouve l'opus spicatum sur le mur extérieur de l'absidiole Nord (image 10).

Les pierres sculptées du chevet présentent des décors sculptés caractéristiques d'une période préromane (an 850 avec un écart de 150 ans) : feuilles largement étalées
(image 8), entrelacs et têtes (images 9 et 11). La représentation des «oiseaux au canthare» - le canthare étant ici remplacé par une grappe de raisin - a, quant à elle, traversé les siècles, de l'antiquité jusqu'à la période romane (images 10 et 12).


Grâce au plan de l'image 13 et aux images de 14 à 18, on peut envisager un historique de construction de la nef - disons-le, sans certitude avérée - tant le problème apparaît complexe.

On remarque tout d'abord que le plan de cette église est de type basilical, avec une nef à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement, dépourvue de transept. Conclusion immédiate : église préromane (antérieure à l'an mille).

Nous avons en effet identifié ce type de plan sur de nombreuses églises, en particulier en France. Toutes ces églises présentaient certains éléments caractéristiques d'une période préromane (arcs simples, vaisseaux charpentés, piliers de type R1010, impostes, chapiteaux à entrelacs, etc.). Mais ce qui, selon nous, prime sur les autres, est l'absence de transept. Nous estimons en effet que, à partir des environs de l'an mille, toute église nouvelle d'une certaine importance devait être dotée d'un transept. Nous pensons que le transept est le résultat d'un changement conceptuel dans le domaine théologique ou liturgique.Ce changement se serait produit dans toute l’Église occidentale, romaine, et presque partout simultanément.

Nous disons donc que nous devons être en présence d'une église préromane. Cela n'apparaît pas au premier abord. Avec ses voûtes en croisée d'ogives, l'église semble plutôt dater d'une période postérieure. Et c'est peut être pour cette raison que M. Chierici s'efforce de retarder la datation de Saint-Sigismond.

En fait M. Chierici, et sans doute beaucoup d'autres historiens de l'art, n'ont pas envisagé que l'église actuelle pouvait-être le résultat d'au moins deux campagnes de travaux distantes de plusieurs siècles, donc indépendantes entre elles : au cours d'une première campagne, l'église est charpentée ; au cours d'une seconde campagne (voire au cours de plusieurs autres campagnes), on procède au voûtement des vaisseaux sur les murs et piliers de la nef précédente.

Observons à présent de plus près ces images. On constate tout d'abord que les collatéraux sont voûtés d'arêtes sur arcs doubleaux plein-cintre (images 13, 17, 18). Pour le vaisseau central, c'est un peu plus complexe. D'après le plan de l'image 13 et l'image 16, on effectue les constations suivantes. Tout d'abord une vue superficielle du plan fait apparaître une nef formée de 6 travées de dimensions identiques : ce serait le plan de la nef primitive. Mais, en regardant plus attentivement le plan et l'image 16, on s'aperçoit que le vaisseau central des deux travées les plus proches du sanctuaire est voûté en plein cintre sur doubleaux. Par contre, pour les quatre travées restantes, il y a regroupement par deux. Les vaisseaux centraux de deux travées consécutives sont recouverts d'une seule voûte en croisée d'ogives.


Ces différents systèmes architecturaux de voûtement nous donnent à penser qu'il y a eu, non pas deux, mais au moins trois campagnes de travaux s'étalant sur plusieurs siècles : construction d'une église charpentée, voûtement des collatéraux et de deux travées de nef, voûtement des 4 travées suivantes par groupes de deux.

Il reste néanmoins quelques questions non ou mal résolues. La première de ces questions concerne les arcs reliant les piliers. Ce sont des arcs doubles,  ou à double rouleau (image 15). Et pour les travées les plus proches du sanctuaire, ils sembleraient être légèrement brisés (image 16). Cette particularité qui apparaît tardivement à l'approche de la période romane nous paraît en contradiction avec le style des chapiteaux antérieurs à cette période. Qui plus est, une nette discontinuité apparaît entre les chapiteaux et les arcs qui les surmontent (images 17 et 18) : dans toute église romane, l'arc s'élève directement à partir du bord supérieur du tailloir qui surmonte le chapiteau. Il y a continuité entre la face verticale de l'arc et la face verticale du tailloir. Or ce n'est pas le cas ici. L'arc s'élève en retrait de quelques centimètres par rapport au tailloir. D'où l'idée qu'au moment de l'installation des voûtes, il ait pu y avoir réfection des arcs reliant les piliers. Hypothèse qui devrait être soumise à vérification.


Étudions à présent quelques sculptures :

Image 19 : image de portail. Le chapiteau du piédroit de gauche est formé de deux taureaux encadrant un arbre de vie (détail en image 29). Pour celui de droite, ce sont deux chevaux encadrant une croix pattée hampée. Comme autres sculptures, on devine un Agnus Dei au centre du liteau et des bas-reliefs représentant pour chacun d'eux un cerf, de part et d'autre des voussures du portail.

Image 20 : image de portail. Le chapiteau du piédroit de gauche représente un hybride ailé (dragon ?). Sur celui de droite, apparaît un cerf.

Image 21 : image de portail. Les sculptures de ce portail apparaissent presque neuves. Il a probablement été fortement restauré. Si c'est le cas, c'est une copie conforme de l’œuvre authentique. Le chapiteau du piédroit de gauche présente deux oiseaux insérés dans un entrelacs. Sur celui de droite, apparaît un cerf. Sur le tympan, on peut voir de gauche à droite : un aigle impérial, la scène des oiseaux à la grappe de raisin, une croix pattée à entrelacs; une large feuille étalée, un oiseau (oie ?).

Image 22 : Entrelacs de feuillages, avec, au centre, une possible représentation de l'Arbre de Vie.

Image 23 : Entrelacs de feuillages, avec des pommes de pin.

Image 24 : Entrelacs de feuillages, avec des croix pattées à entrelacs.

Image 25 : Entrelacs de feuillages.

Image 26 : Hybrides entrelacés.

Image 27. De gauche à droite : lion dressé, entrelacs et têtes humaines, aigle impérial.




Image 28 : Entrelacs de feuillages et têtes humaines.

Image 29 : Corps de taureaux et Arbre de Vie.

Image 30. De gauche à droite : deux lions dressés sur leurs pattes, entrelacs et têtes humaines.

Image 31 : Feuilles dressées.

Image 32. De gauche à droite : aigle impérial, entrelacs de feuillages, aigle impérial.

Image 33. De gauche à droite : deux aigles impériaux et deux monstres dressés sur leurs pattes.

Image 34 : Sur le tailloir, des oiseaux adossés. Sur le chapiteau, deux monstres adossés surmontés par un dragon ailé.

Image 35. De gauche à droite : entrelacs de feuillages, deux monstres affrontés, deux lions dressés sur leurs pattes.

Image 36 : Deux monstres dressés sur leurs pattes. Des sangliers ?


Image 37 : Sirène à deux queues ; la sirène est un homme ; les queues s'épanouissent en feuillages ; de curieux disques sont suspendus sous les coudes de l'homme.

Image 38 : Sirène à deux queues ; la sirène est un homme ; des serpents jaillissent derrière les bras de l'homme.

Image 39 : Deux sirènes à deux queues encadrant un entrelacs ; les sirènes semblent être des hermaphrodites.

Image 40 : Cerf bondissant. Le cerf était un animal mythique chez les celtes.

Image 41 : Lion à queue feuillue et cerf.

Image 42 : Série d'aigles impériaux.

Image 43 : Aigles impériaux surmontant un entrelacs avec croix pattée.

Image 44 : Série d'aigles impériaux.

Image 45. Sur le même chapiteau : entrelacs de pampres de vigne avec la grappe de raisin, la feuille de vigne, et, au milieu, l'Agnus Dei portant une croix pattée hampée.


Image 46 : Lion bondissant.

Image 47 : Autre lion bondissant. Sur le tailloir, un dragon entre deux lions.

Image 48 : Homme tuant un sanglier. Cette scène est interprétée comme représentant le mois de novembre (travaux des mois). Nous sommes moins sûrs de cela. Car il manquerait les onze autres travaux des mois : ce qui fait beaucoup. Par contre, sachant que le sanglier serait le symbole du dieu gaulois Taranis, on pourrait interpréter cette scène comme le triomphe du christianisme (ou d'une autre religion) face aux dieux gaulois.

Image 49 : Ensemble de plusieurs symboles. Lion à queue feuillue dressée verticalement ; aigle impérial avec au-dessus deux disques (le soleil et la lune ?) ; croix pattée hampée à entrelacs.

Image 50 : Croix pattée hampée à entrelacs. Comme une croix celtique, la croix est inscrite dans un cercle.

Image 51 : Lion et livre ? Sans doute le lion de Saint-Marc.


Datation

Les descriptions précédentes des chapiteaux peuvent sembler rébarbatives. Elles sont pourtant là afin d'établir un relevé des fréquences d'apparition de divers symboles. Quels sont les symboles qui sont mis en évidence ? Les entrelacs, les entrelacs de feuillages, les croix pattées, l'Agnus Dei. Et, a contrario, d'autres symboles n'apparaissent pas. En particulier les symboles bibliques mais aussi quelques symboles «profanes». On constate que l'iconographie de Saint-Sigismond est analogue à celle de Saint-Ambroise de Milan et sans doute, d'autres églises d'Italie.

Ces correspondances permettent d'envisager que Saint-Sigismond et Saint-Ambroise auraient été les églises d'un même peuple et construites à la même époque. Et que ce peuple devait être un peuple différent du peuple romain : un peuple autochtone ? un peuple barbare ? Et dans le cas d'un peuple barbare, de quel peuple s'agissait-il ? ostrogoth ? lombard ? franc ?

La présence de croix pattées attribuables à l'antiquité tardive induit une haute datation pour cet édifice.

Datation envisagée pour l'église Saint-Sigismond de Rivolta d'Adda (église primitive) : an 750 avec un écart de 200 ans.

Datation envisagée pour le voûtement des deux premières travées de Saint-Sigismond : an 1150 avec un écart de 100 ans.

Datation envisagée pour le voûtement des six travées suivantes de Saint-Sigismond : an 1250 avec un écart de 100 ans.