L'atrium de la basilique Saint-Ambroise de Milan 

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Nous avons visité la basilique Saint-Ambroise en octobre 2009. Une grande partie des images ci-dessous est issue de cette visite.

Cette basilique a fait l'objet d'une description détaillée écrite par Sandro Chierici dans l'ouvrage « Lombardie Romane » de la collection Zodiaque. Nous aurons l'occasion d'en parler dans la page suivante décrivant plus particulièrement l'intérieur de cette basilique. Pour le moment, nous analyserons plus particulièrement la partie intitulée «atrium» de cette basilique.

Auparavant, je dois témoigner de mon émotion à la découverte de cet atrium. J'étais venu spécialement visiter l'intérieur de cette église de Lombardie afin d'effectuer des comparaisons avec la cathédrale de Béziers. Mais c'est surtout l'atrium et ses sculptures qui ont attiré mon regard. C'est à partir de cette visite et de trois ou quatre autres que l'idée de réaliser une étude sur le premier millénaire a mûri. Et à fini par se concrétiser avec le lancement de l'actuel site six ans plus tard.

Mais à ce moment-là, nous (Alain Le Stang et moi-même) n'avions pas encore développé tous les outils permettant de mieux identifier un édifice. Et il reste encore beaucoup à faire pour comprendre sa complexité et à le faire connaître. Nous sommes en effet très surpris de n'avoir vu sur Internet que très peu d'images des chapiteaux de cet atrium. Celles que nous ajoutons, résultats de seulement une heure de visite, - il doit en exister bien d'autres encore - , devraient suffire à l'amateur éclairé pour découvrir la grande richesse de ces sculptures «barbares».


Un ensemble raté ?

Nous allons étudier cet ensemble de sculptures (principalement des chapiteaux).

Image 5 : ensemble de deux chapiteaux. De gauche à droite : 1er chapiteau à entrelacs de feuillages sans tailloir ; 2echapiteau à entrelacs de feuillages sans tailloir. Il y a discontinuité entre les deux chapiteaux.

Image 9 : ensemble de trois chapiteaux sans tailloir. De gauche à droite :  1er chapiteau à entrelacs de feuillages ; 2echapiteau à entrelacs de feuillages et hybride (dragon ?) ; 3echapiteau à entrelacs de feuillages et tête de lion.

Image 10 : même ensemble que précédemment. On constate une discontinuité entre les deux chapiteaux.

Image 11 : même genre d'ensemble, mais différent du précédent. On constate  une discontinuité entre les deux chapiteaux. On remarque surtout au dessus du chapiteau de gauche la base de colonnette de style tout à fait différent du chapiteau.

Image 12 : ensemble de quatre chapiteaux sans tailloir. On remarque que le 2eet le 4echapiteaux ont un décor semblable, distinct du premier et du troisième. Ce dernier devrait être taillé en arrondi pour faire apparaître une continuité. Opération ratée ?




Image 13 : ensemble de quatre chapiteaux avec tailloir ; 1er chapiteau à entrelacs de feuillages ; 2echapiteau à feuillages imité du corinthien ; 3echapiteau à entrelacs de feuillages;  4echapiteau à lions affrontés.

Image 14 : ensemble de quatre chapiteaux avec tailloir. Cet ensemble ressemble au précédent mais il en est différent : 1er chapiteau à têtes de lions, tailloir à spirales ;
2eet, 3echapiteaux à entrelacs de feuillages ; 4echapiteau à hybrides affrontés. Il y a discontinuité entre les tailloirs qui ne constituent pas une corniche uniforme.

Image 15 : ensemble «débridé» de quatre chapiteaux. De gauche à droite : 1er chapiteau à entrelacs de feuillages avec tailloir à entrelacs de feuillages ; 2echapiteau à entrelacs de feuillages avec tailloir à deux registres (oiseaux affrontés au registre inférieur) ; 3echapiteau à entrelacs de feuillages sans tailloir ; 4echapiteau à scène historiée («Daniel entre les lions») sans tailloir. Outre les différences sur la présence de tailloirs, on note les différences de formes et de dimensions des chapiteaux et de plus, une discontinuité entre les décors des chapiteaux.

Image 16 : Détail de l'image précédente, le chapiteau à scène historiée «Daniel entre les lions». En fait, le personnage censé être le prophète Daniel tient un sceptre et un cor. De plus, outre les lions, on découvre des taureaux et des ours. La scène fait plus penser à une allégorie : le prince dominant les diverses puissances symbolisées par l'ours, le lion ou le taureau.

Image 17 : ensemble de trois chapiteaux à entrelacs de feuillages sans tailloir. Sur le 2echapiteau, les volutes d'angle s'enroulent en forme de tête humaine.

Image 18 : ensemble de quatre chapiteaux à entrelacs de feuillages sans tailloir. Il y a discontinuité de décor entre deux chapiteaux successifs. Sur le 2echapiteau est représenté un oiseau. Sur le 4echapiteau, les bras d'un enfant nu s'entremêlent à des lianes (signification ?).


Image 19 : ensemble de deux chapiteaux à entrelacs de feuillages. De gauche à droite : 1er chapiteau sans tailloir ; un centaure est représenté, tenant d'une main une outre et de l'autre une lance ; 2echapiteau avec tailloir à entrelacs de feuillages. Il y a discontinuité entre les deux chapiteaux. On revoit la base de colonnette de style différent des chapiteaux.

Image 20 : ensemble de trois chapiteaux sans tailloir. Sur le 1er chapiteau, les volutes d'angle s'enroulent en forme de tête humaine.

Image 21 : ensemble de deux chapiteaux à entrelacs de feuillages et sans tailloir.On revoit la base de colonnette de style différent des chapiteaux. Sur le deuxième chapiteau apparaît l'Agnus Dei accompagné de la croix pattée hampée, symbole qui serait apparu vers le VIIesiècle.

Image 22 : ensemble de trois chapiteaux à entrelacs de feuillages et sans tailloir. Sur le premier à gauche, ce sont des pampres de vigne. Sur le deuxième, apparaissent trois croix pattées hampées ainsi que des rosaces et des spirales.

Image 23 : ensemble de trois chapiteaux sans tailloir. Sur le 2e, deux hypbides (dragons) entrelacés.

Image 24 : chapiteau à entrelacs. C'est le chapiteau de gauche de l'ensemble suivant (image 25) ; il est très dégradé.


Image 25 : ensemble de trois chapiteaux sans tailloirs ; sur le deuxième chapiteau, on peut voir une scène tout à fait nouvelle pour nous, mais qu'on retrouve dans les images suivantes : un hybride ailé à corps de cerf, tête de pigeon, queue feuillue et serres d'aigle, domine un petit mammifère.

On retrouve une scène identique sur les images 26, 27 et 28. À remarquer que, au moins pour les images 25, 26 et 27, ces chapiteaux sont disposés sous les bases des colonnettes, c'est_à dire côté cour de l'atrium, emplacement qui les rend visibles à tous. Ces chapiteaux devaient donc être considérés comme plus importants que les autres.

Image 29 : ensemble de cinq chapiteaux à entrelacs de feuillages et sans tailloir. Celui du milieu est décoré de têtes animales aux angles et d'un lion au centre.

Image 30 : On retrouve la base de colonnette sur ce chapiteau, signe qu'il est dirigé vers la cour. C'est un chapiteau à lions affrontés. Remarquer les stries sur les corps des lions. Ils encadrent une croix pattée hampée.

Image 31 : ensemble de trois chapiteaux de dimensions différentes. La scène du centre pourrait représenter le roi David jouant de la harpe.

Image 32 : chapiteau à feuillages. Le décor du milieu pourrait représenter un sceptre ou symboliser l'arbre de vie.


Image 33 : ensemble de deux chapiteaux. De gauche à droite : 1er chapiteau à lions affrontés, de part et d'autre d'un arbre de vie. Chapiteau sans tailloir. On remarque de plus que les lions ont le profil caractéristique des lions «à queue feuillue». Autre élément caractéristique, à l'angle sous une large feuille, la «main divine» : deux doigts fermés, trois doigts levés. 2echapiteau à entrelacs de feuillages avec tailloir à entrelacs de feuillages.

Image 34 : ensemble de sept chapiteaux en marbre sans les tailloirs ; cette fois-ci, il y a continuité entre les chapiteaux. Sur le 4echapiteau, scène caractéristique des «oiseaux au canthare». Sur le 5echapiteau, un moine tenant une croix latine. Sur le 6echapiteau, un  aigle impérial.

Image 35 : chapiteau en marbre avec tailloir. Chapiteau à lions affrontés. Il s'agit de lions à queue feuillue. Sauf qu'ici la queue du lion est terminée par une tête de serpent.

Image 36 : chapiteaux sans tailloir. On retrouve un chapiteau à lions affrontés.

Image 37 : bas-relief probablement antique. On croirait une scène de genre. Un enfant nu est oursuivi par un coq qui veut lui voler sa grappe de raisin. Sauf que les pampres de vigne sont symboles d'immortalité. Cette scène est donc probablement plus symbolique que ce que l'on imagine au premier abord.

Image 38 : Cette scène est selon nous très intéressante. C'est la scène classique intitulée : «Le prophète Daniel dans la fosse aux lions». Sauf qu'ici, ce n'est pas le prophète Daniel mas un prêtre ou un diacre chrétien, portant la croix. Il représente, selon nous, le pouvoir spirituel, maîtrisant et séparant les puissances temporelles, établissant la paix entre les peuples. L'interprétation de cette scène par l'épisode biblique de «Daniel et les lions» serait plus tardive. Et effectivement, dans les représentations romanes, c'est cet épisode qui est représenté.

Images 39 et 40 : Autre encadrement de portail, peut-être préroman. On reconnaît sur le linteau, au centre, l'Agnus Dei, à gauche, le Taureau, à droite, le lion. Et sur une voussure au dessus du lion, l'homme. Chacun de ces personnages tient un livre. Mais il manque l'aigle pour reconstituer le tétramorphe.

Image 41 : ensemble de cinq chapiteaux en marbre du portail. Sur le 4echapiteau, on retrouve la scène des lions encadrant la croix pattée hampée. En dessous du  1er  et du 3echapiteau, les colonnes sont sculptées, d'entrelacs pour la 1ère, de corps d'animaux pour la 3e. Cette dernière au moins a été utilisée en remploi.

Les colonnes des images suivantes 42, 43, 44, 45, sont toutes sculptées. De corps d'animaux pour les images 42 et 44, d'entrelacs pour l'image 45. La plus intéressante semble être celle de l'image 43 avec une croix pattée hampée décorée d'entrelacs, attribuable au VIIIesiècle.


Revenons à la question initiale : Un ensemble raté ?

C'est bien ce qui apparaît à l'examen de ces ensembles sculptés : une accumulation hétérogène ; chapiteaux avec ou sans tailloirs, de dimensions différentes, sans liens de continuité.

Et nous avons tendance à plaindre ces pauvres artisans du Moyen-Âge qui ne savaient pas très bien ce qu'ils faisaient.

Ce en quoi nous avons tort ! Les maçons du Moyen-Âge (et dans le cas présent, ce seraient plutôt ceux du Haut- Moyen-Âge) savaient ce qu'ils faisaient.

Il faut bien comprendre que les premiers constructeurs avaient conçu un projet parfait. Les sculptures formaient un ensemble parfaitement homogène. Très probablement, les entrelacs à feuillages constituaient le fond de base des décorations. Le cadre initial était donc strict. Mais il a été bouleversé ultérieurement. Ainsi, il est possible (mais nous n'en sommes pas certains), que initialement, les chapiteaux étaient de forme parallélépipédique comme ceux des dragons des images 22, 25, 26, 27, 28. Ultérieurement, on aurait ajouté (avec les colonnes et arcs associés) ceux à base semi-circulaire (images 23 et 24). Plus sûrement, nous pensons que le voûtement en voûtes d’arêtes des galeries a été effectué ultérieurement à la construction initiale. Pour le réaliser, on a adossé aux piliers et aux murs des pilastres permettant de porter les arcs doubleaux, ainsi que dans les coins d'autres pilastres pour porter les arêtes des voûtes. Ces transformations ont provoqué l'ajout de chapiteaux dont certains ont pu être utilisés en remploi. Cela explique le désordre observé sur les images 12, 13, 14, 15.


Datation de l'atrium de la la basilique Saint-Ambroise

Nous étudierons plus précisément cette datation dans la page suivante qui réserve une petite surprise.

Dans un premier temps, contentons-nous seulement de donner une évaluation des chapiteaux. Les entrelacs à feuillages sont d'inspiration «barbare». Les croix pattées hampées sont datables du VIIIeou IXesiècle. Le visage du centaure de l'image 19 fait penser à des modèles gallo-romains.

Nous proposons la datation suivante pour les sculptures primitives de cet atrium : an 800 avec un écart de 200 ans.