L'église Santa Maria in Castello de Tarquinia 

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Nous avons effectué une visite rapide de cette église en avril 2007 (bien avant que nous envisagions de créer ce site) mais l'église était fermée au moment de la visite et la majorité des images de cette page est extraite d'Internet.

Ce monument a fait l'objet d'une étude approfondie par Enrico Parlato dans le livre « Rome et Latium romans » de la Collection Zodiaque. En voici quelques extraits en rapport avec la datation de l'édifice :

« Les vicissitudes architecturales complexes de Sainte-Marie-du-Château ... exigent une clarification préliminaire des dates. Les nombreuses inscriptions dédicatoires étudiées en son temps par de Rossi vont nous y aider : en 1121, commencent les travaux (inscription au revers de la façade) ; en 1153, est exécuté le portail d'entrée (inscription sur le linteau) ; en 1168, est achevé le ciborium (inscription sur le linteau) ; en 1207, l'église est solennellement consacrée en présence d'Innocent III et de 10 évêques (inscription au revers de la façade) ; en 1208, avec la mise en service de la chaire, sont terminés les aménagements du sanctuaire (inscription sur la bordure inférieure de la chaire) et l'on doit tenir pour définitivement achevée la construction de l'édifice. [...] »

Arrêtons-nous un moment pour commenter cette première partie du texte de Enrico Parlato. Que lisons-nous : «  en 1121 commencent les travaux  » puis « [...] En 1208 [...] l'on doit tenir pour définitivement achevée la construction de l'édifice. [...] ». Essayons à présent de nous mettre en situation. Nous vivons en 2020. Nous avons décidé de construire une grande église. Le commencement des travaux est prévu pour 2021 (soit 900 ans après celui de Sainte-Marie-du-Château). Et la fin des travaux est prévue pour 2108 (soit 900 ans après celle de Sainte-Marie-du-Château ou 87 ans après le début des travaux de l'église que nous avons décidé de construire). N'y a-t-il pas dans ce décompte quelque chose qui vous gène un peu, ami lecteur ? En ce qui nous concerne, lorsque nous concevons un projet comme la construction d'un édifice, nous préférons le voir réalisé de notre vivant.

En fait Enrico Parlato, et avec lui beaucoup d'autres historiens de l'art, s'imaginent qu'une église est le résultat d'un seul projet. Dans le cas présent, le projet était la construction de l'édifice : commencé en 1121, il est terminé en 1208. Avant, il ne s'est rien passé ; après, il ne s'est rien passé. Et entre ces deux dates, il ne s'est rien passé non plus. En fait Enrico Parlato nous dit bien qu'il s'est passé certaines choses. Comme par exemple la construction d'un ciborium. Mais pour cet événement, il le fait dépendre du seul projet de construction de l'église alors qu'il peut en être indépendant.

Et de même, la consécration d'un autel en 1207 peut être un événement indépendant de la construction de l'église ou de l'édification du ciborium.


Nous poursuivons la lecture du texte d'Enrico Parlato : « [...] Il en résulte à l'évidence que la construction de Sainte-Marie-du-Château s'est effectuée en trois campagnes : la première se limite à la période 1121-1143 environ. C'est alors que furent élevés les nefs latérales, le pourtour extérieur et la façade ;  [...] à l'intérieur, l'élévation atteignit la hauteur des grands arcs qui relient les piliers. En sont la preuve les demi-colonnes des piliers intermédiaires (lire l'explication un peu plus loin) qui sont là pour montrer un premier projet terminé ensuite sous une forme différente. [...]

La deuxième campagne commença en 1143 (Krautheimmer 1928) et se termina en 1168. L'inscription sur le portail (1143) mentionne explicitement que l'église n'est pas encore terminée ; [...] “Vierge prie ton Fils de repousser la construction”. La mise en place de l'autel majeur et du ciborium garantissent qu'en cette seconde période, on avait prévu de voûter l'édifice. Bien que sans aucune preuve définie, Kingsley Potter estimait que les voûtes avaient été reconstruites après 1190. Dans cette dernière campagne de construction, nous pouvons aujourd'hui faire entrer avec certitude la reconstruction de l'abside et l'addition plus tardive de la coupole. [...] »

Nous voyons dans cet extrait de texte la volonté de l'auteur d'utiliser les documents écrits, non pour leur valeur intrinsèque, mais dans le but précis : les présenter comme preuves d'une théorie préétablie : ce monument date du milieu du XIIesiècle. Tout comme beaucoup d'autres monuments du Latium qui ne ressemblent en rien à celui-là.

Commençons par la date de 1121. La seule indication qu'il nous donne est la suivante : « en 1121, commencent les travaux (inscription au revers de la façade)  ». Nous aimerions bien connaître le texte exact de cette inscription. Car c'est bien la première fois que nous entendons parler d'une inscription de début de travaux pour une église romane. Une autre remarque concerne l'emplacement de cette inscription, au revers de la façade. Cela signifierait-il que les travaux ont commencé par la façade (sans doute la façade Ouest). Là encore ce serait extraordinaire. D'habitude on commence par le chevet. Notons au passage que la date de 1121 peut signifier le début des travaux, non de l'église, mais de la seule façade, le reste de l'église ayant été achevé longtemps auparavant.

Effectuons à présent quelques observations sur l'architecture de cette église. D'après le plan de l'auteur (image 2), la plus grande partie de la nef serait plus ancienne que le chevet et les travées de nef immédiatement voisines de celui-ci. Nous ne voyons pas quelle est la justification de différence entre ces parties. Le plan avec les trois absides en prolongement des trois vaisseaux est cohérent dans son ensemble. La seule différence qui apparaît est la présence d'arcatures lombardes sur les seules absides du chevet.


Les images 6, 7 et 8 montrent l'intérieur du vaisseau central. L'image 9, l'intérieur du collatéral Sud.

Examinons plus particulièrement l'image 8. Les piliers sont tous de même dimension. Les arcs reliant les piliers sont doubles (ou à double rouleau). Nous avons estimé que l'arc à double rouleau constituait une innovation importante par rapport à l'arc à un rouleau. Et selon nous, il aurait été inventé après l'an 800. Revenons aux piliers, étudions les à partir du premier à droite. Lui est adossé, côté vaisseau central, un pilastre à plan rectangulaire flanqué de colonnettes. Si on remonte vers le haut, le pilastre porte un chapiteau rectangulaire et les colonnettes des chapiteaux à deux faces logés dans les coins formés par le pilastre et le mur ; en remontant encore, le chapiteau rectangulaire supporte un arc doubleau et les chapiteaux à deux faces les ogives de la voûte sur croisée d'ogives.

Le pilier suivant est un peu différent, car cette fois-ci ce n'est pas un pilastre qui est adossé mais une demi-colonne. Cette demi-colonne porte un chapiteau ... qui ne porte rien.

Et le scénario recommence avec alternance des piliers à pilastres et colonnettes et des piliers à demi-colonnes qui portent des chapiteaux qui ne portent rien.

C'est ce qu'a remarqué Enrico Parlato. Et il a raison de déceler à travers l'image de ces chapiteaux qui ne servent à rien, un changement dans le processus de construction. La seule objection que nous pouvons faire est la conclusion qu'il en tire, d'un « premier projet terminé ensuite sous une forme différente. [...] », premier projet qu'il précise par la suite :  « à l'intérieur, l'élévation atteignit la hauteur des grands arcs qui relient les piliers. ». Cela signifie que pour Enrico Parlato, les constructeurs avaient prévu un autre mode de voûtement. Dans un premier temps, ils ont commencé les travaux en fonction de ce qu'ils avaient prévu initialement. Mais lorsqu'ils sont arrivés à mi-hauteur de la nef (plus exactement au niveau des chapiteaux supérieurs), ils ont changé le mode de voûtement en laissant cependant en place pour des raisons d'esthétique les chapiteaux devenus inutiles.

Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec ce raisonnement. D'une part, nous estimons que la construction d'une église s'effectuait progressivement. Non pas à la manière dont on construit un immeuble, par tranches horizontales, étage sur étage. Non pas aussi par tranches verticales, travées après travées, mais un savant mélange des deux méthodes. Lorsqu'on pose la voûte de la première travée construite, le chevet est déjà terminé et les murs latéraux de la deuxième travée sont en cours d'achèvement. Quant à la troisième travée, les piliers et arcs du vaisseau central sont en cours de construction et il manque les murs latéraux. Les fondations sont finies pour la quatrième travée. La façade attend d'être construite. En conséquence de ce raisonnement, nous estimons que le changement s'est produit non pas sur une église construite jusqu'à mi-hauteur, mais sur une église construite sur toute sa hauteur.

D'autre part, la lecture des piliers que nous avons faite de bas en haut doit à présent être repensée de haut en bas. Les voûtes sur croisées d'ogives reposent sur des arcs doubleaux. Ces arcs doubleaux doivent être portés par des chapiteaux, lesquels doivent bien reposer sur quelque chose : les pilastres. De même, les ogives doivent être portées par des chapiteaux qui eux-mêmes doivent être portés par quelque chose : les colonnettes. La conséquence de ce que l'on vient de dire, c'est que la construction des voûtes effectuée au sommet exige qu'il y ait eu au préalable une construction ou, plus exactement, une reconstruction des piliers à la base.


Hypothèse du déroulement des constructions

Nous ne pensons pas qu'il y a eu trois campagnes de construction mais deux « projets » entièrement réalisés. Le premier « projet » consistait à bâtir une église à nef à trois vaisseaux charpentés. Sur chacun des piliers, était adossée côté vaisseau central une demi-colonne. Cette colonne portait, nettement au-dessus du sommet des arcs, un chapiteau lequel servait à soutenir une poutre transverse de la charpente du toit. Pour avoir une idée un peu imparfaite de ce premier projet, il faut consulter la page relative à  Menat/ Puy-de-Dôme/France. Datation envisagée pour l'église Saint-Ménélée de Menat : an 900 avec un écart de plus de 100 ans.

Plus tard, aux alentours de 1200, on décide de voûter l'église. On commence par voûter les collatéraux à raison d'une croisée d'ogives par travée. Pour cela, on accole des pilastres aux piliers et au mur extérieur et on lance des arcs doubleaux sur ces pilastres. En même temps, on plaque sur les pilastres des colonnettes qui serviront à porter les ogives. Puis on couvre l'ensemble d'une voûte.

Pour le vaisseau central, on agit de même. Mais cette fois-ci, la voûte utilise deux travées au lieu d'une.

Voilà donc les deux projets principaux. Il y a eu très certainement d'autres constructions moins importantes comme la coupole.

Cette analyse remet en question la théorie de Enrico Parlato d'une construction unique entre 1121 et 1208.

Par contre, l'existence de deux « projets » bien distincts à plusieurs siècles de distance permet d'expliquer beaucoup de choses : un plan de nef à trois vaisseaux avec trois absides en prolongement, l'absence de transept, caractérisent des nefs antérieures à l'an mille, la croisée d'ogives des voûtes postérieures à l'an 1150. Par ailleurs, le texte de Enrico Parlato nous révèle un détail intéressant :  « En 1207, l'église est solennellement consacrée en présence d'Innocent III et de 10 évêques ». Si cette consécration solennelle marque la fin des travaux, cela signifie la fin du second projet. Un deuxième projet qui utilise la croisée d'ogives. Nous pensons que cette croisée d'ogives est le moteur principal de l'architecture gothique. Et que sa propagation a dû être fulgurante. Nous disions auparavant qu'elle a dû naître aux alentours de 1200. Avec l'an 1207 nous n'en sommes pas très loin.


Les chapiteaux sont en tuf volcanique issus de la région. Il est fort probable que certains d'entre eux ont été faits à des périodes différentes. En particulier ceux situés dans les coins qui auraient été ajoutés lors du second projet.

Image 11 : Chapiteau ou imposte rectangulaire à décor de pampres de vigne. Chapiteau de coin à décor de feuilles de laurier. Chapiteau ou imposte rectangulaire : lion dominant.

Image 12 : Chapiteau de coin à décor d'entrelacs. Chapiteau ou imposte rectangulaire : griffons ?

Image 13 : Chapiteau de demi-colonne à décor de feuillages.

Image 14 : Chapiteau de demi-colonne à décor d'entrelacs.

Image 15 : Chapiteau de coin ; homme nu accroupi dans des feuillages.

Image 16 : Chapiteau ou imposte rectangulaire ; lions affrontés, l'un des deux montre ses dents, l'autre non.

Image 17 : Chapiteau ou imposte rectangulaire. Peut-être Daniel et un lion ?

Image 18 : Chapiteau ou imposte rectangulaire ; décor d'oves et d'une bande ondulée.



Datation envisagée pour l'église Santa Maria in Castello de Tarquinia (premier projet) : an 900 avec un écart de plus de 100 ans.