La basilique Saint-Savin de Piacenza 

• Italie    • Émilie-Romagne    • Article précédent    • Article suivant    


Paradoxalement, alors que l'importance pour l'histoire de l'Italie des peuples barbares ostrogoths, puis lombards, est reconnue par tous les historiens, cette église ne semble pas avoir suscité l'intérêt des spécialistes : la page « Plaisance » du site Internet Wikipedia n'en parle pas, et lorsqu'on recherche un renseignement sur « Saint Savin » ou « Saint Sabin », on découvre l'existence d'un saint appelé « Savin » ou « Sabin », évêque de Plaisance, mort en l'an 420. Pourtant les images des chapiteaux ainsi que la présence d'un très beau pavage en mosaïque auraient dû susciter l'intérêt de tous.

Nous avons effectué une visite rapide de ce monument en octobre 2009. Bien que nous n'ayons pas encore à ce moment-là envisagé d'effectuer une recherche sur les monuments du Premier Millénaire, nous avons réalisé que les chapiteaux témoignaient d'une grande originalité, tant dans la qualité d'exécution que dans le choix de décors où domine l'entrelacs.

La majorité des images de cette page ont été photographiées lors de notre visite.


Nous n'avons malheureusement pas pu voir l'extérieur de l'édifice. En conséquence, nous ne savons rien du chevet ni des restes d'un éventuel transept.

La façade occidentale, baroque, cache la façade primitive de l'église, à plan basilical ( image 1 ).

Il s'agit d'une église à nef à trois vaisseaux.

Le vaisseau central est voûté en croisée d'ogives sur doubleaux en plein cintre. Nous n'avons pas d'image des collatéraux qui sont eux aussi probablement voûtés.

Les piliers porteurs du vaisseau central sont de deux types, en alternance R1111 et R1112. Les arcs reliant ces piliers sont doubles.

Fait surprenant mais qui peut concerner d'autres églises de la région. Il concerne les piliers de type R1111. Rappelons ce que signifie le code R1111. La section horizontale du pilier est un rectangle (en abréviation : R) avec sur chacun des côtés du rectangle une saillie de forme demi-circulaire qui n'est autre que la section d'une colonne demi-cylindrique adossée au pilier. Si nous avons établi cette nomenclature, c'est parce que nous avons constaté qu'elle avait un sens : la demi-colonne adossée au pilier porte un chapiteau qui à son tour porte autre chose, une autre demi-colonne ou un arc. Laquelle autre chose peut porter un arc ou une voûte.

Il existe donc une logique à tout cela. Or dans le cas des piliers de type R1111, cette logique semble brisée. La demi-colonne du côté du vaisseau central (associée au dernier chiffre 1 de R1111) porte un chapiteau qui, à son tour, ne porte rien. Pourquoi cette carence  ? On pourrait penser à un acte manqué. Mais ici, tous les piliers de type R1111 sont concernés. On pourrait aussi penser à une fantaisie d'artiste comme dans l'art contemporain. Mais les architectes du Moyen-Âge n'étaient pas des fantaisistes. Tout ce qu'ils faisaient été pensé. Si ces chapiteaux existent, c'est parce qu'ils avaient une fonction. Quelle pouvait être cette fonction ? Il est difficile de le dire. Nous avons cependant une idée, certes très imparfaite. Plutôt une suggestion. Durant tout le Haut Moyen-Âge, il y avait séparation entre le vaisseau central et les collatéraux par des lourds rideaux ou des tapisseries. Ces rideaux étaient portés par des tringles de bois portées par des chapiteaux situés à la naissance des arcs. Il est possible que les chapiteaux que l'on a ici aient servi à porter de telles tringles de bois ?


Les voûtes sur croisée d'ogives du vaisseau principal protègent deux travées consécutives. Elles sont posées sur des arcs doubleaux en plein cintre, eux_même portés par les piliers de type R1112. Nous pensons que primitivement les piliers étaient de même type que les précédents (R1111). Mais afin de pouvoir poser la voûte en croisée d'ogives, les maçons auraient remplacé les demi-colonnes adossées côté vaisseau central par le système actuel de pilastre. Il faudrait pouvoir s'assurer de cela. Ce que nous n'avons pas vérifié en 2009, faute de la connaissance de cette possibilité. Cependant, certains indices militent en faveur d'une telle hypothèse. Ainsi considérons l'image 5. On y voit un chapiteau et, au dessus de ce chapiteau, un tailloir formé de deux rangées d'entrelacs. Mais ce tailloir ne s'arrête pas là, il déborde du cadre supérieur du chapiteau et se poursuit en corniche vers la droite. Cette corniche contourne l'angle du mur et s'arrête brusquement, interrompue par la demi-colonne engagée alors que, dans la logique, la corniche aurait du contourner la demi-colonne comme elle l'a fait pour l'angle du mur. Si elle ne l'a pas fait, c'est parce que les maçons ont inséré la demi-colonne engagée à une date ultérieure, détruisant une partie de la corniche. Même constatation pour l'image 10.


Les images 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 15 nous montrent une série de chapiteaux de la nef. Toutes ces images ainsi que les images 16 et 17 de chapiteaux de la crypte ont l'entrelacs pour thème essentiel. Il faut noter que dans de nombreux cas, ces ramures entrelacées sont habitées par des animaux ou des objets : des béliers ( image 6 ), des molosses ou des lions ( image 7 ), des hybrides des béliers ( image 8 ), une grappe de raisin ( image 9 ), des lions ( image 11 ), une corbeille ( image 12 ). Seuls deux chapiteaux de la crypte se révèlent différents, dépourvus d'entrelacs : des feuillages ( image 18 ) et un orant ( image 19 ).

Revenons aux chapiteaux à entrelacs. Ces entrelacs sont dits « barbares ». Les entrelacs concernent une longue période. Ils sont répandus chez les celtes et les germains et ce, avant l'ère chrétienne. Et on en trouve jusque dans l'art roman, au XIIesiècle. Leur datation s'avère difficile car, bien que l'on puisse distinguer de nombreuses nuances dans la fabrication des scènes représentées (entrelacs de cannage, de cordes, de pampres, de lierre, structurés, déstructurés), une classification systématique n'a pu être établie. Certaines formes d'entrelacs comme la croix appelée « nœud de Salomon » ont traversé les siècles. D'autres doivent être spécifiques à un peuple. Nous avons cependant ici un élément qui permet de dater ces chapiteaux : ils sont associés à des arcs doubles. Or nous pensons que l'arc double a été créé vers la fin du premier millénaire (an 900 avec un écart de 100 ans).


La mosaïque du zodiaque

Nous avons photographié cette mosaïque en octobre 2009 ( image 20 ). Nous revoyons cette mosaïque sur Internet 10 ans plus tard. C'est l'image 14. On constate que dans l'intervalle de temps, la mosaïque a subi une restauration. Cette restauration restitue-t-elle la mosaïque d'origine ? Nous l'ignorons.

Nous avons représenté ci-dessous un tableau récapitulatif des temporalités liées au zodiaque. Les 4 premières colonnes représentent le zodiaque tel qu'il est décrit habituellement. Les deux autres, le zodiaque que décrit la mosaïque.

Constellation Signe astrologique Passage du Soleil
dans le signe
Nombre de jours Mosaïque Images
Bélier Bélier 21 mars20 avril 31 avril image 22
Taureau Taureau 21 avril20 mai 30 mai image 23
Gémeaux Gémeaux 21 mai21 juin 32 juin image 24
Cancer Cancer 22 juin22 juillet 31 juillet image 25
Lion Lion 22 juillet23 août 31 août image 26
Vierge Vierge 24 août22 septembre 31 septembre image 27
Balance Balance 23 septembre22 octobre 30 octobre image 28
Scorpion Scorpion 23 octobre22 novembre 31    
Sagittaire Sagittaire 23 novembre21 décembre 29    
Capricorne Capricorne 22 décembre20 janvier 30    
Verseau Verseau 21 janvier19 février 30    
Poissons Poissons 20 février20 mars 29/30 mars image 21



On constate que, alors que dans le zodiaque actuel le signe, valable sur une durée de 30 ou 31 jours, est « à cheval » sur deux mois (exemple : le signe du bélier concerne la période du 21 mars au 20 avril), dans le zodiaque du Moyen-Âge, le signe concerne un seul mois. Ainsi le signe du bélier concernait la période du 1 Avril au 30 avril.

En établissant cette table de correspondance, nous pensions arriver à une datation de la mosaïque en utilisant l'existence du phénomène de « précession des équinoxes ». Mais c'est peine perdue. Les gens du Moyen-Âge n'utilisaient pas de calendriers comme nous, mais ils pratiquaient l'observation des astres : lorsque le soleil pénétrait dans la constellation du bélier, c'était le 1er avril.


Nous avons appelé l'autre groupe de mosaïques de cette crypte, « Marche du Monde », faute d'avoir trouvé une définition meilleure ( image 31 ). Au centre de la scène, à l’intérieur d'un cercle un homme (le Créateur ?) tient dans ses mains le Soleil (jour) et la Lune (Nuit). Autour de ce cercle, à l'intérieur d'une bande concentrique, 8 animaux hybrides rassemblés en quatre groupes de deux animaux affrontés. À l'extérieur de ce cercle, 4 hommes coiffés d'une sorte de bonnet phrygien semblent entraîner l'ensemble dans un mouvement de rotation ( image 32 ). D'autres scènes à l'extérieur complètent l'ensemble. Celle de l'image 33 nous semble intéressante. Elle concerne un roi et un de ses sujets, un juge plein de déférence. Mais ce juge n'hésite pas à montrer la loi : éternel conflit entre la puissance judiciaire et la puissance politique !

Nous remarquons sur ces deux mosaïques l'absence des symboles chrétiens susceptibles d'être rencontrés dans une église (croix, auréoles, etc.). Notre hypothèse est que ces mosaïques ont été posées par un peuple non christianisé.


Datation envisagée pour la basilique Saint-Savin de Piacenza : an 900 avec un écart de 150 ans.