L'église Saint-Cassien de San Cassiano di Controne  

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Nous n'avons pas visité cette église. Les images de cette page sont extraites de galeries d'Internet.

La page du site Internet Wikipédia consacrée à cette église nous apprend ceci :

« Description : C’est la première église historiquement documentée du Val di Lima. Un document de 722 atteste de son existence. Le document, rédigé sous le règne de Desiderius, le dernier roi lombard, est une charta promissionis.

Extérieur : L’église actuelle est certainement une extension d’une église précédente. Elle a un plan basilical avec trois nefs divisées par des colonnes et des piliers et un toit en treillis de bois. L’abside en forme de bourse (?) rectangulaire est une refonte de l’abside semi-circulaire d’origine, qui a eu lieu au XVIIIe siècle. La façade est de chronologie contestée, oscillant entre le IXe et le XIIe siècle. Le relief de la lunette au-dessus du portail, dans lequel trois figures humaines sont représentées dans une position prospective, est particulièrement important : la centrale, plus grande que les autres, a les bras levés en signe de prière, les autres, sur le côté, ont les bras levés et chacune pose une main sur le bras de la première. Selon une interprétation, ces bas-reliefs représentent Moïse en train de prier lors de la bataille contre les Amallécites.

Intérieur : L’église conserve le sol d’origine en marquèterie de marbre, fait de lattes de marbre blanc et gris foncé, orné dans la partie centrale de motifs géométriques et d’insertions de dalles sculptées en bas-relief. Ce qui est intéressant, c’est le chapiteau de la première colonne droite, cubique, massif, un nœud structurel qui marque la transition de la colonne à l’arc (les visages sont recouverts de représentations humaines). »

Par ailleurs, une brève notice extraite du livre Toscane romane, de I. Moretti et R. Stapani, complète l'information :

« L'église actuelle est le résultat de la "modernisation" d'un édifice antérieur, survenue selon toute probabilité dans la seconde moitié du XIIe siècle. [...]

La façade est marquée de trois registres d'arceaux retombant alternativement sur des modillons et des demi-colonnes plaquées sur un appareil en assises bicolores. Les voussures des arcs, en léger ébrasement, sont sculptées de toute une série de motifs de saveur archaïque, typiques du répertoire préroman, exécutés cependant avec une grande sûreté de taille et une remarquable habileté technique : rubans cannelés et entrelacés, rosaces à huit pétales, cortèges d’animaux fantastiques, feuilles lancéolées, sarments en forme de ruban, etc. Le même type d'ornement se retrouve sur le portail extrêmement décoré (sculpté sur le linteau, le tympan, les voussures) ainsi que sur les piédroits de la fenêtre au-dessus. Les murs gouttereaux de l'église sont par contre simplement couronnés d'arceaux qui se suivent selon un rythma assez serré, l'appareil extrêmement régulier à petites assises s'interrompt seulement pour laisser place aux deux portails qui s'ouvrent dans les côtés.

L'intérieur de l'église, faiblement éclairé par de petites fenêtres dans les murs hauts de la nef centrale, conserve son pavement originel, probablement dû aux ateliers qui ont réalisé le jeu de couleurs de la façade ; il est fait de marbre blanc et gris formant des losanges, des ronds et autres motifs géométriques. [...]

[...] Certainement construit avant l'église actuelle et peut-être antérieur au XIe siècle, le clocher pourrait démontrer ainsi l'antiquité de certaines pratiques technico-décoratives de provenance orientale qui trouveront ultérieurement leur expression la plus complète dans le milieu pisan. »


Commentaires sur les deux textes ci-dessus

On constate une légère différence d'interprétation. Alors que le premier des deux textes évoque, par l'entremise de phrases telles que, « L’église actuelle est certainement une extension d’une église précédente. » ou « La façade est de chronologie contestée, oscillant entre le IXe et le XIIe siècle. », évoquent la possibilité que certaines parties de l'édifice puissent être antérieures à l'an mille, le second texte est plus catégorique : rien ne subsiste de l'édifice précédent, et ce, malgré la phrase « L'église actuelle est le résultat de la "modernisation" d'un édifice antérieur, survenue selon toute probabilité dans la seconde moitié du XIIe siècle... », rectifiée par l'autre phrase, «[...] Certainement construit avant l'église actuelle et peut-être antérieur au XIe siècle, le clocher pourrait... »


Notre analyse de l'architecture de cet édifice

Les deux commentaires précédents sont insuffisamment précis. Si y a eu « une extension d’une église précédente » ou une  « "modernisation" d'un édifice antérieur », où sont localisés les restes de cette église précédente ? Et quelle est la partie modernisée « selon toute probabilité dans la seconde moitié du XIIe siècle... » ?

Il faut cependant admettre que l'architecture de cet édifice est très déconcertante. Non pas par son plan qui est finalement assez simple, bien que, nous le verrons, il se révèle un peu plus compliqué après une analyse détaillée. Mais par le décor des parties extérieures (images de 2 à 15). Si l'on observe superficiellement la façade Ouest (image 2), elle apparaît très classique, de style romano-pisan datable de la seconde moitié du XIIe siècle ou première moitié du XIIIe siècle.

Mais une vue détaillée du premier niveau de cette façade (image 3) révèle que deux arcs en plein cintre sont surmontés par deux autres arcs de mêmes dimensions, eux aussi en plein cintre (voir aussi l'image 11). Nous avouons notre incompréhension face à cette curiosité architecturale qui apparaît comme un non sens. Il y a eu là très probablement au moins deux campagnes de travaux mais nous n'arrivons pas à identifier comment elles se sont organisées, quelles sont les arcades qui ont éte construites en premier.

Un deuxième sujet de réflexion concerne le style de ces décors. La description des auteurs du livre Toscane romane est significative : « toute une série de motifs de saveur archaïque, typiques du répertoire préroman, exécutés cependant avec une grande sûreté de taille et une remarquable habileté technique. ». Ils sont « typiques du répertoire préroman », « exécutés cependant avec une grande sûreté de taille et une remarquable habileté technique. ». Le mot « cependant » exprime la contradiction qu'il y aurait, selon les auteurs, entre l'apparence « préromane » des réalisations et l'« habileté technique », de leur exécution. Et leur conclusion semble être la suivante : cette façade date
« selon toute probabilité de la seconde moitié du XIIe siècle. ».

Il nous faut d'abord définir ce que l'on appelle « préroman ». Certains auteurs affirment que ce mot ne devrait pas être cité puisque le mot « prégothique » n'a pas été défini. Mais il n'a pas été défini car la période ayant précédé la période gothique est la période romane. Celle-ci a été clairement définie : c'est le XIe et le XIIe siècles. Il existe donc une période précédente à la période romane. N'ayant pas d'autre mot à notre disposition, nous pourrions l'appeler « période préromane ». Par ailleurs, il faut bien comprendre qu'il existe une spécificité des styles. Ce qu'on définit comme étant un style est un ensemble d'éléments correspondants à un époque et à un peuple. Le style roman est différent du style gothique. Il est différent sur un grand nombre de points. Pas seulement en architecture mais aussi dans l'art, dans les techniques. Et les spécialistes sont capables d'identifier une statue gothique même si elle se trouve dans une église romane. Le style forme un tout très caractéristique. On pourrait comparer cela à l'idée qui s'est parfois répandue au XIXe siècle selon laquelle si, subitement, un animal ruminant devait être doté de canines de lion, il deviendrait carnivore. Il a été répondu que ce n'était pas possible car il faudrait qu'il soit aussi doté d'un appareil digestif de carnivore, d'un squelette de carnivore, etc.

En ce qui concerne ce décor d'apparence préromane, les auteurs semblent suggérer l'idée qu'il y aurait eu conservation de représentations préromanes dans un contexte roman : en pleine période romane, on continue à faire du préroman mais avec une meilleure technique. Cette idée nous semble en contradiction avec le fait que le style préroman forme un tout homogène. Dans toutes les images que nous allons voir, les représentations sont préromanes. Et surtout il n'y en a aucune de romane. Notre site Internet regorge de représentations romanes. Nous n'en avons aucune ici. Prenons le problème en sens inverse et imaginons que cette façade ait été faite à la fin du XIIe siècle. Qu'aurait demandé le curé ? Que l'on construise cette façade sur la base de canons esthétiques conçus 4 siècles auparavant et devenus incompréhensibles ?
À coup sûr, il aurait demandé des scènes historiées, des thèmes bibliques, des saints auréolés, et toutes sortes de représentations compréhensibles pour les gens de son époque.

Image 4. On reconnaît un faux décor d'arcatures lombardes. Il est possible que ce décor ait été plaqué sur des structures plus anciennes.

Image 5. Le portail Ouest entièrement conservé avec ses piédroits, chapiteaux, linteau, tympan et voussures. Certaines pièces comme le linteau décoré d'entrelacs dits
« carolingiens » nous apparaissent un peu neuves. Auraient-elles fait l'objet d'un remplacement ? Trois petits personnages sont représentés sur le tympan. Ils ne sont pas auréolés. Ils ont les bras levés comme des orants. Celui du milieu semble porter sur sa tête une dépouille d'ours. Serait-ce une représentation de l'image d'Hercule qui porte une dépouille de lion ? En tout cas, il est difficile d'accepter l'explication donnée ci-dessus : « Selon une interprétation, ces bas-reliefs représentent Moïse en train de prier lors de la bataille contre les Amallécites. »

Images 6 et 7 : Les deux images sont presque symétriques. La gueule de chacun des lions est striée comme pour des tatouages. Ils portent des serpents sur leur dos. Chacun des deux hommes porte une longue robe fermée à la taille par une longue ceinture dont les pans retombent. Celui de gauche a les bras baissés. Celui de droite a les bras levés dans l'attitude d'orant.

Images 8 et 9 : Diverses bêtes fantastiques aux corps striés de scarifications et à l'attitude menaçante. Là encore, ces scènes ne sont pas caractéristiques d'un art roman mais préroman. Nous n'en comprenons pas la signification.

Image 10 : Dans le tympan, décor de spirales avec en dessous deux animaux marins (dauphins ? murènes ?) entrelacés.

Image 11 : Décor d'entrelacs et de feuillages.

Image 12 : Linteau échancré (linteau de fenêtre). Il est décoré de lions.

Image 13 : Linteau échancré (linteau de fenêtre). Il est décoré d'orants aux bras levés. Remarque : il arrive parfois que des orants soient confondus avec des atlantes qui soutiennent un plafond. Ici ce n'est pas le cas : il n'y a pas de plafond !

Image 14 : Animaux fantastiques avec corps de lion et têtes à bec crochu. Nous ne pensons pas que ce sont des griffons.

Image 15 : Deux lions avec une sorte d'excroissance sur le corps : une aile ? Ou bien, comme on le voit sur certaines représentations, une tête de serpent ? À côté, à nouveau un orant.


Images de 16 à 20 : On découvre sur ces images une nef à trois vaisseaux charpentés, le vaisseau central étant surélevé par rapport aux collatéraux. De plus, ce vaisseau central est porté par des colonnes cylindriques. Enfin il n'y a pas de transept. Cela permet d'envisager que cette église est directement issue des premières basiliques paléochrétiennes.. Cette hypothèse doit cependant être fortement nuancée. Tout d'abord, les colonnes cylindriques des basiliques de l'antiquité tardive sont monolithes. Celles-ci ne le sont pas. Elles sont bâties avec des moellons de pierre parfaitement assemblés. Mais il y a plus ! Si on observe le plan de l'image 16, on s'aperçoit que les piliers ne sont pas disposés face à face. Il n'y a donc pas de symétrie dans ce plan. Or nous estimons que les premiers constructeurs, désireux de construire une église parfaite, ont imposé un plan symétrique. La distorsion que l'on constate pourrait donc être significative de plusieurs campagnes de travaux.

Image 21 : Ce serait le seul chapiteau décoré de cette église. Son décor (spirale, petit personnage) est, lui aussi, préroman.

Il reste à étudier le pavement qui nous semble très ancien mais un peu disparate et donnant au sol de l'église un aspect désordonné (image 22). Certains canevas semblent inspirés de mosaïques romaines de l'antiquité tardive ; une technique dénommée « opus sectile » ou encore « marquèterie de marbre » (images 22, 23, 24). Mais d'autres représentations comme des entrelacs (image 25), une plaque de marbre affichant trois orants (image 26) et des poissons (image 27) semblent postérieures à cette période.

La dispersion des carreaux de mosaïques dans cette église fait penser à une disposition presque semblable : celle des plaques ou stèles mortuaires qui pavent le sol de nombreuses chapelles. On y marche parfois dessus. Ces dalles ont été posées au XVIe ou XVIIe siècle. Certes, les panneaux de mosaïques que l'on a ici ne datent pas de cette période. Mais il est possible qu'ils étaient posés pour des situations analogues. Comme, par exemple, recouvrir des restes humains.


Datation

Nous avons ci-dessus mis l'accent sur l’attitude consistant à opposer archaïsme et habileté technique. Pour certains, le mot « archaïque » signifierait « grossier », « mal conçu ». Or le mot « archaïque » signifie « ancien ». Et un objet ancien peut avoir été fabriqué avec une haute technicité... pour l'époque de sa fabrication. Concernant cette église, les auteurs ont eu tendance à considérer, qu'au vu des thèmes employés qui étaient préromans (et donc archaïques), les œuvres réalisées ne pouvaient dater de cette période car elles avaient été fabriquées avec une grande technicité. L'argument ne tient pas car nous avons eu l'occasion de rencontrer des œuvres préromanes d'une très haute technicité (orfèvrerie barbare, miniatures irlandaises, sculptures de Quintanilla de las Vinas, San Pedro de la Nave ou Saint Vital de Ravenne). Une remarque pourtant : cette virtuosité concernerait surtout des œuvres à destination de la haute aristocratie. C'est-à-dire un petit groupe de personnes capables de financer la fabrication d’œuvres exigeant de nombreuses heures de travail. Les œuvres de qualité présentes dans cette église Saint-Cassien font envisager qu'il en a été ainsi pour cette église : elle aurait été conçue et financée par des gens riches et puissants.

Cette église mériterait un examen plus détaillé que celui que nous venons de faire. Il nous semble que, outre son ancienneté, elle a dû être construite par et pour un peuple particulier, ou pour des adeptes d'une religion particulière. Nous pensons que ce peuple pourrait être les Lombards, et aux débuts de leur conversion au culte romain.

Datation envisagée pour l'église Saint-Cassien de San Cassiano di Controne : an 700 avec un écart de 150 ans.