La cathédrale de Monreale  

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Nous avons effectué une visite rapide de cette église en février 2005. La plupart des images de cette page ont été réalisées lors de cette visite.

Cette église a fait l'objet d'une description détaillée écrite par Giovanella Cassata et Gabriella Costantino, chargées de mission auprès de la Soprintendenza ai Bieni Artistici de Palerme dans l'ouvrage Sicile Romane de la collection Zodiaque. Nous en reproduisons ici des extraits :

« Histoire : À quelques kilomètres de Palerme, la cathédrale de Monreale, que l'on a pu baptiser“ la plus belle cathédrale du monde ” faisait partie d'un ensemble plus vaste résultant d'une fondation royale et composé de trois corps différents : Église, monastère et palais royal.

On doit cet ensemble au jeune roi Guillaume II “le Bon”, qui, monté sur le trône, fit à sa majorité, en 1172, commencer la construction de l'église, l'envisageant comme un tout avec le monastère et le palais royal (ici, traduction d'une phrase : “ édifié au début de notre règne à nos dépens et par notre labeur ”).

Dans cette phrase tirée d'un diplôme chrysobullon
(sic ; chrysobulle : édit solennel d'un empereur byzantin) du roi, le mot regiminis veut indiquer le gouvernement du roi après les années de régence. La rapidité avec laquelle fut réalisée une œuvre architecturale aussi puissante, si bien qu'elle était terminée en 1185, est due à la ferme volonté du jeune roi qui, à peine émancipé, désireux d'égaler et même de surpasser la gloire de son grand-père Roger II, parvint à mener l'œuvre à son terme en si peu de temps. La nouvelle église, qui devait marquer également l'exaltation théocratique du nouveau gouvernement, se posait en rivale de celle que, à la même époque on construisait à Palerme selon la volonté de l'évêque Gautier. D'après une ancienne légende, ce fut la Vierge elle-même qui apparut en songe au roi, […] et l'exhorta à construire une église en son honneur après lui avoir révélé l'emplacement du trésor caché par son père. Effectivement, au mois d'août 1176, le roi dédia l'église à la Vierge en son Assomption, et, comme il ressort du diplôme de 1176, prodigua privilèges et biens aux moines bénédictions qu'il avait fait venir de Cava dei Tirreni avec l'abbé Théobald devenu presque aussitôt évêque.

En 1183, le pape Lucius III éleva Monreale à la dignité de siège archiépiscopal par la bulle Licet Dominus où l'église apparaît déjà terminée. En 1185, on plaça au portail principal la porte en bronze, œuvre de Bonanno da Pisa. En 1190, fut installée au portail de la nef Nord la porte en bronze de Barisono da Trani. En 1257, la cardinal Rodolphe, évêque d'Albano, au nom du pape Clément IV, consacra l'église à la Vierge en sa Nativité. »

Ce texte nous apporte des renseignements d'un grand intérêt. Nous l'étudierons plus attentivement à la fin de cette page.


Lorsque nous avons visité la Sicile en février 2005, nous avons été impressionnés par le décor des chevets des cathédrales de Palerme, Monreale et Cefalù (images 1, 2 et 3 pour Monreale). Il y avait en particulier ces disques de mosaïques polychromes insérés dans les façades (images 7, 8, 9 , 10, 11). Nous n'avions pas eu l'occasion de voir auparavant des décors semblables. Et, hormis le décor qui orne le chevet de l'église Santa Maria del Pattire à Rossano, en Calabre, nous n'avons pas eu l'occasion d'en revoir ailleurs. Il y a certes aussi le décor polychrome du clocher de Melfi en Basilicate, mais le cadre est nettement différent.

En conséquence de ces observations, nous avions estimé que ce décor était spécifique à la Sicile, avec peut-être une origine ailleurs (exemple : la Campanie). Compte tenu de son caractère « géométrique », nous avons alors pensé que ce décor non figuratif pouvait être d'inspiration musulmane. Et comme la présence arabe en Sicile s’éteint après l'an 1100, nous avons alors envisagé une ancienneté de ce décor (c'est-à-dire avant l'an 1100). Nous avons depuis constaté d'une part que certains éléments ne pouvaient être attribués à une influence arabe (aigle impérial de l'image 7, croix de Malte ou templière des images 8 et 11) et d'autre part, que ce chevet pouvait être postérieur au XIe siècle. Nous pensons à présent que ce décor doit dater du XIIIe siècle. Et qu'il n'a pas été influencé par l'art arabe. Ce qui n'enlève en rien à son cachet.


Passons à présent à la description des scènes d’une porte de bronze (portail Ouest).

Image 12 : Détail de la porte de bronze du portail Ouest.

Image 13 : Détail de la porte de bronze du portail Ouest ; partie basse du portail de gauche : lion et griffon.

Image 14 : Détail de la porte de bronze du portail Ouest ; partie basse du portail de droite : lion et griffon.

Image 15. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : création d'Adam.

Image 16. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : création d'Ève à partir d'une côte d'Adam.

Image 17. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : le Péché Originel.

Image 18. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : après le Péché Originel, Adam et Ève prennent conscience de leur nudité.


Image 19. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Adam et Ève condamés à travailler.

Image 20. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : naissance de Caïn et Abel.

Image 21. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : sacrifice de Caïn et Abel.

Image 22. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : meurtre d'Abel.

Image 23. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Noé et son arche.

Image 24. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : ivresse de Noé.


Image 25. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Moïse et Aaron.

Image 26. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : L'Annonciation.

Image 27. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Visitation.

Image 28. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : L'Annonce aux Bergers.

Image 29. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Les Rois Mages.

Image 30. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Les Saints Innocents.


Image 31.Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Fuite en Égypte.

Image 32. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Présentation au Temple.

Image 33. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Le Baptême du Christ.

Image 34. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Tentation.

Image 35. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Résurrection de Lazare.

Image 36. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : L'entrée dans Jérusalem.


Image 37. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Sainte Cène.

Image 38. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : L’Arrestation au Jardin des Oliviers.

Image 39. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : La Crucifixion.

Image 40. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Le Christ et Saint Thomas.

Image 41. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : L'Ascension.

Image 42. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : L'Entrée au Paradis.

Image 43. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Au Ciel.

Image 44. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Christ en Gloire.

Image 45. Détail de la porte de bronze du portail Ouest : Christ siégeant dans le Ciel.

Cette succession d’images d’assez mauvaise qualité peut paraître longue, fastidieuse et sans grand intérêt. Elle permet cependant de nous mettre dans l'ambiance de l'époque. Cette époque serait selon nous le XIIe siècle. Nous pensons qu'au cours du XIIe siècle, il y a eu une volonté d'évangélisation des foules par la présentation des grandes histoires bibliques ou de vies de saints. Alors que durant les siècles précédents, les scènes apparaissaient incompréhensibles, voire même horribles, elles deviennent plus lisibles. Ce qui peut se révéler intéressant pour des datations. En général, ces scènes sont placées à l'entrée des sanctuaires : les tympans ou, comme ici, les portes en bronze. On peut les voir aussi à l'intérieur sur des fresques ou des mosaïques. Puis, au XIIIe siècle, sur des vitraux.

Nous pensons que les thèmes rapportés sont aussi représentatifs d'une période ; les scènes représentées sur un sarcophage paléochrétien ne sont pas les mêmes que celles de cette porte de bronze ou des mosaïques de l'église.

Nous pensons que, concernant les scènes représentées à Monreale, l'insistance est portée sur le mal et le péché.

Ainsi, pour les portes de bronze, trois panneaux concernent le Péché Originel et trois autres l'épisode de Caïn et Abel (Caïn tue son frère Abel). Au cours de de cette période (2e moitié du XIIe siècle), la réflexion sur le mal, le péché et le pardon semble avoir pris plus d'importance avec l'invention du Purgatoire.


Passons à présent à l'étude de l'église.

Le plan de l'image 46 permet d'identifier dans cette église plusieurs plusieurs corps de bâtiment apparemment distincts. De gauche à droite, il y a d'abord l'ouvrage Ouest, formé des deux clochers et du porche qui les relie (image 4), puis la nef (images 47, 48 et 49), et enfin le transept et le chevet (images 50, 51 et 52). L'image 6 qui visualise la nef à gauche et le transept à droite permet de confirmer ce que laissait entrevoir le plan : la nef et le transept sont bien distincts.

Les principaux éléments qui caractérisent cet édifice sont les suivants :

1. Sa nef est formée de trois vaisseaux charpentés.

2. Le vaisseau central est porté par des piliers cylindriques de type C0000.

3. Les arcs reliant les piliers sont à un seul rouleau, mais brisés.

4. Il n'y a pas de galerie au-dessus des collatéraux (à l'inverse des grandes églises des Pouilles ou des premières églises gothiques).

5. On constate cependant une très grande largeur du vaisseau principal de la nef. Si l'échelle donnée en référence est exacte, cette largeur serait de l'ordre de 14 mètres. Nous estimons que cette dimension constitue un maximum (maximum que nous avions précédemment estimé de 12, 5 mètres ; il faut trouver les arbres permettant de telles dimensions, non seulement en longueur mais aussi en section).


Le transept haut et débordant fait partie selon nous d'un deuxième programme de construction.

Revenons à présent au texte de Mmes Giovanella Cassata et Gabriella Costantino : «  On doit cet ensemble au jeune roi Guillaume II “le Bon”, qui, monté sur le trône, fit à sa majorité, en 1172, commencer la construction de l'église, [...] La rapidité avec laquelle fut réalisée une œuvre architecturale aussi puissante, si bien qu'elle était terminée en 1185, est due à la ferme volonté du jeune roi qui, à peine émancipé, désireux d'égaler et même de surpasser la gloire de son grand-père Roger II, parvint à mener l'œuvre à son terme en si peu de temps. »

Nous venons de dire que le bâtiment était formé de trois corps bien distincts. Voire même quatre si l'on tient compte du fait que le décor extérieur du chevet est différent de celui du transept. Par ailleurs, nous estimons qu'il doit y avoir un écart minimum de 40 ans entre deux campagnes différentes de travaux. Prenons l'exemple de Guillaume II et supposons qu'il a bien démarré les travaux qu'il comptait entreprendre en 1172. Il a donc confié à un architecte la mission d'établir les plans. Une fois ceux-ci faits, il a commencé la construction de l'église par la nef. Celle-ci étant entièrement achevée, il a fait changer tous les plans pour construire un transept plus grand et plus beau. Et la cathédrale (y compris l'ouvrage Ouest) a été terminée en 1185. C'est-à-dire 13 après les débuts du projet. Disons-le tout de suite : même à notre époque de perpétuels changements, on ne fait pas cela. Lorsqu'un projet est lancé, on le mène à son terme sans changer les plans en cours de réalisation. Que se serait-il passé selon nous ? Une réalisation en deux étapes. Dans une première étape, l'église est construite dans son ensemble, nef et chœur. Dans une seconde étape, qui a peut-être eu lieu un siècle après, le roi Guillaume II, estimant que cette église, où il n'y a pas de transept, n'est pas suffisante pour accueillir un évêque digne de ce nom, détruit l'ancien chœur et construit à sa place un transept et un chevet.

Cette thèse entre en contradiction avec le texte de Mmes Giovanella Cassata et Gabriella Costantino qui se basent sur des documents historiques. Mais il nous faut redire ce que nous avons répété à plusieurs reprises : tout document historique n'est pas forcément vrai : il peut y avoir des mensonges historiques. Il peut surtout y avoir des surinterprétations de documents historiques. Et c'est sans doute le cas ici. Lorsque Guillaume II affirme : « j'ai fait tout cela », sans préciser ce qu'il a fait exactement, il s'adresse à des interlocuteurs qui ont assisté à toutes les constructions et qui savent ce qu'il a fait et ce qu'il n'a pas fait. Lorsque le même texte est lu 800 ans plus tard, il est interprété c comme étant « j'ai tout fait ». C'est-à-dire, dans le cas présent, toute l'église, tout le monastère (dont le cloître), tout le palais royal ... et ce, en 13 ans.

Il s'agit certes de notre interprétation ... qui peut ne pas être fondée. Nous avons cependant un argument solide lié à l'image 56 : La mosaïque de l'arc triomphal intitulée « Guillaume II offrant la cathédrale à la Vierge ».

Il faut d'abord décrire l'objet que Guillaume II présente à la Vierge : c'est un chef-d’œuvre. Il ne faut pas comprendre cette expression de « chef-d’œuvre » dans son sens actuel mais dans le sens qu'il devait avoir à l'origine : la tête de l’œuvre, la destination finale de l’œuvre. Ce que tient Guillaume, c'est une maquette de l’œuvre qu'il compte faire. Cette maquette ce n'est pas lui qui l'a réalisée, mais le maître d’œuvre qu'il a choisi. Le maître d’œuvre a présenté sa maquette qui a été étudiée par le roi et ses conseillers. Puis, les éventuelles corrections ayant été faites, le roi a présenté la maquette à la Vierge, à qui l’œuvre est destinée. C'est la scène que l'on voit ici.

Et donc on a ici la maquette de la construction de Guillaume II. En quoi cette maquette correspond-elle à l'église actuelle ? Si on se rapporte à l'image 6 de la façade Sud, cela correspondrait à la partie de droite. C'est-à-dire, le transept et le chevet. Avec cependant des modifications. Il était prévu une tour-lanterne au-dessus de la croisée du transept.


Les autres mosaïques

L'histoire de Noé est représentée sur plusieurs mosaïques. Sur quatre d'entre elles, il est représenté avec son arche (images 53 et 54 pour deux d’entre elles) . On remarque la forme de l'arche à poupe et proue recourbées. L'arche s’apparente au bateau des vikings. On parle beaucoup de la conquête du Sud de l'Italie et de la Sicile par les normands. Mais c'est la première fois que nous voyons une figure susceptible de témoigner de la présence de ces normands.


Le cloître est certainement un des plus beaux cloîtres d'Europe (images 58 et 59). Nous ne le décrirons cependant pas. D'une part, nous ne disposons pas de suffisamment de photographies permettant d'apprécier la richesse et la variété des représentations. D'autre part, nous le considérons comme postérieur à l'église. Il daterait du XIIIe siècle et serait donc hors de notre cadre d'étude.

Nous notons cependant quelques thèmes typiquement romans. Ainsi, la sirène à deux queues (image 60), le taureau et l'aigle (débuts d'un tétramorphe ? image 60), le sphinx (image 62), les pampres de vigne (image 63).


Problème apparemment anodin

Revenons au texte initial dont voici des extraits : « [...] La nouvelle église, qui devait marquer également l'exaltation théocratique du nouveau gouvernement, se posait en rivale de celle que, à la même époque on construisait à Palerme selon la volonté de l'évêque Gautier. Effectivement, au mois d'août 1176, le roi dédia l'église à la Vierge en son Assomption, et, comme il ressort du diplôme de 1176, prodigua privilèges et biens aux moines bénédictions qu'il avait fait venir de Cava dei Tirreni avec l'abbé Théobald, devenu presque aussitôt évêque.

En 1183, le pape Lucius III éleva Monreale à la dignité de siège archiépiscopal
[...] En 1257, la cardinal Rodolphe, évêque d'Albano, au nom du pape Clément IV, consacra l'église à la Vierge en sa Nativité. »

Cette succession d'informations semble tout à fait anodine. En fait la dédicace à Notre Dame de l'Assomption est révélatrice de tensions. Nous avons constaté que de nombreux évêchés étaient dédiés à Notre Dame en son Assomption. Et nous avons donné l'interprétation suivante. Dans l 'Église Catholique, les évêques sont considérés comme successeurs des apôtres. Ils reconnaissent la priorité de Pierre, fondateur de l 'Église de Rome. Pour les évêques des autres Églises, cette primauté de Pierre n'est pas reconnue. Ils estiment qu'au moment de l'Assomption de la Vierge, tous les évêques étaient sur le même plan. Aux environs de l'an mille, la situation s'est cristallisée : rois, empereurs, papes et évêques se sont prononcés sur le sujet. Avec, bien sûr au cours du temps, des « retournements de veste ». Nous avons déjà vu dans le cas de Cefalù que le roi Roger II s'était probablement placé du côté du pape en permettant aux évêques de Messine et Palerme de devenir archevêques, sans doute pour mieux contrôler l'ensemble des évêchés. Pour Guillaume II, ce serait le contraire. Il aurait cherché à diminuer l'importance de l'archevêque de Palerme, mais aussi du pape, en créant un évêché dédié à Notre-Dame de l'Assomption et donc autonome par rapport au pape de Rome. Celui-ci aurait sans doute cédé sous la menace. Mais moins d'un siècle plus tard, par sa dédicace à Notre Dame de la Nativité, Monreale serait redevenue sous le giton de Rome.


Datation envisagée

Pour la nef de la cathédrale de Monreale : an 1075 avec un écart de 75 ans.

Pour le transept et le chevet de la cathédrale de Monreale : an 1100 avec un écart de 25 ans.