La chapelle palatine de Palerme
Nous avons effectué une visite rapide
de cette chapelle en février 2005, c'est-à-dire bien avant
l'écriture des pages de ce site à partir de janvier 2016. La
majeure partie des images de cette page a été prise lors de
cette visite.
Cet édifice a fait l'objet d'une description détaillée
écrite par Gabriella Costantino, chargée de mission auprès
de la Soprintendenza ai Bieni Artistici de Palerme dans
l'ouvrage Sicile
Romane de la collection Zodiaque.
Nous en reproduisons ici des extraits :
« Histoire : C'est à
l'année même du couronnement de Roger II, c'est-à-dire en
1130, que l'on fait remonter la construction de la
chapelle palatine voulue par le roi. Construite
initialement comme oratoire privé du palais royal, pour
remplacer, selon certains archéologues, la chapelle Sainte
Marie de Jérusalem, élevée jadis à l'intérieur du palais
par Robert Guiscard, elle fut dédiée à l'apôtre Pierre. Le
véritable diplôme de fondation fait défaut ; celui qui
porte la date du 28 avril 1140 concerne en fait la
consécration de la chapelle palatine devenue du reste
paroisse dès 1132.
Quant aux mosaïques décorant la chapelle, on suppose que
si l'achèvement du cycle occupant le sanctuaire doit être
daté de 1143, année ou fut mise en place l'inscription en
grec à la base de la coupole, celui des nefs est
postérieur. Romualdo Salernitano (de Salerne) l'attribue à
Guillaume Ier, dit le Mauvais, ainsi que
l'achèvement du plafond. Dans une homélie de Trofane
Ceranico, que l'on peut dater d'entre 1143 et 1149, les
murs de la chapelle sont dits “parés de draps de soie”,
donc pas encore ornés de mosaïques. [...] On
peut toutefois affirmer que l'architecture et le décor de
mosaïques de la chapelle furent tous deux réalisés sous le
règne des Normands. »
Remarque :
Robert Guiscard aurait pris aux musulmans la ville de
Palerme en 1072. Il serait mort vers 1085. Roger II a été
couronné roii de Sicile en 1130. Il est mort en 1154.
Guillaume Ier est le second roi normand de
Sicile, de 1154 à 1166.
Cette chapelle a la particularité d'être
invisible de l’extérieur car elle est entièrement entourée
par les constructions ultérieures du palais des Normands (images 1, 2 et 3).
Cependant, les vues par satellite permettent de la repérer
au sein de ce palais (images
4 et 5).
Les principaux éléments qui caractérisent cet édifice sont
les suivants :
1. Sa nef est formée de trois vaisseaux charpentés.
2. Le vaisseau central est porté par des piliers
cylindriques de type C0000.
3. Les arcs reliant les piliers sont à un seul rouleau. Il
faut cependant noter que ces arcs sont surhaussés et brisés
(images 11 et 22).
On pense ici à une influence arabe, ou peut-être
méditerranéenne. Il est possible en effet que l'arc brisé
ait été inventé par les mozarabes issus des wisigoths
d'Espagne.
4. Il n'y a pas de galerie au-dessus des collatéraux.
5. Il existe un transept non débordant. Une coupole est
installée sur la croisée de ce transept.
6. Le plan de cette chapelle est celui d'une nef à trois
vaisseaux avec trois absides en prolongement de ces
vaisseaux.
D’habitude, à partir des diverses
constatations que nous venons de faire, nous concluons à une
datation aux alentours de l'an 800 (an 800 avec un écart de
200 ans). Bien sûr, nous n'incluons pas les mosaïques dans
cette datation. Nous avons en effet constaté que, pour des
églises situées dans les pays situés plus au Nord, à partir
de l'an mille le voûtement devient systématique. Cela semble
un peu moins vrai au Sud de l'Europe. De plus, la présence
d'arcs brisés fait retarder quelque peu les datations. La
présence d'un transept signifie aussi une date plus tardive.
Faut-il pour autant envisager une construction par Robert II
dès le début de son règne, en 1130, comme nous l'apprend
Madame Costantina ? Cette dame nous donne une information
importante : « Construite
initialement comme oratoire privé du palais royal, pour
remplacer, selon certains archéologues, la chapelle Sainte
Marie de Jérusalem, élevée jadis à l'intérieur du palais
par Robert Guiscard, elle fut dédiée à l'apôtre Pierre.
» . Bien qu'elle émette des réserves en ajoutant
l'expression « selon
certains archéologues », la précision qu'elle
apporte, « chapelle
Sainte Marie de Jérusalem » ne semble pas
totalement inventée et permet d'envisager qu'il y avait à
l'intérieur du palais une chapelle. Il nous semble important
de savoir ce qu'est devenue cette chapelle. Selon Mme
Costantina, elle aurait été remplacée par l'actuelle
chapelle. Nous somme là en présence d'une affirmation à la
fois logique et hors du réel. Logique parce qu'il est tout à
fait logique qu'un immeuble puisse être démoli cinquante ans
après sa construction pour être remplacé par un autre
immeuble. C'est logique ! Mais ça ne se fait pas. Surtout
quand il s'agit d'une église. Car la construction d'une
église a mobilisé toute une communauté qui s'est énormément
investie sur le projet et seulement cinquante ans plus tard,
les héritiers des membres de cette communauté ne veulent pas
voir cet héritage détruit. Ils accepteraient sans doute si
la nouvelle église était construite ailleurs … et si c'était
quelqu'un d'autre qui paie ! Or ici ce n'est pas le cas.
L'église qui construite par Robert Guiscard aurait été
remplacée cinquante ans plus tard par une autre construite
par Robert II. Cela nous semble impossible. Et si elle n'a
pas été remplacée, où sont donc les restes de cette première
église? Comme on le voit, cette information suscite plus de
questions qu'elle n'apporte de réponses à une situation
concrète.
En conséquence et sauf nouvelles informations
contradictoires, l'année 1130 proposée par les spécialistes
pour la construction de la chapelle Saint-Pierre, semble
être de pure circonstance. Entre la brute, Robert Guiscard,
le truand, Guillaume le Mauvais, il y a le bon, Roger II. Le
seul qui ait pu construire cette chapelle ne peut être que
lui.
Sans doute à la suite d'autres auteurs,
Madame Costantina affirme que l'ensemble des mosaïques a été
réalisé sous le règne des rois Normands ; pour certaines
d'entre elles, après 1149. Nous en sommes moins certains. La
Vierge représentée sur la mosaïque de l'image
8 a un très beau visage agrémenté d'ombres et de
lumières. Une belle œuvre … du XVIe ou XVIIe
siècle. Tout ne date pas du règne des Normands. Certaines
œuvres existaient peut être auparavant mais elles ont été
profondément restaurées.
La mosaïque que nous estimons la plus ancienne est celle qui
décore la coupole (image
12). C'est assez surprenant. Car, selon nous, la
coupole est l'ouvrage le plus important qui est fait en
dernier, parfois plusieurs siècles après l'achèvement de
l'église. Mais il y a peut-être une explication. Sur une
église construite auparavant, on décide de construire une
coupole de croisée. Et, dans la foulée, on la pare de
mosaïques. Plus tard, on pare de mosaïques le reste de
l'église. Tout cela doit cependant être vérifié sur place
par une analyse plus scrupuleuse que celle que nous faisons.
Plusieurs de ces mosaïques pourraient être l'objet d'études
plus fines. Par exemple, celles concernant la Création (images 16 et 17) à
cause du symbolisme attaché aux représentations (Ciel
représenté par un disque circulaire avec séparation des
eaux, la Terre est un autre disque circulaire).
Dans les pages précédentes, nous avons eu l'occasion de voir
comme ici l'arche de Noé sous forme d'un drakkar viking (image 18).
Nous avons voulu mettre en parallèle les images
19 et 20. Commençons par l'image
20. On y voit tout d'abord un petit bâtiment à
coupole hémisphérique posée sur quatre colonnes. Il fait
immédiatement penser à la Cubula étudiée dans une des pages
suivantes. Mais ce n'est pas là l'objet principal de la
scène. Cet objet principal, c'est le baptême de Saint Paul.
Celui-ci est plongé presque en entier dans une cuve
hémisphérique. Il existe d'autres représentations dans
lesquelles l'homme nu est debout dans la cuve, le corps
émergeant nettement de la cuve. Il est possible que dans ces
cas, le rite soit un peu différent. Il est aussi possible
que cela vienne des dimensions de la cuve, trop petite pour
accueillir le corps en entier.
Passons à présent à l'image
19 : le baptême du Christ. Et là on constate
qu'il n'y a pas de cuve. Le corps du Christ est immergé sans
pour autant qu'il y ait un contenant entourant cette eau :
une sorte de colonne d'eau. Le Christ n'est d'ailleurs pas
le seul immergé. On distingue au milieu de cette eau une
tête humaine et un corps humain de tailles nettement
réduites. Il y a là un fort symbole chrétien. L'eau est
symbole à la fois de mort et de résurrection. Le Christ,
maître des Eaux, est là pour libérer les hommes de la Mort.
Cela explique cette image du Christ à l'intérieur d'une
colonne d'eau que nous avons retrouvée précédemment dans
plusieurs églises de Sicile (Cefalù, Monreale).
Les
deux salles non localisées
Au cours de notre visite, nous avons eu la surprise de
découvrir deux salles (images
23 et 24 pour la première, images
29 et 30 pour la seconde). Les mosaïques de ces
deux salles n'étaient pas décrites dans le livre Sicile
Romane. Elles ne le sont pas non plus dans le Guide
Vert de Sicile qui, par contre, est très
descriptif en ce qui concerne la chapelle palatine. Nous ne
les avons pas non plus vues sur divers sites Internet. L'un
d'entre eux présente des images d'une autre salle : la
chapelle inférieure, repérable sur le plan de l'image
22 (nous n'avons pas reproduit des images de cette
chapelle inférieure, estimant que cela n'apporterait pas
grand chose à la réflexion). Nous ne savons donc pas où se
trouvent ces deux salles et quels étaient leurs usages.
Toutes deux sont à plan carré.
Le décor en mosaïques de ces salles est surprenant, tout à
fait différent de celui de la chapelle. On retrouve dans ce
décor un motif que nous avons repéré un grand nombre de fois
sur ce site et que nous avons appelé : les « oiseaux au
canthare ». Pourquoi ce nom ? Parce que le motif d'origine
était probablement constitué par deux oiseaux (souvent des
oies ou des canards) disposés symétriquement par rapport à
un vase à libations. Les oiseaux devaient être interprétés
comme messagers du Ciel, le vin contenu dans le canthare,
comme source de vie. Le modèle primitif sans doute issu de
croyances païennes, est présent dans les mosaïques romaines.
Mais on le retrouve encore dans des chapiteaux romans. Il a
été développé pendant plus de mille ans. Et a donné
naissance à de multiples variantes : le canthare est devenu
un calice, ou un arbre (arbre de Vie), ou une croix. Les
oies qui encadraient le canthare sont devenues des paons, ou
des phénix, ou des hybrides d'oiseaux, ou encore des
mammifères. L'interprétation a dû changer au cours des
siècles. Et parfois, le symbole qui était attaché à ces
représentations a disparu, celles-ci devenant de simples
décors dépourvus de signification.
Est-ce le cas en ce qui concerne ces mosaïques ?
Image 25 : Deux
canards disposés symétriquement encadrent une scène dans
laquelle on voit deux oiseaux au corps bleu (des phénix ?)
disposés aussi symétriquement et encadrant un palmier.
Image 26 : Deux
lions disposés symétriquement encadrent une scène dans
laquelle on voit deux archers décochant une flèche en
direction d'un palmier.
Image 27 : Même
scène que celle de l'image
25 mais cette fois-ci, les canards sont devenus
des oies et les phénix, des paons.
Image 28 : Même
scène que celle de l'image
26 mais cette fois-ci, les lions sont devenus des
panthères.
Nous ne comprenons pas la scène des archers tirant en
direction de l'arbre. Peur-être existe-t-il des oiseaux à
l'intérieur de l'arbre mais ils ne sont pas clairement
identifiables.
La salle suivante est un peu différente
: les mosaïques décorent le mur et le plafond.
Image 29. Sur la
paroi de cette salle, la scène des « oiseaux au canthare »
est reproduite 6 fois. Dans la bande supérieure, on la
repère trois fois en imbrication.
Il y a d'abord l'arbre de vie encadré par des cerfs. À
l'origine, nous pensions que ce thème pouvait être purement
décoratif. Mais on le retrouve en Tunisie sur des mosaïques
de baptistères chrétiens datant de l'antiquité tardive. Il
doit donc y avoir une sens attaché à la présence de ces deux
cerfs.
Mais cette scène est à son tour encadrée par deux archers.
Là encore, il doit y avoir un sens car ce sont les deux
mêmes archers que ceux de la salle précédente.
Enfin la scène précédente est encadrée par deux chiens qui
courent.
Au milieu de la partie inférieure, deux lions encadrent un
palmier.
À gauche, ce sont deux oies qui encadrent un arbre stylisé.
À droite, ce sont deux paons qui encadrent un arbre stylisé
fleuri (scène détaillée sur l'image
32).
Image 30 : Dans
la partie supérieure, deux centaures encadrent un palmier.
Le centaure est présent dans une des religions romaines. Son
image a été conservée jusqu'à nos jours dans le sagittaire
du zodiaque.
Dans la partie inférieure, l'arbre de vie est entouré par
deux guépards, encadrés à leur tour par deux paons leur
tournant le dos. Cette scène a-t-elle une signification ?
Image 31 : Un
palmier encadré par deux paons.
Image 33 : Le
plafond de cette salle installé sur une base carrée est
décoré d'une mosaïque à plan octogonal. Au centre , un
médaillon est orné d'un aigle couronné. Sur le pourtour, en
alternance, des lions et des griffons. En apparence, cela ne
semble être qu'un pur décor. Mais on peut voir sur notre
site au moins un sarcophage romain sur lequel sont
représentés un lion et un sphinx. En conséquence, la
présence sur une même mosaïque de sphinx et de lions n'est
peut-être pas le fait du simple hasard.
Datation
envisagée pour la chapelle palatine de Palerme
Les diverses constatations que nous avons faites sur
l'architecture de cet édifice entrent en contradiction avec
la date de 1130 de début de construction proposée par divers
spécialistes. Nous pensons que dans le cas présent, le récit
historique crée un blocage au niveau de la réflexion.
Sachant que la ville de Palerme a été prise aux musulmans
par Robert Guiscard en 1072, on en déduit qu'avant 1072, la
ville de Palerme était musulmane. Et donc elle n'était pas
chrétienne. Et donc il n'y avait pas d'église à Palerme. En
fait, un tel raisonnement constamment déductif se heurte à
un constat : de tout temps, les villes, et plus
particulièrement les ports, ont été cosmopolites. Et cela
semble encore plus vrai en ce qui concerne le premier
millénaire. En 1072, il devait y avoir à Palerme un ou
plusieurs quartiers chrétiens. Ces quartiers devaient avoir
leurs propres églises. Il est même possible que le Palais
des Normands soit situé à l'emplacement d'un château
chrétien, les musulmans ayant leur propre château dans un
autre quartier.
En conséquence, nous estimons possible que la chapelle
palatine ait été construite avant la venue des Normands.
Nous envisageons donc la datation suivante : an 1050 avec un
écart de 75 ans.
Datation envisagée
pour les mosaïques du palais Normand de Palerme : an 1150
avec un écart de 50 ans.
Datation envisagée
pour les deux salles du palais Normand de Palerme :
Nous venons de voir que les mosaïques de ces deux salles
sont, par les thèmes représentés, plus proches de
l'antiquité que du moyen-âge. Il est cependant difficile de
répondre à la question de datation. Ces mosaïques peuvent
avoir été récupérées sur un monument antique ou recopiées au
cours du moyen-âge à partir d'un modèle antique. On a
tendance à s'imaginer que la période de la Renaissance n'a
duré que pendant le XVIe siècle. En fait, il
semblerait que les périodes de renaissance,
c'est-à-dire de retour à un passé romain plus ou moins
idéalisé, semblent s'être reproduites tout au long des
siècles, plus particulièrement en Italie.
Nous ne pouvons proposer de datation de ces deux salles.