L’abbaye Sainte-Marie de Quarante 

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On est accueilli à l’abbatiale Sainte-Marie de Quarante par un panneau explicatif dont voici une partie du contenu :

« L’existence d’une église est assurée en 902 : communauté de chanoines réguliers à la fin du Xe siècle. Consécration d’une église en 982 par Ermengaud, archevêque de Narbonne. Dans une large mesure les murs des bas-côtés font partie de cette église.

Consécration de l’église actuelle en 1053 par Guifred, archevêque de Narbonne. Cet édifice, précieux témoin du « premier art roman » en Languedoc (œuvre de maçons lombards) plus ancien que Saint-Guilhem-le-Désert est tout dépouillement et austérité.…
»

En résumé, selon ce panonceau, une église existait en 902, une église est consacrée en 982. Il en reste les murs actuels des bas-côtés. L’église actuelle est consacrée en 1053.


De telles explications satisfont certainement le profane. Mais beaucoup moins les amateurs d’art et d’histoire du Haut Moyen-Âge qui commencent à envisager que cette période a été beaucoup plus féconde que ce que l’on croyait auparavant.

A la lecture de ce texte, nous nous posons toute une série de questions : Qu’est devenue l’église citée en 902 ? Détruite ? Mais où sont les traces de cette destruction ? A-t-on fait des fouilles? Concernant l’église consacrée en 982, on nous dit que les murs actuels des bas-côtés font partie de cette église. Mais alors quel était le plan de cette église ? Et si, comme c’est probable, c’est celui de l’église actuelle, pourquoi dire qu’elle date de 1053 et non de 982 ce qui nous semblerait plus logique ?

Fort heureusement, une réponse partielle nous a été donnée dans le blog que nous vous conseillons de consulter, créé par Joël Roure. Il s’agit d’une très agréable restitution en 3D obtenue grâce à un relevé de fouilles probablement effectuées peu avant 1900. Les fouilles auraient permis de retrouver les fondations d’une villa romaine ainsi que plusieurs sarcophages. La restitution permet d’imaginer les bâtiments tels qu’ils devaient être en élévation. Cependant cette vidéo se révèle parfois insuffisante ou dépourvue d’explications. Ainsi nous avons durant un certain temps cru qu’un parchemin antique avait été découvert à l’intérieur du sarcophage des 5 martyrs. Il n’en était rien. En fait, ce parchemin, écrit en latin, a été déposé là en1900 lors d’une cérémonie de consécration après la découverte des restes. De même, il aurait été souhaitable que Joël Roure fasse une restitution en 3 D des diverses édifices religieux qui se seraient succédés (au VIesiècle puis à la fin du Xesiècle, puis au XIesiècle), comme il l’a fait pour la villa romaine ou le mausolée romain.

Il reste que ce blog permet d’imaginer quel peut être le résultat des fouilles de la fin du XIXesiècle. Nous n’avons pas eu le temps de rechercher et d’étudier dans le détail le relevé de ces fouilles.


Le plan de l'image 1 qui était associé au panneau d'explications en est le reflet. La partie la plus ancienne actuellement visible est constituée des murs extérieurs des bas-côtés (en trait grisé sur le plan). Ce serait la partie préromane datée de 982. Selon le blog de Joël Roure, cette partie aurait été terminée par une abside semi-circulaire appuyée sur les murs gouttereaux (grisés) de l'église préromane. Le diamètre de cette abside serait donc égal à la largeur de l’église préromane. Cette abside aurait été retrouvée lors des fouilles.

Les parties en noir seraient postérieures à 982 et antérieures à la consécration de 1053.

De nombreuses questions méritent d’être posées au sujet de ce plan et des photographies de l’édifice. Considérons l’édifice dit « préroman » de 982, dont il resterait seulement les murs extérieurs. Les explications du panneau tout comme la restitution en 3D de Joël Roure laissent penser que cet édifice ait été à nef unique. Or il devait être recouvert, soit d’une voûte en berceau, soit d’un toit en charpente. Dans un cas comme dans l’autre, l’hypothèse est difficilement envisageable compte tenu de la très grande distance entre les deux murs gouttereaux (la trop grande portée).

Beaucoup plus probablement, la nef dite « préromane » devait être à 3 vaisseaux. Et il devait y avoir des piliers entre les murs parallèles. Où donc ? Pourquoi pas à l’emplacement des piliers actuels ? Et pourquoi ce ne serait pas les piliers actuels ?


L’analyse architecturale de l’édifice permet de « soulever d’autres lièvres ». A l’extérieur de l’édifice (images 2, 3 et 4) on peut voir un traitement différent des murs gouttereaux des collatéraux et de ceux de la nef centrale. Ces derniers sont en effet décorés d’arcatures lombardes (image 4) alors que les premiers sont dépourvus de toute décoration (images 3 et 5).

On peut voir sur l'image 2 qu’une seule grande fenêtre perce le mur du collatéral Sud alors que plusieurs petites fenêtres percent le mur de la nef centrale. Porquoi une telle disposition qui semble contraire à un plan préétabli ?

Sur l'image 6, on ne voit pas d’arcature lombarde au niveau de l’avant-chœur. Elles apparaissent néanmoins au niveau de l’absidiole. Puis, elles disparaissent au niveau de l’abside centrale (image 7).

De telles anomalies supposent qu’il y a eu de nombreuses transformations qui ont modifié au fur et à mesure l’aspect de l’édifice. Ramener la construction de l’édifice à trois dates nous semble un peu risqué tant qu’une explication de ces anomalies n’a pas été trouvée. De plus, on connaît la rareté des écrits concernant l’édification des églises. Il est déjà exceptionnel que 3 écrits aient été trouvés sur l’édification de celle-ci. Mais combien d’autres ont été perdus qui seraient aussi importants que ces 3 écrits ?


Les vues prises à l’intérieur de l’édifice confirment l’hypothèse d’une plus grande ancienneté par rapport aux informations du panneau explicatif. Les piliers de la nef sont cruciformes de type R0101 (images 14 et 15). Un tel type de pilier permet de placer la nef de l’église Sainte-Marie dans une étape intermédiaire entre la période romaine et la période romane. On déduit de la forme de ce pilier que les arcs placés entre les piliers sont à simple rouleau (selon notre hypothèse, l’arc à simple rouleau serait antérieur à l’arc à double rouleau).

Par contre, à l’intérieur du chevet, l’arc de la baie faisant communiquer l’abside et l’absidiole Nord (image 12) est à double rouleau (en conséquence le chevet serait postérieur à la nef).


Les images 16, 17, 18, 19, 20 sont celles de sarcophages trouvés à proximité de l’église. Celui de l'image 16 contenait les restes de 5 martyrs. Mais à quel moment ont été placés ces restes dans ce tombeau ? A quel moment a été gravée l’inscription ? On ne le sait. En tout cas, il nous semble que ce sarcophage est postérieur de plusieurs siècles aux dernières persécutions de chrétiens qui ont eu lieu à la fin du IIIesiècle.

Les sarcophages des images 17 et 18 sont dits « à strigiles ». Le premier pourrait dater du IIIesiècle. Le second serait plus tardif. On doit pouvoir dater ce sarcophage par les coiffures et vêtements des personnages.

Les sarcophages des images 19 et 20 sont plus tardifs, du Veau VIIesiècle.

La table d’autel « à cupules » de l'image 21 pourrait dater du XIeou XIIesiècle. Ceci reste néanmoins à vérifier. En effet, il existe des divergences profondes entre les estimations de ce genre de table d’autel (du VIeau XIIesiècle).


Conclusion et essai de datation

Les quelques photos de cet édifice exposées ci-dessus permettent de réaliser sa grande complexité. Et la difficulté est de déterminer quelle a été son évolution. Nous avons conscience de l’insuffisance de la recherche que nous avons effectuée sur cette église. Il faudrait y revenir plusieurs fois, étudier le moindre recoin.

Il faudrait en particulier déterminer quelle était la forme des piliers originaux de la nef. Il est possible que, à l’origine, les piliers aient été quadrangulaires (de type R0000).  Et que, plus tard, on leur ait accolé des pilastres (piliers quadrngulaires) ce qui les aurait transformés en piliers cruciformes (de type R0101, qui sont les piliers actuels). Dans ce cas, l’ouvrage serait comparable aux églises Sainte-Aphrodise ou Sainte-Madeleine de Béziers (datation du IVeau VIesiècle).

Si les piliers actuels (de type R0101) s’avéraient être les piliers originaux, la datation serait plus tardive, du VIIeau Xesiècle, mais toujours antérieure à l’an mille.

L’évolution des constructions semble être la suivante :

1. Une première église est construite avant l’an 1000. Sa nef est triple. Elle est dotée d’une grande abside à plan semi-circulaire. La nef est sans-doute charpentée. La charpente est peut-être soutenue par des arcs en plein cintre.

2. Peu avant l’an mille, on décide de couvrir le vaisseau central par une voûte de pierre. Mais il faut renforcer les murs latéraux de ce vaisseau central en les épaississant. On construit donc les arcatures lombardes à l’extérieur… en conservant les fenêtres qui existaient antérieurement. C’est à cause de cela que ces arcades lombardes n’ont pas le profil qui caractérise la plupart des autres.

3. Vers la même époque, on refait totalement le chevet qui contiendra une abside et deux absidioles.

4. Dans une dernière étape, qui peut être beaucoup plus tardive (XIVesiècle ?), on surélève les absides.

Nous pensons, mais sans apporter de preuve formelle, que la première église serait contemporaine des sarcophages des images 16, 19 et 20. Donc elle daterait du
VIe- VIIesiècle (an 600 avec un écart estimé de 100 ans).