La chapelle Saint-Martin-de-Pouzes à Pézènes-les-Mines
La chapelle Saint-Martin-de-Pouzes est
située à environ deux kilomètres du village de
Pézènes-les-Mines, dans le département de l'Hérault, au cœur
du domaine de Pouzes.
Nous avons été très bien accueillis par les propriétaires du
domaine qui, depuis quelques années, ont décidé de
reconvertir leur exploitation pour cultiver et
commercialiser sous forme d'huiles essentielles ou d'herbes
séchées des plantes BIO aromatiques et médicinales des
Cévennes : diverses variétés de thyms, de lavandes,
d'immortelles (site
Internet du domaine de Pouzes, image
1).
La chapelle Saint-Martin est en partie dissimulée dans un
bosquet d'arbres (images
2, 18 et 25). Bien qu'ayant perdu sa fonction
première d'église paroissiale, elle est encore utilisée
ponctuellement depuis cent ans pour des activités uniquement
cultuelles : célébration de messes, nombreux tombeaux
familiaux. Elle aurait pu être détruite comme l'ont été de
nombreuses petites chapelles de la région. Mais elle a pu
être entièrement sauvegardée grâce aux efforts de Madame
Eugénie Peaudecerf, grand-mère de la propriétaire du
domaine.
Cette chapelle a fait l'objet de plusieurs études, dont
celle de Madame Jackie Estimbre, parue dans le Bulletin
de la Société Archéologique et Historique du
Haut-Languedoc n°6-1983 et à laquelle nous nous
référons.
Les documents relatifs à cette église sont relativement
récents. On cite en particulier, le procès verbal de la
visite pastorale de Clément de Bonsi, évêque de Béziers, le
6 juin 1636. On y apprend que depuis huit ans au moins, le
prieur «
y vient ensevelir les morts … et qu’il n'y faisait dire
messe que de quinze jours en quinze jours seulement ».
Face au mécontentement des fidèles de Pouzes, l'évêque
autorise le prieur à venir dire deux messes tous les
dimanches et les fêtes chômées. Il interdit cependant une
pratique qui consistait à « porter
à la main un chou en guise d'offrande lors de la fête de
la paroisse », le tout accompagné de « chans
d'aubois et autres indécences ... ».
Ces quelques écrits sont peu révélateurs de l'architecture
de cette église. Ce sont cependant les témoins d'une
histoire. Une histoire en accéléré ! Qu'on en juge ! En
1628, la peste fait son apparition en Languedoc et Béziers
est atteint en septembre 1629. En 1631, c'est la révolte de
Montmorency qui enflamme les États du Languedoc. En 1633,
commencent les visites pastorales de l'évêque Clément De
Bonsi. Plusieurs procès verbaux de ces visites « attestent
la vigilance et le zèle minutieux avec lesquels ce prélat
accomplit cette importante fonction de son ministère »
(d'après Sabatier : Histoire
de la Ville et des Évêques de Béziers). On constate
qu'en plusieurs paroisses, il prohibe les assemblées
profanes qui se déroulaient dans l'église du lieu (repas
annuels, chants et danses : « À
Abeilhan... le jour de la fête locale, au son du hautbois
et du tambourin, la jeunesse entrait dans l'église et
s'avançait en dansant vers l'autel ; le chef de la troupe,
tenant à la main une épée à la pointe de laquelle était
une pomme où étaient fichées des pièces d'argent,
brandissait son arme en cadence, l'inclinait
respectueusement, et, conservant toujours le mouvement
chorégraphique, la faisait tomber dans le bassin. »
(d'après Sabatier).
Selon Jackie Estimbre, la pratique de Pouzes «
consistant à porter un chou en offrande », est « encore
mystérieuse pour nous, d'origine païenne » . Nous
pensons que concernant Abeilhan, le mystère de la danse est
au moins en partie levé : la pomme représenterait le soleil,
les pièces d'argent, ses rayons, la danse elle-même, la
course du soleil et sa mort dans l'eau. Il est possible qu'à
Pouzes, un chou pommé ait représenté le soleil.
Nous poursuivons notre visite de
l'église par l'examen de la façade occidentale (image
2) et de son portail (image
3). On constate que les arcs de décharge des
ouvertures sont surmontés d'un décor de basalte incrusté,
faisant effet de polychromie. La polychromie par
incrustation de basalte n'est pas rare en Bas-Languedoc.
Notre site fournit quelques images analogues à celles-ci.
Dans un premier temps, nous avions envisagé que ce décor de
marquèterie polychrome pouvait être antérieur à l'an mille.
Mais les divers monuments sur lesquels nous l'avons
rencontré (exemple : la tour de Puissalicon) semblent
relever du premier art roman, datable du XIe
siècle. Il est cependant possible que ces incrustations de
basalte aient été faites pour décorer un édifice plus
ancien.
Le tympan (ou lunette) de la porte (image
3) est porté par des corbeaux (images
4 et 5). Nous pensons que ce type de construction
(un tympan porté par deux corbeaux) est antérieur au type de
construction des portails romans (le tympan est porté par un
linteau lequel est soutenu par des piliers verticaux ou
piédroits). Il nous est difficile de définir les personnages
représentés sur ces corbeaux (Atlantes ? Orants ?). La
datation se révèle tout aussi complexe.
Lorsqu'on pénètre dans l'église (images
6 et 7), on remarque immédiatement qu'elle est
séparée en trois parties par deux grands arcs qui supportent
les charpentes du toit. Ces arcs sont portés par de massifs
piliers.
En fait, ces 4 piliers ne sont pas les piliers d'origine;
les piliers d'origine sont quatre pilastres peu épais, de
section rectangulaire. On peut voir le pilastre Nord-Est
presque au centre de l'image
15, le pilastre Sud-Est pareillement au centre de
l'image 16, le
pilastre Sud-Ouest à droite et en partie caché par le massif
pilier qui supporte la charpente du toit sur l'image
17. On remarque que tous ces pilastres (y compris
le pilastre Nord-Ouest, non représenté ici) sont surmontés
d'impostes. Celui de l'image
17 porte en outre, au-dessus de l'imposte, un
morceau d'arc en plein cintre. Il est facile d'imaginer ce
qui s'est passé : ces quatre pilastres devaient appartenir à
l'édifice primitif. Ils portaient deux arcs qui à leur tour
portaient la charpente du toit.
Tout comme Jackie Estimbre, nous ne pensons pas que
l'édifice primitif était voûté (hormis peut-être le cul-de
four de l'abside). En effet, les murs sont insuffisamment
épais pour supporter une voûte.
Deux pièces très intéressantes sont à
découvrir à l'intérieur de la chapelle : une table d'autel
et un pied d'autel, qui ont été par la suite superposés (images 8, 9, 10, 11).
La propriétaire du domaine nous précise que « le
pied de l’autel a toujours été dans la chapelle où il
servait de bénitier
» et que « seule
la table a été découverte au moment de la restauration
extérieure de la chapelle, il y a une vingtaine d’années.»
lors de fouilles. La table d'autel (image
11) est relativement fréquente dans la région. Elle
ne porte pas dé décoration. Elle est évidée en son centre.
Est-elle antérieure ou postérieure aux tables d'autel à
cupules ? Nous l'ignorons.
Quant au pied d'autel, il semble être un peu plus rare.
S'agit-il d'un pied d'autel ? Ou d'un autel ? Il existe en
effet une tradition de construction d'autels ayant cette
forme de parallélépipède rectangle de hauteur plus grande
que la largeur (autels gallo-romains). Les images
12 et 13 montrent deux de ces autels découverts
dans la région : à Nébian pour celui de l'image
12, décoré d'une croix pattée hampée, à Lapeyre (en
Aveyron, mais aux limites de l'Hérault) pour celui de l'image 13, décoré d'une
croix potencée. Nous pensons que ces deux derniers autels
sont antérieurs en l'an mille. Nous en déduisons pour
l'autel ou le pied d'autel de Saint-Martin-de-Pouzes la
datation suivante : an 800 avec un écart de 200 ans.
Il reste à étudier le décor des linteaux
échancrés de la façade Sud (image
18). Étudions les de gauche à droite :
Image 20 : Ce
linteau porte un décor de deux feuillages très stylisés.
Certains spécialistes voient dans ce décor la maladresse du
sculpteur. Sans nier qu'il ait pu y avoir une part de
maladresse dans l'exécution de cette œuvre, nous pensons
qu'il y a eu une volonté de simplification des formes.
Regardons de plus près cette image. Si dans la partie
inférieure, on devine bien deux feuilles opposées, la partie
supérieure est quant à elle plus complexe. En effet, on sait
très bien qu'une feuille n'a qu'un pétiole. Or ici, pour
chaque feuille, il y a deux pétioles qui semblent former une
gueule animale très stylisée. Et on voit apparaître au cou
de chacune de ces têtes monstrueuses une succession de
petits trous de trépan faisant penser à des colliers. Ce
sont là de minuscules détails. Mais des détails qui montrent
bien que la simplicité des formes vue ailleurs fait partie
d'un choix.
Image 22 : Là
encore, on peut envisager la maladresse du sculpteur. Mais
attardons-nous plutôt sur son inventivité. Au centre, un
bonhomme saisit dans chaque main une corde. Au dessus de
cette corde, on voit une autre corde. Les deux cordes
forment de part et d'autre des entrelacs avec d'autres
cordes surgies de nulle part. On retrouve les deux cordes au
dessus du bonhomme. Elles se transforment en nervures d'un
feuillage puis en la feuille elle-même.
Image 24 : On
retrouve le même type de feuilles que précédemment. Il
semblerait que le sculpteur ait ici représenté un homme très
stylisé (ovale de la tête au milieu en haut, bras et jambes
évoqués sous forme de tiges et de feuilles).
Image 26 : Linteau
de la fenêtre axiale, le seul à ne pas être sculpté, hormis
un mince filet qui contourne la partie inférieure et se
prolonge sur les piédroits.
Il est bien sûr difficile d'avancer une datation de ces
trois linteaux échancrés. D'autant que les linteaux sculptés
comme ici sont rares. En fait, nous n'en avons vu qu'un
autre, à Saint Julien-du-Serre, en Ardèche. Ce linteau (image 27) représente la
scène classique que nous avons appelée « Les Oiseaux au
Canthare ». Ici les oiseaux encadrent, non pas un vase, mais
une croix pattée hampée (datation envisagée pour cette scène
: an 850 avec un écart de 150 ans).
Les images 28, 29, 30 sont
celles d’initiales filigranées du manuscrit MS 002 de la
bibliothèque d'Angers. On retrouve dans ces photographies
les mêmes éléments qui caractérisent les sculptures des
linteaux échancrés vus précédemment : mêmes feuilles, mêmes
entrelacs, mêmes oiseaux affrontés. Ce manuscrit est daté du
IXe siècle.
Nous considérions cette étude comme
pratiquement achevée - en fait une étude n'est jamais
achevée, mais interrompue, lorsqu'on considère qu'il est
temps de passer à autre chose - lorsque nous avons découvert
un petit problème, suite à un examen plus attentif du plan
de Mme Estimbre (image 31).
Nous nous sommes donc confiés à M. Alain Marc qui a été
régisseur du domaine de Pouzes pendant une quarantaine
d'années et a eu donc connaissance des restaurations de la
chapelle. Voici donc le résultat de nos échanges de
courriers :
« - millenaire1 : Une
anomalie a attiré notre attention : le plan de Jackie
Estimbre fait apparaître deux ouvertures sur la façade Sud
et une autre sur le chevet (façade Est). Or il y a
actuellement trois ouvertures sur la façade Sud et une sur
le chevet. Donc une ouverture supplémentaire façade Sud.
Nous savons qu'il y a eu des travaux de restauration par
M. Gondard. En quelle année ? Vous qui avez probablement
assisté à ces travaux, pouvez-vous nous dire s'il y a eu
percement d'une fenêtre supplémentaire ?
Ou bien si Mme Estimbre a commis une erreur ?
- Alain Marc :
Concernant la troisième fenêtre de la façade Sud, Monsieur
Gondard a reconstitué cette fenêtre avec les éléments de
celle-ci retrouvés dans les gravats, au pied de cet
emplacement. Donc cela suggère qu'il y a eu une fenêtre à
cet endroit. Il les a utilisés pour ne pas qu'ils soient
égarés. Madame Estimbre a rédigé cet article bien avant
que la restauration ne soit commencée; elle ne pouvait pas
le savoir. »
Il semblerait donc que Monsieur Gondard ait voulu
reconstituer l'édifice dans son état originel. Ce qui
signifie qu'à l'origine, le linteau échancré du chevet
n'était pas sculpté. C'est le cas actuellement. Mais Madame
Estimbre avait vu à cet emplacement le linteau sculpté de l'image 24. Il est donc
possible que ce linteau sculpté ait subi deux déplacements
successifs : un premier déplacement de la façade Sud au
chevet afin d'orner celui-ci et un retour vers l'emplacement
d'origine grâce à M. Gondard.
Le fait qu'à l'origine, le linteau du chevet n'aurait pas
été sculpté, n'est pas anodin. Car les linteaux sculptés
sont témoins d'une richesse artistique. Or cette richesse
artistique est présente seulement sur la façade Sud alors
qu'elle devrait être présente en priorité sur le chevet
tourné vers l'Est ! Que penser de cela ? Nous envisageons la
possiblité suivante : à l'origine, l'abside semi-circulaire
n'existait pas, elle aurait été ajoutée après; le plan de
l'édifice était celui d'un rectangle côté extérieur, avec, à
l'intérieur, des séparations dont les quatre pilastres
seraient les témoins. En ajoutant cette abside
semi-circulaire, les maçons n'auraient pas jugé utile de
décorer la fenêtre axiale d'un linteau sculpté.
Au dernier moment, nous avons appris que nous n'étions pas
encore assez observateurs. En revenant au plan de Mme
Estimbre et au petit dessin indiquant l'orientation, nous
avons eu la surprise de réaliser que cette église n'est pas
orientée vers l'Est mais vers le Nord (plus exactement le
Nord-Nord-Est, axe orienté d'environ 20° par rapport au
Nord) ! Cela bouleverse un peu notre discours, car ce que
nous avons appelé la
façade Sud devrait être plutôt appelé façade
Est. Nous maintenons cependant l'ancienne
désignation afin de respecter les habitudes que nous avions
prises.
Là encore, le fait que l'église soit orientée vers le Nord
plutôt que vers l'Est n'est pas anodin. Il peut signifier
que cette église serait être plus ancienne que ce que nous
avions imaginé. Nous avons cherché à connaître les raisons
de cette orientation. Une première idée a été de rechercher
des correspondances. Nous en avons trouvé dans un
compte-rendu de fouilles effectuées sur une nécropole à
Lunel-Vielh (Archéologie
en Languedoc, Revue Trimestrielle de la Fédération
Archéologique de l'Hérault 1986 (2) p 29). Nous
n'allons pas reproduire cet article de grande qualité mais
seulement consulter le plan de cette nécropole avec deux
groupes de tombes : celles, en noir, orientées Nord-Sud, et
celles, en blanc, orientées Est-Ouest (image
32).
L'article signé par Claude Raynaut témoigne d'une grande
prudence dans ses conclusions, ce qui est tout à l'honneur
de son auteur. Mais il semblerait que cette nécropole ait
accueilli deux groupes d'individus ayant des pratiques
culturelles et cultuelles différents, le groupe Nord-Sud
ayant précédé le groupe Est-Ouest, l'ensemble de la
nécropole pouvant dater du IVe siècle. Nous avons
donc analysé ce plan, espérant faire des rapprochements avec
l'orientation de l'église de Pouzes. Mais nous n'en avons
pas trouvé. Que ce soient celles orientées Nord-Sud ou
celles orientées Ouest-Est, les tombes de la nécropole de
Lunel-Vielh s'écartent très peu de leur orientation. Ce
n'est pas le cas de l'église de Pouzes : un écart de 20° par
rapport au Nord n'est pas minime. En conséquence, la
comparaison entre les deux types d'orientatons, celle de la
chapelle de Pouzes et celles de la nécropole de Lunel-Vielh,
s'avère stérile. La seule information que nous apporte le
plan de l'image 32
est qu'il y a « quelque chose » à apprendre sur
l'orientation des bâtiments antiques.
Une idée nous est venue : l'orientation des bâtiments
pourrait être liée à la position du soleil le matin de la
fête du saint patron ou du début des travaux. Mais cette
hypothèse est difficile à établir et dans le cas de l'église
de Pouzes, ça ne peut pas convenir vu que, quelque soit le
jour de l'année, la position du soleil n'atteint pas cette
latitude. Cependant nous avons déjà rencontré le même
problème en ce qui concerne la chapelle Saint-Clément-de-Man
(Soubès, Hérault). Nous avions alors émis l'idée que cette
chapelle avait pu être construite par et pour un peuple
immigré issu du Nord de l'Europe. Ce peuple, nostalgique de
son pays d'origine, se serait souvenu que, dans ce pays,
lors du solstice d'été, le soleil se levait dans une
constellation plus proche de l'étoile polaire que celles du
cercle du Zodiaque. Mais il ne s'agit là que d'une
hypothèse.
Dernière remarque en lien avec la phrase : « La
propriétaire du domaine nous précise que “le pied de
l’autel a toujours été dans la chapelle où il servait de
bénitier ... seule la table a été découverte au moment de
la restauration extérieure de la chapelle, il y a une
vingtaine d’années. ». Cette phrase confirmerait
l'idée selon laquelle la table d'autel et le pied d'autel ne
feraient pas partie d'un même ensemble. Le pied d'autel
serait en fait un autel analogue aus autels-cippes romains
ou à des autels de divinités gauloises. Cet autel serait
cependant chrétien mais de haute ancienneté. La table
d'autel serait quant à elle plus récente, tout en étant
antérieure à l'an mille.
Datation envisagée pour la chapelle Saint-Martin-de-Pouzes : an 850 avec un écart de 150 ans.