Église Saint-Pierre de Lespignan 

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L’église Saint-Pierre du cimetière de Lespignan n’apparaît pas à première vue particulièrement intéressante. Sa façade Ouest (image 1) est le probable résultat d’une restauration au XIXesiècle. Un détail est cependant révélateur d’une ancienneté. Il s’agit de la corniche à billettes située sur le mur Sud (image 3). L’existence de cette corniche de bord de toit montre que l’église a été surélevée. Par ailleurs on sait, pour l’avoir vu dans d’autres églises, que le décor de billettes est largement représenté au Premier Millénaire.


Autre signe d’une possible ancienneté : aux coins des murs du chevet et à leur base, on observe des traces d’arrachement (image 5). Il y avait là probablement des colonnes installées sur des piliers massifs. Ce chevet pentagonal aux coins cantonnés de colonnes adossées fait penser à celui de l’église Saint-Jacques de Béziers. L’hypothèse est néanmoins très ténue. Par ailleurs, on ne connaît pas la justification de la protubérance de mur entre les traces d’arrachement (image 5).
Une hypothèse : on observe sur le plan (image 12), ainsi que sur l'image 9 la présence de 2 niches situées de part et d’autre de l’axe central. Il est possible qu’il y ait eu primitivement une autre niche, sur l’axe central.

On peut voir sur l'image 6 que la fenêtre meurtrière a été ouverte après la première construction (sous la fenêtre, les pierres sont posées en couches horizontales régulières).


La nef est unique et à quatre travées. Elle est couverte d’un toit en charpente reposant sur des arcs en plein cintre (image 7). Bien que l’ensemble de l’église semble d’origine ancienne (présence de la corniche à billettes à l’extérieur), à l’intérieur, les 3 premières travées ont dû être restaurées à l’époque moderne. Il semblerait même que l’arc situé entre la troisième et la quatrième travée précédant le chœur, soit, lui aussi, une création moderne, voire récente. En effet les tailloirs situés au-dessus des chapiteaux, sont en retrait par rapport à ces chapiteaux. Notons aussi que ces tailloirs sont simplement ébauchés alors que, dans la pratique, tous les tailloirs du Moyen-âge sont pourvus d’un décor sculpté.

Sur l'image 9, on constate la présence des niches précédemment décrites. Sur la même image, on observe près de la base de chacune des colonnes deux chapiteaux qui y ont été déposés.


Les chapiteaux des images 10 et 11 ont une forme très particulière (demi-tronconique avec base en lien avec la face arrière plate). Ce type de chapiteau pourrait être un « marqueur » d’époque. On ne le retrouve pas dans l’art roman « classique » mais, par contre, on peut le voir dans des parties présumées préromanes : Menat dans le Puy de Dôme, portail septentrional de Conques (Aveyron), et ici dans les images 13, 14 et 15.

Les décors de ces chapiteaux (images 10 et 11), pour l’un, à damier, pour l’autre, à moulures, ne sont pas caractéristiques d’une époque ou d’une tradition.


Il n’en est pas de même pour les deux chapiteaux des images 13, 14 et 15. Il faut tout d’abord remarquer qu’ils sont tous deux identiques, ce qui n’est pas une particularité de l’art roman traditionnel. Ensuite le décor de ces chapiteaux est dit « à entrelacs de feuillages », que nous situons dans une première période des entrelacs (vers 700 mais avec une forte marge d’erreur : 250 ans). Par ailleurs, notons que ce décor s’apparente à celui de chapiteaux de Saint-Jacques de Béziers et Saint-Félix de Bayssan.


On en vient aux images suivantes de 16 à 21. Ces images ne montrent le détail que de deux chapiteaux de l’arc triomphal : celui du Sud pour les images 16 et 17, celui du Nord pour les images 18, 19, 20 et 21. Le premier est très dégradé mais semble être totalement identique au deuxième mieux conservé.

Nous allons plus particulièrement étudier ce deuxième chapiteau.

Remarquons tout d’abord que ce chapiteau est inséré en partie dans le mur (image 18). En fait, c’est plutôt le contraire : le mur enveloppe en partie le chapiteau. Primitivement, le chapiteau ainsi que la colonne cylindrique qui le soutient étaient tous deux détachés de la paroi (voir aussi l'image 21 en ce qui concerne la colonne). Sans doute pour des questions de résistance de matériau, on les a enveloppés pour les protéger. On retrouve la même opération à Saint-Jacques de Béziers. On retrouve aussi des colonnes cylindriques détachées du mur dans des églises wisigothiques d’Espagne.


Ce chapiteau Nord de l’arc triomphal devait être sculpté sur quatre faces, toutes identiques. Étudions plus particulièrement la face centrale (image 20). On y voit une figure grotesque mi-homme, mi-animal, aux bras levés (s’agit-il bien de bras ?). C’est une figure sexuée d’apparence féminine (représentation des seins, du vagin). Mais avec des ajouts étonnants comme une patte en-dessous du vagin ou des sortes de scarifications sur le tronc. On pense à des représentations carnavalesques comme les « Pailhasses » de Cournonterral (Hérault). Mais ce type de représentation dépasse largement la tradition carnavalesque. Il doit y avoir une symbolique cachée. Peut-être liée à un culte de fécondité ?

Toujours est-il que ce chapiteau est lié à l’antiquité (décor d’oves sur l’astragale). Il ressemble à trois chapiteaux de Saint-Félix de Bayssan (mais qui sont très endommagés et la ressemblance est difficile à établir). Mais à aucun autre de l’art roman.

Son originalité est telle qu’il occupe une place à part dans la nomenclature. Bien que situé dans une église, il ne possède aucun signe distinctif chrétien. Mais il ne possède pas non plus de signe distinctif apparenté à une autre religion. Pourtant il doit exister une symbolique qui lui est attachée. Les hypothèses ne manquent pas : survivance d’un culte autochtone préexistant à l’occupation romaine ? survivance d’un culte ancien du peuple wisigoth préexistant à l’adoption de la religion chrétienne arienne ? religion introduite par d’autres peuples ? Toutes les hypothèses sont possibles, la moins crédible étant la création purement artificielle due à la géniale inventivité d’un sculpteur isolé : à l’époque les créations artistiques étaient dues à des commandes répondant à des critères précis et peu de place était laissé à l’inventivité de l’artiste.


Conclusion

L’église Saint-Pierre de Lespignan, comparable en beaucoup de points à Saint-Félix de Bayssan et en partie comparable à Saint-Jacques de Béziers apparaît comme une œuvre ancienne, plus proche de l’antiquité (IVesiècle) que de l’époque romane (XIesiècle).
Datation : an 650, avec un écart estimé de 150 ans.