Le sous-sol de la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers 

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Durant le Haut Moyen-Âge les enceintes épiscopales ou monastiques pouvaient contenir non pas une seule grande église, la cathédrale ou l’abbatiale, mais plusieurs de petites dimensions, dont certaines pouvaient être spécialisées comme le baptistère. Ce n’est que plus tard que l’ensemble de ces églises ou chapelles a été réuni dans un lieu unique de grandes dimensions. Sans doute chacun de ces premiers édifices, mis à part le baptistère, devait être réservé à une communauté partageant avec d’autres communautés la ville de Béziers. On sait que de telles communautés, fort différenciées, cohabitaient à Béziers avant l’an 1000. Il y avait d’abord chacune des communautés vivant respectivement sous les droits latin, franc et wisigoth. Et puis il y avait aussi des chrétiens réfugiés venus d’Espagne.

On est donc à peu près certains qu’il existe sous l’enclos cathédral (image 1) des vestiges de ces anciennes églises.

L'image 2 révèle les emplacements de certains édifices retrouvés lors de fouilles. Le fond d’image a été photographié sur un plan de Béziers daté de 1859. On distingue en haut la cathédrale, en bas à droite l’actuel Palais de Justice, prochainement déplacé en un autre lieu. Et, toujours en bas mais à gauche, le cloître de la cathédrale. A l’extrême gauche, une partie des bâtiments de l’ancienne prison. Passons à présent aux restes repérés.

Il faut tout d’abord dire que nous n’avons là qu’un schéma d’ensemble. Les rapports de fouilles ont été imprécis et souvent mal interprétés. Parfois nous ne disposons même pas d’un plan. En conséquence, les positions exactes des vestiges ainsi que les dimensions des bâtiments sont très aléatoires. On peut néanmoins noter sur cette image 2 :

A (en rouge) : Un bâtiment à plan circulaire dont seule une petite partie a été découverte lors de la destruction de l’îlot dans les années 50. Ces restes, à présents recouverts, seraient selon nous ceux de la tour Bertrand . Cette tour serait, toujours selon nous, issue d’un temple romain à plan circulaire. Elle aurait servi de clocher à l’église et se serait effondrée en 1345.

B (en vert foncé) : L’ancienne église Notre-Dame-de-la-Sède, actuelle crypte de la cathédrale.

C (en bleu foncé) : Les restes d’une tour massive placée devant l’entrée de la cathédrale romane. Cette tour aurait été démolie lors de la construction de la façade gothique au XIVeou au XVesiècle.

D (en bleu clair) : La galerie située en dessous de la galerie Ouest du cloître actuel. Cette galerie est accessible mais interdite à la visite.

E (en mauve) : Les galeries situées en dessous des galeries Nord et Est du cloître actuel. Ces galeries sont identifiées grâce à la présence d’arcades mais elles font partie du Palais de Justice. Elles ne sont donc pas accessibles à la visite. Il est même possible qu’elles soient enterrées comme l’était primitivement la galerie D.

F (en vert foncé) : Les deux édifices (ou un seul édifice formant un angle) que nous allons étudier.

A remarquer que le sol de tous ces édifices est situé à environ cinq mètres sous le niveau actuel. En conséquence et au vu de la répartition de ces édifices dans le plan, tout permet d’envisager que c’est l’ensemble de l’enclos épiscopal primitif qui est concerné, que la cathédrale primitive a été enfouie sous cinq mètres de décombres.

Image 3 : Chapiteau corinthien déposé dans la crypte de la cathédrale. Ce chapiteau et son jumeau aurait été découvert –mais ceci reste à prouver – lors des fouilles effectuées par Monseigneur Blaquière dans les années 1930. Où exactement – dans la crypte ? dans la sacristie ? dans la nef ? – nous ne le savons pas. Cependant l’existence de ces chapiteaux démontrerait que la cathédrale a été construite dessus ou à proximité immédiate d’un temple romain. Nous pensons qu’il s’agit de l’ouvrage A, la tour Bertrand. L’hypothèse n’est pas tout à fait gratuite. En effet Louis Noguier, historien Biterrois qui vivait au XIXesiècle a signalé dans l’inventaire qu’il a constitué sur les pièces épigraphiques de Béziers, une plaque commémorative de la fondation d’un temple par Auguste. Cette plaque aurait été trouvée sur les vestiges la tour Malepague, une tour analogue à la tour Bertand, située à peu de distance, rue des anciennes prisons.


La crypte


Les images 4, 5 et 6 nous montrent l’intérieur d’une fausse crypte. C’est une salle basse de la chapelle Notre-Dame-de-la-Sède qui est parallèle à la nef de la cathédrale. Cette salle a été découverte grâce aux fouilles effectuées par Monseigneur Blaquière vers les années 1930, et, par la suite, réaménagée en crypte. Elle contient des pièces archéologiques intéressantes, dont les deux chapiteaux corinthiens précédemment cités.

L’appellation « la Sède » signifie : « le siège épiscopal ». Il est possible que cette chapelle ait été la cathédrale primitive : la plupart des anciennes cathédrales ont été dédiées à la Vierge Marie. Dans le cas de Béziers le siège de l’évêque aurait été transféré de Notre-Dame à Saint-Nazaire. Mais, s’il s’est réellement effectué, ce transfert se serait passé très tôt car les textes les plus anciens ne parlent que de Saint-Nazaire.

Il ne reste pratiquement rien de cette église primitive. En effet les chapiteaux et les colonnes que l’on voit face à nous, sur l'image 4, sont d’époque gothique (XIIIeou
XIVesiècle). La corniche qui passe au-dessus de ces chapiteaux est aussi de la même époque. Le principal intérêt réside dans le fait que cette corniche pénètre dans le mur du fond (images 5 et 6), preuve que l’édifice ne se réduit pas à une seule abside mais qu’il existe une nef située sous le clocher.

Apparemment donc, l’abside que nous avons sous les yeux (image 4) n’est pas l’abside primitive mais le résultat d’une forte restauration. Les seuls éléments qui nous semblent anciens sont les bases des piliers mais ces éléments ont pu être utilisés en remploi. Cependant l’hypothèse est forte que les constructeurs du XIIIeou XIVème
siècle aient restauré et renforcé les murs d’une église préexistante antérieure à l’an mille.


Le cloître


Les images 8 et 9 du cloître font apparaître, sous les murets séparant les galeries de la cour, des arcades. Il n’y en a pas entre tous les piliers. Ces arcades permettent d’imaginer l’existence d’un cloître roman situé sous le cloître gothique. Il ne faut cependant pas s’emballer en imaginant les somptueux chapiteaux romans construits pour l’occasion : une visite de la galerie Ouest nous a permis de constater que les arcades existent, mais pas les chapiteaux. Tout un travail de consolidation a été effectué dans cette partie souterraine. Très probablement, les arcades romanes n’avaient pas été prévues pour supporter le cloître gothique.


Les images 10, 11 et 12 permettent de localiser le mur extérieur Sud du cloître. Ce mur d’une très grande hauteur (plus de 10 mètres) cache deux étages. A l’étage supérieur on a le cloître gothique. A l’étage inférieur se trouvent diverses salles que l’on a appelées : « le sous-sol du cloître ». Cette partie devait être primitivement aérienne et non en sous-sol. La fenêtre romane de l'image 12 éclaire cette partie.


Sur les six images suivantes 13 à 18, des « anomalies architecturales » ont été présentées et sur trois d’entre elles, accentuées.

Observons sur l'image 14 , copie accentuée de l'image 13. Nous avons deux lignes, une bleue et une rouge ? Sous la ligne bleue, une série de trous qui ont été bouchés. Et de même sous la ligne rouge. La ligne bleue désigne un sommet de mur destiné à porter un toit. Quant aux trous, ils étaient destinés à être occupés par des chevrons qui portaient la bordure du toit.

On constate qu’il y a deux lignes. Ceci signifie qu’il y a eu au moins deux toits successifs. Si on ajoute à cela les arcades qui surmontent et complètent le tout, on en déduit qu’il y a eu au moins trois transformations successives : un premier édifice a été construit et couvert d’un toit : ligne bleue. Puis cet édifice a été surélevé et couvert d’un autre toit : ligne rouge. Enfin on a rehaussé le tout et on l’a recouvert par des arcades. Cette dernière opération correspondrait à la construction de l’aile Sud du cloître gothique.

L'image 18 montre que le toit de la première église a recouvert les piliers de contrefort. En conséquence, ces piliers font partie de l’église primitive. Ils ont été, bien sûr, surélevés par la suite pour supporter les arcades.


Sous-sol


On pénètre à présent dans ce sous-sol par une porte située en bas des escaliers permettant l’accès au Jardin des Evêques (salle 1 de l'image 19). On y voit sur notre gauche un mur percé de fenêtres romanes (images 20 et 21). Ces fenêtres (image 31) sont à double ébrasement (ouvertes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur). C’est ce que l’on découvre en pénétrant dans la salle 3.

La salle 4 (image 22) est exactement située sous la galerie Sud du cloître. Elle contient un dépôt lapidaire intéressant (et inaccessible au public).

A la suite de la visite de ces diverses salles, nous avions imaginé que les murs Sud de la salle 2 et de la salle 4 pouvaient être les murs Sud de deux bâtiments successifs faisant un angle d’une dizaine de degrés. Il nous semblait logique qu’il existe des murs disposés symétriquement côté Nord. Ou bien une paroi rocheuse si les bâtiments avaient été adossés à cette paroi (voir sur l'image 19 , les murs en pointillé). Mais ces parties étaient inaccessibles car nous en étions séparés par des murs épais.

Fort heureusement, nous sommes tombés un peu par hasard sur un texte écrit par Joseph Gondard qui avait fouillé dans le cloître. Joseph Gondard avait par ailleurs dessiné un plan de fouilles (image 24, annotée par nos soins). Le mur symétrique existait bien (« Mur découvert lors de la fouille »). Il semblerait que Joseph Gondard ne l’ait pas identifié comme étant le mur Nord d’un bâtiment dont il connaissait le mur Sud. Et qu’il ait vu en ce mur un simple mur de soutènement, alors que, très probablement, il est doté comme son symétrique de fenêtres à double ébrasement. Il nous dit, en effet : « En tout cas, les fouilles que nous avons entreprises confirment ce que nous savions déjà, que, petit à petit, à mesure que les maîtres d’œuvre agrandissaient la cathédrale, il fallait agrandir par des terrasses et des murs de soutènement le terrain avoisinant ». En résumé, Joseph Gondard pense que la cathédrale était dans une position haute et que, pour tout mettre au même niveau, il a fallu installer des murs de soutènement créant des terrasses. Nous pensons que, au contraire, la Cathédrale était en position basse et que tous les bâtiments étaient à peu près au même niveau (5 mètres en dessous du niveau actuel) et que des comblements successifs ont fait monter le niveau du sol de la cathédrale.


L’architecture du sous-sol apparaît complexe et difficile à interpréter. Néanmoins, elle se comprend facilement si on accepte le processus suivant d’évolution des constructions.

État 1 (image 25) : Construction de deux bâtiments formant entre eux un angle. Cette particularité peut être due à la topographie des lieux. Mais cela peut être aussi volontaire. On sait que dans certaines églises datées du premier millénaire, l’axe de symétrie de la nef et celui du chœur font un angle… Et cela n’est pas dû à la topographie !

État 2 (image 26) : Ajout de deux galeries de cloître. Il s’agit du cloître roman inférieur.

État 3 (image 27) : Au cours de l’étape suivante, il est décidé de construire un cloître au dessus du cloître précédent. En ce qui concerne les galeries Est et Ouest, il n’y a pas de problème car les bâtisseurs peuvent construire au dessus des galeries existantes. Par contre, en ce qui qui concerne la Galerie Sud, les architectes sont confrontés au problème suivant : il n’y a pas de mur porteur de la future galerie.

État 4 (image 28) : Les constructeurs décident alors de s’appuyer sur les murs existant (en vert foncé). Ils ajoutent ensuite des piliers qui seront destinés à porter les piliers de la galerie gothique et une portion de mur qui portera la partie Est du mur Sud.

État 5 (image 29) : Le résultat est là ! Les nouvelles constructions se placent intégralement au dessus des autres.

Image 30 : On peut voir : en vert les structures existantes, en bleu le mur découvert par Joseph Gondard, en mauve des structures probables actuellement enterrées dans le sol du cloître.


L'image 32 est celle d’une imposte déposée dans le musée lapidaire. On aimerait savoir d’où elle vient. En effet s’il existe une imposte cela signifie qu’il y avait un bâtiment autour. Et comme l’imposte peut être datée du Premier Millénaire (croix pattées sur la face supérieure), le bâtiment est lui aussi du Premier Millénaire (an 550 avec une erreur estimée de 150 ans).


Conclusion

Ce sous-sol du cloître mériterait une attention beaucoup plus grande que le dédain dans lequel il se trouve actuellement. En de nombreuses villes on peut visiter des sous-sols d’édifices moins intéressants que celui-ci.

Quelle est la datation de l’édifice (ou des deux édifices formant angle) ? On a vu que deux étapes avaient précédé la construction de la galerie Sud du cloître supérieur qui doit dater du XVesiècle. La construction de ce cloître supérieur a dû être imaginé après la comblement des parties basses de la cathédrale, comblement qui aurait commencé dans la seconde moitié du XIIesiècle. Il faut donc envisager que ce bâtiment du sous-sol pourrait être antérieur à l’an 1100. Nous ne pensons pas néanmoins, au vu des fenêtres à double ébrasement, que cet édifice puisse être antérieur à l’an 1000. Une datation au XIesiècle est donc envisageable. Mais doit être confirmée par d’autres observations.


Pour compléter l'étude de cette page, nous vous conseillons la lecture de l'ouvrage édité à compte d’auteur par le rédacteur de cet article, Norbert Breton.
Il est intitulé : « Enquête sur la cathédrale romane de Béziers et visite guidée de cette cathédrale » ( image 33).

Assez paradoxalement ce livre ne traite pas directement des édifices du premier millénaire (analogues à ceux étudiés dans l’actuel site), mais des transformations effectuées au cours des premiers siècles du deuxième millénaire sur un édifice emblématique, la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers.

Le livre a été imprimé dans le format et les caractéristiques (jaquette, étui,..) de la collection de livres d’art roman Zodiaque. On peut se le procurer en contactant directement l’auteur (à la rubrique « Contact»). Cet ouvrage est aussi disponible à la Librairie Spécialisée (créée récemment) : « Le Chameau Malin », 9 rue Montmorency 34500 Béziers,  lechameaumalin@gmail.com  Tel. : 06 13 05 50 05.