L’église Saint-Pierre et Saint-Paul de Toulongergues (Villeneuve d’Aveyron)
• France • Occitanie • Article
précédent • Article
suivant
Il faut bien comprendre que cette église, dont nous n’avons
appris l’existence que récemment (le panneau d’information
nous apprend qu’elle a été découverte par Jacques Bousquet
en 1963), se révèle d’une grande importance car elle peut
servir de référence pour d’autres édifices et, tout
particulièrement, les églises à chevet plat. Elle présente
en effet les éléments caractéristiques suivants, que nous
détaillerons un peu plus loin dans notre texte :
- nef unique rectangulaire et chevet plat
- angles arrondis
- baies en « trous de serrure »
- cul-de-four sous toit charpenté
- décoration peinte ou sculptée « archaïque ».
1. Une
église à nef unique et à chevet carré
Le plan de cet édifice (image
10) est fort simple si on fait abstraction de
certaines adjonctions postérieures : une nef unique
rectangulaire prolongée d’une abside à plan carré. C’est le
plan devenu traditionnel des églises à chevet carré,
nombreuses en Bas-Languedoc. On estime que ces églises sont
préromanes. Sans pour autant avancer pour chacune une
datation plus précise.
2.
Angles extérieurs arrondis
Les images montrant l’extérieur de l’édifice, et, plus
particulièrement l'image 6
font apparaître des angles extérieurs arrondis. Cette
particularité, décrite dans l’article
précédent concernant Saint-Loup est très
exceptionnelle, peut-être spécifique à cette partie du
Rouergue. Ce type d’église à angles extérieurs arrondis se
différencie en cela de celui des églises à chevet carré
rencontrées en Bas-Languedoc. Pour ces dernières les angles
sont droits (à 90°). Il existe une autre caractéristique de
ces églises à angles arrondis : les murs latéraux sont plus
élevés que ceux des églises à chevet plat du Bas-Languedoc.
Enfin il semblerait que ces églises soient antérieures aux
secondes (voir l’article
concernant Saint-Loup).
3. Des
baies en « trou de serrure »
Ce type de baies (images
3 , 7 et 11) est, lui aussi, tout à fait
inhabituel. Comme toutes ces baies ont été obturées ou
détruites, il est difficile de savoir quelles étaient les
baies à l’origine. Peut-être y avait-il un linteau et un arc
situé en-dessous de l’arc actuellement apparent ?
4. Cul-de-four sous toit
charpenté
Sur l'image 12 ,
on peut voir que le chœur devait être primitivement voûté.
La naissance de la voûte est nettement visible et il
semblerait qu’elle ait été outrepassée. La voûte semble être
de plein-cintre mais terminée par un arrondi en cul-de-four
percé par un oculus. Il faut remarquer que l’oculus semble
être encadré par les symboles de deux évangélistes (voir un
détail de l'un des deux sur l'image
18).
On constate que la voûte en plein cintre est située
nettement en dessous de la charpente du toit. Tout se passe
comme si cette voûte n’avait pas servi à supporter un
toit mais seulement les fresques de décoration. Et
dans ce cas, le toit en charpente aurait servi à protéger
les fresques des intempéries.
Remarquons enfin que la voûte en plein cintre ne semble pas
avoir été précédée d’un arc triomphal. Nous reviendrons sur
ces particularités qui dénotent un certain archaïsme.
5. Une
décoration peinte ou sculptée « archaïque »
Image 13 : Sur le
mur du fond de nef, se détache une fresque encadrée par deux
colonnes posées sur une banquette. L’existence de cette
banquette témoigne d’un certain archaïsme. En effet, aux
premiers temps de la chrétienté, l’évêque était installé sur
un siège installé comme ici au fond de l’abside principale.
Image 14 : A
l’intérieur d’une niche, on retrouve la scène
paléochrétienne des « oiseaux au canthare ». Sauf qu’ici le
canthare est un calice et que les deux oiseaux ne sont pas
symétriques.
Image 15 : Cette
image d’un rapace et d’un lapin nous est connue pour la
première fois. Il ne faut certainement pas voir là dedans
une scène de « genre » tirée d’une sorte de fabliau. Mais
plus probablement une scène à valeur symbolique : les
animaux terrestres (le lapin) que nous sommes sont, à
travers la mort (donnée par l’aigle) emportés (par l’aigle)
vers les cieux.
Image 16 :
Quadrupède à tête humaine ? Le sagittaire est souvent
représenté au premier millénaire. On n’en connaît pas la
signification.
Image
17 : L’homme représenté sur cette colonne porte
une sorte de kilt. On a déjà vu ce type d’uniforme à
plusieurs reprises. S’agit-il d’un wisigoth ? Sa longue
moustache fait penser à des modèles celtes.
Image 18 : Situé
à droite de l'oculus de l'image
12, ce fragment de fresque représente un aigle
symbolisant Saint Jean. L'oiseau, qui déplie les ailes, est
auréolé d'une nimbe, et tient un livre entre ses serres.
Image 19 :
Représentation d’une femme nue, probablement Eve. Elle est à
côté d’un arbre sur lequel s’enroule un serpent. Son pagne
est très bizarre. S’agit-il même d’un pagne ? Il semblerait
que des oiseaux et des poissons virevoltent autour d’Eve
(les animaux de la création ?). Retenons aussi l’attitude
d’Eve qui lève les bras comme les orants des images
paléochrétiennes.
Image 20 : Cette
fresque représentant un saint s’apparente à des fresques de
catacombes. Remarquer l’auréole décrivant un disque complet
autour de la tête du Saint, alors que dans les
représentations plus récentes le disque est incomplet.
Remarquer aussi le visage extatique. Le vêtement porté par
le saint semble lui aussi d’inspiration antique.
Image 21. Dans
l’image précédente, le saint portait un codex (un livre).
Ici l’objet porté par le saint semble être un volumen (un
rouleau). L’animal en dessous s’apparente à un taureau (sans
corne ?). Peut-être une représentation de l’évangéliste Luc.
Essai
de datation
Le panneau d’information placé à l’entrée du site nous donne
les renseignements suivants : « L’édifice,
attribuable à la période carolingienne VIIIe-
IXesiècle) et autour duquel s’est développée
une modeste agglomération villageoise, a été bâti à
l’emplacement d’une nécropole paléochrétienne des Ve-
VIesiècles ».
Nous devons dire notre désaccord profond avec une telle
analyse, aussi succincte soit elle. L’auteur donne la date
de l’an 500 avec un écart de 100 ans pour la nécropole
paléochrétienne. Puis la date de l’an 800 avec un écart de
100 ans pour l’édifice dit « carolingien ». Soit une
différence de 300 ans entre ces deux types de
constructions.. Nous estimons qu’il y a une relation de
cause à effet entre les présences de la nécropole et de
l’église. Soit la nécropole a été construite parce qu’il y
avait une église. Soit l’église a été construite parce qu’il
y avait une nécropole. Mais l’église et la nécropole ont été
construites pour honorer les mêmes morts. Si l’église a été
construite après la nécropole, ce n’est certainement pas 300
ans après. On honore ses parents, voire ses grands-parents,
mais certainement pas ses ancêtres de la douzième génération
précédant la sienne propre.
Nous estimons donc, avant toute analyse stylistique, que
l’église et la nécropole sont contemporaines. Ceci dit, il
est fort possible que l’église de la nécropole
paléochrétienne ait été détruite et remplacée par une autre,
« carolingienne » , 300 ans plus tard. Mais dans ce cas il
faut en apporter la preuve, montrer les restes de murs ou
les fondations de cette église disparue.
Dans l’attente de cette preuve, nous dirons que l’église que
nous avons sous les yeux est contemporaine de la nécropole.
Par contre, nous serons moins rigoureux en ce qui concerne
la datation de la nécropole. L’ensevelissement des corps en
un même endroit a pu s’effectuer pendant plusieurs siècles
du IVeau VIIIesiècle, la
construction de l’église s’étant effectuée plutôt au début
des inhumations que vers la fin.
On aurait donc un édifice qui daterait des Veou
VIesiècles.
Certains éléments comme les sculptures ou les fresques ont
pu être introduits plusieurs siècles après les débuts de la
construction. Cependant nous pensons que ce n’est pas le
cas. L’archaïsme des représentations est dans le cas présent
synonyme d’ancienneté. Par ailleurs, on ne repère aucun
trait caractéristique de la période dite
« carolingienne » comme les entrelacs ou les motifs
géométriques.
Nous pensons donc que sculptures et fresques doivent dater
du Veou VIesiècle.
Les caractères très particuliers de cet édifice (angles
arrondis, baies en « trous de serrure », représentations
inédites) pourraient signifier que cette église ainsi que
les églises apparentées pourraient être des œuvres « locales
», c’est à dire les œuvres d’un peuple ayant vécu en ce lieu
et ayant sa propre culture et ses propres traditions. On
songe ici au peuple ruthène. Mais cela peut aussi être un
autre peuple d’origine inconnue.
S’il s’avérait que les fresques soient paléochrétiennes, on
serait en présence des fresques chrétiennes les plus
anciennes de France.