La villa gallo-romaine de Loupian
Ce n'est que récemment que nous avons eu
l'occasion de visiter la villa gallo-romaine de Loupian,
site archéologique qui conserve un très bel ensemble de
mosaïques. Nous aurions dû la visiter depuis longtemps mais
nous n'avions pas vu l'intérêt qu'elle pouvait représenter
pour notre site Internet. Il faut en effet savoir que
lorsque nous avons démarré l'écriture de ce site, nous avons
d'emblée exclu l'étude des monuments romains. Nous estimions
par avance que l'étude de la civilisation romaine avait été
très bien faite par nos prédécesseurs et qu'il n'y avait
plus rien de nouveau à apporter. Il nous semblait donc
inutile de répéter ce que d'autres avaient dit avant nous.
C'était même contre-productif, car cela nous empêchait
d'étudier les peuples autres que romains qui, nous le
pensions, avaient été négligés par les historiens.
Cependant, petit à petit, à l'occasion de recherches, de
voyages ou de découvertes, nous avons pris conscience de nos
lacunes en ce qui concerne la civilisation romaine. Nous
avons aussi compris que des décors ou des thèmes
iconographiques développés durant le Haut Moyen-Âge, voire
même le Bas Moyen-Âge, pouvaient avoir des racines romaines.
Et donc, petit à petit, nous avons essayé de réintégrer les
romains dans l'aventure de notre site Internet.
Le site touristique de la villa gallo-romaine de Loupian est
constitué de deux bâtiments : le musée (accueil des
visiteurs, librairie, pièces de mobilier trouvées lors des
fouilles) et, à plus de 200 mètres au Nord, le hangar
aménagé à l'emplacement des fouilles (image
1).
À l'intérieur de ce bâtiment, divers panneaux fournissent
des explications. Nous en reproduisons ici quelques uns :
« La résidence du Ve
siècle ap. J.-C.
Les mosaïques de l'Antiquité Tardive (début du Ve
siècle ap. J.-C.) ont été découvertes dans les années 30.
Le site a été fouillé entre 1968 et 1999. Après dépose et
restauration, les pavements ont été replacés à leur
emplacement d'origine. Pour les besoins de la scénographie
et dans un souci pédagogique, les murs ont été
partiellement reconstruits, à partir du plan des
fondations antiques.
La résidence se développe à l'angle occidental d'une
galerie à colonnades (péristyle) dont nous ne connaissons
pas les dimensions exactes mais qui encadrait une vaste
cour ou bien un jardin. Elle se trouvait bordée par les
autres bâtiments de la villa (les thermes, les
communs....). Réservée au séjour du propriétaire, un
aristocrate dont les activités s’exerçaient en ville, la
résidence est un ensemble de pièces de réception et de
vie.
Aujourd'hui, vous circulez sur une partie de la galerie.
La surface totale de la résidence datée du Ve
Siècle couvre une superficie totale de 650 m², alors que
les appartements du IIe siècle ap. J.-C. ne
couvraient que 360 m². Cette partie de la villa n'est pas
occupée en permanence, mais un intendant vit sur place
afin de gérer l'exploitation agricole et d'entretenir les
appartements. Le maître vient ici en villégiature et lors
de ses séjours, il reçoit les tenanciers qui exploitent
les terres du domaine, et les propriétaires indépendants
afin de prélever l'impôt. Il les accueille dans des salles
à vocation publique, faites pour impressionner les
visiteurs. D'autres salles relèvent de la sphère privée,
réservées à l'usage du propriétaire et de sa famille. Ce
sont des espaces plus intimes qui peuvent présenter aussi
un décor des plus soignés. »
Autre texte : « Les Mosaïques.
La restauration.
Deux méthodes ont été utilisées pour traiter les lacunes
dans les mosaïques, disparitions principalement dues aux
labours. Des compléments sont apportés pour la
compréhension des compositions et des motifs. Les parties
manquantes sont reconstituées à partir de tesselles
modernes ou par un remplissage de béton sobrement coloré.
Pour certains pavements, l'ensemble des lacunes a été
comblé. Les parties antiques correspondent aux zones en
couleurs, alors que les zones en noir, blanc et gris sont
l’œuvre des restaurateurs modernes.
Les styles syrien et
aquitain. Le caractère exceptionnel des mosaïques
de Loupian réside dans l'association, dans un même
programme décoratif, de deux styles caractéristiques de
deux provinces de l'empire romain : la Syrie et
l'Aquitaine antiques. Cette originalité peut s'expliquer
par le goût personnel du commanditaire ou par une volonté
d'achever au plus vite les décors. On estime ainsi que
deux équipes travaillant ensemble ont pu réaliser en 6 ou
18 mois les 450 m² de mosaïque. Le coût de la mise en
œuvre de ces mosaïques est important et pourrait
représenter la moitié de l'investissement consacré par le
propriétaire pour mettre la résidence au goût du jour. »
On se perd un peu dans toutes ces salles
aux mosaïques variées. Pour cette raison, nous avons pensé
rédiger un plan des bâtiments, des salles à l'intérieur de
ces bâtiments, ainsi qu'un sens de visite (image
3).
Nous avons de plus identifié quatre corps (ou blocs) de
bâtiments. Nous les désignons par les lettres A, B, C, D.
Le bloc A : Il est
situé à gauche (ce qui correspond au Sud) sur l'image
3. On y
voit les salles A1, A2, A2, A4 (salle à abside). Nous y
avons ajouté la salle A5 qui fait partie du bloc B. Mais
cette salle qui se situe à l'arrière de l'abside Sud du bloc
B ne communique pas avec une pièce de bloc B mais avec la
partie A2 du bloc A.
Le bloc B : Ce bloc
est le plus important en superficie. Il comprend les trois
absides Sud, Ouest et Nord ainsi que les salles qui les
entourent.
Le bloc C : Il est
situé dans le prolongement vers l'Ouest du bloc B. Il ne
comprend qu'une salle, C1, décorée et éventuellement deux
autres, plus petites.
Le bloc D : Il est
situé plus encore dans le prolongement vers l'Ouest du bloc
B. Il comprend deux salles D1 et D2.
Pour effectuer la visite, nous commencerons par le bloc A en
suivant l'itinéraire A1, A2, A3, A4. Puis nous étudierons le
corps B en en faisant le tour, en examinant successivement
les salles B1, B2, B3, B4, B5, B6, B7. Viendront ensuite le
bloc C et la salle C1, et, pour terminer les salles D1 et D2
du corps D.
Nous commençons par le bloc A (images
de 4 à 13)
Texte d'un panneau explicatif : « Pièces privées à la
résidence.
Un espace privé. Trois
pièces en enfilade (A 1 et 2, A3, A4)
forment la travée Sud de la résidence dont l'utilisation
pourrait être plus intime, de l'ordre du domaine du privé.
On accède depuis le péristyle à cette série de pièces qui
communiquent entre elles. La première pièce (mosaïque «
aux chardons »), serait une pièce de vie comparable à
celle décrite pour la mosaïque aux étoiles. Deux portes
donnent sur la chambre « aux feuilles d'hederae (lierre
grimpant) » et au débarras situé derrière l'abside où est
restitué le stibadium (lit de repos circulaire). C'est
donc une sorte d'appartement privé qui se dessine ici.
La mosaïque aux chardons
(A 1 et 2).
Cette grande pièce est partagée en deux tapis aux
compositions géométriques très fortes. Pour le premier, un
réseau de tresses dessine un quadrillage régulier rempli
de motifs végétaux inscrits dans des médaillons
circulaires ou carrés. Ces motifs composés de feuilles
échancrées et trifides ne sont pas à proprement parler des
chardons, mais des représentations stylisées
indéterminables (A 1).
Le second tapis est structuré par une trame décorative
en nid d'abeille. Les hexagones sont remplis une fois
sur deux par des motifs comparables au premier tapis ou
par des fleurons aux larges feuilles cordiformes (A
2)
La palette, moins riche que dans la pièce suivante, est
toutefois utilisée d'une façon élégante. Ici encore
l'inspiration syrienne est de mise, attestée par la
parenté des motifs avec les mosaïques d'Antioche ou
d'Apamée (images
5, 6, 7).
»
Concernant les salles A3 et A4, nous ne disposons pas
des explications détaillées. Dans la salle A3, on peut vois
les restes d'une mosaïque qui devait représenter les saisons
avec l'image du Printemps dont la tête est couronnée de
fleurs (image 9),
et peut-être, l'Hiver (image
10). À remarquer que ces deux figures sont
inscrites dans un cadre circulaire, lui-même encerclé par
deux bandeaux qui s'entrecroisent. Le premier bandeau
contient une sorte de tuyau cylindrique, le second, une
torsade. Les nuances de couleur contribuent aux effets de
relief. Ces deux bandeaux se croisent à nouveau pour
entourer d'autres cadres circulaires contenant une croix et,
à l'intérieur de celle-ci, une autre croix. Remarquer encore
que les deux figures des saisons sont orientées dans le même
sens : l'abside semi-circulaire. On en déduit que le
visiteur, placé dans les salles A1 et A2, doit avoir son
regard porté vers l'abside et, au passage, sur les images
des saisons.
L'image 11 de
l'abside A4 montre que le dessin d'origine n'a pu être
totalement restitué. Existait-il, partant du centre du
cercle, un vase analogue à celui de l'image
15 (mais plus petit !) d'où partaient les rameaux
de ce lierre ? En tout cas, on remarque que les feuilles de
ce lierre que l'on croyait identiques ne le sont pas tout à
fait en fonction de l'emplacement qu'elles occupent dans la
salle (images 12 et 13).
Passons à présent à l'étude du bloc B en
commençant par la salle B1.
Cette pièce de forme carrée est partagée en quatre quadrants
par une grande croix grecque formée de faisceaux de feuilles
de laurier entrelacés (image
14). Des grandes potiches dont l'une contient un
palmier (image 15)
sont placées aux extrémités des branches de la croix. Il est
possible que le palmier représente l'Arbre de Vie.
La pièce suivante B2 est à plan semi-circulaire. C'est l'une
des trois absides du bloc B. La reconstitution de l'ensemble
(image 16) fait
apparaître un schéma de composition un peu surprenant. En
effet, on s'attendrait à ce que le « découpage » du
demi-disque en panneaux réguliers respecte les contours du
demi-disque. Or, si l'on observe les cercles de petit
diamètre qui encadrent les figures subsistantes et ceux qui
ont fait l'objet d'une restitution, on s’aperçoit que ce
n'est pas le cas. Ces cercles, tous de même rayon, sont
alignés suivant deux directions. On observe 7 rangs de
cercles orientés de haut en bas de l'écran. Et 4 rangs dans
la direction transverse de gauche à droite., sachant que le
premier rang est parallèle à la ligne d'entrée de l'abside.
En fait, tout se passe comme si le concepteur avait installé
un damier dans l'abside. Cette disposition peut être
éclairante pour l'usage de cette salle. Tout se passe comme
si, dans cette salle, on avait prévu de placer à l'intérieur
de chacun des cercles une figure de jeu d'échecs. Cependant
ce n'est certainement pas à un jeu de société qu'il faut
penser pour l'usage de cette salle. Les images
suivantes 17, 18, 19 font
apparaître à l’intérieur de ces cercles diverses sortes de
croix, certaines inscrites les unes dans les autres, des
svastikas, des carrés (?) et même deux amphores.
Texte d'un panneau explicatif : « Petite
abside et chambres.
La mosaïque aux svastikas – Chambre.
Il s'agit sans doute de la mosaïque dont la composition
est la plus originale. Le tapis central est décoré d'un
méandre de svastikas superposé à une trame de cercles
tangents. On retrouve dans l'encadrement ondulé ou dans le
traitement des cercles, le style « arc en ciel » de la
mosaïque du printemps attribuée à l'équipe syrienne. Les
motifs de remplissage de la bordure appartiennent à la
même influence. Mais certains motifs végétaux relèvent du
répertoire aquitain, ce qui pourrait indiquer
l'intervention de cette seconde équipe, peut-être pour
achever le pavement. »
On aborde la salle B3 représentée sur
les images 20 à 24.
On remarque tout d’abord que la partie centrale contient une
rangée de 6 cercles avec à l'intérieur la même figure
apparentée à une croix gammée. En fait les 6 figures ne sont
pas tout à fait identiques puisque le deux cercles de droite
sont en partie tronqués. Cette bizarrerie soulève une
question : serait-il possible que cette mosaïque ait été
faite « industriellement » en un autre endroit, puis
importée en ce lieu et retaillée à ses dimensions ?
Si les éléments du rectangle central sont identiques, il
n'en est pas de même pour ceux situés en périphérie. Nous en
présentons quelques uns.
Image 21 :
Entrelacs inscrits dans un carré. Au-dessus, des feuilles de
lierre.
Image 22 : À
gauche, autre figure d'entrelacs inscrits dans un
carré. À droite, deux carrés entrelacés, un des deux
carrés ayant des bords arrondis.
Image 23 : De
gauche à droite, un carré et deux triangles équilatéraux à
bords arrondis sont entrelacés ; puis une figure d'entrelacs
inscrits dans un carré. Enclos à l'intérieur d'un carré
divisé en quatre parties, le nœud de Salomon à bords
arrondis alterne avec le nœud de Salomon à bords anguleux.
Image 25 : On
retrouve sous une autre forme les carrés entrelacés. En
dessous, une forme circulaire contenant 4 cercles
entrelacés.
Image 26 : Des
figures analogues à celles vues précédemment. À
droite, une figure nouvelle : un carré dont le périmètre est
fait d'une ligne entortillée.
Concernant les mosaïques de la petite
abside B4, nous ne pouvons pas dire grand-chose de plus que
ce qui est écrit ci-dessous.
Suite du texte du panneau intitulé « Petite
abside et chambres. » :
«
La mosaïque aux oiseaux - Petite abside (images
27, 28, 29). Elle
appartient à la série syrienne. La trame du quadrillage
est faite d'une série de svastikas et de carrés. Le
remplissage semble s'épuiser dans la combinaison de motifs
carrés colorés. Ce travail répétitif donne une impression
de faiblesse décorative et la composition ne semble pas
adaptée à un tapis semi-circulaire. On relève quelques
maladresses d'exécution. En traçant un axe de symétrie à
partir du vase qui occupe un coin du tapis, on constate
que les panneaux de damiers situés à droite et à gauche
des méandres sont de taille différente, rattrapant
l'équilibre de la composition géométrique. Le bandeau
situé le long du seuil présente une sorte de bandeau de
feuilles à bords festonnés, agrémentés de vrilles. Il
abrite deux oiseaux, le premier de couleur jaune, tête
baissée, le second de couleur bleue, bien difficiles à
identifier.
La mosaïque aux deux
tapis - Chambre (image
30).
Ce pavement présente un tapis carré avec une bande de
rallonge rectangulaire. Dans le tapis principal, s'inscrit
un grand cercle cantonné de carrés remplis de motifs de
nœuds et de boucles. À l'intérieur, c’est un entrelacs de
câbles en arc-en-ciel, de sinusoïdes de couleur blanche,
et de tresses à deux brins qui compose le motif que l'on
retrouve sur d'autres mosaïques syriennes de Loupian. Le
tapis rectangulaire offre, comme pour la mosaïque aux
« svastikas » la superposition d'un réseau de cercles sur
un quadrillage [...] »
Les images
31 à 35 sont celles de la grande salle B6 du bloc
B. On remarque tout d'abord sur les images
31 et 32 l'existence d'un rectangle central
entouré d'une colonnade telle que les bases des colonnes
s'appuient sur le pourtour du rectangle intérieur et les
sommets des arcs, sur le pourtour du rectangle extérieur. On
a là une sorte d'atrium (cour rectangulaire entourée d'un
portique à colonnes). Mais un atrium écrasé (ou si l'on
préfère, un atrium en dimension 2). À l'intérieur des arcs,
sont installées de grandes potiches d'où partent des
rameaux. Ces potiches sont disposées alternativement en sens
normal- en sens inverse (cul par-dessus tête). Cette
disposition permet au visiteur d'avoir deux visions
différentes. L'une, avant d'entrer dans la pièce, lui permet
de voir la moitié des potiches en sens normal. Lorsqu'il se
retourne une fois rentré dans la pièce, il peut voir l'autre
moitié de potiches qui était en sens inverse, cette fois-ci
en sens normal. Tout n'est cependant pas aussi bien réglé
car, en allant vers le centre, il passera au-dessus d'un bel
arbre (images 33 et 34),
qui ne pourra être vu qu'en sens inverse à partir du centre
de la pièce. Cette pièce représenterait le jardin idéal,
sorte de Paradis Terrestre. L'arbre, qui serait un
cognassier, pourrait être le symbole de l'Arbre de Vie.
La dernière salle du bloc B est la salle B7 (images
36, 37 et 38). On y voit une mosaïque aux formes
nouvelles (un carré au centre avec quatre triangles
équilatéraux greffés sur les côtés. À l'intérieur de chaque
triangle, trois feuilles de lierre sont pointées sur les
côtés. L'intérieur du carré est occupé par une série de
petits cercles contenant des croix (image
37). Sur l'image
38, on
peut voir des nœuds de Salomon.
Nous passons à la salle C1 (images
39 à 47). Cette salle est basée sur le modèle
octogonal, avec un cercle au centre, entouré par 8 autres
cercles de même rayon. Seuls deux des 11 cercles n'ont pu
être reconstitués. Des carrés, des losanges et des triangles
occupent les espaces interstitiels (image
39).
Pour décorer ces diverses scènes, l'imagination apparaît
débordante.
Image 40 : figure
dominante, l'hexagone. Six hexagones entourent un autre
hexagone, l'ensemble formant un autre hexagone.
Image 41 : figure
dominante, l'octogone.
Image 42 : figure
dominante, la croix, une croix aux branches renflées, figure
peut-être issue de la croix pattée.
Image 43 : figure
dominante, l'octogone, fait de deux carrés entrelacés.
Image 44 : figure
dominante, la croix à six branches.
Image 45 : figure
dominante, l'octogone.
Image 46 : au
centre, figure dominante, le pentagone. Cette figure nous
semble assez exceptionnelle car le pentagone est difficile à
construire d'un point de vue mathématique (« à la règle et
au compas ») ; celui-ci apparaît de plus étoilé avec des
branches entrelacées.
Image 47 : figure
dominante, la croix, entrelacée avec un cercle.
Le
bloc D (images de
48 à 63) : il est formé de deux salles : la salle
d'entrée D1 et l'abside D2.
La salle D1 contient une autre mosaïque aux saisons :
seraient représentés l'Hiver (images
49 et 50) et l'Automne (images
52 et 53).
Dans cette partie, la croix est représentée sous diverses
formes : 3 formes sur l'image
49, 2 formes sur l'image
50 , 1 forme (sceau de Salomon) sur l'image
51.
La salle D2 (images 54 et
56) contient une série d'hexagones. Là encore,
l'imagination créatrice semble l'emporter. Examinons
quelques unes de ces images.
Image 57 : Des
peltes. La figure en forme de navire est appelée « pelte ».
À l'origine, la pelte était un bouclier grec en forme de
croissant de lune. On ne sait pour quelle raison il y a eu
doublement de concavité. Cette figure aurait été un emblème
des Amazones. En tout cas ,elle est reproduite en plusieurs
endroits de la mosaïque de Loupian.
Image 58 : Des
feuilles de lierre et des entrelacs.
Image 59 : Un
miroir.
Image 60 : Une
croix pattée, des rameaux de lierre et des peltes.
Image 61 : Une
svastika.
Image 62 : Un
sceau de Salomon.
Image 63 : Une
série de boites accolées. Quel est leur usage ? Tuyaux
d'orgue ?
Divers commentaires sur ce monument, ses mosaïques et la
description générale de celles-ci
Sur la datation des
mosaïques
Le texte d'un panneau explicatif nous fournit la date : «
début du Ve siècle ap. J.-C. ». Nous
avons l'habitude de mettre en doute toute datation
lorsqu'elle n'est pas justifiée d'une façon précise. Notre
attitude est justifiée par l'expérience : dans la plupart
des cas, les datations proposées entraient en conflit avec
nos propres estimations. Cependant, dans le cas présent, la
datation pourrait convenir. Il y a plusieurs raisons à cela.
La première de ces raisons est que cette datation est un peu
inattendue (pour nous) car elle n'entre pas dans le cadre de
la logique classique des apprentis historiens qui raisonnent
ainsi : « Les grandes invasions barbares commencent avant la
fin du IVe siècle et s'amplifient à partir du
début du Ve siècle. Les envahisseurs détruisent
tout et le construisent rien. En conséquence, il n'y a pas
de construction romaine à partir de l'an 400. ». Nous
estimons que ce discours est non seulement simple, mais
aussi simpliste et nous avons plutôt tendance à croire ceux
qui prononcent un discours un peu différent. Mais il existe
une autre justification de datation. Les archéologues
estiment que certaines de ces mosaïques sont comparables à
des mosaïques syriennes. Or ces mosaïques situées à Antioche
ou Apamée sont en nombre suffisant pour faire des
comparaisons. Qui plus est, à partir du IVe
siècle, certaines de ces mosaïques sont datées. Dans son
ouvrage intitulé, Mosaïques
antiques du Proche_Orient : chronologie, iconographie,
interprétation, paru en 1995, accessible par
oOrdinateur par le site de Persée, l'auteur Janine Balty,
effectue une étude rigoureuse qui doit être prise en compte.
Il s'agit, bien sûr, des mosaïques du Proche-Orient et non
de Loupian. Il faudrait donc faire une autre étude
comparative (elle a sans doute déjà été faite) afin de
confirmer la datation. Dans son ouvrage, Janine Balty
rappelle que les évolutions stylistiques peuvent être
lentes, et parfois créer des surprises.
Le texte du panneau nous révèle l'existence de deux « écoles
» de mosaïstes : une école dite « aquitaine », et une école
« syrienne ». Nous ne prétendons surtout pas être compétents
en matière de mosaïque, mais cependant, si nous admettons
l'idée qu'il existe des mosaïques syriennes ou tunisiennes,
nous sommes plus interrogatifs en ce qui concerne les
mosaïques d'Aquitaine. Où les trouve-t-on ? Car nous n'en
connaissons que très peu. Comment arriver à faire une étude
sur de rares exemples en sachant que la fabrication des
mosaïques s'est étalée sur plus de cinq siècles ?
À cela s'ajoute le fait que nous sommes sur le territoire
d'Agde qui ne faisait pas partie de l'Aquitaine (territoire
difficile à définir avec exactitude situé à l'Ouest et (ou)
au Nord de Toulouse). S'il a existé une école de mosaïstes
dans le Sud de la France, cette école a pris naissance en
Narbonnaise, fortement romanisée, plus probablement qu'en
Aquitaine.
Sur l'influence syrienne
Selon l'auteur des textes des panneaux, le propriétaire de
la villa aurait fait appel à des mosaïstes du Proche-Orient,
soit à cause du « goût
personnel du commanditaire », soit « par
une volonté d'achever au plus vite les décors. ».
Comme nous l'avons dit précédemment, nous n'avons pas
suffisamment de connaissances dans le domaine des mosaïques
romaines pour différencier celles produites par une équipe
dite d'Aquitaine de celles produites par une équipe de
Syrie. Cependant, nous disposons grâce à notre site d'images
de certaines figures représentées à Loupian. Il en est ainsi
du sceau (ou nœud) de Salomon. Sans avoir voulu faire un
inventaire exhaustif, nous le retrouvons sur 20 monuments.
Pour 14 d'entre eux, le motif est sculpté en bas-relief. Les
localisations sont diverses. Pour la France : la Nouvelle
Aquitaine, l'Auvergne-Rhône-Alpes, la Bourgogne, la
Bretagne, l'Occitanie. Pour l’Italie : le Piémont, le
Latium. On le trouve aussi en Grèce (église des
Saints-Apôtres à Athènes). Pour les 6 autres, le motif est
présent dans des mosaïques. On le trouve à Volubilis
(Maroc), associé à des croix pattées et des svastikas ; à
Tarragone (Catalogne/Espagne) ; à Venosa (Basilicate/Italie)
, à Aquilée (Frioul/Italie) où il est associé à des croix à
entrelacs, des carrés à entrelacs, des svastikas, et,
peut-être, une Automne : à Grado (Frioul/Italie) où il est
associé à des croix à entrelacs et des svastikas ; à
Fianello (Latium/Italie). Précisons que cette figure du
sceau de Salomon est en général inscrite dans un cadre à
entrelacs. D'ores et déjà; la répartition géographique de ce
« sceau de Salomon » et son association avec d'autres formes
à entrelacs très caractéristiques ainsi que des svastikas,
tend à montrer que la construction de ce type d'image n'est
pas liée au « goût
personnel du commanditaire », mais plutôt
institutionnalisée.
La deuxième explication, « par
une volonté d'achever au plus vite les décors. »,
est un peu courte dans la mesure où on ne sait pas combien
de temps a été mis pour réaliser l'ensemble de l’œuvre.
En admettant qu'il ait pu y avoir une influence seulement
syrienne (et non une pratique universellement répandue dans
le monde romain au cours des IVe et Ve
siècles), nous avons peut-être une autre explication. Elle
est liée à la spécificité d'Agde. On sait qu'Agde a été une
ville grecque. C'était un port d'étape entre Marseille et
Empuriès (comme les autres nations commerçantes, les Grecs
pratiquaient le cabotage). Nous pensons qu'initialement, les
grecs partis de Marseille prenaient la direction (« le cap
») des îles Stoechades, un chapelet de trois îles
(actuellement Sète, Mèze et Agde). Deux au moins de ces îles
(qui ont été absorbées par le continent), Agde et Mèze,
devaient faire partie d'un petit territoire concédé aux
grecs. Nous connaissons cela de nos jours avec les
territoires de Hong-Kong (plus maintenant), Djibouti ou
Guantánamo. Selon nous, ce territoire, ainsi que ceux de
Marseille ou Empuriès, auraient conservé une certaine
indépendance durant la période romaine. Le comptoir grec
d'Agde serait devenu le diocèse d'Agde. Il aurait perdu
petit à petit sa spécificité grecque. Nous pensons cependant
qu'il a pu conserver des liens avec les communautés grecques
du Proche-Orient jusqu'à une date avancée (le Ve
siècle ?). D'où nous vient cette idée ? De la lecture de l'Histoire
des Francs de
Grégoire de Tours, qui a vécu dans la deuxième moitié du VIe
siècle. On y découvre la position particulière de Marseille
dans l'échiquier politique du moment ainsi que le rôle des
patrices, représentants de l'empereur romain, un empereur
plutôt proche de l'Orient vivant à Byzance ou au Nord de
l'Adriatique (Ravenne, Aquilée).
Sur
l'origine de ce monument
Le texte explicatif est clair. Pour son auteur, l'occupant
de ce lieu est le riche propriétaire de la propriété qui
l'entoure. Il ne vit pas en permanence dans sa villa et il
l'a emménagée afin d'accueillir dignement ses visiteurs. Il
insiste sur le fait qu'il existe des appartements privés. Il
en est ainsi de l'ensemble du bloc A, de pièces du bloc B
(B1, B3, B5 et B7, pièces appelées chambres), et
probablement de C1. Les pièces qu'ils considère comme
publiques sont d'une part la pièce centrale du bloc B, B6,
et ses trois absides. Le bloc D est lui aussi considéré
comme public : il y reçoit ses fermiers et ses tenanciers.
Nous émettons de forts doutes quant à cette analyse. Les
pièces que l'auteur indique comme étant privées n'ont, selon
nous, rien de privé. Le bloc A, tout comme le bloc D, a un
plan de basilique à nef unique et abside semi-circulaire.
Attention cependant : lorsque nous parlons de basilique, il
ne s'agit pas forcément d'une basilique chrétienne, mais
d'un monument romain à caractère public. Nous l'avons dit en
ce qui concerne le corps de bâtiment A, mais c'est aussi
vrai pour le corps D : tout est fait pour attirer
l'attention vers l'abside, le visage des personnages des
saisons, la forme semi-circulaire des absides.
Une autre objection peut être faite. Lorsque nous avons
visité le site, l'archéologue qui nous accompagnait nous a
appris que la propriété occupait un vaste espace allant de
Loupian jusqu'à l'étang de Thau, soit à l'intérieur d'un
cercle de diamètre 1 800 mètres.. Ce qui correspondrait à
une superficie de 250 hectares de terres cultivables. Ce
nombre apparaît important. Il doit cependant être comparé à
la superficie agricole du département de l'Hérault (les
terres agricoles occupent 30% de la superficie totale).
D'après les données de Wikipédia, cette superficie est,
actuellement de 185 048 hectares. Ce qui correspondrait à la
superficie de 740 domaines analogues à celui de la villa de
Loupian. Ceci signifie qu'il devrait y avoir dans le seul
département de l'Hérault 739 maisons possédant un ensemble
de mosaïques analogue à celui de Loupian ! Et il existe en
France plus de 85 départements de superficie analogue à
celle de l'Hérault !
En fait, l'ensemble de mosaïques que nous avons ici apparaît
beaucoup trop important. Il ne peut avoir appartenu au
propriétaire d'une villa privée. Nous avons eu l'occasion de
voir des ensembles de mosaïques plus importants encore à
Pompéi, Herculanum, Stabiès ou Volubilis. Mais à chaque
fois, les mosaïques appartenaient à plusieurs édifices et
non, comme ici, à un seul.
Mais d'où pourrait venir l'idée ainsi exprimée : «Cette
partie de la villa n'est pas occupée en permanence, mais
un intendant vit sur place afin de gérer l'exploitation
agricole et d'entretenir les appartements. Le maître vient
ici en villégiature et lors de ses séjours, il reçoit les
tenanciers qui exploitent les terres du domaine, et les
propriétaires indépendants afin de prélever l'impôt. Il
les accueille dans des salles à vocation publique, faites
pour impressionner les visiteurs. ». Nous pensons
qu'elle est issue de certains écrits d'auteurs du IVe
ou Ve siècle (Ausone, Sidoine Apollinaire,
Venance Fortunat, ...) qui aimaient se retirer dans leurs
riches villas à l'écart des villes. Même si certaines de ces
villae pouvaient posséder des thermes (c'est le cas de la
villa du IIIe siècle qui a précédé celle de
Loupian), les conditions devaient être plus spartiates que
celles des appartements urbains. Nombre de ces villae ont
été fouillées et on s'est aperçu que les bâtiments
d'exploitation agricole étaient plus importants que les
appartements privés. Il existe cependant une villa décorée
d’un nombre impressionnant de mosaïques. Elle se trouve en
Sicile (nous devons l'étudier prochainement). C'est la villa
impériale Del Casale. On doit tout d'abord remarquer que
cette villa est dite « impériale » : elle aurait appartenu à
l'empereur Maximien qui vivait à la fin du IIIe
siècle … et qui devait « avoir les moyens ». La deuxième
remarque à faire est que les mosaïques de cette villa
sicilienne développent des thèmes « de genre » : la chasse,
la pêche, le sport. Un décor tout à fait différent de celui
de Loupian, un décor d'appartements privés.
Mais alors, si cette « villa » de Loupian n'est pas une
vraie villa, qu'est-ce donc ?
La première remarque que l'on doit faire est l'immense faute
de goût ! L'auteur d'un des textes nous parle du «goût
personnel du commanditaire ». mais disons le tout
de suite, le commanditaire en question n'a aucun goût. Nous
avons appris que certains pans entiers de mosaïques étaient
appelés « tapis » mais il n'y a, à peu près rien dans ces
mosaïques qui s'apparente à un tapis. Dans un tapis, soit le
décor est celui d'un tableau, soit un dessin de base est
reproduit par symétrie, rotation ou translation. Le seul cas
où l'on trouve un telle opération apparaît est celui des
salles A1 et A2 (images 6
et 7). Mais ailleurs, tout est différent. Prenons
le cas de la salle C1 (image
39). On devait avoir à l'intérieur des cercles soit
des décors géométriques identiques, soit des scènes
réalistes comme le sont les images du Printemps et de
l'Automne. Mais rien de cela. Et, qui plus est, les figures
géométriques (triangles et losanges) situées hors des
cercles portent des décors ne respectant pas les symétries.
Autre chose : revenons à l'image
16, où
l'on voit une série de cercles identiques convenablement
alignés dans un quadrillage. Cette salle est l'abside B2.
Normalement l'abside est le lieu où se concentrent les
regards. C'est là où doit se situer le maître du lieu
trônant sur sa chaise comme on le voit sur l'image
48. Et donc logiquement, il devrait y avoir un seul
grand cercle (ou un demi-cercle) situé au centre de l'abside
pour focalise l'attention sur le maître du lieu. Or ce n'est
pas le cas en ce qui concerne l'image
16. Mais
ce n'est pas non plus le cas pour la salle D2 (images
48, 54, 55, 56) où de nouveau apparaît un
quadrillage de cercles de mêmes rayons.
Nous avons parlé d'une faute de goût ... mais nous n'y
croyons pas ! Plus exactement nous ne croyons pas qu'il y
ait eu une faute mais une volonté délibérée de procéder
ainsi quitte à heurter le goût de certains. Notre idée est
qu'il n'y avait pas une seule personne, le propriétaire,
mais une assemblée d'égaux. Le regard que les spectateurs
portaient vers l'abside B2 ne devait pas s’adresser à une
seule personne mais à 24. Et il devait en être de même pour
l'abside D2 (avec un moins grand nombre de personnes). Quant
à la salle C1, à plan centré, elle devait être prévue pour
les palabres.
Et les diverses croix à entrelacs, les svastikas, les carrés
ou cercles à entrelacs, les peltes, les miroirs, les boîtes
? Que viennent faire ces figures dans tout cela ? Nous
proposons une idée que nous avons avancée au sujet de
certaines églises romanes dans lesquelles on peut voir des
chapiteaux aux décors surprenants : des lions, des aigles,
des êtres hybrides, des sirènes. Nous avons remarqué que
nombre de ces décors se retrouvaient dans des armoiries de
chevaliers du XVe siècle. D'où l'idée que ces
décors de chapiteaux romans pouvaient être des blasons, les
signes qu'un ordre ou une famille de chevaliers a pris soin
de la construction de l'église.
Nous proposons la même idée en ce qui concerne les décors de
la « villa » de Loupian. Aux alentours de l'an 400, la ville
de Rome avait abandonné le peu de pouvoirs qu'elle exerçait
sur les villes de province. Mais il restait l'armée romaine
qui, malgré ses divisions, pouvait intervenir dans des cas
d'urgence. Il restait aussi les peuples fédérés qui ont été
attirés pour la protection des frontières. Enfin,
localement, il restait la classe sénatoriale, fortement
romanisée, détentrice des richesses. Depuis longtemps, les
cités avaient probablement voulu reproduire les institutions
politiques (consulat, sénat) qui avaient fait la puissance
de Rome. Nous pensons que ces institutions politiques, elles
les ont gardées longtemps après la décadence romaine. Les
diverses croix, svastikas ou peltes pourraient donc être des
blasons de familles de la haute aristocratie romaine.
Il s'agit là d'une idée que nous suggérons. Nous n'avons pas
d'autre explication de la « faute de goût ».
Rappel :
la date envisagée pour la fabrication de la mosaïque
est l'an 425 avec un écart de 25 ans.