L'église Notre-Dame de Roumanou à Cestayrols
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Récemment, un de nos correspondants, Monsieur Olivier Dinh,
a porté à notre connaissance cette église du Tarn. Elle a
fait l'objet d'une courte monographie par Marcel Durliat
dans sou ouvrage, Haut-Languedoc
Roman, de la collection Zodiaque.
Nous n'avions pas estimé nécessaire de la visiter lors de
notre passage dans le Tarn, il y a près de quatre ans. En
effet, le texte de Marcel Durliat insistait sur l'importance
des restaurations effectuées dans la seconde moitié du XIXe
siècle. Nous pensions alors que ces restaurations avaient pu
modifier notablement les structures et ainsi empêcher une
lecture objective de l'architecture de l'édifice. L'intérêt
que Monsieur Dinh apportait à cet édifice a modifié notre
point de vue. Grâce aux images recueillies sur Internet,
nous pouvons à présent étudier cet édifice un peu
surprenant.
Mais avant cela, lisons quelques extraits du texte de Marcel
Durliat :
« En
1079, le pape confirme à Saint-Victor de Marseille la
possession de l'église de Roumanou, qui fut rattachée au
prieuré d'Ambialet. L'édifice, qui se dresse au cœur du
Causse d'Albi et aux bords de la Vère, très encaissée à
cet endroit, est tout à fait séduisant. Son état de
conservation paraît au premier abord satisfaisant, mais
cette impression est démentie par le consultation de la
série 2O aux Archives départementales du Tarn. Il ressort
en effet du dossier le concernant qu'il a fait l'objet
d'importants travaux de reconstruction dans la seconde
moitié du XIXe siècle. [...]
On
avait commencé la construction de l'église par l'abside au
XIIe siècle. [...] »
Ce texte appelle plusieurs commentaires.
Le premier d'entre eux concerne la référence à l'abbaye
Saint-Victor de Marseille. À l'heure actuelle, Marseille est
située à 360 km de Cestayrols par la route (distance la plus
courte). On peut penser qu'en 1079, les routes étant plus
tortueuses, la distance était de l'ordre de 400 km, voire
plus. Soit un trajet effectué en quinze jours. Cette
information n'est pas exceptionnelle : d'autres prieurés
aussi éloignés de Marseille sont rattachés à Saint-Victor.
Et l'abbaye Saint-Victor de Marseille n'est pas la seule à
avoir eu des possessions lointaines. Et combien d'autres
encore dont toutes les archives ont été perdues sont dans le
même cas ? Cela remet en question nos idées sur le Moyen-Âge
d'une société figée, de paysans attachés à leurs terres,
incapables de se déplacer au delà des limites du canton. On
devrait aussi chercher à comprendre les raisons de cette
dispersion des possessions : pourquoi l'église de Roumanou a
été une possession de Marseille alors qu'elle aurait pu
appartenir à d'autres abbayes voisines comme celles de
Lavaur, d'Albi ou de Castres ? Car il faut bien comprendre
qu'il y avait très probablement, parmi ces abbayes proches
de Roumanou, certaines ayant des possessions proches de
Marseille. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de remembrement ?
Le second commentaire met l'accent sur le caractère
contradictoire entre les deux phrases : « En
1079, le pape confirme à Saint-Victor de Marseille la
possession de l'église de Roumanou,... » et « On
avait commencé la construction de l'église par l'abside au
XIIe siècle. [...] ». Si l'église
existait en 1079 (au XIe siècle), comment se
fait-il qu'on ait commencé à la construire au XIIe
siècle ? Certes, il est possible qu'une église ait existé au
XIe siècle et qu'on ait construit sur son
emplacement une autre église au XIIe siècle. Mais
cela, l'auteur ne le dit pas. Car il faudrait qu'il le
prouve par un document quelconque. En fait nous avons
rencontré à de nombreuses reprises ce genre de raisonnement
en forme d'escamotage-pirouette de magicien (l’œuf était
dans ma main,... ça alors ! il a disparu !).
Passons à présent à l'analyse des
images.
Assez paradoxalement, cette église qui, selon la description
de M. Durliat, semblait fortement restaurée, apparaît l'être
moins que beaucoup d'autres. Il faut dire que le texte de M.
Durliat mentionne beaucoup de péripéties dans ces
restaurations, dont certaines n'ont pas été effectuées.
Les travaux principaux auraient concerné en premier les
croisillons du transept, puis le chœur qui aurait été
entièrement refait, et enfin, le clocher.
L'image 5 présente
l'intérieur de l'église vu en direction du sanctuaire. Il
existe deux travées de nef, mais seule la seconde est
visible sur l'image, au premier plan, à gauche et à droite.
On y voit des arcades accolées aux murs latéraux de la nef.
La première travée est partiellement visible sur les images 8 et 9 (vues
intérieures de la nef en direction de l'Ouest). Revenant à
l'image 5 : nous
nous apercevons que les arcades sont en plein-cintre
semi-circulaire non outrepassé. Elles sont portées par des
impostes à chanfrein vers l'intrados de l'arc. Le pilier (ou
pan de mur) portant cette imposte est recouvert par un
pilastre supportant une colonne demi-cylindrique engagée.
Cette colonne porte un chapiteau qui lui-même porte un arc
doubleau (image 6).
Il est manifeste que l'arc en plein-cintre et l'imposte sont
antérieurs au pilastre et donc antérieurs à la colonne
demi-circulaire portant chapiteau. Antérieur certes, mais de
combien de temps ? Nous pensons que les impostes sont d'une
façon générale nettement antérieures au système
chapiteau-tailloir. La raison ? Elle apparaît sur l'image
6. L'imposte
que nous voyons ici est simplement moulurée alors que le
chapiteau porte un décor. Et c'est ce qui se passe dans la
plupart des cas. Une des explications en ce qui concerne les
arcs en plein cintre est qu'ils ont été ajoutés
postérieurement afin de renforcer les murs latéraux de façon
à supporter les voûtes. Mais une telle explication ne tient
pas, car on ne comprend pas pourquoi on les aurait ajoutés
plusieurs décennies, voire siècles, avant la construction
des voûtes.
Nous donnons ici une autre explication : à l'origine, la nef
était à trois vaisseaux. Les arcs en plein cintre auraient
protégé les baies permettant d'accéder aux collatéraux. Ces
collatéraux étaient aussi accessibles à partir du transept :
les arcs protégeant les baies de communication sont visibles
sur l'image 8.
Cette église réserve une très grosse surprise. Les voûtes
sont supportées par des arcs en plein cintre. Celui situé au
premier plan de l'image 9
est à double rouleau. On en voit un autre en
arrière-plan sur la même image. Et un autre encore dans le
croisillon Sud du transept (image
6). Le fait qu'il y ait un arc à double rouleau
montre que cet arc a été installé relativement tard, aux
alentours de l'an mille. Date qui nous surprend un peu. Nous
pensions que les arcs outrepassés étaient antérieurs à cette
période ?
Datation envisagée pour
l'église Notre-Dame de Roumanou à Cestayrols : an 900 avec
un écart de 200 ans.