Église paroissiale Saint-Martin de Pérignan-Fleury 

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Le village de Fleury est situé à quelques kilomètres de Narbonne aux pieds du massif de la Clape. Il s’appelait autrefois Pérignan. Il a pris le nom de Fleury en 1814.

Son église paroissiale semble a priori ne présenter aucun intérêt, tant à l’extérieur (images 1, 2, 14) qu’à l’intérieur (image 13). Et il faut faire de sérieux efforts pour réussir à rectifier cette première impression négative.

Le lecteur assidu de notre site (nous espérons qu’il y en a) sera sans doute très surpris d’apprendre que la plus intéressante information se trouve inscrite sur le panneau à destination des touristes de passage (image 4). En effet, ce n’est pas dans nos habitudes d’attacher de l’importance à ces informations qui n’apprennent en général pas grand-chose de plus que ce que nous révèlent les murs de l’édifice. Mais celui-ci mérite vraiment d’être signalé. Relisons certains extraits de cette information :

« … Néanmoins elle (l’église Saint Martin) porte encore l’empreinte de ses origines Romane et Gothique.

De l’édifice primitif, attribué au XIe siècle, ne subsistent aujourd’hui ...

Il est assez amusant d’essayer de percevoir les transformations et reconstructions successives qui modifièrent cette église »

Pourquoi attachons nous une telle importance à ce texte ? Tout simplement parce qu’il est symptomatique d’un état d’esprit, le même état d’esprit que nous essayons de rectifier tout au long de ce site. En commençant par essayer de nous corriger nous-mêmes.

Pour tenter de nous faire comprendre, imaginons la situation suivante : lors d’un procès un expert de l’identité judicaire est appelé à la barre des témoins. D’emblée il annonce la couleur : le prévenu est coupable. Puis il ajoute, en direction des jurés : « Il est assez amusant d’essayer de percevoir le déroulement des faits à partir des indices que l’on aurait pu recueillir tels que les empreintes digitales ou les empreintes génétiques. »

Que penser d’un tel expert qui trouve amusant de laisser faire aux autres ce qu’il ne fait pas lui-même ?

Eh bien ! on devrait penser la même chose pour l’auteur de ce panneau qui, d’un côté, décrète que l’édifice primitif remonte au XIesiècle, et de l’autre, signale qu’il y a eu des transformations mais qui ne décrit pas ces transformations et ne les interprète pas.

Par ailleurs, le ton détaché qu’il utilise nous fait croire que, lui au moins, a réussi « à percevoir les transformations et reconstructions qui modifièrent cette église ».

Une telle assurance n’est certainement pas la nôtre. Comme le lecteur le constatera, nous avons identifié beaucoup de transformations. Et nous avons pu parfois arriver à les ranger dans une chronologie. Mais nous sommes dans l’incapacité totale d’effectuer une synthèse.

Par contre, nous avons acquis une conviction proche de la certitude que l’église primitive doit être attribuée à une date bien antérieure au XIesiècle.

Notre raisonnement est simple. D’une part, un intervalle de temps d’au moins une cinquantaine d’années doit séparer deux transformations successives. D’autre part, la période dite romane a eu une durée de deux siècles : le XIesiècle et le XIIesiècle. En conséquence, durant la période romane, un édifice peut avoir subi au maximum 4 transformations successives. La situation devient encore plus problématique si, comme c’est ici le cas, tous les éléments caractéristiques sont identifiés au « Premier Art Roman » qui correspondrait (selon les spécialistes) au XIesiècle : donc deux transformations au maximum.

Comment alors interpréter les résultats lorsqu’on constate qu’il y a eu ici au moins 4 ou 5 transformations successives? On peut certes biaiser en diminuant l’intervalle de temps entre deux transformations successives : par exemple 20 ans au lieu de 50. Mais il faut alors expliquer et justifier les raisons de modifications aussi fréquentes.

Le plus simple et le plus logique est d’accepter l’idée que l’église primitive est bien antérieure à l’an mille. Les 4 ou 5 transformations observées à Saint-Martin de Fleury ne sont pas logiques si l’édifice primitif est daté du XIesiècle. Elles deviennent parfaitement envisageables si le premier édifice a été construit au VIIIesiècle.


Commençons par le chevet (image 3). On y voit à partir du bas de l’image (mais à près de trois mètres de hauteur) une corniche à « billettes » faisant le tour du bâtiment, et, s’appuyant sur cette corniche, des colonnes adossées à chaque angle de l’abside pentagonale. De grandes fenêtres « gothiques » sont inscrites entre les colonnes.

L’ensemble apparaît donc relativement simple mais devient beaucoup plus compliqué lorsqu’on rentre dans les détails.

Observons d’abord les colonnes adossées. Celle de gauche cachée dans l'image 3 mais apparente dans l'image 2 est tronquée. Une des pierres semble porter un décor à vis.

La colonne suivante est reproduite dans l'image 5. On y distingue de bas en haut :

1) tout d’abord un pilier quadrangulaire adossé à l’angle du chevet.

2) la corniche à billettes qui court le long du mur en contournant le pilier rectangulaire.

3) un autre pilier quadrangulaire adossé de dimensions plus réduites que le précédent.

4) une base de colonne.

5) un fût de colonne adossé de forme cylindrique. Sur deux pierres de cette colonne on distingue un décor de vis sans fin.

6) un chapiteau de forme cylindrique à décor de feuillage.

Voyons à présent la troisième colonne, celle qui se situe le plus à gauche dans l'image 3.

Elle a été reproduite dans l'image 6. On y distingue les mêmes éléments que pour la colonne précédente, mais avec cependant des différences notables.

Ainsi pour le IIIeélément (pilier quadrangulaire), on constate que cette fois-ci c’est un pilastre cannelé.

La base de colonne (4eélément) a disparu.

Le fût de colonne (5eélément) n’est plus cylindrique, cependant les 4 pierres situées sous le chapiteau semblent être sont de forme cylindrique.

On retrouve le chapiteau cylindrique (6eélément), mais au dessus de lui, on trouve un autre chapiteau et, dans son alignement, une corniche à billettes mal reliée à ce chapiteau.

Ajoutons à cela que la corniche à billettes bien que très dégradée l’est beaucoup moins que les décors à feuillages des chapiteaux ou les décors à vis des colonnes.

L’ensemble témoigne de multiples reprises dont certaines ont pu se faire dès le premier millénaire. Une des reprises les plus évidentes est manifeste dans l'image 12. Comme en témoigne la corniche interrompue au niveau de la fenêtre, cette dernière a été percée après (plusieurs siècles après) la pose de la corniche. Cette image 12 est aussi révélatrice d’un autre détail. On a dit précédemment que le chapiteau de la troisième colonne (6eélément) portait lui-même un chapiteau. Ce n’est pas tout à fait exact. L'image 8 nous montre qu’il porte en fait deux pierres distinctes. Celle du dessous, plate, s’apparente à un tailloir. Elle est dégradée mais devait être, à l’origine, aussi finement ouvragée que le chapiteau. Sur celle du dessus, dégradée, le motif ornemental n’apparaît pas. On le devine, par contre, sur l'image 12 : le décor est à billettes. Il n’y a pas continuité entre les deux corniches à billettes successives qui doivent donc appartenir à deux époques de construction distinctes.

Reconstituer l’ensemble des événements architecturaux survenus à cette partie relève de la gageure. Nous allons néanmoins nous y essayer.

Le chevet initial était à plan pentagonal. Il devait être formé de grandes façades aveugles ou, à la rigueur, percées de rares fenêtres très étroites (en général et pour l’époque, une seule fenêtre axiale de forme meurtrière. Mais cette fenêtre pouvait même ne pas exister).

A chaque angle de la façade, est adossé un pilier quadrangulaire qui se développe sur une hauteur de 3 mètres. Il est décoré de cannelures (comme celles situées à la base du IIIepilier). Au dessus de ces piliers sont posées les bases de colonne (comme celle du IIepilier), puis des fûts de colonne cylindriques (comme celui du IIepilier). Ces colonnes sont entièrement torsadées et, probablement détachées du mur. Viennent ensuite les chapiteaux, les tailloirs et au dessus de ces tailloirs une corniche à billettes. Il est possible qu’il y ait eu une autre corniche au-dessus. En effet le processus décrit ici commence à faire ressembler cette abside à celles de Béziers ou d’Alet dans lesquelles les corniches sont très développées.

Voilà donc quel pourrait être l’aspect de cette première abside. Par la suite, divers aménagements sont faits qui modifient quelque peu cet aspect. Ainsi le pourtour de la partie inférieure et la corniche à billettes qui le surplombe feraient partie (selon nous) d’une deuxième campagne de travaux (peut-être avant l’an 1000). Au cours d’une autre campagne de travaux, on aurait assisté au voûtement de l’abside. Le toit de l’abside primitive s’arrêtait un peu au dessus des chapiteaux. Mais avant de voûter l'abside, il était nécessaire d’épaissir les murs en ajoutant des rangées de pierre à l’extérieur. Ce faisant on enrobait les colonnes cylindriques qui auparavant étaient détachées du mur (image 6). On enrobait aussi la corniche horizontale initiale qui devait se trouver en retrait par rapport à l’actuelle. Il a fallu en construire une autre en avancée (image 12).

Une autre opération a consisté à rehausser le toit de l’abside. Mais cette opération serait plus tardive (XVIesiècle ) ?  Comme on le voit, la situation est complexe et beaucoup d’inconnues susistent.


La décoration ne nous apprend pas grand chose de plus. Le décor de billettes et de denticules est connu dès l’époque antique mais il y est associé à d’autres décors comme des oves ou des fleurons. Le décor à base unique de billettes apparaît plus tard. Selons nous dès le VIIIe ou IXesiècle. Et il subsiste jusqu’au XIesiècle. Quant au décor de feuillages, il est de toutes les époques. Néanmoins des feuilles analogues à celles de l'image 7 ou de l'image 8 se retrouvent sur des bas-reliefs wisigothiques du VIe ou VIIesiècle. La forme cylindrique des chapiteaux est aussi révélatrice d’une grande ancienneté.

L'image 14 de la façade nord de l’église révèle d’autres transformations et d’autres mystères. Il y a d’abord le grand bâtiment à pignon triangulaire que nous avons négligé mais qui mériterait sans doute un examen plus approfondi.

Et puis il y a le clocher. D’ordinaire nous ne consacrons pas une grande attention aux clochers construits en règle générale à des dates beaucoup plus tardives que les églises.

Mais ce clocher là présente quelques particularités ;

Il y a d’abord la corniche horizontale située juste au dessous de l’horloge (image 15). Les agrandissements (image 16  et image 17) font apparaître les mêmes types de décors que précédemment (décors de feuillages et décors de billettes) dans un assemblage très dépareillé. Compte tenu de la position de cette corniche, nous pensons (sans preuve) que toutes ces pièces sont de remploi. La pièce la plus intéressante est la pierre angulaire de l'image 16. Il pourrait s’agir d’une ancienne imposte. Si la face de droite ne pose pas de problème (feuille encerclée comme dans l'image 7), la face de gauche porte des figures ressemblant à de la calligraphie.

Il y a ensuite dans le bas du clocher les restes d’arcades qui sont surlignés par un cordon de basalte (image 18). Il devait y avoir là une grande baie soutenue par des impostes.