La crypte de l'église Saint-Aignan d'Orléans 

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Historique

Selon Dom Jean-Marie Berland, coauteur du livre Val de Loire Roman de la collection Zodiaque :

«Peu de monuments sont datés avec autant de précision que l'église Saint-Aignan d'Orléans. Le moine Helgaud, de Fleury-sur-Loire, a narré beaucoup de détails de son histoire dans sa “Vie du roi Robert le Pieux” (996-1031). Nous savons ainsi qu'après l'incendie de la ville, en 989, on entreprit la reconstruction de cette église. Le Prince... prit tout à sa charge. Il fit établir la nouvelle “maison de Dieu” dans un lieu plus élevé... et suivit la construction jusqu'à son achèvement... La nouvelle église a des proportions grandioses (correspondant à : 86,5 m de longueur, 23,7m de largeur, 19,8 m de hauteur. Elle est dotée de 125 fenêtres).

Helgaud prend point de souligner que le chevet est semblable à celui de la cathédrale de Clermont (et non de Notre-Dame-du-Port). Ajoutons à cela que l'église comptait dix-neuf autels, dont nous connaissons les titulaires. L'autel principal était dédié à saint Pierre et saint Paul... Saint Aignan avait deux autels consacrés à son nom, l'un : ad caput, l'autre : ad pedens. Ce qui veut dire que l'un était dans l'abside de l'église supérieure, et l'autre dans l'abside de la crypte. Cette ordonnance est classique : l'autel principal, en avant du chœur de l'église haute et peut-être à la croisée du transept. L'autel matutinal, celui de saint Aignan, dans l'abside. L'autel de la confession, dédié aussi au saint, dans la crypte...

Le nombre précis des autels permet de déterminer avec beaucoup de vraisemblance le nombre de chapelles de l'église et de la crypte. En plus des trois autels dont on vient de parler, il reste encore seize autels à placer. Or la crypte compte cinq chapelles rayonnantes autour du déambulatoire. Le Docteur Lesueur a réussi à dégager une chapelle du transept : la première du croisillon Sud. Chaque croisillon devait comporter une chapelle qui devait s'y ouvrir comme celles du chevet, aussi bien dans la crypte que dans l'église haute, bien que les fouilles ne l'aient pas encore prouvé. Les deux autels qui restent devaient être placés dans la nef centrale, de chaque côté, pour fermer le chœur des chanoines, comme on le voyait partout ailleurs, en particulier à Cluny II.

D'autres découvertes du Docteur Lesueur jettent une vive lumière sur le plan général de l'église. Elles ont permis de trouver en place, dans le croisillon Nord, les vestiges d'un pilier rond et d'un pilier tréflé. Cette alternance se retrouvait dans le transept de la cathédrale d'Orléans et dans la basilique Saint-Martin de Tours. On est donc en droit de signaler de grandes similitudes de plan entre Saint-Aignan et ces églises : nef à collatéraux doubles et transept muni lui-même de collatéraux.

De cette grande église, il ne reste que la crypte, mais par celle-ci, on peut juger de son importance.

La dédicace en fut célébrée solennellement le 14 juin 1029...


Détail important pour dater le martyrium : durant les travaux de construction, les chanoines célébrèrent les offices dans l'église Saint-Martin “cuisse de vache” devant les reliques de saint Aignan et des autres saints, transportés et enterrés là, pour y attendre le jour de la consécration...

L'une des cérémonies les plus importantes de la dédicace fut le transfert de ces ossements sacrés...
».


Nous essaierons d'apporter, par la suite, une critique constructive de ce texte de Dom Jean-Marie Berland. Dans l'immédiat, nous allons décrire les images de cette page, difficiles à décrypter à première vue.

Examinons tout d'abord le plan de l'image 1. Le repérage est le suivant : le Nord est à gauche, l'Est en haut, le Sud, à droite, l'Ouest en bas. L'ouverture d'entrée, ménagée aue XVesiècle, est indiquée sur le plan, côté Sud. Le martyrium est le corps de bâtiment à plan rectangulaire en traits hachurés situé entre deux murs à traits pleins, côté Ouest. Une autre partie hachurée est quant à elle située côté Nord. Elle couvre 4 absidioles rayonnantes et une partie du déambulatoire. Cette partie a été repérée, mais n'est pas accessible à la visite. Il faut comprendre que ce plan de l'image 1 est un essai de reconstitution : il ne décrit pas la crypte telle qu'elle est actuellement, mais telle qu'elle a pu être à un moment donné de son histoire. Ainsi, on peut voir au centre de l'image deux rangées de piliers ainsi codés par paires : (A, B), (J, K), (L, M), (C, E), (F, G), (H, I). Côté Nord, la code N désigne la colonnade visible sur les images 3 et 4. L'image 2 a été prise dans la première travée en direction de l'entrée. On y voit la première travée et une partie de la seconde. À droite, le mur du martyrium, avec les deux colonnes A et B adossées à ce mur. L'image 3 a été prise dans la même travée, mais en direction du Nord. Toujours à partir de la même travée, l'image 4 a été dirigée vers le Nord-Est. Toujours prise à partir de la première travée, l'image 5 a été prise en direction du Sud-Ouest. Elle montre, à droite, le mur du martyrium et, au fond et en bas, les seuls restes de la colonnade Sud. Toujours prise à partir de la première travée, l'image 6 est orientée en direction de l'Est. On y voit deux piliers massifs à l'intérieur desquels on distingue deux chapiteaux. Il s'agit du couple de chapiteaux (C,E).

Résumons-nous : il reste en place le couple (A,B) (chapiteaux et colonnes), les couples (C,E) et (F,G) (chapiteaux et colonnes insérés dans des piliers), le couple (H, I). Les couples (J, K) et (L, M) ne sont pas en place : ils ont été ajoutés sur le plan.

Les chapiteaux insérés dans les maçonneries sont représentés sur les images 7, 8 et 9.

Les chapiteaux des colonnades adossés aux murs Nord et Sud sont représentés sur les images 10 et 12.

Un des deux chapiteaux des colonnes adossées au martyrium est représenté sur l'image 11.

Grâce aux informations apportées ci-dessus, on peut estimer pour ces trois derniers chapiteaux une datation proche de l'an mille.


Commentaires sur le texte du père Jean-Marie Berland

Tout d'abord, parlons de sa source d'inspiration, La vie du roi Robert, œuvre du moine Helgaud. L'intégralité de ce texte latin et de sa traduction en français sont accessibles sur le remarquable site Internet remacle.org. Nous n'avons pas remarqué de grandes différences entre la traduction de ce site et celle de Dom Berland. Nous notons cependant celle-ci. Voici le texte de Dom Berland : « Le Prince... prit tout à sa charge. Il fit établir la nouvelle “maison de Dieu” dans un lieu plus élevé.... et suivit la construction jusqu'à son achèvement » . Et voici le texte du site remacle.org : « Ce roi ... voulut par un saint désir placer son corps en lieu plus honorable; il commença à bâtir sur le lieu une église; et par l’aide de Dieu et le secours du saint, il la conduisit à sa fin. ... il fit dans ce même monastère dix-neuf autels en l’honneur des saints que nous allons nommer ici avec soin. Le principal était dédié à l’apôtre saint Pierre, auquel le roi associa Paul, son co-apôtre. Auparavant, Saint Pierre seul était vénéré dans ce lieu.». Ce qui, pour Dom Berland: est une construction «dans un lieu plus élevé», donc différent du précédent, devient pour le site remacle.org «un lieu plus honorable». Et, de plus, la phrase «Auparavant Saint Pierre seul était vénéré dans ce lieu.» montre que la nouvelle église est bâtie sur l'emplacement de l'ancienne.
Remarque
: il est possible que la nouvelle église soit, non une création intégrale, mais une extension de l'ancienne.


Datation

La démonstration de Dom Berland annoncée dès le début comme irréfutable - «Peu de monuments sont datés avec autant de précision que l'église Saint- Aignan d'Orléans.» - apparaît comme telle. Nous sommes cependant beaucoup plus réservés. Par exemple, en ce qui concerne la répartition des 19 autels. Cette répartition semble simple. Mais elle est directement liée à ce que l'on sait de l'ancienne église. D'après les fouilles effectuées : cinq absidioles d'un chevet à déambulatoire, une autre absidiole greffée sur le croisillon Sud du transept. Dom Berland en déduit qu'il doit y avoir une autre absidiole symétrique de la précédente, greffée sur le transept Nord. Soit en tout 7 absidioles au niveau de la crypte. Il en déduit aussi qu'il devait y avoir une église supérieure et donc 7 autres parties supérieures d'absidioles. Ce qui donne 14 emplacements d'autels. En ajoutant cinq autres emplacements, il en arrive au résultat final. Mais il s'agit là d'un exercice d'équilibriste. Nous avons visité un grand nombre d'églises. Certaines d'entre elles pouvaient avoir une disposition d'absidioles analogue à celle-ci : un déambulatoire à 5 absidioles, et un transept à une absidiole par croisillon. Mais ce n'était pas le cas de toutes et nous avons constaté de grandes disparités, par exemple des transepts à 2 absidioles par croisillon. Ce pourrait d'ailleurs être le cas ici, puisqu'il est dit que le modèle est celui d'une nef dotée de collatéraux doubles. Dans de tels cas, il y a en général une abside située dans le prolongement d'un collatéral. Autre remarque : cette église, de grandes dimensions, devait être dotée d'un ouvrage Ouest peut-être analogue à celui de Saint-Benoît-sur-Loire. Or dans ce cas, il existe une chapelle, et donc, au moins un autel, au premier étage de cet ouvrage Ouest. Ajoutons enfin que la présence d'une absidiole en cul-de-four n'est pas nécessaire à l'installation d'un autel qui peut être posé contre une paroi quelconque.

Dom Berland n'a pas mentionné le passage suivant extrait du texte de Helgaud : « ...il fit couvrir entièrement d’or la table de l’autel de saint Pierre, à qui ce lieu est consacré; sur cet or, la noble reine Constance, sa glorieuse épouse, après la mort de son mari, donna au Dieu très saint, et à saint Aignan, la somme de sept livres, pour réparer les toits qu’elle avait fait bâtir dans le monastère, et qui étant ouverts depuis le bas jusqu’en haut, laissaient voir le ciel plus que la terre... ». Cette information ne nous apprend pas grand-chose sur la construction elle-même. Elle est cependant pour nous très révélatrice. Nous n'avons cessé de répéter dans les pages de ce site qu'une consécration ne correspond pas à une inauguration célébrée lors d'une fin de travaux. C'est un autel qui est consacré (ou plusieurs en même temps : ici 19) et non une église. Cet extrait tend à prouver que l'église n'était pas terminée au moment de la consécration par Robert II. Il devait y avoir un toit provisoire, plus tard réparé par la reine Constance, après la mort de son mari. Mais certainement pas un toit définitif qui aurait été construit pour résister sur une durée de plus de cent ans. Ce renseignement est aussi très important, car il nous révèle quelle était la raison première de la consécration de 1029 : ce n'était pas l'inauguration d'une nouvelle église mais le déplacement des reliques. Et nous pensons que pour préparer ce déplacement, il y a bien eu une construction : la construction d'un nouveau réceptacle des reliques ... le martyrium. Selon-nous, ce martyrium, construit dans un appareil différent de celui des autres parties de la crypte, serait le seul témoin de la consécration de 1029.

Car le discours de Dom Berland, basé sur une lecture de textes pouvant se révéler biaisée, entre en totale contradiction avec notre propre lecture de l'architecture du monument. Sur deux points :

L'ancienneté des cryptes :

Le raisonnement consistant à dire que la crypte est la partie la plus ancienne de l'église (« église du XIIesiècle; crypte du XIesiècle ») est un classique des notices d'églises romanes. Nous pensons qu'il est, en grande partie, faux. La plupart des cryptes que nous avons étudiées ont été créées après la construction des églises et non avant. Le principe de construction d'une crypte est, selon nous, identique à celui de la construction d'une mezzanine : lorsqu'on dispose d'une salle de grande hauteur, on la partage en deux par un plancher horizontal pour créer deux salles de hauteur réduite. Il s'agit bien là d'une construction postérieure et non antérieure à la construction initiale. Dans le cas des mezzanines, il est arrivé que des architectes ayant apprécié le style de ces constructions introduisent la présence d'une mezzanine dans le plan initial. Nous pensons qu'il en a été de même en architecture d'églises. Si, globalement, durant la période romane, les cryptes n'étaient pas prévues dans la construction des églises (hormis parfois des salles basses pour compenser des déclivités de terrain), elles ont été systématiquement introduites dans les plans des églises gothiques nouvelles. Concernant Saint-Aignan, nous pensons être en présence, non d'une crypte construite à cet effet, mais de la partie basse d'une grande église. Cette partie basse aurait été ultérieurement transformée en crypte, une première fois en utilisant les piliers des images 7 , 8, 9 comme supports du plancher horizontal, puis une seconde fois, en utilisant les massifs piliers quadrangulaires.


Le déambulatoire à chapelles rayonnantes :

C'est ce type de construction qui nous permet de comprendre tout l'intérêt de l'étude globale (plus de 1500 églises) effectuée dans ce site. Nous avons eu l'occasion, au cours de cette étude, de comparer les chevets. Et même si cette étude est loin d'être terminée, nous pouvons estimer leur évolution : chevet plat, à une abside semi-circulaire, à trois absides, clunisien, à déambulatoire, à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Nous estimons que l'invention et le début de généralisation du chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes se situerait en fin de période romane (an 1125 avec un écart de 50 ans). Il aurait par la suite été développé durant toute la période gothique.

Certes, nous ne sommes pas infaillibles et il reste encore beaucoup de zones d'ombre. Mais nous pensons que les hypothèses que nous avançons doivent faire l'objet de débats contradictoires. Une des raisons du manque d'intérêt vis-à-vis de l'architecture romane est qu'on ne la comprend pas. Dans le cas présent, on nous affirme que la majeure partie de la crypte a été construite entre 990 et 1029 ( voir la légende du plan de l'image 1). On est donc conduit à en déduire que les chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes datent de cette période. Mais alors qu'en est-il des chevets clunisiens? antérieurs? ou postérieurs? Et les chevets à trois absides? Et ce, d'autant que la barrière de l'an mille ne doit surtout pas être franchie : « les invasions barbares ont tout détruit! ». Il est donc tout à fait normal que le chercheur, se sentant incapable de trouver une explication à cet imbroglio, se détourne de la recherche et de la mise en valeur de découvertes potentielles.

Mais alors comment pouvons nous expliquer l'architecture de Saint-Aignan? Notre hypothèse est la suivante : une église existait à cet emplacement. Cette église aurait été restaurée et agrandie, grâce aux libéralités de Robert le Pieux? Le sol de l'église était situé au niveau du sol actuel de la crypte. Le chevet de l'église n'était pas le chevet à déambulatoire actuel. C'était, soit un chevet à cinq absides situées en prolongement des vaisseaux, soit plus probablement, un chevet de type clunisien, avec des absides disposées en «escalier à deux pentes» . L'existence des colonnades Sud et Nord séparant d'anciennes absides entrerait en faveur de cette hypothèse. Dans cette église, en avant du chevet, Robert II aurait fait installer un martyrium ,au niveau du sol de l'église, et non au sous-sol. Il en est ainsi à la Cathédrale Saint-Lazare d'Autun. Plus tard, le chevet aurait été remplacé par un chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Puis la crypte aurait été créée et par la suite enterrée. De nouveaux aménagements au XVesiècle auraient permis d'obtenir l'état actuel.


Datation envisagée pour la confession de la crypte de l'église Saint-Aignan d'Orléans : an 1025 avec un écart de 25 ans. En fait, c'est plus précis, mais nous avons prévu dès la création du site de limiter les écarts à 25 ans.