L'oratoire carolingien de Théodulphe à Germigny-des-Prés
«Qui
ne connaît Germigny? La renommée de cette petite église
n'a cessé de s'étendre. Nombre de touristes pressés ne
manquent point de s'y rendre, quitte, s'il le faut, à
supprimer plusieurs étapes de leur itinéraire.
Il suffit pourtant d'un coup d’œil pour commencer à
douter. La silhouette déjà de cet édifice au toit plat :
que signifie cet aspect provençal en Val de Loire?
L'allure neuve de la construction ensuite : toutes les
pierres semblent taillées d'hier...
À quoi bon masquer la vérité au sujet de Germigny? Nous
n'avons rien à y gagner, tout au contraire à y perdre. Et
nous n'avons point coutume de mentir au lecteur.»
Ainsi est introduite la notice écrite par Dom Jean-Marie
Berland de l'ouvrage Val
de Loire Roman de la collection Zodiaque.
Pourquoi un tel dédain de la part des moines de l'Abbaye de
La-Pierre-qui-Vire qui ont étudié ce monument? Et pour
quelles raisons cette église a mérité une telle notoriété?
Dom Jean-Marie Berland répond ainsi à la première question
«... L'oratoire
de la villa de Théodulphe fut entièrement rebâti par
l'architecte Lisch entre 1867 et 1878. Celui-ci négligea
non seulement de laisser à leurs places, sculptures, stucs
et vestiges de mosaïque, mais il modifia encore
sensiblement l'aspect intérieur et extérieur de l'église.
Les deux chapelles orientales qui encadraient l'absidiole
centrale furent par lui supprimées, le clocher perdit un
étage, une coupole meubla l'intérieur du clocher, et des
arcs à double rouleau furent établis là où le IXesiècle
les avait ignorés. D'où l'impression de neuf qui saisit le
visiteur dès l'entrée et ne peut manquer de
désenchanter...»
Historique
de l'oratoire
Venons-en maintenant à la question de l'engouement pour
cette église en poursuivant la lecture du texte de Dom
Jean-Marie Berland : «L'auteur
du Catalogue des Abbés de Fleury (fin du IXesiècle)
nous apprend que Théodulphe (évêque d'Orléans et abbé de
Saint-Benoît-sur-Loire) construisait son oratoire à
l'époque où Charlemagne faisait sa chapelle d'Aix. Le
grand empereur la dédiait à la Sainte Trinité alors que
l'évêque consacrait la sienne au “Dieu Créateur et Sauveur
de toutes choses”... La splendeur de la chapelle de
Charlemagne incita notre abbé à ne rien négliger dans la
sienne : voûtes, coupoles, mosaïque, stucs, pavement de
marbre, etc., rien n'était trop beau en hommage à la
Sainte Trinité, dont la célébration spéciale du mystère
remonte à l'époque carolingienne...».
Selon nous, la renommée de cette église vient de cette
histoire. Ou plus exactement d'une histoire racontée par le
Catalogue des Abbés de Fleury, ouvrage daté de la fin du IXesiècle.
Avant de poursuivre notre argumentation, signalons que
depuis les débuts de nos recherches et la création de notre
site, nous avons identifié une certaine «idolâtrie de
l'écrit» de la part des historiens. Une idolâtrie parfois
contrebalancée par un dogme infaillible : «tous les
monuments antérieurs à l'an mille ont disparu, détruits par
les invasions barbares». En l’occurrence, un texte de la fin
du IXesiècle nous apprend que Théodulphe, abbé
de Saint-Benoît-sur-Loire entre 803 et 818, a construit une
villa à Germigny, villa dont il chante les charmes et la
décoration dans plusieurs de ses poèmes. Cette villa aurait
entièrement disparu. Les textes parlent-ils aussi de
l'oratoire? Nous l'ignorons! En tout cas, ces textes ne sont
pas contestés par les historiens.
Venons-en à la question suivante : comment se fait-il que
les historiens attribuent cet oratoire à Téodulphe? En toute
logique, nous aurions dû assister à une rengaine observée à
de nombreuses reprises : «au IXesiècle, un
oratoire existait à cet endroit ... mais ce n'est pas
l'église que l'on voit ... puisque l'église que l'on voit
est du
XIIesiècle...». Évident! Les envahisseurs
barbares sont passés par là : ils ont détruit l'église
carolingienne!
Pourquoi cette explication n'est pas donnée par les
historiens? À cause de la mosaïque (images
11 et 12). Sur la base de cette mosaïque à fond
d'or, figure l'inscription :
ORACLVM SCM ET CERUBIN HIC AUSPICE SPECTANS
ET TESTAMENTI EN MICAT ARCA DEI
HAEC CERNENS PRECIBUS QUAE STUDENS PULSARE TONANTEM
THEODULFUM VOTIS JUNGITO QUESO TUIS.
L'inscription qui cite Théodulphe confirme bien que l'église
est bien contemporaine de Théodulphe (voire même antérieure
si la mosaïque a été posée sur un édifice préalablement
construit).
La datation de l'édifice se voyant confirmée par deux
sources écrites différentes, les historiens ont été bien
obligés d'accepter cette datation. Mais c'était une entorse
au dogme qu'ils s'étaient fixé, l'exception qui confirmait
la règle : l'église devenait la plus ancienne église de
France, miraculeusement épargnée par les invasions barbares.
D'où sa renommée.
Lorsque nous avons démarré notre étude
sur l'architecture des édifices antérieurs à l'an 1200, nous
avons systématiquement écarté l'étude des textes écrits, ne
nous fiant qu'à l'architecture et à l'idée d'une évolution
des techniques architecturales. Nous voulions réaliser une
étude indépendante de celle des textes écrits. Nous avions
cependant envisagé une confrontation finale, les textes
écrits pouvant apporter un supplément d'information.
Concernant ceux de Germigny, il faut certes les examiner en
appliquant le principe du doute scientifique : ils auraient
été écrits plus de 60 ans après la construction supposée de
Germigny. Ils peuvent donc être entachés d'erreurs ou
d'omissions. Cependant, nous les estimons fiables à 90%. Et
il y a plus de 80% de chances que cet édifice ait été
construit du vivant de Théodulphe. Cette constatation
pourrait permettre de dater certaines innovations. Ainsi,
l'arc à double rouleau pourrait être postérieur à l'an 900.
Remarque :
Dom Jean-Marie Berland insiste sur le fait que cet édifice
ne ressemble à aucun autre. En fait, nous lui trouvons des
ressemblances avec des édifices d'Arménie, de Géorgie, du
Sud de l'Italie (Stilo, Rossano) ou de Provence
(Sainte-Croix de Montmajour). Ces édifices pourraient avoir
été inspirés par l'édicule du Saint Sépulcre de Jérusalem.
Datation envisagée pour l'oratoire de Théodulphe à
Germigny-des-Prés : an 825 avec un écart de 25 ans.