L'abbatiale Saint-Eusice de Selles-sur-Cher
Nous avons effectué une visite rapide de
ce monument et la majorité des images de cette page a été
réalisée lors de cette visite.
Selon Dom Angelico Surchamp, coauteur du livre « Val
de Loire Roman » de la collection Zodiaque,
saint Eusice serait né en l'an 465 à Jumilhac en Périgord.
Il se serait installé comme ermite sur les bords du Cher en
521. Très rapidement, la renommée due à sa grande charité et
aux miracles qu'il accomplissait, attira les foules autour
de lui.
Dom Angelico Surchamp poursuit : « Eusice
mourut, dit-on en 542. Childebert fit alors établir une
magnifique église sur son tombeau, mais, on s'en doute,
cet édifice subit nombre d'épreuves avant de parvenir
jusqu'à nous dans son état actuel.
Une incursion des Normands ravagea d'abord l'abbaye.
Relevée de ses ruines, celle-ci passa entre les mains de
clercs qui tentèrent vers 1140 d'en faire don à
Marmoutiers, mais l'évêque de Bourges, Pierre de la
Châtre, l'attribua aux chanoines réguliers (1145). C'est
ainsi sans doute que furent entrepris les travaux de
construction de l'église actuelle.
Au début du XIVesiècle, la nef et les
bas-côtés furent rebâtis. On conserva toutefois une partie
de la façade occidentale et le mur latéral Sud qui était
adossé au cloître. [...] »
On retrouve dans ce texte de Dom
Angelico Surchamp les valeurs des informations données par
la plupart des textes anciens, tant dans leurs qualités que
par leurs défauts. Ainsi, les éléments rapportés sur Saint
Eusice proviennent probablement d'une «Vie de Saint Eusice»
ou d'un saint contemporain ayant eu l'occasion de rencontrer
Saint Eusice. De telles «Vies» sont assez nombreuses,
généralement postérieures de plusieurs siècles à la mort du
saint et bâties sur le même modèle : vie du saint, énoncé de
ses miracles, débuts de vie du monastère. Le caractère
répétitif de ces vies, le ton laudatif employé vis-à-vis du
saint, font douter de l'authenticité de certains événements.
Le même doute scientifique doit être apporté vis-à-vis des
cartulaires anciens. Les chartes qu'ils contiennent sont le
plus souvent des pièces judiciaires : des héritages, des
actes de vente, des saisies, des bulles papales, des
comptes-rendus d'assemblées. Sauf de rares exceptions (des
faux en écritures), ces actes sont fiables. Mais ils ne sont
pas parfaits car, en règle générale, ils ne décrivent pas
toutes les actions passées. La très grande majorité de ces
actions n'ont pas été consignées ou n'ont pas fait l'objet
d'une conservation dans des archives. Cette conservation est
d'ailleurs très aléatoire, certains monuments de moyenne
importance pouvant être plus richement documentés que
d'autres beaucoup plus importants. À cela s'ajoute
l'habitude inhérente à la nature humaine de considérer comme
plus importants les documents susceptibles de faire l'objet
de litiges et, en conséquence, de les conserver. Ainsi, une
contestation d'héritage pour des intérêts minimes pourra
être évoquée sur plusieurs chartes alors que les plans de
construction de la cathédrale voisine ont tous disparu : la
cathédrale est faite, les ouvriers ont été payés ; à quoi
bon conserver les plans ?
Voilà donc ce qu'évoque pour nous le texte de Dom Angelico
Surchamp : des informations certes, mais à manipuler avec
précaution.
En conséquence de ce qui vient d'être
dit ci-dessus, les éléments d'archives ne peuvent être
retenus sans réserves comme preuves d'ancienneté d'un
édifice ou de certaines de ses parties. L'observation de
l'architecture constitue une autre source de renseignements,
une source que nous trouvons quant à nous, essentielle.
Lors de notre visite de l'édifice, en août 2009 (bien avant
que nous engagions une réflexion approfondie sur le Premier
Millénaire), nous n'avons pas pu accéder à l'intérieur. Nous
ne disposons que d'une image de celui-ci (image
22), capturée sur Internet. Il apparaît sur cette
image, difficilement lisible, une certaine dissymétrie entre
les murs Nord et Sud du transept. Du côté Nord, les
chapiteaux semblent dater du XIVesiècle alors
que du côté Sud, ils seraient du XIIIesiècle.
Cette nef devait être primitivement voûtée. Elle est
actuellement charpentée.
L'information selon laquelle la nef aurait été refaite au XIVesiècle semble donc être valable. Il serait
néanmoins nécessaire d'accéder à l'intérieur, car des
vestiges d'un édifice antérieur peuvent y subsister.
L'attention porte surtout sur le chevet manifestement roman
(images 5, 6, 10 , 19).
Il s'agit d'un chevet à déambulatoire. Qui plus est, il est
doté de trois chapelles rayonnantes. Nous pensons que, tout
comme il y a eu évolution des nefs, il y a eu évolution des
chevets. Et que la dernière étape de cette évolution est le
chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Cette
dernière étape se serait produite en fin de période romane
et se serait poursuivie en période gothique.
Cependant, dans certains cas, nous avons constaté que des
chapelles rayonnantes avaient pu être greffées sur des
chevets à déambulatoire construits auparavant. Ce pourrait
être le cas ici : les bandes sculptées que nous allons
décrire ci-dessous ne sont posées que sur les murs des
chapelles rayonnantes et non les murs du déambulatoire.
Les
bandeaux sculptés
Ces bandes sculptées constituent une décoration relativement
rate. Nous en connaissons moins d'une dizaine dont certaines
sur ce site Internet. Leur distribution spatiale est
diverse, certaines étant sur le chevet, d'autres sur
l'ouvrage Ouest. Leur distribution géographique est aussi
très diverse : les départements des Landes, du Loir-et-Cher,
du Bas-Rhin. Encore divers aussi les thèmes étudiés.
Concernant l'abbatiale Saint-Eusice, il y aurait deux
principaux thèmes étudiés : la Vie de Jésus Christ et la vie
de Saint Eusice. Mais ce n'est pas tout. Voyons cela dans le
détail :
Image 7 : Homme nu,
les jambes retournées (voir image
25) ; cerf ; ours (ou lions) affrontés.
Image 9 : Acrobate
(il est possible qu'il y ait là une signification
symbolique) ; deux guerriers affrontés ; homme tuant une
bête (agneau ? cochon ?).
Image 11. Scène
supérieure : homme ferrant un cheval. Scène nédiane : voir
ci-dessous. Scène inférieure : voir image
26.
Image 12 : À
gauche, Saint Michel terrassant le dragon. En haut à droite,
homme agenouillé devant une probable croix. En bas à droite
: animal hybride.
Image
13 : Ensemble de scènes difficilement
identifiables.
Image 14 : Ensemble
de scènes de chasse ; principalement, homme et cerf.
Image 15 : Frise
supérieure de l'abside. Scènes probables de la vie de Saint
Eusice. Au centre, le saint représenté en attitude d'orant
levant le pain d'Eucharistie et la Croix. À l'extrême
gauche, le même saint portant le pain et la pelle du
boulanger (lire le commentaire suivant).
Image 16 : Frise
supérieure de l'abside. Scènes de la vie de Saint Eusice.
Elles racontent le miracle des pains sortis du four. Le
saint allait enfourner ses pains dans le four quand il
s'aperçut qu'on lui avait enlevé sa pelle : « confiant
en Dieu, il fit le signe de la croix et, comme les trois
enfants dans la fournaise de Babylone, entra dans le four
ardent, le nettoya, y plaça son pain et le retira après
cuisson, sans souffrir aucun dommage. ». Sur
l'image, on peut voir à l'extrême gauche un ange apportant
un pain à l'ermite (miracle peut être inspiré de la saine
Biblique de «Daniel dans la fosse aux lions»). Au centre, le
saint est en train d'enfourner ses pains. Plus à droite, il
les étale sur une planche. Encore à droite, une scène de
baptême.
Image 17 : Frise
inférieure de l'abside. Scènes de la vie de Jésus. On peut
voir de gauche à droite : l'Annonciation, la Nativité,
l'âne, le boeuf et les bergers veillant Jésus, et enfin, la
Résurrection de Lazare.
Image 18 : Frise
inférieure de l'abside. Scènes de la vie de Jésus. On peut
voir de gauche à droite : l'entrée de Jérusalem (?), la Cène
(ou peut-être la préparation de la table pour la Cène ;
présence d'un diable ?), le Lavement des pieds.
Image 20 : Frise
supérieure de l'abside. Scènes de la vie de Saint Eusice.
Elles racontent un autre miracle de Saint Eusice : le
miracle des loups. Alors qu'enfant, il gardait les moutons
de l'abbaye, d'autres cerfs tuèrent les chiens. Les brebis
étant menacées par des loups, Saint Eusice ordonna aux loups
de protéger les brebis.
Image 21 : Frise
inférieure de l'abside. Scènes de la vie de Jésus. On peut
voir de gauche à droite : un lion se mordant la queue
(signification ?), le Baiser de Judas, l'Arrestation de
Jésus, le Procès de Jésus.
Image 23 : Thème
énigmatique.
Les images suivantes sont des détails d'images précédentes.
Hormis les deux dernières, leur réalisme parle de lui-même.
Observer cependant, à travers la naïveté de l'expression, le
sens de la composition.
Image 24.
L'Annonciation : remarquer que la Vierge sent une fleur de
lys, symbole de pureté.
Image 25 : La
Résurrection de Lazare. Le Christ ressuscite Lazare en
faisant le geste symbolique que nous avons appelé «la Main
de Dieu» : pouce, index, majeur dressés ; annulaire et
auriculaire fermés.
Image 26 :
L'Arrestation de Jésus.
Image 27 : Le
Baiser de Judas et l'Arrestation de Jésus.
Image 28 : Le
Lavement des pieds et, peut-être, à droite, une femme levant
les bras pout l'entrée dans Jérusalem.
Nous avons déjà remarqué le réalisme des scènes de la vie de
Jésus. Réalisme dû à l'existence des Évangiles censés
raconter des faits qui se sont réellement passés. On
pourrait penser que les miracles de Saint Eusice relèvent de
la pure fiction. Nous pensons que ces miracles pourraient
être l'interprétation métaphorique de faits réels. Ainsi, le
miracle des pains sortis du four pourrait être
l'interprétation d'un prêche du saint ou d'un de ses
successeurs : le pain, comme Jésus, est sorti intact du four
assimilé aux enfers. De même, le miracle des loups peut être
interprété ainsi : le monastère était menacé par des
brigands ayant réussi à éliminer les protecteurs d'origine.
Le saint aurait réussi à convaincre des protecteurs plus
puissants que les précédents.
Nous pensons que ces scènes réalistes
sont relativement récentes. Elles seraient attribuables à un
art roman tardif (aux alentours de 1150).
Cependant, toutes les scènes ne sont pas aussi réalistes.
Certaines se rapprochent d'autres vues ailleurs que nous
estimons plus anciennes. Nous en montrons deux.
Image 29 : L'homme
aux jambes retournées. La scène a été vue à plusieurs
reprises. Celle-ci se détache un peu. L'homme porte une
sorte de plantoir. C'est même peut-être un vrai plantoir.
Car on voit la verge de l'homme qui semble ensemencer la
terre. Scène pornographique ? Sûrement pas ! Beaucoup de
sociétés traditionnelles la pratiquent comme rituel magique
de fécondation et d'enrichissement.
Image 30. Autre
scène classique : le lion à queue feuillue. Avec la
particularité que l'on retrouve le plus souvent : la queue
passe entre les pattes arrières puis remonte le long du
corps. Une particularité de cette sculpture que nous avons
observée dans une ou deux autres sculptures en Italie. Du
corps du lion émerge un avant-corps de bouc. C'est peut être
un symbole du changement des saisons.
Datation envisagée
La datation envisagée pour le chevet de l'abbatiale
Saint-Eusice de Selles-sur-Cher est l'an 1150 avec un écart
de plus de 50 ans.
Le lecteur pourrait se demander pour quelles raisons nous
avons étudié cette église que nous datons du XIIesiècle,
alors que la limite supérieure du premier millénaire est
l'an mil. Il y a plusieurs raisons à cette entorse vis-à-vis
des bornes que nous nous sommes données. La première est que
nous ne sommes pas certains que toutes les sculptures du
chevet soient du XIIesiècle. Certaines sont
peut-être des réemplois.
La deuxième raison tient au fait que nous cherchons à dater
les sculptures en nous efforçant de classer des ensembles
complets. Il semblerait que les sculptures réalistes (Vie de
Jésus, Vies de saints) soient à ranger dans les XIIesiècle
et suivants. Cela doit être confirmé par d'autres
observations, mais nous pensons être dans une bonne voie.
D'autres sculptures (lion à queue feuillue, lions affrontés,
etc.) pourraient être antérieures. Nous espérons que de
proche en proche, et en faisant des observations
architecturales, nous arriverons à remonter avant l'an
mille.