Croix de chemin pattées du Finistère : étude générale
Faisons un petit tour en arrière.
Notre site a été mis en ligne en février 2016, soit il y a
un peu plus de quatre ans. Les premiers monuments étudiés
étaient ceux de Bretagne et, dès la page d’introduction à
ces monuments de Bretagne, nous avons parlé des croix
pattées en soulignant l’intérêt qu’elles pouvaient avoir
pour notre recherche.
Depuis lors, nous n’avons que peu étudié ces croix pattées,
estimant que leur petit nombre ne permettait pas d’effectuer
une analyse statistique.
Un récent voyage en Bretagne, dans le Finistère, a remis
tout cela en question. Une première journée nous a permis de
retrouver quelques croix vues plus de dix ans auparavant sur
la commune de Saint-Méen. Mais aussi d’en découvrir
d’autres, grâce aux cartes IGN de la contrée. C’est grâce
aux données recueillies ce jour-là que nous avons pu créer
la page suivante intitulée : « Croix
pattées du Finistère : Exemple d’un ensemble de croix
pattées du Finistère entre les communes de Plounéventer et
de Plabennec ». La moisson semblait déjà abondante
mais, dès le lendemain, Jean-Claude et Yvette Quéré,
habitants de Plabennec, nous en faisaient découvrir d’autres
encore. Et plus tard, Alain Le Stang nous apprenait
l’existence du site « Croix
et calvaires du Finistère », qui, selon ses dires, est
« une véritable mine d'or de la société archéologique du
Finistère. »
Et effectivement, ce site qui semble recenser l’ensemble des
croix du Finistère, se révèle très complet. Non seulement
les croix encore existantes sont photographiées, parfois à
plusieurs reprises. Mais des croquis ont été établis, les
croix disparues ont été identifiées, des estimations de
datation ont été effectuées,
Un second site Internet découvert en Juin 2020, et tout aussi intéressant,
a permis d'enrichir la liste de 13 éléments supplémentaires.
Alain Le Stang a eu l’idée de réaliser à partir de ces
données la carte interactive suivante de la répartition des croix pattées du
Finistère datant du Haut Moyen-Âge :
Nombre de croix pattées du Haut Moyen-Âge par commune :







Sur chacun de ces deux sites, certaines des croix étaient datées du Haut Moyen-Âge, d’autres seulement du Moyen-Âge. Pour construire cette carte, Alain le Stang a gardé les seules croix estimées dater du Haut Moyen-Âge. Et ce, alors que le Haut Moyen-Âge étant une période contenue dans le Moyen-Âge, certaines des croix estimées du Moyen-Âge, pourraient, a priori, remonter au Haut Moyen-Âge.
Nous avons compté 122 croix pattées datées par ces sites du Haut Moyen-Âge. Ce nombre est déjà suffisamment important pour faire une évaluation statistique.
Analyse de la carte de répartition des croix pattées
On constate tout d’abord que la plupart de ces croix pattées
sont localisées dans le Finistère-Nord. Et même une partie
du Finistère-Nord. Car le Finistère-Nord est limité à l’Est
par une frontière partant verticalement de la baie située
sur la rive Nord et à droite de la commune de Plougasnou, et
aboutissant au Sud à la commune de Quimperlé. Cette partie
concernée par la présence de croix pattées occuperait le
cinquième de la superficie du Finistère.
Il existe aussi des croix pattées dans le Finistère-Sud :
seulement six. Et 116 dans le Finistère-Nord !
Cette concentration de croix pattées a de quoi surprendre.
On peut penser à une erreur, une négligence de la part des
personnes ayant effectué l’enquête qui n’auraient fait des
recherches que dans la zone située à proximité de chez eux.
Mais une telle justification ne tient pas. Elle n’explique
pas la présence des six croix pattées au Sud et leur absence
dans la presqu’ile de Crozon. De plus nous avons constaté
sur diverses cartes au 1/25000 une présence beaucoup plus
importante de croix de chemins à gauche d’une ligne Nord-Sud
allant de Plouescat à Landivisiau, qu’à droite. Et les
visites « sur le terrain » ont conforté cette opinion.
Il n’y a donc pas, selon nous, d’erreur ou de négligence de
la part de ceux qui ont recensé les croix pattées du
Finistère.
Mais, dans un tel cas, le problème se
complique. En effet, les croix pattées se concentrent
principalement dans une zone située entre la vallée de
l’Elorn et la rade de Brest et les côtes Est et Nord du
Finistère. L’ancien évêché du Léon se situait aussi au Nord
de la vallée de l’Elorn. On pourrait donc penser que ces
croix situées dans l’ancien évêché du Léon ont été
installées à l’initiative des évêques résidant à
Saint-Pol-de-Léon (il faut tenir compte du fait que cette «
installation » a pu s’opérer durant plusieurs siècles). Mais
alors ? Comment se fait-il que l’on ne trouve pas trace de
ces croix à Saint-Pol-de-Léon même et dans les communes
avoisinantes (Roscoff, Carantec, Morlaix, etc.) et, d’une
façon générale, à l’Est d’une ligne joignant Plouescat à
Landivisiau ?
Les explications que nous avons pu trouver dans d’autres
situations ne tiennent pas dans le cas présent : les
conditions de vie durant le premier millénaire devaient être
les mêmes à l’Est et à l’Ouest de l’axe
Plouescat-Landivisiau. Quant au granit, qui constitue le
principal matériau dans lequel sont sculptées ces croix, on
en trouve partout en Bretagne, et plus particulièrement dans
les Monts d’Arrée... où on ne voit pas de croix pattée
attribuée au Haut Moyen-Âge.
Constatons enfin que ces croix pattées sont principalement
situées dans des communes situées en bord de mer. Mais pas
dans la région de Brest. Les divers aménagements militaires
ainsi que les bombardements de 1944 peuvent éventuellement
expliquer cette carence.
Notre hypothèse : nous pensons que ces croix pattées ont pu
être installées par une peuplade non romaine venue coloniser
cette région à l’instigation des romains occupant la ville
de Saint-Pol et ses environs. Quelle pourrait être cette
peuplade ? On pense d’abord aux Bretons, issus des îles
Britanniques (Gallois, Irlandais, voire Écossais). Mais il
faut tenir compte que l’histoire que nous connaissons de la
Bretagne est très parcellaire. Et ce n’est pas parce que les
Francs, les Saxons ou les Wisigoths ne sont cités dans aucun
texte que l’on peut certifier que ces peuples ne sont jamais
venus en Bretagne. En tout cas, l’hypothèse que les Francs
ou les Saxons, peuples maritimes venus du Nord, aient pu «
visiter » la Bretagne est beaucoup plus crédible que celle
des Normands ayant attaqué au IXesiècle des
monastères bourguignons, voire, alpins, hypothèse qui n’est
que certitude pour nombre d’historiens contemporains.
Étude de quelques
situations
Les images 1, 2, 3 et 4
sont celles du menhir de Brignogan. Un menhir christianisé
comme en témoignent l'image
1 de la croix qui la surmonte et l'image
2 de la croix pattée qui est gravée sur le fût.
Cette croix gravée a des branches faiblement élargies. Nous
pensons que cette croix est relativement récente (aux
alentours de l’an mille). Les images
3 puis 4 décrivent un détail intéressant. Sur le
revers du menhir, on peut voir une série d'excavations. Nous
pensons qu’il s’agit d’une tombe ou plusieurs tombes
rupestres analogues à celles que l’on rencontre dans le Sud
de la France. Ces tombes auraient été creusées dans le
menhir couché. Plus tard ce menhir aurait été relevé et
christianisé. Le fait que ce menhir soit le seul de Bretagne
posé sur le sol et non en partie enterré confirmerait cette
hypothèse.
Les images 5, 6 et 7
sont celles de croix pattées. Sur l'image
7, on
identifie, malgré l’état de dégradation, dans un cercle et
au centre, une croix pattée.
Une croix aux bras légèrement pattés est gravée sur la croix
de l'image 8.
Le dessin gravé sur la croix de l'image
10 a été souligné par un trait de couleur
jaune-vert. Les cinq points symbolisés par cette image
10 se retrouvent sur l'image
11.
On peut voir sur l'image
12 trois croix pattées dont deux sont visibles sur
les images 13 et 22.
Nous pensons que deux au moins de ces trois croix ont été
déplacées.
La croix de l'image 14 n’est
que faiblement pattée : c’est presque une croix latine.
La plupart des croix placées autour de la chapelle du
Croazou à Kerlouan (image
15) ont sans doute été aussi déplacées. Les trois
croix fichées dans une pierre unique, de styles différents
entre elles, semblent, elles aussi, avoir été déplacées,
pour être placées dans un lieu unique.
Les images de 16 à 22
font apparaître certaines des différences entre croix
pattées. Ainsi, celle de l'image
16 a des branches latérales pattées et la branche
supérieure en forme de fuseau. Celle de l'image
17 porte une croix latine gravée. Celle de l'image 18 a des
branches latérales pattées, avec les faces verticales
légèrement inclinées. Le centre est occupé par une
crucifixion. Pour la croix de l'image
19, les
branches latérales sont réduites. Il en est de même pour la
croix de l'image 20. Mais les branches
verticales semblent être plus allongées.
Concernant les images 21
et 22, on
constate l’existence de disques placés sur la face arrière.
Nous pensons que ces disques servaient à soutenir au moins
partiellement les branches latérales de la croix. Ce système
serait pour nous à l’origine de l’invention des croix
celtiques irlandaises. Et les croix celtiques irlandaises
dateraient du
IXeou Xesiècle.
Essai de datation de ces croix
La datation de ces croix se révèle difficile. Ce d’autant
que certaines d’entre elles peuvent porter une date. Mais
une date qui a pu être gravée à une période ultérieure à la
première édification de la croix.
En conséquence, les historiens de l’art qui s’efforcent de
fournir une datation peuvent avoir des opinions fortement
divergentes : des écarts de datation qui peuvent atteindre
ou dépasser le millier d’années.
Nous pensons que les rédacteurs du site Internet sur les
croix pattées du Finistère, qui ont attribué au Haut
Moyen-Âge la fabrication de ces croix, ne se sont pas
trompés. Certains indices interviennent en faveur d’une
fabrication antérieure à l’an mille. Il y a d’abord les
traces d’usure dûes au temps. La plupart des motifs gravés
ont disparu ou sont devenus invisibles (image
7). Lorsqu’ils subsistent et sont bien apparents
(image 8),
l’ancienneté apparaît suspecte.
Mais il y a plus ! Car les motifs gravés peuvent fournir un
indice important de datation en fonction du thème qu’ils
représentent. Voyons par exemple les images
24 et
25 : Les deux croix représentées sont des croix
latines ... donc non pattées et semble-t-il postérieures.
Sur chacune des deux semble être gravée une crucifixion.
Mais, à y regarder de près le Christ ... porte une robe !
On retrouve la même attitude sur la croix (celle-ci pattée)
de l'image 26. Ce n’est pas un
Christ qui est gravé sur la face avant, mais un orant. Nous
estimons que l’image de l’orant est antérieure à l’an mille.
Il est remarquable qu’on retrouve cette image à un millier
de kilomètres de là sur le tympan de l’église de
Sainte-Marie de Roubignac à Octon, dans l’Hérault (image
27).