Exemple d’un ensemble de croix de chemin pattées du Finistère
Exemple d’un ensemble de croix de chemin pattées du Finistère entre les communes de Plounéventer et de Plabennec
Il y a une vingtaine d’années, à
l’occasion d’un court séjour dans la commune de Saint-Méen,
nous avons appris qu’un habitant de la région s’efforçait de
mettre en valeur les croix de chemin, alors appelées « Croix
de Rome ». Il incitait les propriétaires à les détacher des
talus, à les redresser, à les décorer de parterres de
fleurs. Actuellement, comme on le verra sur quelques
photographies, certaines de ces croix sont bien entretenues.
D’autres sont un peu négligées. Nous espérons que les
bretons prendront rapidement conscience du patrimoine
exceptionnel qui les entoure. Ils ont bien sûr connaissance
de la richesse artistique des enclos paroissiaux. Mais ils
doivent savoir que les croix pattées sont plus anciennes
d’au moins un demi-millénaire et qu'on ne retrouve ce type
de croix que dans de rares endroits de France.
Lors d’un deuxième séjour effectué récemment, nous avons
photographié un certain nombre de ces croix et essayé de les
interpréter.
La carte interactive ci-dessous permet de les localiser :



Nous donnerons à la fin de cette page une interprétation de cette carte.
Nous allons étudier plus précisément les
divers sites cartographiés ci–dessus.
Nous commencerons par le site de Kérillien, site
archéologique connu depuis longtemps et partiellement
fouillé. L'image 1 montre
des restes de céramiques romaines provenant de ces fouilles.
L’agglomération primitive occupait une surface relativement
importante englobant les hameaux actuels de Quérillien,
Coatalec, Kergroas, Cosforn.
Selon certains auteurs, cette cité serait l’antique Vorgium.
Pour d’autres, Vorgium ne serait autre que Carhaix. Ces
divergences entre chercheurs sont un peu stériles. Bien
souvent, une cité comme Vorgium n’est connue que par une
occurrence qui n’a peut-être aucun rapport avec l’importance
réelle de cette cité. Ainsi la célèbre carte de Peutinger
qui a donné beaucoup de renseignements a parfois été très
mal interprétée.
Toujours est-il qu’il y avait en plein Finistère Nord une
agglomération romaine (voir sur la carte, le drapeau noirau-dessus, à
droite).
Nous allons suivre, à partir de Kérillien, la route presque
droite allant d’Est en Ouest. Nous croisons successivement :
La croix de Kergroas (image
2), située légèrement à l’écart de cette route.
C’est une croix pattée dont la partie inférieure a disparu.
Elle a été remplacée par une colonne cylindrique.
Il existe une autre croix (non pattée celle-ci, non
photographiée), un peu plus loin à Diriguen.
La croix de Croas-Kéroulé (images
3 et 4) se trouve à l’embranchement de deux
routes presque perpendiculaires. Elle est gravée d’une croix
pattée située à l’intérieur d’un cercle.
Nous poursuivons notre route en direction de l’Ouest. Nous y
trouvons la croix de Leuré (image
5), une croix pattée elle aussi en deux morceaux,
recouverte par une plaque tombale.
Un peu plus loin, la croix de Kerléo (images
6 et 7) est quant à elle intacte. Elle porte un
décor gravé : personnage dépourvu de bras ? épée ? (image 7).
La croix suivante, dite de Kernévez, est
elle aussi pattée et à décor gravé (images
8 et 9). Ce décor est, semble-t-il, une croix
pattée hampée.
Concernant la croix dite de « l’Aber Wrac’h » (elle est
située tout à côté de cette rivière), les images
10, 11 et 12 font apparaître une croix pattée
gravée sur la face avant de la croix.
Nous n’avons pas pu photographier la
croix de Larn-ar-Sant située près d’un carrefour au Sud de
Ploudaniel.
Par contre, la croix de Lannoazoc (images
13, 14 et 15) se révèle d’un grand intérêt. Sur la
face avant (image 14),
est représentée une figure assez étonnante. Peut-être
l’image du Christ privé de bras portant une longue robe. À
l’arrière (image 15),
la représentation de croix pattée est plus classique.
La croix de Lestanet, très abimée (image
16), n’est peut-être pas pattée. Elle apparaît
très ancienne.
Les branches de la croix de Tiez Men (image
17) ne sont pas pattées (élargies vers
l’extérieur) mais leur forme trapézoïdale traduit une
ancienneté.
La croix de Stéphanic (image
18), elle aussi très abimée, n’était pas
primitivement pattée. Elle pourrait dater du deuxième
millénaire.
Un panneau situé dans l’enclos de la
chapelle de Lanorven, au Sud de Plabennec, nous apprend ceci
sur la croix de l'image 19
: « Cette croix,
d’un mètre de hauteur, est datée du Haut-Moyen-Âge (entre
le Veet le Xesiècle)...
».
En lisant ce panneau, nous constatons que nous ne sommes pas
les seuls à affirmer qu’il a pu se passer quelque chose
entre le Veet le Xesiècle.
L'image 20 représente
une croix du XVIIesiècle. Nous avons voulu
représenter cette croix afin de montrer le sort que
certaines croix ont pu avoir dans le passé. Les petites
cupules qui jalonnent le fût de la croix étaient destinées à
la casser : on introduit des morceaux de bois dans les
cupules et on arrose ; le bois gonfle et la pression suffit
à faire éclater la pierre.
Sur les images 21 et 22 de
la croix de Treller, on peut voir à la base un calice gravé.
Ce calice a pu être gravé postérieurement à l’an mille. Par
contre, il semblerait que dans la partie supérieure, le
dessin gravé ait été endommagé.
La croix de l'image 23 est
légèrement pattée.
La croix de l'image 24 est
formée de trois morceaux. Il semblerait que la pierre
supérieure n’ait pas fait partie de l’ensemble primitif.
Nous pensons que la partie médiane devait être retournée et
qu’elle constituait la partie supérieure de la croix.
Les deux branches latérales de la croix des images
25 et 26 sont nettement pattées. Par contre, la
branche supérieure, effilée, ne l’est pas. Ce type de croix
n’est pas unique. Nous avons eu l’occasion d’en rencontrer
auparavant. Une étude spécifique pourrait nous en apprendre
davantage.
Revenons à la Croix de Croas-Kéroulé (images 3 et 4). Cette
croix se trouve à l’intersection de deux routes. Nous avons
déjà étudié les croix de la route Est-Ouest. Étudions à
présent les croix de la route Nord-Sud.
On passe tout d’abord devant la croix de Penlan (images
27, 28 et 29). Une croix pattée y est gravée.
Trois cent mètres plus loin, à Penlan Bihan, on peut voir
une autre croix pattée sur laquelle est gravée une croix
pattée (images 38 et 39).
Plus loin encore, à Kermadec, une croix pattée gravée
apparaît sous la couverture de mousse sur la croix (image 37).
On trouve à Trémaouézan deux autres croix pattées (images
30, 31 et 32). Par leur état de fraîcheur, elles
semblent plus récentes que la plupart de celles que nous
avons vues jusqu’à présent.
Il reste deux autres croix dont la localisation est
différente de celles vues jusqu’à présent : axe Est-Ouest,
axe Nord-Sud. Ces croix sont situées près du centre du
village de Saint-Méen (images
33 et 34). On peut voir gravée sur cette croix
une croix pattée. Et sur la commune de Saint-Servais, une
autre croix pattée (images
35 et 36). Les branches latérales sont nettement
pattées alors que la branche supérieure est effilée.
Essais d’explications
L’appellation « Croix de Rome » a fait envisager que ces
croix jalonnaient des sentiers de pèlerinage. Les pèlerins,
dont une partie accomplissaient leurs pèlerinages à Rome,
étaient souvent appelés des « Roumieux ». Nous ne sommes pas
d’accord avec cette interprétation. La route Est-Ouest que
la chaîne de croix dessine (et qui correspond à une route
réelle) ne semble conduire à aucun lieu de pèlerinage. Par
contre, la ville de Saint-Pol-de-Léon se trouve dans la
direction de la route. Or le mot Léon est issu de « Legio ».
Primitivement, une légion romaine devait être installée à
Saint-Pol-de-Léon. Et cette ville était peut être la seule
ville vraiment romaine de Bretagne.
L'image 40 montre
cette route entre les localités de Kérillien (drapeau noir à droite) et
Plabennec (drapeau noir
à gauche). Kérillien était une ancienne colonie romaine.
Quant à Plabennec, on y a retrouvé une motte féodale. Une
autre motte féodale nous a été indiquée près du manoir de
Quillimadec (drapeau noir
au centre) mais nous ne sommes pas certains de
sa localisation.
Nous constatons que si la route permet de relier des
agglomérations antiques, ce n’est pas le cas pour d’autres
agglomérations qui n’ont pas révélé des restes antiques ou
du Haut Moyen-Âge. Ainsi, la route passe à côté de
Ploudaniel et elle est bien à l’écart de Trégarantec,
Saint-Méen, Trémaouézan, Plounéventer.
D’où l’idée que les désignations de paroisses en « Plou », «
Lan », « Tré » dateraient d’une période un peu plus récente
que l’antiquité tardive.
L'image 40 laissait
envisager que la route devait normalement se prolonger en
direction de Saint-Paul-de-Léon. Et les quelques croix
pattées trouvées entre Trémaouézan et Plounéventer
suggéraient l’existence d’une autre route reliant la vallée
de l’Elorn à Saint-Pol-de-Léon. D’où l'image
41.
Nous avons espéré trouver des croix pattées sur ces tracés
en pointillés. De même, nous avons espéré retrouver des
tracés de routes. Mais rien ! La route semble s’arrêter
brutalement à Kérillien. L’hypothèse est-elle bonne ?
Une autre idée nous est venue. Le hameau de Kérillien est
situé à 85 mètres d’altitude. Il surplombe la vallée de la
Flèche. La rivière est située en contrebas à 25 mètres
d’altitude. Vingt-cinq mètres d’altitude, ce n’est pas le
niveau de la mer, mais il faut tenir compte du fait que
cette vallée de la Flèche contient une succession de
moulins. Ces moulins contribuent à la stagnation des eaux.
Et au dépôt de sédiments. Il est possible qu’au cours du
Premier Millénaire, le niveau de la rivière ait été plus bas
encore. Peut-être au niveau de la mer ? Dans ce cas, il n'y
aurait pas eu de route entre Kérillien et Saint-Pol-de-Léon
(du moins une route importante). Mais une voie maritime (image 42).