L’église Saint-Malo d’Yvignac-la-Tour
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Nous n’avons pas eu l’occasion de visiter l’église Saint-Malo d’Yvignac-la-Tour. Les images que nous reproduisons ici sont extraites d’Internet.
L’extérieur de cette église (image 2) n’est pas révélateur d’une quelconque ancienneté. Pour découvrir cette ancienneté, il faut accéder à l’intérieur (images 3 et 4). La nef est de style roman. On observe une symétrie presque parfaite entre les murs Sud et Nord, gouttereaux du vaisseau principal. Rappelons qu’une telle symétrie n’existait pas pour l’église de Perros-Guirec étudiée précédemment, ce qui nous avait permis de suggérer que la nef avait subi plusieurs étapes de travaux. Le fait qu’il y ait symétrie à l’église Saint-Malo d’Yvignac-la-Tour ne signifie pas pour autant que sa nef a été construite en une seule étape de travaux. Nous verrons d’ailleurs un peu plus loin que ce n’est pas le cas.
Mais auparavant, examinons son plan (image 1). Les tracés en noir sont datés du XIesiècle, en bleu, du XIIesiècle, en rouge, du XIIIesiècle, en vert du XVIIIesiècle.
Nous ne devons pas être impressionnés par ce type de plan. Tout d’abord en ce qui concerne les datations des XIe, XIIe, XIIIeet XVIIIesiècles. Elles résultent d’une logique typiquement enfantine, mais implacable : avant l’an mille, il ne s’est rien passé ... donc la datation ne peut que démarrer à partir du XIesiècle ; s’il y a des arcs en plein cintre, cela signifie que cette partie de l’église est romane ... donc elle date du XIeou du XIIesiècle. Mais dans cette partie romane, il peut y avoir des parties qui semblent plus anciennes que d’autres ... donc les parties plus anciennes datent du XIesiècle et les autres du XIIesiècle ; et ainsi de suite.
Il existe un autre point important que nous devons prendre en compte : les plans analogues à celui de l'image 1 sont des plans au sol mais les légendes de ces plans
(XIesiècle, ou XIIesiècle ou ...) concernent des murs en élévation. Concrètement, cela signifie que l’historien de l’art qui a construit le plan indique au visiteur occasionnel que tel mur (ou tel pilier) vertical qu’on peut localiser sur le plan horizontal est de la date indiquée sur la légende (XIesiècle, ou XIIesiècle ou ...). Mais si les légendes permettent de constater qu’il y a eu des évolutions de l’architecture sur le plan horizontal, pourquoi ne pas imaginer qu’il ait pu y en avoir sur chacun des éléments verticaux ? un mur ou un pilier ont pu être surélevés ou abaissés, des fenêtres ont pu être percées, des arcs ont pu être ajoutés.
Malgré ce, un plan, s’il a été correctement établi, peut se révéler une source précieuse de renseignements. Revenons ainsi au plan de l'image 1. Ce plan fait apparaître une nef à trois vaisseaux dotée de piliers « romans ». La nef primitive devait être à trois vaisseaux avec des collatéraux de même largeur. On voit que ce n’est pas le cas ici, car les dimensions des collatéraux sont différentes Le collatéral Sud (de droite), profondément remodelé, n’est probablement pas d’origine. Par contre, le collatéral Nord (de gauche) pourrait être d’origine. Et ce, bien que ses murs extérieurs soient datés du XVIIIesiècle. En effet, l’estimation du XVIIIesiècle, a très bien pu avoir été effectuée, à partir de fenêtres qui ont été percées dans un mur préexistant. Ce que nous observons surtout, c’est que ce mur du XVIIIesiècle est prolongé par un mur dit du XIIesiècle. En fait, c’est tout le collatéral Nord qui est prolongé par le collatéral du chœur. L’ensemble collatéral de la nef-collatéral du chœur préfigurerait le collatéral Nord de l’église primitive. Moyennant un examen approfondi, on pourrait en déduire le chevet de cette église primitive. Autant qu’on puisse en juger à partir du plan actuel, ce chevet primitif serait un chevet entièrement plat. Si l’hypothèse était vérifiée, ce serait une petite découverte. Nous pensions jusqu’à présent que les chevets plats étaient réservés à de rares églises du Sud de la France ou de l’Espagne, des églises considérées comme wisigothiques et de haute datation (VIIe ou VIIIe siècle). La zone d’extension de ces églises à chevet plat se verrait donc fortement étendue.
Passons maintenant à l’étude du bâti de
cette église Saint-Malo.
Chacune des images 5 à 12
présente la même configuration : on y voit en effet
en dessous un chapiteau portant un tailloir. Et, posé sur ce
tailloir une pierre sculptée servant de culot à une
demi-colonne adossée au pilier. Nous avons déjà vu une
configuration analogue à Perros-Guirec. Nous avions alors
envisagé que ce pouvait être le signe de deux étapes de
travaux. Il est possible qu’il en soit de même dans le cas
présent.
Mais nous estimons plus « parlantes » les images
7, 8 et 10. Plus particulièrement les images
7 et 10. Que
voit-on en effet sur ces deux images ? À chaque fois, un
chapiteau et un modillon. Supportant un tailloir unique. Sur
l'image 7, le
chapiteau est sculpté en bas-relief d’un entrelacs et de
spirales. Le modillon présente quant à lui une tête humaine
sculptée en ronde-bosse. D’autres entrelacs décorent le
chapiteau de l'image 10. La scène représentée
sur le modillon voisin est plus difficile à interpréter.
En voyant ces deux images, on pourrait penser à une faute de
goût. Nous ne pensons pas que ce soit le cas. Les gens du
Moyen-Âge avaient une bonne conception de l’esthétique. Et
lorsqu’ils décidaient de construire, ils la voulaient
esthétique ... et elle l’était.
Mais lorsque des travaux de restauration ou de rénovation
sont estimés nécessaires, l’esthétique est mise de côté.
Dans le cas présent, les chapiteaux font probablement partie
de la construction primitive. Ultérieurement, il a été
décidé de renforcer les piliers et d’épaissir les murs.
L’élargissement des murs a nécessité la pose des modillons
sculptés et du tailloir recouvrant l’ensemble formé par le
chapiteau et le modillon.
Si les modillons peuvent être estimés des alentours de l’an
1200, les chapiteaux (images
de 5 à 12) sont nettement plus anciens, aux
alentours de l’an mille.
C’est la date que nous proposons pour l’église Saint-Malo
d’Yvignac-la-Tour : an 1025 avec un écart de plus de 75 ans.
Remarquer sur l'image 6 les
doigts allongés de l’homme. On avait déjà vu des images
d’hommes aux doigts allongés (images
8 et 9 de la page de Lanleff).