La chapelle Saint-Gunthiern de Locoyarn à Hennebont 

• France    • Bretagne    • Article précédent    • Article suivant    


Première partie du texte (rédigée en août 2019)

C’est tout à fait par hasard que nous avons eu connaissance de cette petite chapelle. Il s’agirait là, selon nous, d’un véritable petit bijou. Nous n’avons que quelques photographies de cette chapelle. Mais ces photographies permettent d’envisager des développements intéressants. La première d’entre elles (image 1) apparaît banale. Elle ne l’est pas du tout. Nous sommes en présence de la façade Ouest d’une basilique romaine. Nous avons bien dit « romaine », pas « romane ». Cette façade reproduit le profil intérieur de l’église : une nef à 3 vaisseaux charpentés ; le vaisseau central est couvert d’un toit à deux pentes. Chacun des vaisseaux latéraux est couvert d’un toit à une pente en décrochement avec les pentes du toit du vaisseau central. Cette façade est pratiquement inchangée depuis plus d’un millénaire. Il y a certes eu des modifications, comme la porte surmontée d’un arc en plein cintre et la fenêtre qui la surmonte. Cette façade laisse espérer que, à l’intérieur, on retrouve les traits caractéristiques d’une basilique romaine. Cet espoir est conforté après observation de l'image 3.

On y voit même les fenêtres supérieures qui éclairaient le vaisseau central de la nef. Dans bien des cas analogues, ces fenêtres supérieures ont été supprimées car il y a eu remplacement du système des trois toits par un seul toit à deux pentes. Mais ce qui nous semble encore plus intéressant est le plan d’ensemble (image 2). On y voit en effet un chevet carré légèrement désaxé par rapport à l’axe de la nef. Il faut comprendre que les églises rurales à chevet carré sont fréquentes dans le Sud de la France (plus d’une centaine ont été identifiées). La seule différence avec la chapelle Saint-Gunthiern réside dans leur nef, à un seul vaisseau. Il faut aussi comprendre que, à l’heure actuelle encore, les historiens de l’art manifestent une très grande timidité dans l’évaluation de datation de ces chapelles. Vu qu’il est difficile de les qualifier de
« romanes », car elles n’ont pas les traits caractéristiques de l’art roman, ils les qualifient de « préromanes ». Mais dans quelle période faut-il situer le « préroman » ?
Il y a quelques années, une historienne de l’art répondait à la question : « Pour moi, l’art préroman se situe entre l’an 950 et l’an 1050 ». Il ne faut donc pas s’étonner si la plupart des auteurs des sites Internet sur ces églises les datent du Xeou XIesiècle. Mais sur quelles données objectives se basent ces auteurs pour asseoir leur jugement ? Nous l’ignorons. Et nous-mêmes sommes incapables de dater de tels types d’églises à nef unique. Par contre, nous devenons de plus en plus capables de dater l ‘évolution dans la construction des nefs à trois vaisseaux. Ce qui va nous permettre, grâce à l’évaluation de cette église Saint-Gunthiern, de dater les églises à chevet carré. Ce qui devrait faire remonter la datation de ces églises de quatre ou cinq siècles par rapport à l’évaluation du Xesiècle qui nous était proposée.

Il s’agit là d’une des plus petites églises à plan basilical que nous ayons rencontrée. Peut-être même la plus petite église. Cette église pose question dans la mesure où l’architecte qui a fait son plan aurait très bien pu construire une église à nef unique, sans doute moins coûteuse. Jusqu’à présent, il était possible d’envisager que les premières basiliques avaient été construites à trois nefs ou cinq nefs à cause de l’impossibilité d’élargir à volonté le vaisseau principal. S’il n’y avait eu qu’un seul vaisseau, on aurait été obligé de construire une nef deux fois plus longue. Ce qui aurait entraîné quelques problèmes, comme celui de ne pouvoir communiquer avec les paroissiens du fond de l’église trop éloignés pour entendre les discours ou pour participer aux célébrations. Mais une telle explication ne tient pas en ce qui concerne cette chapelle qui aurait pu être à nef unique. Il faut donc envisager que la construction d’une nef à trois vaisseaux correspondait à des exigences liturgiques.

Il y aurait plusieurs chapiteaux analogues à celui de l'image 4. En fait, il ne s’agit pas d’un chapiteau mais d’une imposte déposée sur un pilier rectangulaire de type R0000. Cette imposte est décorée sur la face avant de deux dragons adossés (image 5).

Dans un premier temps, nous avons été désarçonnés par le décor de ces chapiteaux. D’une part la structure de cette église (nef à trois vaisseaux) est typiquement romaine. D’autre part, le décor des chapiteaux (exemple : dragons adossés) est typiquement barbare. En dépit de tout ce qui a pu être raconté sur les
« invasions barbares », nous pensons qu’il a pu y avoir une coexistence pacifique entre populations romaines, populations barbares et, ne l’oublions pas, populations locales non romanisées. Mais nous pensons aussi qu’il a fallu un certain temps avant que les romains adoptent certaines coutumes barbares et réciproquement. Et il nous a semblé étonnant qu’un décor barbare ait pu coexister avec une structure romaine. Une étude plus détaillée de ces impostes pourrait permettre de lever un coin du voile. Les images 4 et 5 d’une même imposte ainsi que l’image 6  d’une autre imposte montrent qu’il existe à la partie inférieure de chaque imposte un décor simplement mouluré. On retrouve le même type de décor mouluré, mais cette fois-ci sur toute l’imposte, à Saint-Aphrodise de Béziers, de mêmes éléments caractéristiques que Locoyarn. D’où l’idée que, à l’origine, les impostes de Locoyarn étaient simplement moulurées. Les décors historiés de dragons ou autres animaux fantastiques auraient été sculptés ultérieurement en supprimant partiellement le décor mouluré.

L'image 7 ci-dessous met en évidence deux voussures d’un arc. Sur l’une d’entre elles, un personnage est représenté, les bras levés : il s’agit d’un orant. Sur l’autre, on peut voir une croix pattée hampée. Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons une voussure d’arc décorée d’une croix pattée. Précédemment nous en avons vues à San Juan de Banos (Castille-et-León), et à Saint-Couat d’Aude (Aude). La première de ces églises est qualifiée de wisigothique. La seconde est située dans le territoire de l’ancienne Gothie.

Serait-il possible à une époque donnée qu'une partie du territoire breton ait été occupée par des wisigoths ou des peuples adeptes du culte arien ? Les textes n’en parlent pas. Mais il y a beaucoup de lacunes dans l’histoire écrite du premier millénaire et des événements importants ont pu se passer sans qu’un seul texte n’en parle.

Datation envisagée pour la chapelle Saint-Gunthiern de Locoyarn à Hennebont : an 550 avec un écart de 200 ans.


Deuxième partie du texte (rédigée en novembre 2021)

Cette deuxième partie du texte a été écrite à la suite d'une visite effectuée en septembre 2021 en compagnie d'Alain et Anne-Marie Le Stang, qui ont pris les photographies. Toutes les images autres que celles portant les numéros 2,3, et 7 sont issues de cette visite. Nous remercions vivement Monsieur Jaffré, propriétaire de cette chapelle, pour nous avoir permis de visiter et de photographier ce monument.

En visitant cette chapelle, nous espérions que grâce à l'expérience acquise depuis plus de six ans, nous résoudrions sans trop de difficultés d'éventuels problèmes concernant la datation, une datation déjà en partie évoquée auparavant. Les images que nous allons voir montreront que l'affaire est un peu plus compliquée que ce que nous avions prévu.

Le plan de l'image 2 et les images de 8 à 15 n'apportent pas de trop grandes modifications au texte ci-dessus. Notons seulement que, concernant le plan de l'image 2 trouvé sur Internet, l'orientation indiquée est Nord-Nord-Est alors que d'après les images satellites (image 43) elle est plein Est. Notons aussi que les légendes de ce plan indiquent des « parties romanes » et des « parties remaniées ». Bien malin serait celui apte à faire le distinguo entre ces parties. Il est possible (mais pas certain) que l'entrée d'origine ait été située sur la façade Ouest (image 1). Et donc le portail Sud (image 15) serait plus tardif. Il est par contre plus probable que les grandes fenêtres du chevet (images 9, 13 et 18) ont été percées ultérieurement, peut-être durant la période moderne (XVIIe ou XVIIIe siècle). Mais nous ne pouvons prouver tout cela au seul examen des matériaux utilisés. Remarquons la curieuse plaque gravée d'une tête humaine qui a probablement servi à obstruer une fenêtre (image 12). Malgré son aspect archaïque, nous ne sommes pas certains d'une grande ancienneté.


Venons-en à présent aux images 16 à 24 de l'intérieur. A priori, rien ne permet de penser que les piliers dits « romans » sont plus anciens que les murs extérieurs appartenant aux parties dites « remaniées ». Nous pensons même que le plan est bien celui d'origine car il respecte les règles de symétries et de translations (s'il y avait eu des modifications globales, ces règles n'auraient pas été préservées). Le fait que tous les piliers soient de type R0000 (à plan rectangulaire) et que les arcs reliant les piliers soient à simple rouleau nous font envisager une haute datation.


Sur l'image 22, on remarque que, dans la première travée à partir de la gauche, une poutre en bois est posée sur les impostes des piliers. On revoit cette poutre sur les images 23 et 31. Sur ces deux dernières images, on constate la présence d'une rainure sous la poutre. Comme s'il s'agissait d'une tringle de rideau. Cette poutre reliant deux piliers n'est d'ailleurs pas la seule. Il en existe une située sous l'arc triomphal (image 17). Mais cette poutre connue sous le nom de « poutre de gloire » est plus nettement fréquente que la précédente. Enfin il en existait une autre barrant l'arc Nord de la travée la plus proche du sanctuaire. Il en reste un morceau visible sur l'image 37. L'existence de ces poutres, datables par dendrochronologie, pourrait se révéler intéressante. Il est selon nous probable que ces poutres portaient autrefois des rideaux permetant de séparer le vaisseau principal des collatéraux. L'existence de ces séparations durant le Haut Moyen-Âge est prouvée dans divers endroits, comme par exemple, Ravenne en Italie.


Jusqu'à présent tout semblait à peu près clair. Mais l'affaire devient un peu plus compliquée lorsqu'on observe plus attentivement les impostes des piliers de la nef. Nous les avons toutes photographiées successivement d'Ouest en Est en commençant par le côté Sud. Ce sont tout d'abord les images de 1S, 2S, 3S, 4S, 5S. Puis celle du chapiteau Sud de l'arc triomphal, 6S (images de 25 à 30). Puis les images de 1N, 2N, 3N, 4N, 5N. Puis celle du chapiteau Nord de l'arc triomphal, 6N (images de 31 à 36). On constate sur les images 26 et 27 que les impostes situées au sommet des piliers sont différentes à gauche et à droite. Ce n'est pas le cas pour l'imposte de l'image 28, ni bien sûr, pour celles des images 25, 29 et 30 sculptées d'un seul côté. Ces images 26 et 27 révèlent une importante anomalie. Pourquoi importante ? Nous estimons en effet, que comme dans le cas d'une enquête policière, toute anomalie est importante car son explication peut permettre de résoudre l'enquête. Constatons d'abord qu'on ne retrouve pas cette anomalie (plus exactement ces deux anomalies) sur les deux piliers côté Nord faisant face aux piliers 2S et 3S (images 32 et 33).


Dans un premier temps, nous avons envisagé qu'il y avait eu plusieurs étapes de travaux (au moins trois). Mais, d'une part, cela supposait que les piliers situés sous les impostes avaient subi des transformations. Ce qui ne semble pas avoir été le cas. Et, d'autre part, cela n'expliquait pas pourquoi ces anomalies ne se retrouvaient pas du côté Nord. Une autre étape de travaux côté Nord ? Ça fait beaucoup d'étapes de travaux !

Actuellement nous privilégions une autre hypothèse : l'ensemble a été réalisé en une seule étape de travaux. Les disparités d'impostes sur un même pilier ne seraient pas fortuites mais volontaires. Si l'on observe chacune de ces impostes, on remarque que : celle de droite de l'image 26 a une forme peu différente de celle de l'image 25 ; celle de droite de l'image 27 a une forme peu différente de celle de gauche de l'image 26 ; celle de l'image 28 a une forme peu différente de celle de gauche de l'image 27. Nous pensons donc que chacune des baies protégées par les arcs, côté Sud, devait être réservée à un personnage ou une famille ou un clan. Le thème des personnages situés sous des arcades est relativement fréquent sur des sarcophages antiques. Il est d'ailleurs présent sur une des images déroulantes de notre page d'accueil.

Il reste cependant une anomalie que nous ne pouvons expliquer : la présence sur les piliers 1S et 5S d'une colonne demi-cylindrique engagée, interrompue brutalement sous chacune des impostes (images 25 et 29), et corrélativement, l'absence de la même anomalie côté Nord.


Venons-en à présent à une nouvelle anomalie concernant l'imposte du pilier 4N. C'est la seule qui soit historiée, les autres étant simplement moulurées ou ornées de denticules, billettes ou motifs géométriques. Nous étudions en détail quelques images.

Image 37 : sur la face Ouest du pilier 4N, une tête humaine émerge au-dessus d'arcs de cercles entrelacés.

Images 4 et 5 : sur la face Sud du pilier 4N, deux hybrides à corps de lion et pattes d'oiseau sont adossés (dragons ? cheval solaire ?). Leurs têtes se font face. À remarquer que les images de ces deux dragons ne sont pas symétriques (ce qui est une règle générale dans l'art roman).

Image 38 : sur la face Est du pilier 4N, un autre hybride à queue de serpent et aile d'oiseau. Il a la même gueule en forme d'accent circonflexe que les deux hybrides précédents.

Ces deux faces d'un même pilier sont caractéristiques d'un art barbare de peuples nordiques : bretons ? saxons ? autres peuples ? Le modèle de gueule en forme d'accent circonflexe est nouveau pour nous (comparaison avec le portail de l'église d'Urnes en Norvège ?).

Images 30 et 36 : on retrouve sur ces images de chapiteaux de l'arc triomphal la même tête humaine que celle de l'image 37.

Image 28 : c'est l'imposte du pilier 4S en regard avec celle, historiée, du pilier 4N. Remarquer que, bien que non historiée, elle est de facture plus évoluée que les autres impostes.

Images 40 et 41 : cette fois-ci, ce ne sont pas des impostes mais des bases de piliers. Et ces piliers, ce sont toujours les piliers 4N et 4S ! Ces bases sont décorées d'arcs de cercles concentriques qui symboliseraient le ciel.

Interprétation de ces anomalies : nous pensons que les piliers 4N et 4S sont plus importants que les autres. Ils seraient selon nous symboliques d'une clôture, d'une frontière précédant une autre frontière qui n'est autre que l'arc triomphal. Cette clôture, nous la devinons sur l'image 37 (arcs de cercles entrelacés qui séparent le simple fidèle de l'image de Dieu qui s'est fait Homme (tête humaine que l'on retrouve sur l'arc triomphal, sur les images 30 et 36). On retrouve l'idée de clôture pour accéder au Ciel dans les bases (images 40 et 41).

Plus difficile est l'explication du thème des deux hybrides (images 4 et 5). Ils symboliseraient peut-être l'alternance (jour-nuit, été-hiver). Peut-être en lien avec une forme de métempsychose liée aux cultes solaires. La plupart des religions primitives avaient théorisé l'idée que, dans son parcours céleste, le soleil était porté par un cheval, un char ou une barque. Il était donc inévitable qu'à l'origine, un syncrétisme se soit produit entre ces religions et la religion chrétienne et que le dragon porteur du soleil et messager des dieux ait été en partie adopté par les chrétiens.

L'image 38 est, quant à elle, plus significative. Car il semblerait bien que ce dragon des païens dévore l'Arbre de Vie des chrétiens.


Saint Gunthiern

Nous avons profité de notre visite pour aller à la grotte de Saint Gunthiern, située à un peu plus de 500 mètres de cette chapelle. Nous avons pu constater que cette grotte et la chapelle étaient situées à proximité immédiate du Blavet (images 43, 44, et 45).

Qui était Saint Gunthiern ? Le site Wikipédia qui lui est consacré ne permet pas de distinguer les faits historiques de la légende : « Saint Gurthiern ou saint Gunthiern est un saint originaire de Grande-Bretagne, fondateur de la première abbaye de Quimperlé, et dont la vie plus ou moins légendaire nous est connue grâce à des hagiographies. »

Une des questions que nous nous sommes posée est l'origine du mot « Locoyarn ». Selon l’article, La toponymie du canton de Port-Louis de Henri-François Buffet, qui explique quelques noms de lieux commençant par « Loc », mot breton signifiant « Lieu de saint », Saint Gunthiern aurait été à l'origine du mot « Locoyarn » :
« [...] On pourrait ajouter à cette liste Gurthiern (honoré en Galles), éponyme de Locoyard (Locoziern en 1412) naguère en Kervignac, aujjourd'hui en Hennebont. [...] » .

Un autre article donne la même interprétation toponymique : « [...] on ne manquera pas de se rendre à Saint-Gilles, à 3km à l'Est de la ville (Hennebont) [...] Dans le sanctuaire roman qui s'y dresse, on peut admirer d’intéressants chapiteaux. [...] Une ornementation analogue, œuvre de la même école, sinon du même sculpteur, se voit dans l'ancienne chapelle de Saint Gouziern (ou Gunthiern) à 2 km au Sud de Hennebont, dans le village de Locoyarn. [...] ». Nous avons cité cet article dans son ensemble pour pouvoir le contester au moins en partie. L'église Saint-Gilles d'Hennebont est décrite sur ce site. On peut donc consulter sa page et vérifier qu'il n'y a aucune comparaison possible entre les deux ornementations, sauf à imaginer que toutes les églises romanes de France sont l'oeuvre d'un seul et même sculpteur. Cette contestation amène à douter de la validité du restant du texte. Comment le mot « Saint Gunthiern » a -t-il pu évoluer en « Locoyarn » ? Certes, les deux textes suggèrent une approche : « Gunthiern » se transforme en « Gounziern » (comme en anglais le son « th » se transforme en « z »), puis en « goziern » ou « coziern ». Ensuite, « Loc Coziern » devient « Locoziern » et enfin « Locoiern » par suppression du son « z ».

Est-ce là, la seule explication ? Nous avions envisagé une succession plus courte de « Saint Jean » en « Loc Yan », devenant « Locoyan » puis « Locoyarn ».


Datation envisagée pour la chapelle Saint-Gunthiern de Locoyarn à Hennebont

Après réexamen de cette chapelle, nous proposons de retarder la datation par rapport à l'évaluation précédente : an 650 avec un écart de 200 ans.