L’église Saint-Beheau de Priziac : une église qui n’existe pas !
C’est la réflexion qui nous est venue à
l’esprit en voyant les images de cette église. Et ce, sans
avoir eu auparavant connaissance des deux églises
de Ploërdut et de Langonnet. Sinon, nous aurions dit la même
chose les concernant. On a là trois églises qui n’existent
pas !
Or, nous sommes bien obligés de constater leur existence.
Mais leur architecture ne correspond pas aux critères que
nous avions auparavant établis.
Nous sommes donc en présence de contradictions que d’une
façon ou d’une autre il faudra gérer.
Extérieurement (images
1 et 2), cet édifice ne semble pas présenter un
intérêt particulier. Les fenêtres à lancettes sont
gothiques. Il existe plusieurs corps de bâtiments qui
semblent avoir été ajoutés un petit peu au hasard. Comme
cette construction à plan rectangulaire, très étroite, plus
haute que la nef, et adossée au clocher. Ou bien cette autre
construction transverse à la nef, de même hauteur que
celle-ci, qui semble être un transept (nous verrons que c’en
est un), mais qui ne porte pas de clocher de croisée et qui
est placé au milieu de la nef et non en bout de nef. Par
ailleurs, rien ne permet d’envisager qu’on soit en présence
d’une église à nef à trois vaisseaux.
Pourtant la nef est bien à trois vaisseaux (images 3, 4, 5 et 7), les collatéraux pouvant
être percés de chapelles latérales.
Immédiatement, on constate sur ces images une différence
entre les piliers Nord et Sud de la nef. Les piliers Nord
sont à plan rectangulaire (type R0000),
le pilier le plus proche de l’entrée étant plus large que
les deux autres.
Les piliers côté Sud sont encore plus divers. Toujours en
partant du fond (Ouest) on obtient successivement deux
piliers à plan cruciforme (R1111
? ou C1111 ?),
puis un pilier cylindrique (C0000)
et enfin un pilier rectangulaire adossé au pilier du
transept.
Par ailleurs, on constate que les arcs intercalaires des
piliers sont, en plein cintre, côté Nord, et légèrement
brisés, côté Sud.
C’est en partie la raison qui nous a conduit à dire que
cette « église n’existe pas ». En effet, il nous faut bien
comprendre que l’architecte qui a imaginé le plan du premier
édifice construit a conçu un modèle parfait. Dans cet
édifice parfait, tous les piliers étaient identiques, soit
tous rectangulaires, soit tous cylindriques, soit tous
cruciformes. Mais pas les trois à la fois. On peut certes
apporter des nuances aux affirmations précédentes. Ainsi,
dans certaines églises d’Allemagne, il y a alternance des
piliers rectangulaires et cylindriques, ou cruciformes et
cylindriques. Mais rien de tel ici : l’ordonnancement des
piliers ne fait pas apparaître une quelconque volonté de
reproduire un schéma idéal.
Il nous faut donc envisager que cette
nef a subi plusieurs transformations successives. Nous
pensons que la première nef construite était, comme
celle-ci, à trois vaisseaux. Les murs gouttereaux du
vaisseau central étaient portés par des piliers
rectangulaires. Les piliers Nord seraient les restes de ces
piliers. Il serait intéressant d’en étudier les impostes.
Nous pensons que cette première église pourrait dater du
milieu du premier millénaire (an 600 avec un écart de 200
ans).
Cette première église aurait été en partie détruite. Il est
difficile de connaître les raisons de cette destruction. On
a trop souvent et trop commodément attribué les destructions
des édifices du premier millénaire à des « invasions
barbares ». On oublie que maintenant encore, les principales
destructions ne sont pas le fait de guerriers, mais de
rénovateurs soucieux de bâtir du neuf, s’il le faut, au
détriment du vieux.
Dans le cas des édifices religieux, l’autre cause est la
désaffection du culte : pour diverses causes (hérésies,
discordes, luttes religieuses, profanation, vente des
locaux), le culte n’est plus assuré. L’édifice est
rapidement démembré par les gens du lieu ou réutilisé pour
une autre destination que le culte (cave à vin, garage,..).
Dans le cas de Saint-Beheau, la partie Sud aurait été
reconstruite avec des piliers différents : cylindriques (image 8) ? ou
cruciformes (image 6)
? Nous pensons que, là encore, la variété des piliers
indique au moins deux étapes de construction.
Les chapiteaux de la nef
Il existe plusieurs types de chapiteaux. Il y a d’abord les
chapiteaux des piliers cylindriques formés de plusieurs
blocs parallélépipédiques accolés sculptés en méplat. Celui
de l'image 10 contient
deux blocs : à gauche deux oiseaux sont représentés
affrontés (peut être une réminiscence des « oiseaux au
canthare ») ; à droite, sur un entrelacs, on devine un
quadrupède.
L’entablement des piliers cruciformes peut être qualifié «
d’extraordinaire » : deux chapiteaux de formes presque
cubiques disposés à l’Est et à l’Ouest au sommet du pilier
sont encadrés au Nord et au Sud par de grandes pierres
plates. À la différence de celles de Langonnet, vues dans
une des pages suivantes, les pierres plates de Priziac ne
sont pas sculptées mais dégrossies. Elles sont détachées des
chapiteaux cubiques Est et Ouest. Il est possible que cet
écartement ait été volontaire afin de laisser apparents les
décors des chapiteaux (image
11). Remarquer le décor de tête grimaçante de l'image 9. Faut-il voir
dans le contour en arrondi les bras d’un orant ?
Remarquer aussi sur l'image
11 les décors juxtaposés d’entrelacs et d’un
damier.
Ces chapiteaux, par leur aspect fruste et leurs décors
d’entrelacs, permettent d’envisager une date antérieure à
l’an mille.
Il en est de même pour les bases des piliers (image
13). Remarquons que, à Loctudy, dans le
Finistère, on découvre aussi des bases sculptées (voir sur
ce site la page de Loctudy).
On a vu précédemment que la croisée du
transept n’était pas dotée d’une tour-lanterne. Cette
croisée de transept est romane. Il faudrait cependant
vérifier l’insertion de cette croisée dans la nef. Nous
avons constaté en effet que, dans bien des cas, le transept
était un ajout postérieur. Et il semblerait que ce soit le
cas ici au vu des chapiteaux. Ceux-ci sont pourvus de
tailloirs à la différence des chapiteaux de la nef.
Datation
Nous avons déjà parlé des piliers Nord de la nef que nous
avons datés de l’an 600 avec un écart de 200 ans.
Concernant les piliers Sud de la nef, le problème est plus
complexe.
Il faut tout d’abord remarquer que les piliers cruciformes
de type R1111 témoignent
en contradiction de la théorie que nous avons établie dans
le paragraphe « évolution des piliers » du chapitre «
datation « de ce site. Selon nous en effet, l’existence de
colonnes adossées transformant un pilier rectangulaire ou
cylindrique en pilier cruciforme traduirait une tentative de
voûtement de l’édifice : la colonne adossée porte un
chapiteau. Lequel chapiteau porte un arc doubleau. Lequel
arc supporte soit un autre arc, intercalaire entre deux
piliers, soit la voûte d’un des trois vaisseaux.
Le raisonnement semblait bien engagé et, jusqu’à présent,
nous n’avons constaté aucune contradiction : les piliers
cruciformes de Priziac viennent porter cette contradiction à
notre théorie. En effet, aucun d’eux ne se prolonge par un
arc doubleau.
En fait, nous avions déjà observé une telle contradiction en
Bretagne, à Locmaria de Quimper ou Saint-Sauveur de Redon où
des piliers de type R1010
ne sont pas associés à des arcs intercalaires doubles. Mais
on voit cela aussi à Nant (Aveyron/Occitanie) ou Sant Pere
de Rodes (Catalogne/ Espagne). Dans chacun des cas, il
semblerait que les colonnes ou demi-colonnes adossées
serviraient à accroître l’assise de l’entablement. Il semble
que cela soit le cas ici.
Nous formulons l’hypothèse suivante concernant les piliers
cruciformes, lors de la construction initiale de ces
piliers, au cours d’une deuxième campagne de travaux sur
l’église, ces piliers étaient plus étroits de type
R1010. Des demi-colonnes étaient adossées au noyau
central à l’Est et à l’Ouest, mais pas au Nord et au Sud.
Ces piliers devaient porter, par l’intermédiaire des
chapiteaux cubiques, une cloison fine (même largeur que les
chapiteaux), peut être en ossature de bois. Plus tard, au
cours d’une autre campagne de travaux, on aurait décidé
d’épaissir et d’alourdir cette cloison. Pour cela, on aurait
ajouté les demi-colonnes côtés Nord et Sud et placé
au-dessus et verticalement les plaques de pierre, et
par-dessus celles-ci, l’entablement. L’opération consistant
à placer des arcs brisés sur cet entablement aurait été
effectuée en fin d’époque romane. Mais rien n’empêche de
penser qu’il y ait eu une étape intermédiaire entre cette
étape et la précédente.
Les chapiteaux du transept permettent d’estimer sa datation
aux alentours de l’an mille.
Cependant, tout cela reste à vérifier par un examen plus
détaillé et la comparaison avec les autres édifices :
l'église Saint-Pierre de Ploërdut et l’église
Saint-Pierre-et- Saint-Paul de Langonnet.