L’église Sainte-Croix de Quimperlé (Finistère) 

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Étude architecturale

Nous avons visité l’église Sainte-Croix de Quimperlé en juillet 2006. C’est-à-dire bien avant la mise en place d’un protocole de recherche systématique. Les images sont donc rares et pas toujours adaptées à la problématique. 

Cependant, dès ce moment-là, la structure de cette église nous avait intrigué par son originalité. Cette originalité est manifeste dans son plan d’ensemble (image 1) où sont indiqués en rouge le porche d’entrée de création moderne, en bleu et en vert les parties datant du Moyen-Âge. La partie représentée en vert est l’abside principale orientale de cette église. On voit immédiatement que ce plan est tout à fait différent de ceux des autres églises bretonnes vues précédemment. Ces églises étaient des édifices à nef à trois vaisseaux orientée Est-Ouest. Ici, on est en présence d’une église dite « à plan centré ».

Un édifice est dit « à plan centré » lorsque son plan au sol est une figure géométrique possédant un centre de symétrie : triangle équilatéral, carré, octogone, dodécagone, cercle, croix grecque, etc. De tels édifices sont rares en Europe de l’Ouest chrétienne catholique. Ils sont beaucoup plus fréquents en chrétienté orthodoxe.

À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire liée à la figure géométrique de base : le carré peut avoir été privilégié à certaines époques ou dans certaines régions. À d’autres époques ou dans d’autres régions, c’est le cercle qui est privilégié.

Très souvent, le plan n’est pas parfaitement symétrique, comme on le voit dans l’image ci-dessus : il faut bien une porte pour rentrer et une direction (représentée par une abside) vers laquelle se dirigent les prières et les prosternations.

L’originalité se manifeste aussi à l’extérieur. Ainsi dans l’ image 2, on voit au fond de la rue une église en forme de cylindre vertical, bâtie autour d’un axe central.

Nous aurons l’occasion de parler plus précisément de ce type d’église. On en trouve des exemples à Dijon ( Saint-Bénigne), Charroux, Zadar en Croatie (Saint-Donat qui daterait du début du IXe siècle), Aix-la-Chapelle, Périgueux (temple de Vésonne),...

L’image 3 représente l’intérieur de la nef. Cette photographie permet d’envisager que, primitivement, le « noyau » de cette rotonde était à plan carré (voir, au centre de la photographie, les arcs en plein cintre, portés par des piliers à triples colonnes adossées). Ultérieurement (fin du XIIe siècle ?), d’autres colonnes auraient été adossées au revers des piliers précédents (voir, dans la même image, en haut à gauche), transformant le plan carré du noyau en un plan octogonal et permettant de lancer des arcades sur les murs extérieurs. Et donc de voûter un déambulatoire qui, à l’origine, était probablement charpenté.


L’image 4 nous montre la vue d’une abside annexe (Nord ? ou Sud ?). À son sujet, on peut difficilement parler d’absidiole (ou petite abside), car elle est de largeur sensiblement égale à l’abside principale. Les chapiteaux de la colonnade posent question. En particulier, ceux représentant une roue, situés de part et d’autre de la Vierge. On ne trouve pas ce modèle ailleurs et ils pourraient être le résultat d’une restauration au XIXe siècle.

Les images 5 et 6 sont celles de l’abside principale située à l’Est. On rappelle que cette abside a été citée concernant l’église de Loctudy : le déambulatoire de Loctudy aurait été créé à l’intérieur d’un abside du même type. Revenons à cette abside orientale de Quimperlé. Elle semble comparable aux deux autres. Néanmoins, elle s’en distingue par le fait que le chœur demi-circulaire est précédé d’un avant-chœur rectangulaire. En conséquence, elle est de même largeur que les deux autres mais un peu plus longue. Une autre particularité : à la différence des deux autres, elle est située au-dessus d’une crypte de même plan.


Les images suivantes nous montrent la crypte (image 7 ), puis deux chapiteaux de celle-ci (images 8 et 9). Ces chapiteaux sont difficiles à dater (entre le IXe et le XIe siècle ?) et ne nous apprennent pas grand-chose. Un chapiteau un peu plus intéressant serait le suivant (image 10). En effet le style (feuillages sur des entrelacs) se retrouve ailleurs. En particulier, dans l’église auvergnate de Menat, dont l’édification est estimée antérieure à l’an mille. Mais il est difficile d’effectuer une comparaison. D’autant que le chapiteau pourrait être de remploi (partie non travaillée dans le coté inférieur droit).


L’ensemble des observations concernant l’architecture de l’édifice permet d’envisager au moins quatre étapes de construction.

Un premier édifice, à plan circulaire, est construit autour d’un noyau central à plan carré. L’ensemble (noyau et déambulatoire) est couvert d’un toit, à plusieurs pentes, sur charpente.

Au cours d’une deuxième campagne de travaux, on décide d’accoler à cet édifice des absides situées aux quatre points cardinaux.

Qu’est-ce qui permet de justifier la succession des deux constructions et non leur simultanéité : le nom de l’édifice, Sainte-Croix. En effet, il existe des édifices dédiés à Sainte-Croix. Ce sont, en général, des édifices ayant reçu des reliques de la Vraie Croix et leur plan s’inspire de l’église Sainte-Croix de Jérusalem : un plan en forme de croix grecque. C’est-à-dire aux branches d’égale longueur établies autour d’un noyau central à plan carré (mais sans le déambulatoire circulaire de Quimperlé).

L’idée est que, à partir du premier édifice, à plan circulaire, les bâtisseurs voulant accueillir une relique insigne de la Vraie Croix, aient voulu transformer ce plan pour lui donner une forme de croix. Et ce, sans détruire les ouvrages précédents. Ils ont donc accolé des absides aux points cardinaux.

Une troisième campagne de travaux a dû intervenir par la suite. En effet, souvenons nous que, dans le plan parfait de l’église de Sainte-Croix de Jérusalem, plan que l’on retrouve à Sainte-Croix de Montmajour, près d’Arles, les branches sont semblables. Ceci laisse envisager que l’abside orientale de Sainte-Croix de Quimperlé a été construite, pour une raison qu’on ignore, ultérieurement et d’une ampleur plus grande, en remplacement d’une abside analogue aux deux autres.

Une entrée existait probablement coté Ouest, de même dimensions que les absides. Mais elle n’était probablement pas de plan circulaire. Elle a dû être détruite et remplacée à une époque plus récente par l’actuel porche d’entrée.


Confrontation avec les sources écrites :

Il faut ici citer presque intégralement le texte de Marc Déceneux dans « La Bretagne Romane » : « Le monument phare de ce vaste mouvement est l’église abbatiale de Sainte-Croix de Quimperlé. Fait exceptionnel, ce monument nous offre quelques dates sûres. L’abbaye, comme on l’a vu, a été fondée en 1029. Son premier abbé, Gurloës, ancien moine de Redon, mourut en 1057, en odeur de sainteté. En 1085, son corps fut extrait de son tombeau pour être présenté aux fidèles dans un cadre digne de la vénération dont ses reliques allaient être l’objet. Les restes de Gurloës furent donc « élevés » dans une crypte que l’on bâtit en 1083-1084 et au-dessus de laquelle une nouvelle église fut mise en chantier, comme l’atteste le cartulaire qui mentionne explicitement la « restauration (reconstruction) de l’église de la Sainte-Croix. »



Essai de datation

Manifestement, cette interprétation des textes par Marc Déceneux semble en désaccord total avec mes propres observations des images de l’édifice. Selon lui, en effet, à partir de 1083, « une nouvelle église fut mise en chantier ». Une église qui daterait donc de la fin du XIe siècle. Alors que j’envisage plusieurs étapes de construction ayant laissé des traces lisibles.

Peut-on néanmoins gommer l’existence de ces textes ?

L’abbaye de Quimperlé a été fondée en 1029. Il faudrait en premier lieu retrouver le texte qui parle de cette fondation. Mais même s’il existe, le texte en question peut très bien ne pas être suffisamment significatif. Il faut bien comprendre qu’une abbaye est un bâtiment contenant un groupe d’hommes ou de femmes. Ce bâtiment est installé sur un terrain qui, une fois, l’abbaye fondée, doit sans doute appartenir à l’abbaye (à moins qu’il soit loué). Ce terrain était auparavant occupé. Il avait un propriétaire. Peut-être même existait-il des bâtiments antérieurs. C’était le cas si l’abbaye se situait dans une zone urbaine. Il est peu probable que les nouveaux arrivants s’amusent à détruire ces bâtiments. D’ailleurs, des textes montrent que dans certains cas il n’y a pas une véritable fondation d’abbaye mais remplacement d’une communauté par une autre dans un même emplacement. C’est, en tout cas ce qui se passe actuellement pour bon nombre de communautés monastiques. Il est donc fort possible que l’abbaye de Quimperlé ait existé avant l’an 1000, mais que, en l’an 1029, le moine Gurloës ait été chargé par l’abbé de Redon de participer au redressement de l’abbaye. Il est aussi possible que le moine Gurloës soit arrivé dans une abbatiale déjà construite. Une abbatiale dont le plan serait celui de l’ image 11.

Le texte ne le dit pas mais il est possible que le moine Gurloës ait fait venir à Quimperlé une relique de la Vraie Croix. Et qu’il ait voulu aménager pour cette relique un édifice digne d’elle. Ce serait l’étape n°2 représentée dans le plan de l’ image 12 .

La dernière partie du texte de Marc Déceneux est sans doute la plus éclairante : en 1083-1084, les moines veulent construire un écrin aux restes de l’abbé Gurloës. Quel est cet écrin ? Ce n’est pas l’église dans sa totalité comme le pense M Déceneux, mais seulement son abside orientale et la crypte qui accueillera le corps du saint.

La datation proposée est donc la suivante : Un premier édifice à plan circulaire qui pourrait dater de l’an 900 avec un écart estimé de 100 ans. La transformation de l’édifice en un plan en forme de croix. La datation de cette transformation est plus délicate car rien ne prouve que l’arrivée d’une relique de la Vraie Croix soit dûe à Gurloës. D’ailleurs, rien ne prouve qu’il y ait eu importation d’une telle relique.

Reste une date importante : 1083, qui pourrait être celle de la construction de l’abside orientale. Cette datation est très intéressante, car elle permet d’affiner celle de l’abside de Loctudy (avant la construction d’un déambulatoire et des chapelles rayonnantes). Nous avions daté cette abside de l’an 1000 avec un écart estimé de 100 ans. Nous pouvons à présent dater l’abside de Loctudy de l’an 1080, avec un écart estimé de 40 ans.




Retour à l’église Sainte-Croix de Quimperlé


Nous avons visité l’église Sainte-Croix de Quimperlé en juin 2006, et depuis, nous n’y étions pas revenus. Entre-temps, nous avons rédigé le texte ci-dessus. Cependant des interrogations subsistaient. Et en particulier celle-ci : l’analyse que nous avions faite était-elle cohérente ? Afin d ‘éclaircir de nombreux points, il nous fallait reprendre la visite de cette église. C’est ce que nous venons de faire tout récemment (en novembre 2018) .


Depuis notre visite précédente, une salle a été aménagée afin de présenter diverses explications. Nous ne sommes pas les seuls à nous poser des questions sur cette église! Loin s’en faut. Nous y avons trouvé des renseignements supplémentaires. En particulier, nous avons appris que la nef s’était effondrée en 1862. Qui plus est, nous avons pu voir des images témoins de cet événement (images 22, 23, 27, 28).

Il nous faut tout d’abord constater que la façade de la rotonde, qui, a priori, semble homogène, ne l’est pas tout à fait. Observons par exemple l'image 15. La partie inférieure de la façade située à droite de la porte est ornée d’une colonnade surmontée d’une série de petits arcs. On ne retrouve pas cette formule sur les images 13, 19 et 20. Cette anomalie est caractéristique de travaux divers qui ont peut-être été effectués au XIXesiècle. Sur la même image 15, on peut voir une autre colonnade au-dessus de la porte (image 16). Sur ces colonnes, sont posés des chapiteaux en forme de têtes humaines stylisées, surmontés d’un linteau unique sculpté en bas-relief et dont la partie inférieure est sculptée en forme de quatre arcs successifs. Nous pensons que ce linteau ainsi que les chapiteaux sont des pièces plus anciennes utilisées en remploi.

À première vue, l’abside Est ou chevet (image 20) ne nous paraissait pas romane comme le disaient certains panneaux explicatifs. Le type de décoration visible sur l'image 21 n’a que peu de rapport avec ce que nous connaissons dans l’art roman.

L'image 22 confirme cette impression. De part et d’autre de la fenêtre située en milieu de cette image, on retrouve les séries d’arcades de l'image 20 qui ont été étayées par des madriers. Au dessus de ces arcs, la corniche supportée par des modillons est identique à celle de l'image 20. Ce qui prouve que l’abside a été abaissée d’un étage après l’effondrement de 1862. On remarque que les deux arcades, celle de l'image 20, et celle de l'image 22, ainsi que les colonnades qui les supportent, sont très différentes. En tout cas, les arcades primitives sont moins richement décorées.


La photographie de l'image 23 a probablement été prise après l’effondrement de 1862. Et avant la fin de reconstruction de l’église. Elle doit être comparée avec l'image 19. On constate l’absence d’un toit au-dessus de la rotonde. Preuve que les travaux n’étaient pas terminés au moment de la prise de vues.

Sur l'image 19, on distingue deux étages de fenêtres. On n’en voit qu’un sur l'image 23. Il faut donc envisager qu’avant l’effondrement de 1862, il n’y avait qu’un seul étage de fenêtres.

L'image 27 montre l’état de la nef peu après l’effondrement de 1862. Cette image est trés difficile à interpréter. Il semblerait que la construction que l’on voit en face correspondrait à l‘abside Nord. Dans ce cas, le toit dont une partie déborde sur la droite serait celui qui couvre le chevet (abside Est).

Si l'image 28 représente la nef avant l’effondrement de 1862, comment la nef de l'image 28 s’est-elle transformée en celle de l'image 27 ? Ce n’est pas évident d’effectuer l’analyse comparative des deux images.

Quelques détails minimes pourraient permettre de conclure. Ainsi, sur l'image 27, le pilier soutenant l’arc situé sur la droite pourrait être un des piliers de soutien de la partie centrale. Plus loin, on distingue à peine, sur le même plan que l’arc de droite, l’autre arc symétrique de l’arc de droite. Et sous cet arc, une silhouette, celle d’un curé en soutane portant un chapeau et levant le bras. À l’horizontale, ente ce curé et le pilier initial, on distingue deux chapiteaux. Indices faibles. Une étude plus approfondie est nécessaire.


Au vu de l’état de l’église après l’effondrement, il semble peu probable qu’il reste des chapiteaux de l’église d’origine. Sur l'image 29, les chapiteaux portent une corniche. unique. D’après l'image 28, les chapiteaux portaient des tailloirs séparés les uns les autres.

Nous avons quelques doutes sur les chapiteaux de l'image 29 qui ne nous semblent pas romans. Ni d’ailleurs préromans. Ils datent probablement de la restauration du
XIXesiècle. Sur l'image 30, observons les chapiteaux du milieu (à corps de lion et tête humaine) et de droite (à feuillages stylisés ).

Sur l'image 31, le chapiteau de gauche représentant des dragons opposés pourrait lui aussi être roman.

Sur l'image 32, les deux chapiteaux semblent récents. Inversement, sur l'image 33, les trois chapiteaux semblent anciens. En particulier, celui de gauche « à feuilles dressées », chapiteau que nous retrouverons dans la crypte (image 45).

Sur l'image 34 apparaissent les bases des piliers. Elles ne nous semblent pas romanes. Compte tenu de l’état de l’édifice en 1862, il est fort probable que les piliers centraux ont été entièrement détruits. Il a fallu les reconstruire dès la base.


L'image 35 constitue pour nous un mystère. Il s’agit d’un des 4 piliers soutenant la partie centrale de la nef. Nous avons face à nous 7 colonnes adossées au pilier, 3 de gros diamètre et 4 autres de diamètre plus petit. Les trois premières soutiennent des arcs par l’intermédiaire de chapiteaux. Les quatre autres ne soutiennent pas des arcs mais portent seulement des chapiteaux. Et c’est là que réside le problème. Pourquoi 4 colonnes ? 4 chapiteaux ? ... mais pas 4 arcs ! Pour nous cela semble normal. Mais pour un architecte du Moyen-Âge, cela ne le serait pas. Car tout devait avoir une fonction. Si les 4 colonnes ont été construites, c’est parce qu’elles devaient porter quelque chose : les chapiteaux, bien sûr. Mais les chapiteaux devaient eux aussi porter quelque chose. Chaque chapiteau qui surmontait une colonne devait lui aussi supporter quelque chose. Ce « quelque chose » pourrait être un arc. Mais ce pourrait aussi être les madriers d’un toit. C’est cette dernière hypothèse qui serait la plus envisageable.

Les chapiteaux de la crypte nous semblent tous d’origine. Une origine qui pourrait remonter aux environs de l’an mille.

Le chapiteau de l'image 38 ressemble à celui de droite de l'image 30.

Sur le coin du chapiteau de l'image 39, semble apparaître une figure humaine stylisé. Il en est de même pour celui de l'image 42.
Les chapiteaux des images 41 et 45 sont « à feuilles dressées » comme celui de l'image 33. Ce type de décor est remarquable. Nous l’avons vu dans les Asturies où il daté du IXesiècle. En France, il est daté du XIesiècle.



Datation


Les informations données sur place donnent la date de 1029, simultanément pour la fondation de l’abbaye et pour la construction de l’abbatiale. Nous estimons que ces deux événements doivent être traités indépendamment. Il est certain pour nous que l’édification d’un monument d’une telle importance s’inscrit dans une longue durée.

Par ailleurs, nous avons constaté que la plupart des édifices à plan centré du même type que celui-ci appartenait à une époque de beaucoup antérieure à l’an mille.

Nous n’avons aucune raison de modifier profondément les évaluations que nous avions faites précédemment. Tout au plus, nous envisageons que l’église primitive devait être réduite à la rotonde. Les 4 piliers centraux auraient été installés ultérieurement en remplacement d’autres piliers.


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