L'abbaye Notre-Dame du Relecq 

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Nous conseillons vivement la lecture de la page du site Internet Wikipedia réservée à cette abbaye. On y trouve en particulier une étude très intéressante sur la « quévaise », un mode de gestion collective des terres arides présent dans les Monts d'Arrée au cours du Moyen-Âge. Une telle étude permet d'ouvrir des horizons sur une réflexion plus profonde concernant l'origine de ces pratiques. Ont-elles été introduites par les cisterciens ? les hospitaliers ? les templiers ? Ou bien longtemps avant eux par des communautés politico-religieuses issues du Sud de l'Angleterre ? Sur tous ces points, nous ne sommes pas en mesure de répondre.

Sur l'histoire de l'abbaye, la page de Wikipedia nous apprend ceci :

« L'abbaye du Relec (ou abbaye du Relecq suivant les sources) est une abbaye fondée probablement en 1132 ...

L'abbaye aurait été fondée par des moines venus de l'abbaye de Bégard à l’emplacement d’une abbaye antérieure probablement bénédictine, qui aurait porté le nom de Gerber, fondée par saint Pol Aurélien au VIesiècle, dont le premier abbé aurait été saint Tanguy, décédé en 572, et située à proximité de l’endroit supposé, nommé Brank-Alek (branche de saule), de la bataille ayant opposé en 555 les armées de Conomor, comte de Poher et Tudal, prince de Domnonée (appuyé par le roi des Francs, Childebert I er). Cela expliquerait le nom de l’abbaye qui proviendrait des reliques des combattants tués lors de cette bataille (l'abbaye est dénommée en latin Abbatia de reliquiis dans des Chartes anciennes). Jusqu'au XXesiècle, on voyait encore au village du Mengleuz une pierre plate schisteuse appelée Men Be Conomore : la pierre tombale de Conomor de (aujourd'hui cette dernière serait enfouie à proximité de l'abbaye). »

Au risque de passer pour d'obscurs contestataires, nous allons vous raconter une petite histoire qui s'est passé dans la ville de Béziers au cours des année soixante. Afin d'héberger les rapatriés arrivés massivement du Maghreb, il a été décidé de créer un quartier nouveau sur les domaines de la Gayonne et de la Devèze. Eh bien figurez-vous, ami lecteur, que les châteaux de la Devèze et de la Gayonne, ils existent encore ! Certes, ils sont entourés d'immeubles. Mais on ne les a pas remplacés ! On les a gardés !

Ce qui s'est passé concernant la ville de Béziers est-il un cas exceptionnel ? Nous ne le pensons pas ! Bien sûr, lorsqu'on veut effectuer une construction nouvelle dans le quartier ancien d'une ville donnée, on est bien obligé de démolir des immeubles anciens. Mais lorsqu'on est en pleine campagne, à quoi bon détruire un édifice plus ancien lorsqu'on peut construire à côté ? En conséquence de ce raisonnement, qui nous semble fondé, la phrase concernant une abbaye située en pleine campagne, qui
« aurait été fondée ... à l’emplacement d’une abbaye antérieure » nous invite à demander de plus amples explications.

En fait, nous retrouvons à travers ce texte la méthode privilégiée par les historiens de l'art d'utilisation des textes anciens pour dater les monuments du Moyen-Âge. Nous avons dit à de nombreuses reprises que cette méthode n'était pas infaillible - bien au contraire : nous avons repéré un grand nombre d'erreurs - , et qu'elle devait au moins être assortie d'une étude minutieuse des monuments et de l'iconographie.

Nous retenons cependant de ce texte un point qui nous semble relativement important. Nous avons constaté que les abbayes cisterciennes étaient datées en fonction de la date de leur fondation, date souvent bien connue. C'est somme toute assez logique. Mais ce qui n'est pas logique, c'est qu'on en déduise la même date pour la construction des églises de ces communautés monastiques. Il s'agit là d'une constatation que nous n'avons faite que récemment. Une abbaye est avant tout une communauté humaine. Pour que cette communauté puisse exister, il faut quelle dispose de bâtiments (église, logis des moines) et de ressources (terres cultivables, exploitations minières). Il y a donc deux possibilités : soit la communauté est installée dans des bâtiments construits auparavant ; soit elle se constitue au fur et à mesure autour d'un individu au fort charisme, auquel cas la construction de bâtiments n'est pas immédiate mais progressive et peut survenir des dizaines d'années après la mort du fondateur devenu saint. Forts de ce raisonnement, nous avons envisagé que de nombreuses abbatiales cisterciennes qui auparavant étaient datées de la date de fondation de la communauté pouvaient être antérieures à cette date - du moins pour les parties les plus anciennes - ou postérieures à cette date. Jusqu'à présent, nous n'avions pas connaissance de l'existence d'une abbaye antérieure à une abbaye cistercienne. Ce texte nous l'apprend.



Poursuivons la lecture du texte de Wikipedia :

« Anne Autissier date la construction de l'église abbatiale des années 1140-1150, quand Marc Déceneux y voit un édifice du troisième quart du XIIe siècle. L'édifice demeure un bel exemple de l'architecture cistercienne bretonne du XIIesiècle en dépit de nombreux remaniements.

Ainsi, les baies des chapelles absidiales ont été modifiées au XIIe siècle. Au XVe siècle, les grosses piles rondes de la nef sont reprises en sous-œuvre, des grandes baies gothiques à remplage sont percées dans le mur-pignon du chœur et celui du transept Sud. Dans la seconde moitié du XVeou au début du XVIesiècle, le collatéral Nord est reconstruit. À la fin du XVII e siècle, le sol de l’édifice est rehaussé d’une trentaine de centimètres, avant l’édification de l’escalier du transept Nord par le prieur Jean-Baptiste Moreau, ...

... Alors que la plupart des abbatiales cisterciennes du XIIe siècle présentent une croisée de transept régulière (nef et transept de même hauteur), celle du Relec est peu marquée : elle se signale par des arcades certes plus hautes et plus larges que les grandes arcades, puisque leur sommet dépasse celui des fenêtres hautes, mais bien plus basses que la hauteur du vaisseau central, offrant ainsi un espace continu de la nef jusqu'à l'arc diaphragme du chœur. Cette disposition archaïsante rappelle celles du premier art roman breton (Chapelle Sainte-Anne de l'île de Batz). [...]

Les sept chapiteaux sculptés romans subsistants sont majoritairement ornés de motifs végétaux de belle facture et surmontés d’un tailloir parfois décoré. Un seul chapiteau présente un motif géométrique, deux rangées de dents de scie séparées par un cordon. »

On retrouve dans la première phrase, « Anne Autissier date la construction de l'église abbatiale des années 1140-1150, ... », ce que nous avions dénigré ci-dessus ; la datation de l'abbatiale correspond à la fondation de la communauté monastique ; puisque l'abbaye a été fondée en 1132, Anne Autissier en déduit que l'église a été construite immédiatement après. entre 1140 et 1150. Et rien n'est dit concernant l'abbatiale qui existait auparavant. Disparue ? évaporée ? volatilisée ? Marc Deceneux, quant à lui, ayant constaté l'existence d'arcs brisés en a sans doute déduit qu'ils ne pouvaient dater de la première moitié du XIIesiècle. Il l'a donc rangée dans le troisième quart du XIIesiècle.


Essayons de dater cette église. Mais cette fois-ci sans utiliser les textes, seulement son architecture.

Et disons-le tout de suite sans avoir peur de vous choquer, vous les amateurs passionnés de cette église : cette architecture, elle est NULLE. En toute franchise, regardez bien ces images !

Image 6 : En face de vous, un grand arc brisé à une révolution. À droite un autre arc, lui aussi brisé, mais légèrement plus haut que le premier et à double révolution. À droite, les traces d'un arc nettement séparé de l'arc central alors que les deux arcs sont proches l'un de l'autre. C'est pas nul ça ?

Image 11 : Là encore deux arcs brisés à double rouleau. Mais l'un est nettement plus bas que l'autre. C'est pas nul ça ?

Image 5 : On peut voir les fenêtres supérieures au-dessus du collatéral. À quoi peuvent-elles bien servir ? Soit elles servaient autrefois à éclairer la nef, comme pour les anciennes basiliques romaines. Mais dans ce cas, il y aurait un toit à quatre pentes (deux pour le vaisseau central, une pour chaque collatéral, en décrochement par rapport à la pente correspondante du vaisseau central). Mais au vu de l'image 11, un tel système ne peut convenir avec la disposition actuelle. Soit ces fenêtres éclairaient une galerie placée au premier étage du collatéral, mais cette galerie ne pourrait communiquer avec le transept ou le fond de l'église. Aucune cohérence !

Image 12 : On y voit un chapiteau avec, situées de part et d'autre, deux impostes. Ces deux impostes sont différentes entre elles et aussi différentes du tailloir qui surmonte le chapiteau. C'est pas nul ça ?

Nous sommes donc bien d'accord : cette architecture, elle est nulle ! Mais il faut bien garder à l'esprit que l'architecte qui a construit les plans de l'édifice primitif, lui, il n'était pas nul. Et l'église qu'il a édifiée, elle n'était pas nulle : son plan était parfait. Seulement, depuis ce temps-là, elle a subi des transformations qui ont fait disparaître la perfection du modèle. Comment se présentait l'édifice primitif ? Nous pensons que sa nef était à trois vaisseaux. Les murs auraient été en partie conservés. Auraient été aussi conservées les fenêtres supérieures du vaisseau central. Par contre, nous pensons que les arcs brisés auraient remplacé des structures plus anciennes, probablement des arcs en plein cintre.

Autre signe d'une probable ancienneté : le transept est bas et débordant. C'est ce qui est signalé dans le texte ci-dessus. Il faut comprendre que les premières églises n'avaient pas de transept. La mode est venue après. Cependant, parmi les églises anciennes, certaines on voulu se doter d'un transept. Elles ont pour cela remplacé une ou deux travées des collatéraux par des bâtiments transverses à la nef. En appuyant chacun de ces deux bâtiments contre le mur du vaisseau central. En conséquence, les croisillons du transept ainsi obtenus se trouvaient plus bas que le vaisseau central de la nef.


Enfin un autre élément témoigne d'une ancienneté. Ce sont les chapiteaux des images 13 à 20. Ils s'apparentent à d'autres chapiteaux de Bretagne. Nous pensons qu'ils datent du XIesiècle, voire même peu avant. Certains sont à volutes (images 13, 16, 17). Celui de l'image 15 présente des pampres de vigne, celui de l'image 18 des grappes de raisin très stylisées, celui de l'image 19 des motifs géométriques. Celui de l'image 20, peu lisible, pourrait être le plus intéressant. On y voit ce qui semble être un homme étendu levant les bras face à une spirale.

Deux œuvres d'art ont attiré notre attention. Tout d'abord un beau vitrail moderne (image 24). Et puis une très belle Vierge à l'Enfant (image 23) ainsi commentée sur Wikipedia : « On note également dans l'église un retable du XVIIesiècle (son existence est attestée en 1680), bel exemple d'art baroque breton. Il contient une belle Vierge à l'Enfant, qui pourrait être une production de l'atelier de Roland Doré, sculpteur actif dans la première moitié du XVII e siècle. Il est inscrit à l'inventaire des Monuments historiques et a été restauré par les Compagnons du Devoir. »


Datation

Nous rappelons les faits suivants :

• Les marques d'imperfections de la nef dues à la présence d'arcs de dimensions et de types différents, alors que la première nef construite devait montrer des signes de perfection.

• La présence de fenêtres hautes presque toutes identiques dans le vaisseau central, (analogues à ce que l'on voit dans l'église d'Ambon/Morbihan).

• Le témoignage du texte de Wikipedia, « Au XVe siècle, les grosses piles rondes de la nef sont reprises en sous-œuvre, ... », indiquant que des travaux ont pu être effectuées en sous-œuvre.

Ces faits nous font donc envisager qu'une partie importante de la nef a été restaurée en sous-œuvre par remplacement des arcs primitifs, probablement en plein-cintre, par les arcs brisés actuels. Nous devons aussi envisager que cette restauration a dû se faire en plusieurs étapes et qu'elle doit être liée à des questions de vétusté ou de fragilité des constructions primitives. Ce qui est contraire à l'idée que la totalité des constructions de la nef (la construction primitive et les restaurations ultérieures) ait pu se faire en un seul siècle, le XIIe siècle.

De quand date la construction primitive ? Pour se faire une idée de cette datation, il faudrait connaître le type des arcs, probablement en plein cintre, qui ont été remplacés par les arcs brisés. S'il s'agissait d'arcs simples, comme à Ambon, nous en déduirions une datation antérieure à l'an 800. Pour des arcs à double révolution, la datation serait postérieure à l'an 800. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de connaître ce type d'arc. Aussi la datation que nous proposons ci-dessous est très mitigée, ni très ancienne (avant l'an 800), ni très récente (le XIIe siècle proposé par Anne Autissier et Marc Déceneux). C'est un peu dommage. Nous aurions aimé découvrir que la nef primitive était analogue à celle d'Ambon. Et en déduire qu'elle était fort probablement antérieure à l'an 800. Ce qui aurait entraîné une possibilité de datation plus fine de ce type d'église. Car nous ne devons pas oublier le texte du début : « L'abbaye aurait été fondée ... à l’emplacement d’une abbaye antérieure probablement bénédictine, qui aurait porté le nom de Gerber, fondée par saint Pol Aurélien au VIe siècle, dont le premier abbé aurait été saint Tanguy, décédé en 572, et située à proximité de l’endroit ... de la bataille ayant opposé en 555 les armées de Conomor ... et Tudal, prince de Domnonée ... ». Comme tous les textes relatant des événements antérieurs à l'an mille, celui-ci doit être soumis à une analyse critique très soutenue. Cependant, à la différence d'un grand nombre d'autres textes imprécis ou tendancieux, celui-ci relate des événements précis (une fondation d'abbaye, une bataille), des dates précises (555, 572), des noms précis (Gerber, saint Tanguy, saint Pol, Conomor, Tudal, Childebert I er). Sans être totalement avérée, l'hypothèse selon laquelle la nef actuelle de l'abbatiale du Relecq n'est autre que la nef primitive (mais profondément restaurée), construite dans les décennies qui ont suivi la bataille de l'an 555, est envisageable. L'indice de possibilité que nous attribuons à cette hypothèse est relativement faible: 3 sur une échelle de 10. Mais pour les hypothèses de Anne Autissier ou Marc Déceneux, les indices de possibilité sont plus faibles encore : 1/10.

Datation envisagée
pour l'abbaye du Relecq : an 900 avec un écart de plus de 200 ans.