La chapelle Notre-Dame de Kernitron à Lanmeur  

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Un panonceau situé à l'entrée de l'édifice nous apprend ceci : « Ancienne chapelle d'un prieuré des bénédictins de Saint-Jacut-de-la-Mer, Kernitron est dédiée à la Sainte Trinité, mais on y prie surtout la Vierge Marie.

Nef préromane d'inspiration carolingienne, début XIIesiècle. Transept roman, fin du XIIesiècle. Chœur gothique anglais, XIVesiècle. Façade gothique, XVesiècle.

À remarquer : élévation sobre et élégante de la nef.

Côté Sud de la nef : porte percée après coup et rebouchée presque tout de suite
(image 3).

Le portail du transept Sud (image 6), particulièrement bien équilibré et riche de représentations symboliques, illustre l'Apocalypse de Saint Jean. Dans le tympan (en schiste), on voyait le Christ-Juge et trônant dans une amande de gloire (mandorle). Autour de lui, les quatre animaux représentaient les Évangélistes. Chaque voussure de l'archivolte, comme chaque chapiteau correspond à un passage de l'Apocalypse. Exemple : le ciel se replie, les étoiles tombent ou la lutte de l'Agneau (le Christ) contre la bête (Satan). À la droite du Christ (notre gauche), les bons éléments (cornes de béliers), à gauche les mauvais (cornes de cerfs - 10 cornes et 7 têtes). [...] »


Commentaire sur la première phrase du texte précédent (images 1, 2, 4, 5, 6, 10, 11, 14) : « Nef préromane d'inspiration carolingienne, début XIIesiècle. Transept roman, fin du XIIesiècle. Chœur gothique anglais, XIVesiècle. Façade gothique, XVesiècle.  ». Manifestement, l'auteur de cette phrase n'a pas connaissance de certaines données architecturales. Selon le dictionnaire Petit Larousse, l'art roman a eu cours aux XIeet XIIesiècles. En conséquence, et si on se réfère à cette seule définition, l'art préroman ne peut être qu'antérieur à l'an mille. En tout cas pas le XIIesiècle, qui serait plutôt la deuxième période romane précédant immédiatement la période gothique. « ... d'inspiration carolingienne » : nous n'aimons pas le mot « carolingien » qui devrait être utilisé seulement pour définir une dynastie de rois et non une période ou un style d'architecture. La période ici concernée est le IXesiècle. Quant au style d'architecture qui a fourni l'inspiration, nous aimerions en savoir davantage. Car jusqu'à présent et bien qu'ayant, à plusieurs reprises, entendu parler de « nef carolingienne » ou de « style carolingien », nous n'avons pas eu connaissance des éléments caractéristiques permettant d'identifier sans ambiguïté une telle nef ou un tel style. Mais nous savons à présent que personne n'est en mesure de nous fournir ces éléments caractéristiques. Et nous-mêmes avons beaucoup de difficultés à les identifier.

Nous croyons cependant pouvoir affirmer que la nef (images 1, 2, 10 et 11) n'est pas préromane. Toutes les nefs que nous estimons antérieures à l'an mille sont triples. Or celle-ci est unique. Et les murs intérieurs et extérieurs ne font pas apparaître des arcs témoins d'une transformation d'une nef triple en nef unique par suppression des collatéraux. À l'intérieur (images 10 et 11), des demi-colonnes engagées nous ont fait envisager dans un premier temps qu'il y a eu voûtement ou tentative de voûtement. Nous pensons à présent que cela n'a pas été le cas. Ces colonnes ont probablement servi à porter une charpente de toit. L'actuelle voûte en carène de bateau aurait été installée plus tard.


Commentaire sur la deuxième partie du texte précédent (images 6, 7, 8, 9) : « Le portail du transept Sud, particulièrement bien équilibré et riche de représentations symboliques, illustre l'Apocalypse de Saint Jean. Dans le tympan (en schiste), on voyait le Christ-Juge et trônant dans une amande de gloire (mandorle). Autour de lui, les quatre animaux représentaient les Évangélistes. Chaque voussure de l'archivolte, comme chaque chapiteau correspond à un passage de l'Apocalypse. Exemple : le ciel se replie, les étoiles tombent ou la lutte de l'Agneau (le Christ) contre la bête (Satan). À la droite du Christ (notre gauche), les bons éléments (cornes de béliers), à gauche les mauvais (cornes de cerfs - 10 cornes et 7 têtes). [...]  ». Il faut reconnaître un bel acte de foi dans ce récit. Car nous ne voyons pas dans ces images de cornes de béliers ou de cerfs. Et surtout, « 10 cornes et 7 têtes » ! Que ce soit dans le tympan (image 7), les voussures (image 6), ou les chapiteaux (images 8 et 9). Il en est de même pour les animaux symboles des évangélistes (image 7). Si, sur la droite, un quadrupède apparaît - peut-être le taureau, symbole de l'apôtre Luc -, à gauche, la figure très stylisée pourrait éventuellement représenter l'aigle de Saint Jean. Mais en dessous, rien qui puisse faire penser au lion de Saint Marc ou à l'homme de Saint Mathieu. Il faut aussi un gros effort d'imagination pour voir dans l'arc de cercle situé sous le bras levé du Christ, peut-être prolongeable par symétrie de l'autre côté du corps, la traditionnelle mandorle censée envelopper la totalité du corps du Christ.

Mais c'est justement cette difficulté à retrouver un schéma traditionnel qui rend l’œuvre exceptionnelle. On est en présence de deux possibilités : soit ce tympan est nettement plus ancien que ceux que nous rencontrons habituellement ; soit il a été conçu par une population de culture différente. Nous penchons plutôt pour la première éventualité. Ce serait une œuvre utilisée en réemploi. Elle est formée à partit de trois blocs de pierres. Le deux pièces inférieures semblent avoir été sculptées en continuité l'une par rapport à l'autre. Mais celle du dessus, contenant le Christ, qui pouvait être de forme quadrangulaire, semble avoir été retaillée pour s'adapter à l'arrondi du tympan. Le troisième bloc nettement plus petit est un rajout probable pour compléter la figure du Christ par une auréole nimbée du nimbe crucifère. En résumé, il nous semble que ce tympan, avec sa mandorle biaisée, ses animaux symboliques non auréolés est une œuvre archaïque inspirée de l'Apocalypse de Saint Jean. (datation envisagée : an 750 avec un écart de 200 ans).


Cette église présente pour nous un autre intérêt. Observons l'image 10 de la nef vue en direction du chœur. On remarque de part et d'autre de l'arc triomphal les deux piliers cylindriques porteurs de cet arc, à gauche le pilier intitulé Nord-Ouest de croisée du transept, à droite le pilier Sud-Ouest. On retrouve ces piliers sur les images suivantes :images 14, 16 et 17 pour le pilier Sud-Ouest,  images 18 et 20 pour le pilier Nord-Ouest.

Nous avons d'autres images concernant les deux autres piliers de la croisée du transept. Image 12 : à gauche le pilier Nord-Est, à droite le pilier Sud-Est ; image 13 : le pilier Sud-Est ; image 19 : le pilier Nord-Est. Revenons à l'image 12. Si le pilier Sud-Est est cylindrique, comme le sont aussi les piliers Sud-Ouest et Nord-Ouest, le pilier Nord-Est ne l'est pas : il est cruciforme. Cette anomalie est parfaitement explicable. À l'origine, tous les piliers étaient identiques et cruciformes. Dans un but probable de renforcer la structure, trois d'entre eux ont été renforcés et ainsi transformés en piliers cylindriques. Qui plus est, nous pensons qu'il y a eu trois étapes de travaux uniquement sur le transept. Au cours d'une première étape, on construit les piliers de croisée cruciformes. Les quatre arcs reliant ces piliers sont en plein cintre. La croisée n'est pas voûtée mais charpentée. Pour la deuxième étape, est décidée la construction d'une voûte en croisée d'ogives. On installe les ogives sur des consoles placées entre les chapiteaux posés auparavant. Les arcs en plein cintre sont remplacés par des arcs brisés. L'enveloppement de trois des quatre piliers se déroule au cours de la troisième étape de travaux. Si la première étape de travaux se déroule durant la période romane, les deux autres se déroulent dans la période gothique, au
XIVesiècle pour la seconde, au XVesiècle pour la troisième.

Cette observation se révèle pour nous très intéressante pour plusieurs raisons. La première d'entre elles est de remarquer que la mode des piliers cylindriques peut être très tardive. Nous avons beaucoup hésité sur la datation de certaines églises, comme par exemple l'église de Perros-Guirec dans laquelle les piliers côté Nord sont cylindriques et côté Sud, cruciformes. Nous pensions bien que ces rangées de piliers n'étaient pas contemporaines, mais nous ne savions pas laquelle était la plus ancienne. Autre observation : l'image 16 révèle une scène apparemment barbare ou archaïque : des têtes humaines posées sur des piédestaux et placées entre des arcades. Pourtant, si l'on en croit notre analyse, cette scène serait datable du XIVeou XVesiècle. À moins bien sûr que cette pièce soit, elle aussi, en réemploi.


Nous avons déjà vu que l'élément le plus intéressant (pour nous) de l'édifice était le tympan probablement antérieur à l'an 800. Cependant le reste de cet édifice est plus tardif, la partie la plus ancienne étant le transept dans sa première campagne de travaux.

Datation envisagée pour la chapelle Notre-Dame de Kernitron (partie la plus ancienne) : an 1100 avec un écart de 75 ans.