L’abbatiale Saint-Philibert de Tournus
La page du site Internet Wikipedia
relative à cette église nous apprend ceci : « Juin
177 : début des persécutions contre les chrétiens, en
particulier à Lyon. Certains s'enfuient vers le Nord, dont
un certain Valérien qui s'installe à Tournus. Valérien
évangélise à Tournus.
178 : saint Valérien est
décapité. Il est inhumé à l'emplacement de la crypte
actuelle de l'église. Le tombeau du martyr devient alors
un lieu de recueillement clandestin pour les chrétiens. On
en connaît très peu de chose, et aucun vestige matériel
sauf un sarcophage, actuellement déposé dans la crypte. Le
site ayant été peu fouillé, on ignore tout des édifices
qui ont vraisemblablement occupé une partie de l'assiette
de l'abbatiale actuelle entre la fin de l'Antiquité et la
fin de la période carolingienne, soit un demi-millénaire.
Au VIesiècle,
Grégoire-de-Tours mentionne la présence d'un sanctuaire.
Le roi de Bourgogne Gontran implante une communauté
monastique sur les lieux. C'est un monastère de fondation
royale ne dépendant pas des puissances locales.
En 731, invasions des
Sarrasins qui remontent le Rhône et la Saône. Elles
endommagent probablement le monastère.
Le 19 mars 875 , l'abbaye
de Saint-Valérien et ses dépendances ainsi que la ville de
Tournus et son castrum sont donnés par l'empereur Charles
II le Chauve à la communauté des moines de l’abbaye de
Saint-Philibert-de-Noirmoutier. Les moines fuyaient depuis
836 pour se protéger des invasions vikings. Ils avaient
d'abord déposé les reliques de Saint Philibert à l’abbaye
de Saint-Philibert-de-Grandlieu avant de continuer après
847 leurs pérégrinations vers l'Est pour trouver un abri.
Mai 875 : les moines de
saint Filibert s'installent à proximité des moines de
Saint-Valérien. Ils apportent les reliques de saint
Filibert. L'empereur confirme aux moines le privilège
d'élire leur abbé.
En 936-937, invasions hongroises qui endommagent les
bâtiments.
960 : élection de l'abbé Étienne qui est désigné par
tradition comme le premier constructeur de l'abbaye.
979, translation des reliques de saint Valérien du
sarcophage à l'autel du fond de la crypte. Le corps de
saint Filibert est déposé dans le chœur : un conflit
éclate à ce propos avec les partisans de saint Valérien.
Le problème est réglé par le dépôt du corps de Valérien
dans la crypte.
Le 16 octobre 1006, un
incendie oblige à faire de nouvelles constructions dans
l'abbaye et à restaurer le chevet de l'église. La plupart
des bâtiments conventuels datent des XIe -
XIIesiècles.
Entre 1008 et 1028, élection de l'abbé Bernier. Il
entreprend la reconstruction en commençant le chevet, les
cinq chapelles rayonnantes et le transept avec pour chaque
bras une abside semi-circulaire orientée.
Le 29 août 1019, consécration du chœur de l'église par les
évêques de Châlon et de Mâcon.
Entre 1028 et 1056, Ardain de Tournus est élu abbé de
Tournus. Il modifie le projet de reconstruction. Il fait
entreprendre l'avant-nef (narthex) à l'Ouest et construit
la chapelle supérieure (Saint-Michel).
De 1066 à 1088?
construction des voûtes de la nef centrale pendant
l'abbatiat de Pierre Ier (1066-1105).
Avant 1087 : rédaction par Falcon, moine de Tournus, à la
demande de l'abbé Pierre, de la Chronique de Tournus.
Le 11 février 1120, consécration de nouvelles
constructions par le pape Calixte II. Deux tours, une sur
la croisée et l'autre au Nord de la façade, sont ensuite
ajoutées. »
L’histoire du déplacement des reliques
de Saint Philibert est très connue, quasi légendaire. On
oublie souvent que les textes relatant cette histoire ont
été exceptionnellement conservés et qu’il a dû exister de
nombreuses histoires tout aussi légendaires? mais dont les
textes ont disparu.
On retrouve dans ces textes les références quasi
obligatoires à des envahisseurs extérieurs (les Sarrasins,
les Normands, les Hongrois). Mais on sait que les principaux
problèmes dans une société ne sont en général pas dûs à des
agresseurs extérieurs? mais à des conflits internes.
Pour le reste? nous émettons les mêmes objections que celles
faites précédemment en d’autres occasions. La première
remarque concerne les consécrations d’églises : les dates de
consécrations ne correspondent pas forcément aux dates
d’achèvement des travaux. Dans le cas présent? la première
date de consécration, le 29 août 1019, concerne le chœur de
l’église. Mais on sait que le chœur actuel date du XIIesiècle.
Pat ailleurs, la deuxième consécration signalée, « Le
11 février 1120, consécration de nouvelles constructions
par le pape Calixte II. », concerne de «
nouvelles constructions » non précisées. Ces
consécrations qui apparaissent secondaires montrent qu’il
devait y avoir une multiplicité de consécrations sur un même
monument.
Autre remarque : comme nous l’avons constaté à de nombreuses
autres occasions, toutes les parties de ce monument sont
datées du XIeou XIIesiècle, que
ce soit sur le plan comme sur le texte. Il ne subsisterait
rien de l’édifice antérieur à l’an mille.
Nous constatons néanmoins une
contradiction flagrante entre d’une part, le plan, et
d’autre part, le texte ci-dessus. D’après le plan, les
parties situées à l’Ouest du bâtiment dateraient du XIesiècle.
Les parties situées à l’Est (transept, chœur à
déambulatoire) auraient été construites ultérieurement, au
XIIesiècle. À l’inverse, le texte nous apprend
ceci : « Entre 1008 et
1028, élection de l'abbé Bernier. Il entreprend la
reconstruction en commençant le chevet, les cinq chapelles
rayonnantes et le transept avec pour chaque bras une
abside semi-circulaire orientée.
Le 29 août 1019,
consécration du chœur de l'église par les évêques de
Châlon et de Mâcon.
Entre 1028 et 1056, Ardain de Tournus est élu abbé de
Tournus. Il modifie le projet de reconstruction. Il fait
entreprendre l'avant-nef (narthex) à l'Ouest et construit
la chapelle supérieure (Saint-Michel). » Donc,
d’après ce texte, le narthex aurait été construit après le
chœur. Et ce, au milieu du XIesiècle. Notons
au passage la conclusion que l’on peut en tirer : vers l’an
1050, on construit le narthex de Tournus, une construction
d’aspect très archaïque (images
3 et 11). Moins de 50 ans plus tard, on construit
la nef de Vézelay, une construction très élaborée. Miracle
de l’évolution technologique ? Ne serait-ce pas plutôt ce
que nos contemporains appellent une « fake new » ?
Mais ne restons pas sur ces commentaires de textes et
commençons par faire le tour de l’édifice. Les images
3, 4, 5, 8 et 9 font apparaître la présence
d’arcatures lombardes sur une grande partie de l’édifice :
l’ouvrage Ouest ou narthex, ainsi que deux travées de nef
jouxtant cette ouvrage Ouest. Il est remarquable qu’à ces
arcatures lombardes, correspondent, à l’intérieur de la nef,
des piliers cylindriques.
Le rez-de-chaussée de l’ouvrage Ouest (image
10) est largement ouvert aux gens de passage. Il
s’agit là d’une des caractéristiques de ce type d’ouvrage :
les rez-de-chaussée sont destinés à l’accueil des pèlerins
ou des voyageurs. Une autre caractéristique des ouvrages
Ouest : l’étage est occupé par une chapelle, souvent dédiée
à Saint Michel. C’est le cas ici (image
11).
Le narthex et les deux premières travées de la nef ne sont
pas les seuls endroits où l’on peut voir des arcatures
lombardes. On en trouve aussi sur le clocher de croisée du
transept (images 6 et 7
).
Dernière remarque concernant le rez-de-chaussée de l’ouvrage
Ouest (image 10).
Il est recouvert d’une série de voûtes d’arêtes de bel
effet. Nous ne sommes pourtant pas certains que ces voûtes
soient d’origine : elles ont pu être installées plus tard en
remplacement d’un simple plancher posé sur les piliers
cylindriques.
Les images
15 et 16 montrent les parties de nef qui succèdent
à l’ouvrage Ouest. On retrouve les mêmes piliers
cylindriques qu’à l’ouvrage Ouest. En ce qui concerne les
arcs reliant les piliers (dans le sens Est-Ouest), c’est
aussi la même chose : arc simples et en plein cintre.
Mais il existe d’autres arcs reliant les piliers, cette
fois-ci dans le sens Nord-Sud. Ces arcs là sont doubles. Ils
servent à porter la voûte. Ou plus exactement les voûtes.
Car chaque travée porte une voûte en berceau plein cintre
... mais une voûte orientée dans le sens Nord-Sud.
Nous pensons être en présence d’un des premiers essais de
voûtement. Probablement, un premier essai de voûtement tenté
dans le sens Est-Ouest avait avorté. Il a été remplacé par
l’actuel voûtement dans le sens Nord-Sud, la portée de voûte
étant moins grande dans ce sens-là.
Concernant le reste de l’édifice : les images
17, 18, 19 et 20 font apparaître une construction
typiquement romane. Et même d’un art roman relativement
tardif (deuxième moitié du XIIesiècle).
Il doit en être de même pour les restes de mosaïques des images 21, 22, 23 et 24.
Les représentations du Zodiaque et des travaux des mois
semblent apparaître dans la seconde moitié du XIIesiècle.
Datation
Il faut tout d’abord noter que nous sommes en présence d’un
édifice à arcatures lombardes. Et parmi ces édifices, un
édifice majeur. L’étude que nous avons commencé à faire sur
ces édifices, étude non encore totalement achevée, nous
amène à penser que ces édifices auraient été introduits à la
suite d’une colonisation franque sur des terres occupées
auparavant par des wisigoths (Catalogne, Bas-Languedoc) ou
des Burgondes (Bourgogne) ; on constate en effet une plus
grande concentration de ces églises dans ces régions.
Cette idée est confortée par les récits plus ou moins
légendaires de translation des reliques. Celles-ci viennent
en général de l’Ouest. Elles sont déplacées, voire même
parfois volées, pour aider à la conversion de populations
déplacées attachées au culte d’un saint (Sainte Foy, Saint
Majan, Saint Philibert).
D’après l’analyse faite pour Saint-Guilhem-le-Désert, nous
envisageons la date du IXesiècle pour le début
de ce type de construction à arcatures lombardes.
Datation envisagée pour le narthex et les piliers de la nef
(mais pas le voûtement) de l’abbatiale Saint-Philibert de
Tournus : an 875 avec un écart de 75 ans.
Datation envisagée pour le transept et le chevet à
déambulatoire : an 1175 avec un écart de 50 ans.