L’abbaye Saint-Pierre de Flavigny-sur-Ozerain  

• France    • Bourgogne - Franche-Comté    • Article précédent    • Article suivant   


Première étude de février 2019

L’abbaye de Flavigny-sur-Ozerain est très connue pour ses pastilles d’anis. Elle l’est un peu moins pour sa crypte. Celle-ci est un peu moins célèbre que la crypte de l’abbaye de Jouarre en Seine-et-Marne. Néanmoins, toutes deux font partie des rares édifices (une trentaine) que les spécialistes de l’art ont daté du Premier Millénaire. Nous rappelons que notre propre estimation est vingt fois plus importante.

Nous n’avons pas visité cette crypte et les images sont issues d’Internet. D’habitude, lorsque nous n’avons pas visité un édifice, nous n’y consacrons qu’une partie de page mais ici, au vu de l’importance qui lui est attachée par les spécialistes de l’art, nous lui avons réservé une page entière.


La page du site Internet Wikipedia consacrée à cet édifice nous apprend ceci : « En 719, dans son testament, Waré (Wideradus) a fait écrire : « [...] J'ai construit un monastère sur mes propres fonds et à mes frais au lieu nommé Flavigny ; j'ai légué selon la règle à l'abbé Magnoaldus et à ses moines pour qu'ils le possèdent à
perpétuité
». Le premier abbé serait donc Magnoaldus, mort en745. Son premier testament est daté de Semur le I er janvier 722, la première année de Thierry IV, et le second fait à Autun, la quatrième année de Childéric III, c'est-à-dire en 746 ou747.

Soumise à la règle de Saint Benoït de Nursie, sa fondation est approuvée en 745 au concile d'Autun. Bénéficiant de la protection des rois carolingiens, elle va connaître à ses débuts une période florissante.

En 755, Manassès le Grand est élu abbé de Flavigny. Il meurt en 788. D'une campagne en Auvergne, il va rapporter des reliques de Saint Præjectus, Saint Préjet ou Saint Prix, ancien évêque de Clermont-Ferrand, assassiné à Volvic le 26 janvier 676. Vers cette période, existe à Flavigny un scriptorium important.

En 845, meurt l'abbé Marian, dont on se sait pas grand-chose.

Charles-le-Chauve nomme Egil de Prüm abbé de Flavigny en 860. Il est en contact avec Loup de Ferrières et Raban Maur de Fulda. D'après Hugues de Flavigny, le 22 mars 864, il procède à la translation des reliques de Sainte Reine d'Alise-Sainte-Reine dans la crypte de l'abbatiale où se trouvait déjà les reliques de saint Prix. C'est de cette époque que date la partie la plus ancienne de l'abbatiale, la crypte carolingienne.

En 877, Adalgaire, évêque d’Autun, obtient du pape Jean VIII, sur recommandations de Charles le Chauve, l'intégration des revenus de l'abbaye de Flavigny et de la seigneurie d'Alise dans ceux de l'évêque.

Le pape Jean VIII consacre son église abbatiale le 28 octobre 878 lors de sa venue au concile de Troyes. Possédant de nombreuses reliques, dont celles de sainte Reine transférées d'Alise en 864 ou 866, elle attire de nombreux pèlerins. Elle subit ensuite un long déclin à partir du XIIe siècle du fait de la concurrence des nouveaux centres de pèlerinage de Vézelay et l'abbaye Saint Martin d’Autun.

Du 11 au 25 janvier 887, les Normands sont à Flavigny. Hugues de Flavigny raconte que huit moines ou serviteurs sont tués.

En 906, l'abbaye devint propriétaire de la saline de Grozons.

En 1096, Hugues de Flavigny est élu abbé de Flavigny. Il est né vers 1064 à Verdun et est mort avant 1150. Il doit quitter l'abbaye vers 1101 à la suite de l'opposition de l'évêque d'Autun et de ses moines. Il a rédigé la Chronique de Flavigny qui raconte l'histoire du monde depuis l'origine jusqu'en 1002 puis, dans un second volume, une histoire plus régionale, jusqu'en 1112.

Passée sous l'autorité des évêques d'Autun depuis 877, et des ducs de Bourgogne, son affaiblissement temporel et spirituel se poursuit avec l'instauration du régime de la commende à compter de1530.

La première abbatiale était consacrée à Saint Prix. Elle fut ensuite consacrée à Saint Pierre le 28 octobre 878 par le pape Jean VIII. Il subsiste des vestiges de l'ancienne crypte carolingienne, édifiée au IXe siècle, pour accueillir les reliques de Sainte Reine, avec un oratoire qui lui est accolé. Déblayée au XIXe siècle, ses sculptures traduisent une influence italienne.
  »


Le texte précédent est très documenté. Il est rare que l’on puisse disposer d’autant de renseignements sur une abbaye. Surtout des renseignements concernant des actes très anciens antérieurs à l’an mille. Il est possible que ces renseignements très anciens soient issus d’une seule source, la chronique de Flavigny, rédigée pat Hugues de Flavigny qui raconte « l'histoire du monde depuis l'origine jusqu'en 1002 puis, dans un second volume, une histoire plus régionale, jusqu'en 1112. ». Il nous faut ici faire une observation générale : les historiens épigraphistes qui traduisent les textes anciens ont tendance à privilégier ces écrits sans émettre des réticences sur l’authenticité de ceux-ci. Si, comme c’est probable, la chronique de Hugues de Flavigny écrite vers 1112 rapporte des événements vieux de plus de 300 ans, il y a une forte possibilité que cette chronique ait été altérée. Entendons nous bien : le fait que la chronique soit altérée ne signifie pas que tout est faux. Mais il est possible que certains des faits les plus importants qui se sont produits dans l’abbaye (ou en Bourgogne) pendant les 400 ans qui ont suivi la fondation de 719 aient été oubliés dans la chronique de Hugues de Flavigny. À titre de comparaison, essayons d’imaginer quelle a été la vie depuis l’année 1619 (c’est-à-dire depuis 400 ans) d’une de nos abbayes actuelles. Cette abbaye a connu la fin des guerres de religions, la révocation de l’Édit de Nantes, le Siècle des Lumières, la Révolution, la révolution industrielle, le concile Vatican II. Comme on le voit sur cet exemple précis, les 400 ans n’ont pas dû se dérouler comme un long fleuve tranquille.

Les images de cette crypte sont très peu évocatrices. Nous ne pensons pas que les restes de bâtiments que l’on voit sur ces images de 4 à 10 soient ceux d’une crypte, c’est-à-dire d’une pièce volontairement enterrée, mais ceux de l’abbatiale primitive qui a été enterrée postérieurement. En fait, il ne s’agit pas de l’église primitive elle-même, mais de son chevet. C’est ce que montrent les plans reconstitués des images 11 et 12. Il est difficile à partir de ces plans et du fait que nous n ‘avons pas visité cette fausse crypte, de reconstituer l’évolution de cet édifice. Nous pouvons voir en effet sur le plan de l'image 12 deux absides semi-circulaires successives d’Ouest (en bas) en Est (en haut). Nous pensons que l’une des deux a précédé l’autre. Ce plan est peu courant. Dans la plupart des églises, on a aussi deux absides, mais elles sont superposées et font partie d’un seul ensemble. Qui a été partagé en deux étages : en bas se trouve la crypte, où sont déposées les reliques. En haut, se trouve l’autel principal. Le plan que nous avons ici se situe dans la même logique. Une des deux absides a dû servir à abriter les reliques. L’autre devait accueillir l’autel principal.

Nous avons dit que ce type de plan était rare. On le trouve à Alet dans l’Aude.


Datation

Nous admettrons (mais sans certitude), pour la nef primitive, la datation proposée par le texte précédent : an 750 avec un écart de plus de 50 ans. On admet en effet que si l’abbaye a été réellement fondée en 719, son abbatiale a dû être édifiée dans les cinquante ans qui ont suivi.



Ajout de texte et d'images le 3 février 2025

Nous avons visité le village de Flavigny-sur-Ozerain, pour la première fois, en septembre 2024. Les diverses images et informations recueillies s'ajoutent aux précédentes sans pour autant apporter un total éclaircissement aux nombreuses questions suscitées par ce monument.

La première question est celle de l'emplacement des pièces visitées. Il faut comprendre que le principe de notre démarche est d'engranger le maximum de renseigne- ments dans le minimum de temps. Une visite de monument se fait en général en moins d'une heure, le temps d'en faire le tour et de prendre des photos. En conséquence il nous arrive de rater des choses que nous aurions dû remarquer grâce à un examen plus détaillé.

C'est ce qui s'est passé dans le cas présent. Lorsque nous avons visité cette église, nous n'avions pas relu le texte ci-dessus rédigé en février 2019, soit un peu plus de 5 ans auparavant. En conséquence, nous n'avons pas vu, et encore moins interprété, les divers plans, dont celui de l'image 11. On voit sur ce plan trois couleurs : rouge, vert, bleu. Nous n'avons visité que la partie rouge, ignorant l'existence des parties en bleu et en vert. Ces dernières n'étaient probablement pas accessibles à la visite. Nous pensons cependant que l'analyse de ces parties supérieures est nécessaire à la compréhension de l'ensemble de l'édifice.

Regardons par exemple l'image 14. On y voit une longue muraille avec, en haut de sa partie antérieure, un fronton de toit ; et, à droite de celle-ci, le mur gouttereau d'un bâtiment transverse au mur. On pourrait penser (et c'est ce que nous avons crû au début), que ce bâtiment était le vaisseau central de la nef de l'église, et que le long mur était la façade Ouest de l'abbatiale. Eh bien non ! Ce mur est la façade Nord de l'église. Plus exactement, d'après les plans des images 11 et 23, ce mur serait le mur latéral Nord du vaisseau central de la nef de l'abbatiale. Et la ruelle longeant ce mur (image 15) serait un reste du collatéral Nord. Si on peut voir un reste de triforium barrant le milieu de l'image 17, on est plus circonspect pour la partie inférieure de cette image (et image 16). En effet, on s'attendrait à voir de grandes arcades comme pour la très grande majorité, pour ne pas dire la totalité des basiliques à nefs à triforiums auparavant visitées.

Parallèlement à la ruelle précédemment citée, on entre dans la crypte par une galerie (images 4, 5 et 18). Cette galerie serait un reste du collatéral Sud de l'abbatiale. On note la présence, à gauche de l’image 4, de grandes arcades (restes d'arcades primitives porteuses d'un triforium ?). On note toujours cette galerie et après les trois grands arcs, une structure architecturale un peu différente : deux arcs reposant conjointement sur une colonne à section carrée et, aux autres extrémités, sur des piliers à impostes (images 5, 6 et 19). Quelle pourrait-être l'explication de cette disposition ? Nous pensons (sans certitude) que ces piliers et cette colonne auraient été installés avant la pose du chœur supérieur.

Lors de notre visite, nous n'avions pas suffisamment porté attention à la colonne et au chapiteau porteurs de ces arcs (image 20). Le décor de feuillages entrelacés et enroulés en cercles, est, selon nous, typiquement préroman. Il semble un peu différent de celui des motifs dits « carolingiens », à entrelacs de cannage, plus organisés, plus réguliers, plus géométrisés. On retrouve ce même type de décor sur les piliers de Mérida/Estrémadure/Espagne. C'est assez étonnant au vu de la distance et de notre hypothèse selon laquelle les piliers de Mérida pourraient être de tradition vandale. Si un tel rapprochement pouvait être fait, cela signifierait que nous avons encore beaucoup à apprendre. Notons encore que l'état un peu neuf de cette sculpture fait envisager que c'est une copie d'une sculpture plus ancienne fortement dégradée.

Les deux sarcophages de l'image 21 sont situés en fond de galerie. De forme quadrangulaire, ils pourraient dater du Ve ou VIe siècle. Ils seraient donc antérieurs à la date de 719 avancée pour la fondation de l'abbaye. Nous rappelons qu'une abbaye n'est pas forcément fondée ex-nihilo, et ce, même si, «dans son testament, Waré (Wideradus) a fait écrire : « [...] J'ai construit un monastère sur mes propres fonds et à mes frais au lieu nommé Flavigny. »


Au fond de la galerie et devant les sarcophages, on entre à droite dans une autres salle. Cette salle (image 22) est en fait une petite nef à 3 vaisseaux. On peut voir à gauche de l'image 22 un pilier et une colonne séparant le vaisseau central du collatéral gauche, et de même à droite. Les images 24 et 25 permettent d'observer en détail le pilier et la colonne côté gauche, et l'image 26, avec un pilier supplémentaire, côté droit. Ces images permettent de vérifier que, de chaque côté, les piliers et colonnes étaient reliés par des arcs et que les collatéraux devaient aux aussi être voûtés d'arêtes : les points d'ancrages des voûtes sur les murs latéraux sont visibles sur les images 25 et 26. Hormis ce qui semble être un départ d'arc sur le pilier de l'image 26, il n'est pas possible de voir si le vaisseau central était voûté (il est possible que le départ d'arc soit celui d'un arc triomphal). On observe l'anomalie suivante : les piliers et colonnes sont construits avec un très grand soin (colonnes monolithes cylindriques portant des chapiteaux corinthiens, piliers constitués de gros blocs soigneusement équarris). À l'inverse, au-dessus de ce bel ensemble, les arcs et les voûtes sont constitués d'un assemblage hétéroclite de pierres mal dégrossies. Par ailleurs, les points d'ancrage des voûtes font plus penser à une œuvre du XVe ou XVIe siècle qu'à une œuvre préromane ou romane. Le voûtement de cette partie d'édifice est probablement tardif. À l'inverse, la disposition en alternance des piliers à section rectangulaire et des colonnes cylindriques serait plutôt de tradition « carolingienne ». On aurait peut-être là l'église construite par Waré vers l'an 719.

Les images de 27 à 31 décrivent la salle appelée crypte. Elle est située dans le prolongement de la nef à trois vaisseaux décrite précédemment. Les images sont difficilement interprétables. Par contre, le plan de l'image 23 est suffisamment clair. Cette salle située à l'extrême gauche du plan a un plan hexagonal. En fait, le plan n'est pas tout à fait celui d'un hexagone régulier mais d'un hexagone tronqué par la présence de la nef à trois vaisseaux. Mais si on ajoute les deux premiers piliers de cette nef, on obtient l'hexagone complet. À cela il faut ajouter les six colonnes centrales disposées aussi en hexagone.

On retrouve là une disposition vue en de nombreuses occasions (église Saint-Bénigne de Dijon, Chapelle Palatine d'Aix-la-Chapelle, Neuvy-Saint-Sépulchre, etc.) : un édifice à plan centré est prolongé par une abside ou une nef. Parfois l'édifice sert d'ouvrage Ouest, parfois de nef, parfois de chœur. C'est le cas ici : il sert de chœur. L'hypothèse que nous avons émise est que l'édifice à plan centré est construit en premier, l'abside ou la nef étant construites après (ce qui modifie le plan centré du premier édifice construit).


Il reste la salle appelée « confession de Sainte Reine » (images de 32 à 39). La voûte de cette salle est portée par quatre colonnes par l'intermédiaire de chapiteaux. Si l'un de ces chapiteaux, orné d'une tête (image 10) a été probablement utilisé en réemploi, les trois autres semblent d'origine. Ces chapiteaux, à section carrée, sont sculptés sur quatre .faces. Les faces sont presque semblables. Elles différent principalement d'un cartouche situé en haut et au milieu du chapiteau (image 34). À l'intérieur de ce cartouche, on peut voir une figure en forme de Є, en rotation à 90° (images 35 et 37) ou un fleuron (images 36, 38 et 39). Le plus surprenant est que ces différences apparaissent sur le même chapiteau. Premier chapiteau : images 35 et 36, deuxième chapiteau : images 37 et 38, troisiène chapiteau : image 39.


Datation

Il semblerait que le bâtiment hexagonal a été construit en premier antérieurement à l'année 719 de fondation de l'abbaye. Puis aux alentours de 719, la nef à trois vaisseaux accolée à ce bâtiment. La confession de Sainte Reine aurait été construite lors de la translation des reliques de cette sainte vers 864. Par la suite, une nouvelle église a été construite sur et dans le prolongement des anciennes.