Le prieuré Notre-Dame de la Charité-sur-Loire
La page du site Internet Wikipedia consacré à la ville de la
Charité-sur-Loire nous apprend ceci : « La
Charité-sur-Loire s'est développée autour d'un prieuré
clunisien et de deux églises érigées par les moines en
1059, le tout protégé par des remparts. L'église
Notre-Dame, la plus grande d'Europe après celle de
l'abbaye de Cluny, est édifiée à partir du XIesècle.
Le prieuré bénédictin devient rapidement l'un des plus
beaux, des plus riches et des plus renommés d'Europe. Le
pape Pascal II le consacre en 1107. Aujourd'hui, subsiste
le choeur et l'abside du monastère prioral.
La charte de fondation du prieuré, ainsi que des sources
plus récentes, notamment celles d'un moine écrivant au XIIesiècle, exposent les conditions de
construction du prieuré : l’évêque d’Auxerre Geoffroy de
Champallement offre en 1059 à l'abbé Hugues de Cluny, avec
l'assentiment du comte de Nevers, Guillaume I er,
et celui du seigneur donateur de La Marche, les bâtiments
d'une église ancienne, ruinée, dédiée à la Vierge Marie,
avec les terres qui en dépendent, en un lieu nommé Neyr.
Au XIesiècle, se développe un mouvement de
réforme monastique inspiré par l'abbaye de Cluny et qui
concerne rapidement l'Église catholique tout entière à
l'instigation de Léon IX , pape de 1049 à 1054, puis de
Grégoire VII, ancien moine de Cluny, pape de 1073 à 1085.
La naissance du prieuré de La Charité s'inscrit dans ce
mouvement, les clunisiens formant une ecclesia
cluniacensis (Église clunisienne) avec à sa tête
l'abbaye-mère de Cluny qui essaime dans la région et bien
au-delà (Angleterre, Italie, Suisse, péninsule Ibérique,
Allemagne), abbayes-filles et prieurés.
Au XIIesiècle, la Charité règne sur 45
monastères et 400 dépendances et obédiences en France et
dans toute l'Europe.
L'abbé Hugues de Cluny confie la construction du prieuré à
Gérard de Cluny, frère convers d'origine nivernaise, moine
voyageur et parfois ermite, qui vivait aussi par moments
au monastère Saint-Sauveur de Nevers. C'est sous sa
direction que sort de terre le prieuré de La Charité, dont
il confie la direction à Vilencus, premier prieur de La
Charité ; lui-même se retire au prieuré de Joigny, dont il
deviendra prieur, avant toutefois de revenir finir ses
jours au prieuré de La Charité ; il est enterré le 6
décembre 1102 derrière le grand autel de l'église
prieurale.
... En 1559, le prieuré est victime d'un grave
incendie ; l'église prieurale est sommairement réaménagée
sous le priorat de Robert de Lenoncourt (1538-1551).
»
La page du site Internet Wikipedia
consacrée au prieuré même de la Charité-sur-Loire donne une
version légèrement différente dont nous ne donnons qu’un
extrait :
« Le prieuré Notre-Dame
de la Charité-sur-Loire est un prieuré bénédictin situé
dans le département de la Nièvre, dont la charte de
fondation remonte à 1059 avec la donation d'une église
Sainte-Marie. Il est connu en 1070 sous le nom de Caritate
et fait partie du diocèse d’Auxerre.
Il a subi des modifications au XIIesiècle,
notamment la construction d'un déambulatoire à chapelles
rayonnantes. L'église est surtout réputée pour son chevet
à chapelles rayonnantes et sa façade (Ouest) avec ses deux
tympans. [...]
La construction du monastère de La Charité commença en
1052 sous le prieur dom Gérard de Cluny, sur des terres
que lui donna, Guillaume I er , comte de
Nevers. Il y avait cependant déjà eu une ou des
constructions préexistantes, révélées par des recherches
archéologiques sur la place Sainte-Croix (devant l'église)
en 2015. Un monastère du nom de Seyr aurait été construit
à cet emplacement vers l’an 700 ; il aurait été détruit
lors des raids vikings du IXesiècle.
»
Ces renseignements se révèlent d’un
grand intérêt pour notre recherche sur les édifices du
premier millénaire. Nous y reviendrons à la fin de cette
page.
Pour le moment, contentons nous d’une description sommaire
de l’édifice en commençant par une visite de l’extérieur.
Il reste de l’ancienne façade Ouest la majestueuse tour Nord
de cette façade (image 1). Cette tour est décorée, au niveau supérieur de
chaque étage, d’un feston d’arcatures faisant penser aux «
arcatures lombardes ». Mais des arcatures lombardes de IIe,
voire de IIIegénération (image
2). Sous l’arcature inférieure, se déroule une
frise sculptée de roses et de lions en alternance. Nous
avons déjà vu une frise un peu de ce style à la cathédrale
de Vaison-la-Romaine (image
3).
Il apparaît qu’une partie importante de la nef a disparu. Il
ne resterait que des éléments de la façade Nord (images
5, ,6, 7, 8). En particulier, la tribune
supérieure de la nef. Mais sa partie inférieure faite d’arcs
brisés a sans doute remplacé une partie plus ancienne en
arcs en plein cintre (image
8).
Lorsque l’église a été à moitié détruite, le portail Ouest a
été déplacé vers l’Est. Très probablement, les tympans qui
ornaient ce portail ont eux aussi été déplacés. Ils
dateraient de la fin de la période romane (images
9 et 10). On termine la visite de l’extérieur par
le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Lui
aussi daterait de la fin de la période romane, vers le
milieu du XIIesiècle (images 11, 12 et 13).
On poursuit la visite par celle de
l’intérieur (images 14
et suivantes). Dès le début, on voit des ruptures
de styles dans la construction des parois. Ainsi, sur l'image 16,
les différences d’élévation des parois entre la
partie gauche (le chœur) et la partie droite (la croisillon
Sud du transept). Ainsi aussi, les différences des arcs de
la partie inférieure : arcs doubles et brisés du chœur
(partie gauche de l'image
16), arcs doubles et en plein contre portés par
des chapiteaux des deux premières travées de la nef
(image 20),
arcs doubles et en plein contre portés par des impostes des
croisillons du transept (partie gauche de l'image
16 , images 17
et 19).
Le tympan de l'image 24 date,
comme le précédent tympan, du XIIesiècle.
Mais la principale surprise vient des
maçonneries apparentes incrustées dans les parois. Ce sont
des arcs aveugles. Certains sont entiers (image
25). Mais la plupart ont été intégrés dans le mur
(images de 26 à 33).
Bien souvent, les piliers intermédiaires ainsi que les
impostes qu’ils portaient on été remplacés par de la
maçonnerie.
Nous sommes là en présence d’une construction qui sort de
l’ordinaire. Car ces arcs sont repérables à l’entrée du
déambulatoire du chœur, de part et d’autre, et dans les
chapelles paralèlles à ce déambulatoire. En fait, cette
construction soutient les murs du chevet. Pour la
comprendre, il faut se reporter au plan de l'image
40. Le
chevet primitif de l’église était à plan dit « Bénédictin »
ou encore « Clunisien ». En fait, il subsiste très peu de
chevets de cette forme. On connaît celui de Châteaumeillant
dans le Cher. Regardons le plan de l'image
40. On
constate que ce chevet est formé de quatre étages d’absides.
Sur chacun des trois premiers étages, sont greffées deux
absidioles symétriques. Sur le dernier étage, est greffée
l’abside principale, unique.
Maintenant, supprimons par la pensée les absidioles du
troisième étage. Et construisons le demi-cercle d’une abside
englobant simultanément l’abside principale et les deux
absidioles qui ont été supprimées. On obtient à peu de
choses près le chevet à déambulatoire (mais sans les
chapelles rayonnantes) du plan de l'image
41.
Les plans des images
40, 41 et 42 sont légendés par les commentaires
suivants :
Image 40. 1 : Deuxième moitié
du XIesiècle : Commencée vers 1052, la
construction de l’église priorale « Notre-Dame » débute par
le chœur, le transept et les deux premières travées de la
nef. Le plan primitif , dit « Bénédictin », fait apparaître
la symétrie des six chapelles absidiales de profondeur
décroissante, disposées parallèlement de chaque côté du
chœur. Il s’agit alors d’un bâtiment de faible élévation,
aux murs épais, aux voûtes en plein cintre. Les ouvertures
sont de petite dimension de façon à ménager la stabilité de
l’édifice.
Image 41.
2 : Premier quart du XIIesiècle : La nef
s’agrandit de deux travées supplémentaires. L’adoption
nouvelle de l’arc en « tiers point » autorise une élévation
plus importante de l’ensemble. Arcs, faux triforium,
fenêtres largement ouvertes, permettent l’éclairage direct
de la nef.
Pas d’image représentée.
3 : Deuxième quart du XIIesiècle : La
construction de l’église se poursuit par l’élévation des
dernières travées de la nef ainsi que par celle du clocher
Sainte-Croix, la construction complète du second clocher
n’étant pas certaine. Le chœur, trop petit pour permettre
les processions, est totalement refait. Surmonté d’un faux
triforium et agrandi d’un déambulatoire d’où rayonnent cinq
chapelles absidiales. Le transept est, à son tour, surélevé
d’un étage largement éclairé par de hautes fenêtres. À la
croisée du transept, est construite une haute tour
octogonale appelée « clocher de la Bertrange ».
Image 42.
4 : XIIIe, XIVe, XVesiècles
et début du XVIesiècle. Nous ne recopions pas
les commentaires ; le plan, est, à peu de choses près, celui
de l’église actuelle.
Nous allons à présent effectuer une
analyse critique des diverses informations. La première de
ces critiques concerne le plan de l'image
40 qui serait celui de l’église primitive. Nous
observons d’abord que, sur ce plan, le transept serait
identique au transept actuel (en plan au sol car, selon
l’auteur du commentaire, le transept primitif a été surélevé
). Mais les images 23 et
33 montrent qu’il y avait des ouvertures côté Nord
du croisillon Nord du transept et côté Sud du croisillon
Sud. Il devait y avoir d’autres pièces non signalées sur le
plan.
Mais il y a plus ! Le plan ainsi que les commentaires
laissent entendre que le chevet, le transept et les deux
premières travées de la nef sont contemporains. Or les images 19 et 20 font
apparaître que les arcs inférieurs sont différents : sur
impostes pour la première image, sur chapiteaux pour la
seconde image.
Les observations que nous avons faites nous permettent
d’envisager qu’il y aurait eu quatre opérations successives
distinctes : le chevet « Bénédictin avec arcs à impostes (images de 33 à 39),
les deux premières travées de la nef, les travées suivantes,
le chevet à déambulatoire. Or, selon les commentaires des
étapes 1, 2 et 3 (auxquelles nous avons ajouté l’étape 1
bis de construction des deux premières travées de nef), ces
étapes de travaux se seraient faites dans un temps
relativement court (1150-1250). Nous estimons que cet
intervalle de temps est beaucoup trop court.
D’une part, nous pensons que tout grand projet est réalisé
dans le temps d’une vie humaine. Certains ont dit qu’une
cathédrale donnée pouvait avoir été construite en plusieurs
siècles. Nous ne le pensons pas : lorsqu’un évêque décidait
de lancer le projet de construction d’une cathédrale, il
voulait voir le projet réalisé avant la fin de sa vie. Mais,
bien sûr , une fois le projet réalisé et au bout d’un
certain nombre d’années, un autre projet pouvait être
envisagé. Il faut compter une trentaine d’années pour
réaliser un projet d’envergure : environ dix ans pour le
préparer (rédiger les plans, rassembler les fonds) et une
vingtaine d’années pour le construire. Prenons un exemple
relativement récent : la construction de l’autoroute A75
entre Clermond-Ferrand et Béziers. Les premiers projets
démarrent en 1970 et le dernier tronçon est inauguré fin
2010. Soit 40 ans !
S’il faut une trentaine d’années pour réaliser un projet
d’envergure, il faut beaucoup plus de temps pour réaliser un
nouveau projet sur le même lieu. Surtout si l’on doit
détruire ce que l’on a mis trente ans à construire. Ainsi,
pour en revenir à l’autoroute A 75, on peut dire qu’elle a
remplacé (sans la détruire) la liaison par voie ferrée de
Clermont-Ferrand à Béziers. Plus d’une centaine d’années
(environ 120 ans) séparent les deux projets.
Et encore ! il n’y a pas eu de destruction d’ouvrage. Alors
que dans le cas du prieuré, le chevet « Bénédictin » a été
remplacé par un chevet à déambulatoire et à chapelles
rayonnantes.
Nous avons dit que les deux textes
extraits de Wikipedia se révélaient très intéressants parce
qu’ils introduisaient quelque chose de neuf dans notre
argumentation. Pour le comprendre, il nous faut revenir à
une observation effectuée à de nombreuses reprises : bien
souvent, en effet, les historiens de l’art déduisent d’un
texte de fondation la construction d’une église. C’est
d’ailleurs ce qui se passe dans le cas présent.
On nous apprend qu’une communauté est fondée en 1059, et par
ailleurs, que la construction de l’église est effectuée en
1052 (sans doute une « coquille », l’auteur voulait écrire
1059). Les plans et explications données sur place proposent
la même datation (2emoitié du XIesiècle)
pour la première étape de construction.
À chaque fois que nous avons rencontré ce type de
raisonnement (la date de construction de la première église
se déduit directement de la date de fondation de la
communauté), nous avons émis l’objection suivante : la
fondation d’une communauté ne se fait pas « ex nihilo ».
Pour fonder une communauté, il faut disposer d’un lieu
d’installation, le plus souvent déjà construit, et donner
des moyens de subsistance à cette communauté. Et nous avons
dit à chaque fois qu‘il pouvait y avoir une église
préexistant à cette fondation.
Mais dans les cas rencontrés auparavant, nous n’avions pas
de certitude sur cela. On découvre en lisant les deux textes
que, au moment de la fondation, il y a eu don des « bâtiments
d'une église ancienne, ruinée, dédiée à la Vierge Marie,
avec les terres qui en dépendent, en un lieu nommé Neyr.
»
Cette phrase confirme notre opinion. Ce qui nous permet
d’envisager le déroulement suivant pour la construction de
l’église de la Charité-sur-Loire :
Un premier édifice est construit avant la fondation de 1059.
De cet édifice, à chevet à plan bénédictin, il ne resterait
que les arcs insérés dans la maçonnerie : datation envisagée
: an 900 avec un écart de plus de 100 ans. Après la
fondation de 1059, on décide de construire la nef. D’abord
avec des arcs en plein cintre, puis avec des arcs brisés. Le
début de construction se serait fait en 1075 avec un écart
de 50 ans, puis la construction se serait lentement déplacée
vers l’Ouest avec des changements mineurs (remplacement
d’arcs en plein cintre par des arcs brisés). Et pour finir
le chevet « bénédictin » aurait été remplacé par un chevet à
déambulatoire en l’an 1175 avec un écart de 50 ans.
La progression aurait donc été un peu comparable à celle
présentée sur les plans des images
40, 41 et 42. Mais plus étalée dans le temps : 275
ans au lieu de 75 ans.