L’église Saint-Marcellin de Chanteuges
Le prieuré de Chanteuges est situé sur
une coulée volcanique dominant le village de Chanteuges et
la campagne environnante (image
1). Ce prieuré contient, outre l’église dédiée à
Saint-Marcellin (image 4
), d’anciens bâtiments monastiques (image
2) entourant un petit cloître (image
3).
La page du site Internet réservée à
l’étude de cet édifice nous apprend ceci : « On
possède la charte de fondation de l'abbaye. On apprend que
Claude, propriétaire à Chanteuges, et son épouse
Engalmode, fondatrice de Saint-Pierre-des-Chazes, veulent
fonder une communauté de chanoines à Chanteuges.
Le 28 août 936, Cunabert (neveu de Claude) signe l'acte de
fondation de l'abbaye Saint-Marcellin ... avec Godescalc,
évêque du Puy, Raymons Pons III, duc d'Aquitaine et le
vicomte Delmas. ... après avoir demandé conseil à Odon,
abbé de Cluny et à Arnulphe, abbé d'Aurillac. Les premiers
moines sont venus de l'abbaye Saint-Géraud d'Aurillac sous
la direction de l'abbé Obier.
La donation est confirmée en 942 par le roi Louis IV
d’Outremer à la demande de Godescalc et de Héric, évêque
de Langres.
Au XIesiècle, construction de l'église dont
il subsiste l'abside.
Une bulle du pape Calixte II datant de 1119 confirme les
droits de l'abbaye.
Vers 1130, les moines vivent sans problème jusqu'à ce que
le seigneur voisin, Ithier de Mandulphe, de Digons, s'en
empare et la transforme en forteresse et en “repaire de
voleurs et criminels”.
Impuissant, l'abbé Raymond se réfugie en 1137 à l'abbaye
de La-Chaise-Dieu. Il cède alors le monastère à l'abbaye
de La-Chaise-Dieu. Cette dernière doit rétablir ses
droits. Cette donation obtient l'approbation de
l'archevêque de Bourges et l'évêque de Clermont. À la
suite de cette donation, les chanoines-comtes de Brioude
exigèrent que l'abbaye leur serve deux repas par an.
L'abbé de La-Chaise-Dieu, Étienne de Mercœur (1111-1146),
transforme l'abbaye en prieuré avec 20 moines malgré
l'opposition du chapitre de Brioude.
Après la reconquête de ses terres, l'abbé de
La-Chaise-Dieu entreprend la reconstruction de l'église en
reprenant une partie du plan d'un édifice de la fin du XIe siècle.
Les voûtes d'arêtes des bas-côtés sont d'origine. Les
chapiteaux rappellent ceux de la basilique
Saint-Julien-de-Brioude et de l'abbaye de Mozac. Ceux de
l'abbaye de Mozac doivent dater de 1080 environ ... ».
Ce texte peut paraître long. Si nous le reproduisons presque
in-extenso, du moins pour la partie antérieure à l’an 1200
(le lecteur est invité à lire le reste sur la page de
wikipedia), c’est parce que le prieuré est un des rares
monuments à être aussi bien documenté. Et on peut en tirer
des renseignements très intéressants.
Un exemple. : le texte cite plusieurs agglomérations autres
que Chanteuges : pour le Xesiècle : le Puy,
Cluny, Aurillac, Langres ; pour le début du XIesiècle,
Digons (Digoin ?), Brioude, la-Chaise-Dieu, Bourges,
Clermont, Mozac.
Nous avons évalué les itinéraires à pied de Chanteuges à
certaines de ces localités :
Chanteuges-Le Puy : 35 km, 7h26', soit un déplacement en une
journée.
Chanteuges-Cluny : 220 km, 46h50', soit un déplacement en 5
journées.
Chanteuges-Langres : 393 km, 83h39', soit un déplacement en
8 journées.
Chanteuges-Bourges : 274 km, 58h16', soit un déplacement en
6 journées.
Ces quelques évaluations font apparaître un monde moyenâgeux
beaucoup moins replié sur lui-même qu’on se l’imagine.
D’autant plus que les déplacements dont il est ici question
ne sont pas occasionnels, comme peuvent l’être nos actuels
voyages touristiques, mais plus réguliers provoqués par des
liens de dépendance. Si Cunabert demande conseil à Odon,
abbé de Cluny, c’est parce que, d'une façon ou d’une autre,
il le connaît. Parce que le renom de l’abbaye de Cluny, ou
son influence, ont franchi les 200 km qui séparent les deux
lieux.
Malgré tout l’intérêt de ce texte
extrait d’Internet, nous notons une contradiction, ou un
oubli. En fait, nous ne sommes pas très surpris : à chaque
fois qu’une église est citée avant l’an mille, nous notons
le même type de contradiction. Reprenons la lecture de ce
texte : l’acte de fondation est daté de 936 et la donation
est confirmée en 944. Puis, «
au XIesiècle, construction de l'église dont
il subsiste l'abside. » Le XIesiècle,
c’est, autant que l’on sache, après l’an 1000. Et même, pour
beaucoup de spécialistes de l’art roman, ce serait après
l’an 1050. Mais restons en à l’an 1000. Donc, si nous
suivons bien le texte, entre l’an 944 et l’an 1000, il ne
s’est rien passé. Il n’y a pas eu de construction d’église :
les braves moines ont vécu pendant 56 ans, soit toute leur
vie pour un certain nombre d’entre eux, sans assister chaque
jour à la messe ! À qui le fera-t-on croire ?
Le raisonnement induit par le texte est le suivant : une
communauté est fondée en 944 et son église est construite
plus de cinquante ans après. Sous-entendu, il n’y a pas eu
d’église entre-temps. Notre propre raisonnement est inverse.
La communauté fondée en 936 (ou en 944) devait être dotée
d’une église qui existait peut-être avant la fondation. Nous
devons rechercher cette église que ne peut être datée que du
Xesiècle ou avant. Il est possible que l’on
retrouve cette église dans le monument actuel. Il est aussi
possible que cette église ait été détruite pour être
remplacée par l’église actuelle, mais cette disparition
totale ne signifie pas qu’elle n’a jamais existé.
Le plan de l'image
8 est celui d’une église à nef à trois vaisseaux,
avec trois absides situées dans le prolongement des
vaisseaux. Ce type d’abside est selon nous caractéristique
d’une église antérieure à l’an mille. On constate de plus
l’absence de transept ou d’ouvrage Ouest. Cela est aussi
caractéristique d’une église antérieure à l’an mille. Passé
cette date, nombre d’églises de cette importance sont dotées
d’un transept et d’un ouvrage Ouest (le plus souvent une
façade décorée).
À l’intérieur (images 9
et 10), les voûtes sur croisée d’ogives semblent
nettement postérieures aux parties basses. Il est donc
possible que ces voûtes aient été ajoutées postérieurement à
la construction initiale, primitivement charpentée.
Les arcs entre piliers sont doubles. Nous estimons que ce
type d’arc est postérieur à l’an 800 . Les piliers, de type
R1010 ou R1110
ou R1111, sont
compatibles avec ce type d’arc. Les nefs à piliers de type R1010 ne sont pas en
général voûtées. Pour celles à piliers de type R1110,
seuls les collatéraux sont voûtés. Celles de type R1111
sont entièrement voûtées. Il est cependant possible que
cette église ait été partiellement voûtée (piliers de type R1110), puis
entièrement voûtée (piliers de type R1110
transformés en piliers de type R1111).
Regardons à présent, et dans l’ordre indiqué, les
images 15, 14, 13, 12. Elles représentent les
travées successives de la plus proche du chevet (image
15) à celle du fond de l’église (image
12). On constate une évolution d’une image à
l’autre. Plus particulièrement de l'image
13 à l'image 12.
Cette dernière image est la seule pour laquelle l’arc
est brisé. Nous avons un peu de chance dans le cas présent.
Nous pensons que l’église a été construite au fur et à
mesure et à partir du chevet. Jusqu’à présent, nous savions
que les arcs en plein cintre doubles et les arcs brisés
avaient la particularité d’être des innovations par rapport
aux arcs en plein cintre simples. Mais nous ne savions pas
laquelle des deux innovations est intervenue la première. Il
semblerait bien, au vu des arcs successifs observés sur ces
images, que ce soit l’arc en plein cintre double. Nous avons
dit auparavant que l’arc double devait être postérieur à
l’an 800. L’arc brisé devrait, lui, être postérieur à l’an
1000. Bien sûr, les dates 800 et 1000 sont entachées d’une
forte marge d’incertitude.
Image
16 : Sur cette image, on peut voir deux
chapiteaux historiés. Sur celui de gauche, un homme porte
sur ses épaules un mouton.
Image 17 : Sur
cette image, on peut voir deux chapiteaux historiés. Sur
celui de gauche, un homme nu dans des feuillages. Peut-être
Adam ? Sur le chapieau de droite, deux aigles affrontés.
Image 18 : Sur
cette image, on peut voir deux chapiteaux historiés. Sur
celui de gauche, une scène qui commence à être bien connue :
une sirène bifide.
Image 19 : Sur
cette image, on peut voir deux chapiteaux historiés. Sur
celui de gauche, une scène non rencontrée jusqu’à présent. À
côté d’une barque contenant deux personnages, un animal
fantastique à tête de cheval, corps de lion, pattes et ailes
d’aigle.
Image 20 : Abside
principale.
Image 21 : Détail
de l’image précédente. On y voit une imposte. Nous estimons
que l’imposte est antérieure au système chapiteau-tailloir.
Datation envisagée pour cette église
Saint-Marcellin de Chanteuges : an 1025 avec un écart de
plus de 100 ans. À remarquer que les dates de 936 et 944 se
retrouvent dans la fourchette de datation (925, 1125).