La chapelle Saint-Jean de Saint-Just-Saint-Rambert 

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C’est grâce à Dominique Robert et aux photographies qu’il a prises que non seulement nous avons eu connaissance de cette chapelle, mais aussi de son intérêt.

Son aspect extérieur (image 1) est fort peu révélateur. L’appareil de maçonnerie fait de moellons grossiers pourrait aussi bien dater du Haut Moyen-Âge que de la période moderne. Par contre, selon nous, le portail de l'image 2 est préroman. Nous ne pouvons cependant pas préciser la datation, l’étude sur l’évolution des portails n’étant encore qu’à ses balbutiements.

Mais l’intérêt principal se trouve à l’intérieur (images 3 et 4). Intérêt principal? Le néophyte lisant cela doit être quelque peu surpris! Car on se trouve en présence d’une très modeste chapelle formée d’une nef unique et d’un chœur à plan carré. À peine remarque-t-on l’arc triomphal porté par deux colonnes. Où est donc cet intérêt ?

Pour le comprendre, il faut avoir lu le livre de l’abbé Joseph Giry sur les églises à chevet carré du département de l’Hérault. Cet infatigable arpenteur des campagnes en a trouvé près d’une centaine. Il a réussi à faire des émules et par la suite beaucoup d’autres chapelles de ce genre ont été découvertes dans l’Hérault et dans les départements limitrophes, le Gard, l’Aveyron, l’Aude, les Pyrénées-Orientales. Et aussi de l’autre côté de la frontière, en Espagne. Disons-le tout de suite : la plupart de ces chapelles sont en ruine. Dans son livre, l’abbé Giry s’est efforcé de démontrer que la plupart de ces chapelles étaient antérieures à l’an mille et que certaines étaient wisigothiques. L’ancienneté de ces chapelles, qui présentent toutes à peu près les mêmes caractéristiques (nef rectangulaire charpentée, chevet carré, séparation du chœur et de la nef par un arc triomphal, rares fenêtres en forme de meurtrières) est pour nous l’élément le plus intéressant car, parmi les églises à nef unique, ce sont les seules que nous pouvons identifier comme antérieures à l’an mille. Que l’on puisse en trouver au nord du Massif Central constitue donc un fait nouveau et devrait nous inciter à en trouver d’autres.

Plusieurs éléments militent en faveur de l’ancienneté de la structure. Le premier d’entre eux est, on vient de le dire, sa ressemblance avec les modèles méridionaux.

Le second, en lien avec le précédent, est l’existence d’un chevet carré. Les chevets carrés ont pu être construits à toute époque. Ainsi, certains ont été construits durant la période gothique. Mais nous n’en connaissons pas de romans, ou du moins attribuables à la période XIe- XIIe siècles grâce à des éléments caractéristiques tels que colonnade de fond ou de côté, ou grandes fenêtres décorées. Nous en déduisons que l’abside romane ne peut être que semi-circulaire. Pour quelles raisons les chapelles primitives auraient-elles eu un chevet carré? Disons tout d’abord que le chevet carré n’est pas généralisé à toutes les églises de l’Antiquité tardive. D’autres solutions existent. Mais pourquoi, dans le cas présent, le chevet est-il carré? Nous distinguons deux explications. La première est d’aspect technique : il est plus facile de construire une voûte en plein cintre comme ici qu’une voûte en cul-de-four. La deuxième est d’aspect symbolique : les formes rectangulaires alignées de la nef et du chœur sont celles des temples gréco-romains (naos et pronaos), des temples égyptiens et, surtout, du temple de Salomon (Saint et Saint des Saints).


Le troisième témoin d’ancienneté est l’arc triomphal. L’arc en lui-même semble avoir été refait. Les colonnes qui le soutiennent sont, quant à elles, d’origine. Ces colonnes sont monolithes, cylindriques, détachées du mur, massives et de faible hauteur (elles ne descendent pas jusqu’au sol). Ces éléments sont caractéristiques d’une période. Ainsi, par comparaison, en art roman, les colonnes porteuses de l’arc triomphal sont maçonnées, demi-cylindriques et engagées dans le mur. La hauteur relativement faible de ces colonnes est aussi caractéristique. L’arc triomphal de la chapelle Saint-Georges de Lunas (Hérault, image visible sur ce site) est révélateur. Les colonnes censées porter l’arc triomphal de cette chapelle sont trop petites pour cette fonction. Elles ne peuvent avoir qu’une valeur symbolique. Elles représenteraient les colonnes qui portent le monde, l’arc triomphal représentant le ciel.

Venons-en aux deux chapiteaux, eux aussi d’un grand intérêt. Celui de gauche (image 7) présente des scènes sur deux faces et deux étages bien différenciés. L’étage inférieur est décoré de feuillages : ce sont des feuilles étalées disposées dans le désordre, un assemblage un peu différent de ce que nous rencontrons habituellement. En particulier, nous ne voyons pas d’entrelacs.

Toujours sur ce chapiteau, dans la partie supérieure, on observe deux scènes historiées.

Un lion (image 8) à queue feuillue(?), la gueule (un visage humain?) orientée vers nous. L’image du lion est fréquente dans les arts préroman et roman.

Un hybride; peut-être un dragon (image 9). C’est un animal à queue de serpent et gueule de monstre. Il est traversé en oblique par un objet. S’agit-il en fait de deux parties du corps, une patte et une aile? Ou d’une sorte de sceptre? La gueule du monstre dévore un objet en forme de canne à pommeau. L’ensemble de la scène est à la fois énigmatique et exceptionnel, rencontré ici pour la première fois. On voit en Italie sur des décors d’ambons représentés à la fois le lion et le dragon, mais dans des attitudes un peu différentes. Peut-être faudrait-il trouver des éléments de comparaison afin de comprendre le symbolisme attaché à ces images?

Pour l’autre chapiteau, il n’existe pas de claire distinction entre l’étage inférieur aux feuillages, et l’étage supérieur. Les scènes sont imbriquées, la supérieure dans l’inférieure, les personnages de la partie supérieure étant assis dans les feuillages. Dans la scène de l'image 10 , deux humains (un homme et une femme?) sont représentés assis, les bras levés dans l’attitude d’orants. Sur l'image 11, il s’agit d’un personnage unique, dans la même attitude que les deux précédents. Là encore, la scène est tout à fait inhabituelle.

Nous rapprochons cependant cette scène (en fait, ces deux dernières scènes) d’autres pourtant fort différentes : les scènes représentant un personnage émergeant des feuillages que l’on voit à la crypte Saint-Bénigne de Dijon. Nous pensons que ces scènes représentent des personnages du pouvoir temporel, protecteurs des églises. Ces scènes auraient donné naissance à d’autres scènes, comme la sirène à deux queues ou l’acrobate. Nous émettons l’hypothèse selon laquelle ces laïcs protecteurs de l’église ont voulu laisser une signature dans l’œuvre qu’ils finançaient. On peut se poser la question : pour quelles raisons y a-t-il dans cette église des œuvres profanes et non des œuvres à caractère religieux?

Nous pensons qu’en fait, ces œuvres existaient et qu’elles formaient la majeure partie des œuvres d’art de cette église. Mais ces œuvres devaient exister sous la forme de fresques sur les murs à l’intérieur, et peut-être même à l’extérieur de l’édifice. Hypothèse totalement gratuite, direz-vous, ami lecteur, car apparemment ces fresques sont totalement absentes des murs. Mais que reste-t-il des peintures ou tapisseries qui ornaient votre propre habitation il y a une cinquantaine d’années? Apparemment, elles aussi ont disparu, remplacées par d’autres peintures ou tapisseries.

Concernant cette chapelle, il est déjà très heureux qu’on ait pu conserver des fragments d’une fresque représentant une danse macabre du XVe ou XVIe siècle (image 12). Il ne reste que quelques lambeaux d’un ensemble de peintures qui couvraient tout l’intérieur de la chapelle il y a 500 ans. Que pourrait-il subsister de peintures remontant à plus de 100 ans?


Datation envisagée pour la chapelle Saint-Jean de Saint-Just-Saint-Rambert : an 850 avec un écart de 150 ans.


Images 1 à 12 de  Dominique Robert : http://www.drobert-photo.com.