L’église Notre-Dame de Châtel-Montagne
Les diverses pages du site Internet Wikipedia consacré à
Châtel-Montagne nois donnent les informations suivantes
concernant l’histoire de l’église Notre-Dame : «
Le village de Châtel-Montagne était autrefois le siège
d'une baronnie importante dépendant de la seigneurie, puis
duché de Bourbon. Des vestiges du château médiéval, tombé
en ruine avant la Révolution, subsistent de nos jours. Un
prieuré clunisien est fondé à la fin du XIe siècle, sous l'abbatiat de Saint Hugues de Cluny (Hugues
de Semur). Au début du XIIe siècle, commence
la construction de l'église Notre-Dame. Le prieuré
souffrit des troubles du XIVe siècle et
disparut au XVe siècle. » (site
consacré au village de Châtel Montagne) et « L'église
de la Vierge-Marie de Châtel-Montagne a été donnée par
Dalmas de Châtel-Montagne vers 1081-1088 à l'abbaye de
Cluny . Une copie de l'acte de donation indique la date de
fondation du prieuré au 2 mai 1082. Cette donation a été
contestée par deux frères de Dalmace. Mais cela n'a pas
empêché le pape Hurbain II de confirmer la possession du
prieuré par l'abbaye de Cluny le 16 mars 1095. Cette
donation concerne également la chapelle castrale, ainsi
que des biens importants : la donation est conséquente et
va permettre la mise en place d'une petite communauté.
» (site consacré à l’église Sainte-Marie de Châtel
Montagne).
Ces deux textes sont remarquables dans la mesure où ils
justifient notre critique concernant la lecture et
l’interprétation des textes anciens.
Consultons d’abord le premier de ces deux textes. Il
apparaît très clair : un prieuré clunisien est fondé à la
fin du XIesiècle; la construction de l’église
Notre-Dame commence au XIIesiècle. Conclusion
logique : la fondation du prieuré clunisien a permis la
construction de l’église.
La lecture du deuxième texte qui semble être mieux documenté
est toute différente. Car si l’église Sainte Marie a été
donnée en 1081-1088 à l’abbaye de Cluny, cela signifie
qu’elle existait déjà auparavant. Bien sûr, cela ne signifie
pas que cette église citée en 1081 soit celle que l’on voit
actuellement. Il est toujours possible que l’église de 1081
ait été entièrement détruite pour être remplacée par une
autre construite au début du XII èmee. Cependant,
il faudrait fournir la preuve de cette destruction.
Cette double lecture nous permet de donner un avis général :
bien souvent les historiens de l’art se basent sur un acte
de fondation de communauté pour en déduire la date de
construction de l’église de cette communauté. Nous avons
critiqué à plusieurs reprises cette démarche en disant qu’il
faut faire la différence entre une communauté (groupe
d’hommes ou de femmes) et les conditions de vie de cette
communauté (hébergement, moyens de subsistance, moyens de
réaliser les objectifs de cette communauté). Dans le cas
présent, cette distinction semble avoir été réalisée puisque
l’acte de donation de l’église est apparemment différent de
l’acte de fondation.
Il faut bien comprendre qu’une communauté n’est pas fondée «
ex nihilo ». Et, toujours dans le cas présent, le fait que
deux frères de Dalmace contestent la donation prouve bien
que l’héritage de Dalmace devait être très consistant.
Les explications données par Internet ne
permettent donc pas de donner une datation. La carte de l'image 5 est-elle plus
concluante ?
Commençons par observer les légendes de cette carte en
partant du bas :
Le porche (en blanc) est daté « vers 1150 (?) »
La nef (en noir) : « XIIesiècle ; I ère
campagne ; 1100-1125 (?) »
Le transept (en jaune) : « XIeet XIIesiècles
». Nous avouons que sur cette partie, nous ne pouvons rien
dire. Durant notre visite relativement rapide, notre
attention ne s’est pas portée sur cette partie. Très
probablement, le dessinateur du plan a décelé les traces
d’une campagne de travaux. Il est possible que ce sont ces
traces qui lui ont permis de réaliser le plan de l’église
primitive (image 6).
Le chevet (en rouge) : « XIIesiècle vers 1150
(?) »
Ami lecteur, nous vous proposons de réfléchir au scénario
suivant : vous connaissez sans doute la BNF (Bibliothèque
nationale de France), ensemble constitué d’une grande
esplanade encadrée par quatre grandes tours. Imaginez que
l’on vous propose de supprimer une des tours et d’installer
au centre de l’esplanade une tour plus grande que les trois
autres qui serait utilisée par le Ministère de la Jeunesse
et des Sports. Quelle serait votre réaction ? Nous pensons
et vous serez certainement d’accord avec nous, qu’un tel
scénario est possible mais difficilement envisageable à
cause des réactions qu’il susciterait : « Vous ne pouviez
pas y penser avant ? Cela fait moins de 25 ans que ces
bâtiments ont été construits ! ». C’est exactement le même
type de réaction que nous avons vis-à-vis de ce plan de l'image 5.
Il nous raconte que la nef est construite vers 1125.
Environ vingt cinq ans plus tard, on construit un porche
dans un style complètement différent de celui de la nef. Et
en même temps, on construit un chevet dans un style encore
différent. Avec, entre la nef et le chevet, un autre type de
construction. Nous estimons que cette boulimie
d’interventions différentes en un temps très court n’est pas
réaliste. Elle donne une image beaucoup trop négative des
constructeurs du Moyen-Âge qui, selon nous, savaient ce
qu’ils faisaient.
La seule réponse logique à ce débat est selon nous la
suivante : les différentes étapes de construction constatées
ne peuvent avoir été effectuées que dans un intervalle
beaucoup plus que long que les 50 ans (au maximum) déduits
de la lecture de ce plan. Suivant la même logique, cet
intervalle de temps devrait être selon nous supérieur à 150
ans (50 ans minimum entre deux étapes différentes).
Le portail de l'image
2 présente des caractéristiques préromanes
(linteau en bâtière surmonté d’un arc). Nous pensons
cependant qu’il est le résultat d’une restauration : à
l’origine, la partie inférieure droite de l’arc devait
s’appuyer sur le bord droit droit du linteau comme c’est le
cas à gauche.
La nef (images de 7 à 13) présente toutes les caractéristiques d’une nef romane à 3
vaisseaux. Les piliers sont de type R1111.
Ce qui signifierait que l’on avait prévu dès l’origine
qu’elle serait voûtée. Il arrive parfois que le voûtement
soit réalisé plus tard grâce à une modification des piliers.
Mais ce n’est pas le cas ici car la base des piliers a été
construite pour des piliers de type
R1111 (image 16). Nous estimons que le voûtement des nefs a été
privilégié vers l’an mille (en fait une vaste période entre
l’an 900 et l’an 1100).
Observons en particulier l'image
12 d’une travée de cette nef. La symétrie par
rapport à l’axe vertical semble à peu près parfaite. Une
telle symétrie n’est pas fréquente. Il arrive souvent que de
petites dissymétries (exemple : fenêtres décalées) fassent
apparaître des transformations plus importantes. Ce n’est
pas le cas concernant cette image et, plus généralement
toutes les travées de la nef, comme le révèle aussi le plan
de l'image 5.
Cela étant dit, cette nef nous pose quelques problèmes.
Regardons de plus près cette image
12.
Au-dessus du grand arc, trois grandes baies barrent toute la
travée. Au-dessus encore, on peut voir trois autres baies
dont les deux extrêmes sont aveugles et la centrale ouverte
vers l’extérieur. Revenons aux trois baies situées au-dessus
de l’arc. Elles surprennent un peu. Nous avons l’habitude
d’observer des fenêtres dont les bords inférieurs sont
situés nettement au-dessus de l’arc. Ce n’est pas le cas ici
: la fenêtre centrale est directement collée à l’arc sans
encadrement spécifique. Nous avons aussi l’habitude de
rencontrer de tels groupes de trois baies accolées. Mais ces
baies sont séparées entre elles par des colonnes
cylindriques et non, comme ici, par des piliers
quadrangulaires. Surtout, ces baies sont surmontées par un
grand arc analogue à l’arc inférieur. On donne le nom de
« triforium » à ce type de construction. Ce qui n’est encore
pas le cas ici.
On sait que le triforium correspond à une galerie située
au-dessus du collatéral. C’est ce qui devrait se passer dans
le cas présent. Mais là encore, ce n’est pas le cas pour
l’église Notre-Dame.. Les images
9 et 13 montrent que les baies communiquent
directement avec les collatéraux et qu’il n’y a pas de
galerie au-dessus des collatéraux.
Les plans des images 14
et 15 sont des vues en coupe. Celle de l'image
14 serait celle de la nef primitive. Celle de l'image 15 représenterait
la nef avant la Révolution. Nous ne pouvons rien dire sur
cette dernière image qui a très bien pu avoir été reproduite
à partir d’un document ancien antérieur à la Révolution. Par
contre, l'image 14 ne
nous semble pas du tout celle d’une église romane. Nous ne
voyons aucune comparaison possible avec une église romane
actuellement connue.
Par ailleurs, regardons de plus près le collatéral Sud de l'image 10. Pour chaque
pilier, une colonne adossée permet de porter un arc en plein
cintre à 180°. Au-dessus de cet arc, on peut voir un autre
arc, celui-ci en quart-de-rond (à 90°). Cet arc sert d’arc
boutant au mur porteur du vaisseau central. On comprend bien
l’utilité de cet arc. Mais pas celle de l’arc à 180° situé
au-dessous, dont, a priori et vu la disposition
architecturale, on aurait pu se passer.
L’idée est que cet arc en plein cintre existait dans la
construction initiale romane. Et il devait servir à porter
une voûte posée sur les collatéraux. Ce devait être une
voûte en plein cintre ou une voûte d’arrêtes. Les arcs en
quart-de-rond auraient été posés ultérieurement. Ils
auraient été utilisés pour porter la voûte actuelle en
quart-de-rond en remplacement de la précédente.
Nous n’avons vu ces anomalies qu’à partir des photographies
prises lors de notre passage. Aussi il nous est difficile
d’expliquer ces diverses incohérences.
Une hypothèse : les parties supérieures de la nef auraient
été refaites ou, au moins profondément restaurées, à une
date relativement récente (XVIIesiècle). Mais
une telle hypothèse nécessite de profondes vérifications.
Les chapiteaux de la nef (partie
inférieure peu susceptible d’avoir été modifiée) présentent
des caractères archaïques. Voici une description de certains
d’entre eux.
Image 18 : Deux
lions adossés.
Image 20 : Le
personnage est semble-t-il une femme aux longues nattes
s’étalant en V au-dessus la tête. Elle porte une sorte de
boîte sur laquelle est gravée une sorte de croix.
Image 22 : Deux
sonneurs de trompe (?)
Images 23 et 24 :
Personnage (homme ? femme ? plus probablement femme) aux
deux jambes dressées.
Image 25 : Deux
personnages (des hommes) aux deux jambes dressées.
Images 26 et 27 :
Homme aux jambes dressées. Bras dressés en attitude d’orant.
Image 28 : Deux
hommes aux jambes dressées et entrelacées.
Images 29 et 30 :
Chapiteau de l’âne. Deux hommes se le disputent en le tirant
de part et d’autre.
Image 31 :
Chapiteau des « Oiseaux au canthare ». En fait, il ne s’agit
pas d’oiseaux, mais d’êtres hybrides à bec d’oiseau et corps
de mammifère.
Ces thèmes iconographiques pourraient être traités à la
légère. Il faut cependant bien comprendre que derrière
chacune des images, il doit y avoir un sens symbolique qui
nous échappe. Il faut aussi comprendre que plus ce sens
symbolique nous échappe, plus l’image est ancienne ou
provient d’un groupe social dont le passé historique a été
oublié.
La datation aux alentours de 1150 du
chevet à déambulatoire (image
17) nous semble réaliste. Ceci étant, les «
alentours de 1150 » constituent pour nous une grande période
: 1150 avec un écart de 50 ans.
Le porche : ce porche présente certaines caractéristiques
originales.
Tout d’abord, il est manifestement différent du reste de la
nef (image 33).
Il est percé du Sud au Nord par une grande galerie qui le
traverse dans sa totalité. La façade occidentale (image
34) est divisée en trois étages et trois bandes
verticales. Des arcades permettent de bien délimiter les
bandes verticales. Cette façade est censée reproduire la vue
en coupe de l’intérieur. L'image
35 montre à travers la porte Sud une autre porte
aveugle. Cette porte (image
36) est actuellement obturée par un mur mais
primitivement elle devait permettre d’accéder au collatéral
Sud. Tout comme la porte de l'image
39 permettait d’accéder au collatéral Nord et
celle de l'image 38
permet actuellement d’accéder au vaisseau central. Le plan
de l’image fait apparaître que si le vaisseau central du
porche est aussi large que celui de la nef, il n’en est pas
de même des collatéraux du porche qui sont un peu plus
étroits que ceux de la nef.
Sue l'image 40, on s’aperçoit que
l’arc de la galerie de passage du porche est légèrement
outrepassé. Cet arc est porté par des impostes (image
41). Les impostes sont pour nous des signes
d’ancienneté (antérieures à l’an mille).
Datation
La datation de cette église se révèle délicate par suite de
la multiplicité des transformations.
Nous pensons que l’église primitive a disparu. Sa nef devait
comporter trois vaisseaux de même largeur que ceux du
porche. Trois absides devaient être placées en prolongement.
Le plan de cet édifice devait être analogue à celui de l'image 6.
Le porche aurait été construit après. Ce serait l’élément le
plus ancien de l’édifice. La datation proposée est l’an 900
avec un écart de plus de 100 ans.
La nef aurait été remplacée par la nef actuelle en l’an 1025
avec un écart de 75 ans.
Un chevet aurait été construit en même temps. Ce chevet
aurait été remplacé par l’actuel chevet à déambulatoire en
l’an 1150 avec un écart de 50 ans.