L’église Saint-Laurent de Châtel-de-Neuvre 

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Le petit village de Châtel-de-Neuvre se trouve sur la D2009 entre Moulins et Saint-Pourçain-sur-Sioule. Son église paroissiale Saint-Laurent est installée sur un petit promontoire donnant une beau panorama sur la vallée de l’Allier (image 1). C’est presque par hasard que nous l’avons visitée en février 2015. Nous venions tout juste d’élaborer les premiers critères de datation des nefs à trois vaisseaux et presque immédiatement nous avons envisagé son ancienneté. Il fait partie des tous premiers édifices que nous avons pu identifier comme datant du premier millénaire de notre ère.


Un panneau situé à l’entrée du site donne quelques informations. On distingue en particulier le plan de l‘image 2. Une partie de ce plan témoigne du syndrome psychologique des historiens de l’art roman, syndrome que nous ne cessons de combattre et que nous appelons la « terreur de l’an mille ». Les historiens de l’art sont incapables d’imaginer qu’une église puisse être antérieure à l’an mille. Comme on le voit sur les légendes de ce plan, la plus ancienne date du XIesiècle. Rien des Xe, IXe, VIIIe, VIIe, VIe, Ve, IVe siècles. Tout se passe comme si Jésus Christ était né en l’an 1001 de notre ère et non en l’an 1.

Inversement, ce plan se révèle intéressant pour ce qui semble être un détail, mais n’en est pas un. Il révèle en effet qu’il y a eu à l’époque romane deux périodes de construction : l’une indiquée au XIesiècle, l’autre au XIIesiècle. Ce qu’il faut remarquer là-dedans c’est que, des deux constructions, la plus ancienne est la nef. Très probablement, les concepteurs du plan avaient pu vérifier cette « anomalie » en observant attentivement les murs de la nef et du chœur. Pourquoi une « anomalie » ? Tout simplement parce qu’il semble logique que la construction d’une église commence par le sanctuaire et non par la nef. En fait, il n’y a pas d’anomalie. Le chœur de l’église est toujours le premier à être construit. Mais, de tous les corps architecturaux, c’est aussi le premier à être détruit pour être remplacé par un chœur plus moderne, plus adapté aux nécessités liturgiques.

C’est ce qui s’est probablement passé dans le cas de l’église Saint-Laurent. L’église primitive devait correspondre à l’ancienne nef prolongée par un chevet constitué par une abside et deux absidioles qui devaient être situées dans le prolongement de chaque vaisseau. Des fouilles effectuées dans le transept pourraient sans doute permettre de retrouver les restes de ce chevet primitif.

Ultérieurement, ce chœur, jugé insuffisant, a été remplacé par un transept et un nouveau chœur plus large que l’ancien.


Les images 5 et 8 montrent que les faîtes des toits des collatéraux atteignent la base des fenêtres supérieures alors qu’ils devraient être nettement en dessous. Très probablement, comme nous le verrons sur les images 14 et 15 de l’intérieur, les toits des collatéraux ont été légèrement surélevés.

On constate par ailleurs sur ces images 5 et 8 qu’il y a bien des fenêtres supérieures (sur les murs du vaisseau central), espacées régulièrement, mais pas de fenêtres inférieure (sur les murs des collatéraux). Nous ne sommes pas certains que l’encadrement de ces fenêtres soit d’origine, mais vu la régularité de l’ensemble, ces fenêtres occupent l’emplacement d’origine et donc les murs seraient d’origine. Par contre, les murs latéraux étant dépourvus de leurs fenêtres (fenêtres inférieures), sont certainement plus récents.

Cette église recèle un élément qui nous semble très intéressant. Il s’agit de sa façade occidentale (image 9). Celle-ci se présente, si on effectue un réel effort d’abstraction, plus proche des façades des basiliques romaines que des basiliques romanes. Tout d’abord, on remarque que, comme dans les basiliques romaines, l’entrée est située côté Ouest. Toujours, pareillement aux basiliques romaines, l’entrée est austère, dépourvue des colonnettes, chapiteaux et voussures qui caractérisent les églises romanes. L’entrée est centrale. Elle est protégée par un linteau monolithe massif surmonté d’un arc de décharge. Enfin, une fenêtre ou un oculus surmonte le tout. Dernière caractéristique des façades occidentales des basiliques romaines : elles reproduisent l’image en coupe de l’intérieur (voir les façades occidentales des églises Saint-Aphrodise et Sainte-Madeleine de Béziers).

Cette façade occidentale est cependant un peu différente de celle que l’on vient de décrire : le linteau n’est pas monolithe mais formé de plusieurs pierres taillées en biseau comme dans le cas des portails du XIXesiècle. Il est possible que primitivement il y ait eu un linteau monolithe qui se soit brisé par la suite (le cas est fréquent). Autre différence : la façade Ouest ne reproduit pas exactement la vue en coupe intérieure. Il y a seulement reproduction de la coupe du vaisseau central. Mais pas des collatéraux. Cependant, on vient de voir que ces collatéraux ont été probablement refaits. Compte tenu de ces différences, on peut envisager un type de façade occidentale caractérisé par un grand arc surplombant l’entrée et l’oculus. On retrouve le même type de façade dans plusieurs églises à Peyre (Aveyron) ou à Artonne (Puy-de-Dôme).

Les images 10 et 11 montrent deux sculptures insérées dans la façade occidentale. Voyons ce qu’en dit le panneau de l’entrée : « À mi-hauteur de la façade Ouest, de chaque côté, on remarque deux stèles funéraires gallo-romaines très usées qui confirment, comme certains éléments sculptés remployés dans le parement du côté Sud-Ouest du transept, la présence d’un ancien établissement antique sur ce site ».

Nous pensons que ces stèles dites « gallo-romaines » n’ont pas été placées là purement par hasard ou par souci de décoration.


Les piliers sont rectangulaires de type R0000, hormis un pilier situé au centre de la nef sur lequel est adossé un pilastre portant un arc doubleau (image 12). On revoit ce pilastre sur l'image 16. On voit sur cette image que le pilastre recouvre les arcs doubleaux. En conséquence, ce pilastre a été posé après les piliers. Cela confirme que l’église primitive devait être charpentée.

Les piliers sont à impostes. Ces impostes sont à saillie tournée vers l’intrados. Ce type d’imposte est très caractérisé et se retrouve dans plusieurs églises telles que Saint- Michel de Castelnau-Pégayrolles (Aveyron) ou Saint-Léger d’Ébreuil (Allier).


Les images de 20 à 26 montrent toute une série d’impostes. Ces impostes ne présentent à priori aucun intérêt artistique. Les images servent seulement à identifier les divers styles d’imposte dans un même monument. Nous avons déjà dit que d’autres églises avaient des caractéristiques semblables à celle-ci (piliers de type R0000 à impostes à saillie vers l’intrados). Si, de plus, les impostes ont des décors identiques, l’analogie entre les églises sera confirmée. Et nous pourrons dire avec une quasi-certitude que les églises, ou plus exactement les nefs de ces églises sont contemporaines. Ce qui confirmera nos hypothèses sur la datation.

Datation estimée pour la nef de cette église : an 750 avec un écart de 200 ans. Datation estimée pour le transept et une partie du chevet : an 850 avec un écart de 150 ans.