La cathédrale Saint-Maurice de Vienne 

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Il peut paraître surprenant, voire même incohérent, que dans un site consacré au premier millénaire, soient décrits des édifices du deuxième millénaire. Et ce, en connaissance de cause. Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer à ce sujet mais nous allons reprendre nos explications.

Tout d’abord les périodes associées à des millénaires ou à des siècles sont en apparence bien strictes et bien encadrées. Le premier millénaire a commencé le Ier Janvier de l‘an 1 et s’est terminé le 31 décembre de l’an 999. C’est clair et c’est net. Mais cela n’est qu’une apparence. Prenons l’exemple de deux formes d’art : l’art dit « sulpicien » qui s’est développé au XIXesiècle sous l’influence de peintres comme Hippolyte Flandrin, et l’art dit « moderne » du XXesiècle avec les peintres cubistes ou surréalistes. Peut-on dire que la date du premier janvier 1900 sépare ces deux formes d’art ? Certainement pas ! Des peintres « sulpiciens » ont continué à décorer les églises bien après la guerre de 1914-1918. Quant au premier tableau de Picasso, il est daté de 1889, et donc avant 1900.

Il faut donc concevoir ces limites de siècles ou de millénaires comme des limites floues. Il faut du temps pour qu’une idée nouvelle se mette en place et pour qu’elle se généralise à tous.

À cela s’ajoute l’incertitude liée à la datation. Dans nos estimations des dates, nous associons des marges d’erreur. Et compte tenu des difficultés d’estimation, ces marges d’erreur peuvent être très importantes. Devons nous rejeter comme appartenant au deuxième millénaire un monument daté de 1050 mais avec une marge d’erreur d’un siècle (en plus ou en moins) ? C’est à dire, daté entre l’an 950 et l’an 1150 ?

Il y a enfin la prise en compte d’une méthode bien connue des historiens, la méthode de remontée dans le temps : pour étudier un problème historique, on effectue une recherche dans les documents les plus récents et on remonte ensuite dans le temps, l’idée étant que l’on dispose de plus de documents récents que de documents anciens. En ce qui concerne le premier millénaire, on ne peut bien connaître l’art préroman si on n’a pas de connaissance sur l’art roman. Et on ne peut connaître l’art roman si on n’a pas une connaissance au moins superficielle de l’art gothique.

Dans notre recherche opiniâtre de monuments antérieurs à l’an 1000, nous avions oublié une chose : pour bien connaître des monuments antérieurs à l’an 1000, il faut aussi connaître des monuments postérieurs à l’an 1000. En effet, nous avons beaucoup plus de chances de découvrir des sources concernant ces derniers, de les identifier, de les dater et par le biais des innovations, d’arriver à dater celles-ci et, de proche en proche, de parvenir à dater des édifices plus anciens.

C’est la raison pour laquelle nous consacrons cette page à la cathédrale Saint-Maurice de Vienne qui, rappelons-le, ne date pas du premier millénaire.


Sur cette église, voici les renseignements fournis par une page du site Internet Wikipedia : « La cathédrale de Vienne occupe le même site depuis le IVesiècle, mais aucune trace de construction antérieure au Xe siècle ne subsiste. La cathédrale est reconstruite, entre 1030 et 1070 environ, par l’archevêque Léger.

La construction du bâtiment actuel est entreprise en 1130 dans le style roman. De cette époque, datent les parties les plus anciennes, à savoir la partie de la nef comprise entre les Ve et XIe travées. L’édification se poursuit au XIIIesiècle : le style devient alors gothique, comme en témoigne le chœur, le début et les parties hautes de la nef. Le nom de Guillaume de l’Œuvre est avancé comme architecte. La cathédrale est consacrée par le pape Innocent IV sous le vocable de Saint-Maurice, le 20 avril 1251. La construction se poursuit jusqu’au XVIesiècle avec notamment l’élévation de la façade. La dernière pierre est posée en 1529.
»

Nous n’avons vu cette église que très superficiellement. Néanmoins, nous corroborons en grande partie ces affirmations.

Bien sûr, il nous est difficile de confirmer l’information selon laquelle cette église occupe le même emplacement depuis le IVesiècle. De même, nous ignorons tout de la reconstruction de l’église entre 1030 et 1070 par l’archevêque Léger. Mais nous ne voyons dans cette église aucune construction qui puisse dater du XIesiècle. L’œuvre de l’archevêque Léger a sans doute totalement disparu. Seule resterait l’œuvre construite à partir de 1130.

Cependant, une telle situation pose problème. Il est en effet difficile d’admettre qu’un édifice construit en 40 ans soit intégralement reconstruit 60 ans plus tard. Que s’est-il donc passé ? Sans doute des textes ont été mal interprétés. Mais quel est celui qui dit la vérité ?

Nous pensons que la reconstruction s’est bien effectuée à partir de 1130. D’une part, la date la plus récente a le plus de chances d’être vraie. D’autre part, la reconstruction de la cathédrale d’Autun, semblable à celle de Vienne, s’est effectuée à partir de 1130.


La façade Ouest (images 1, 2 et 3) est manifestement gothique, principalement du XIVesiècle. Cela n’empêche pas que la cathédrale ait pu être considérée comme terminée au XVIesiècle.

L'image 8 montre deux travées de la nef. À la partie inférieure, les piliers portent des arcs doubles et brisés. Et ce, par l’intermédiaire de chapiteaux.

Bien souvent, les néophytes dans l’art du Moyen-Âge associent l’arc en plein-cintre avec l’art roman et l’arc brisé avec l’art gothique. Nous pensons que c’est un peu plus complexe. Nous pensons que la véritable innovation qui caractérise l’art gothique est la croisée d’ogives. Les chapiteaux sont quant à eux plus caractéristiques de l’art roman que l’arc en plein cintre. Ceux des images 11, 12, 13, 14 et 15 témoignent d’un art roman tardif.

Ces parties basses de la nef jusqu’à la galerie du deuxième étage datent selon nous d’un art roman tardif. Nous envisageons une datation dans la seconde moitié du
XIIesiècle. C’est-à-dire après 1150 plutôt que 1130 (mais cela reste dans les marges d’incertitude).

Comme l’auteur du texte, nous pensons que la voûte en croisée d’ogives est postérieure à la partie inférieure romane. Il est possible qu’une première voûte en berceau brisé ait été construite et qu’elle ait été remplacée par une voûte en croisée d’ogives plus performante.


Datation envisagée pour la partie inférieure de la nef : an 1170 avec un écart de 40 ans. Pour les voûtes en croisée d’ogives : an 1220 avec un écart de 40 ans.

Bien que cet édifice soit de beaucoup postérieur à l’an mille, son étude même superficielle s’est révélée très importante. En effet, la plupart des monuments dits romans sont datés du XIIesiècle. Identifier celui-ci caractéristique d’un art roman tardif comme datant de la seconde moitié du XIIesiècle (voire même « après 1130 ») revient à ranger bon nombre d’édifices d’art roman (non tardif) avant l’année 1150 (voire 1130). Et en remontant dans le temps, de relever de même la datation des édifices.