Autres édifices de la Drôme susceptibles de dater du Ier millénaire (page 4/4) 

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Les trois édifices étudiés dans cette page sont : l’église Notre-Dame-la-Blanche de Savasse, la chapelle Saint-Martin du prieuré du Val des Nymphes, l’église Saint-Jean-Baptiste de Valence.




L’église Notre-Dame-la-Blanche de Savasse

Nous ne connaissons cette église que par quelques images captées sur Internet, mais elle nous semble se révéler très intéressante pour la suite de notre étude.

Elle est tout d’abord intéressante par son plan (image 1). Il s’agit là d’un plan presque parfait qui, selon nous, est caractéristique d’une période. Plan d’une nef à trois vaisseaux qui sont directement prolongés par des absides demi-circulaires. Il n’y a pas de transept, ni d’avant-chœur précédant l’abside principale. Il s’agit là, selon nous, du plan d’une église ancienne, antérieure à l’art roman qui, selon le dictionnaire Petit Larousse, est l’art des XIeet XIIesiècles. Nous estimons en effet que, à l’époque romane, il y a eu une prise de conscience de l’importance des clercs et de la priorité qui devait leur être accordée en leur réservant un domaine, l’avant-chœur ou (et) le transept. En conséquence, toutes les églises nouvelles devaient avoir un transept ou (et) un avant-chœur. Et, concernant les églises anciennes, on les a modifiées de façon à créer un transept. L’église Notre-Dame serait donc un ouvrage ayant échappé à ces transformations.

L'image 3 du chevet fait apparaître de larges ouvertures, sans doute percées ultérieurement à la construction initiale.

L’intérêt se porte ensuite vers l’intérieur de la nef (images 4 et 5). Celle-ci est voûtée en berceau plein-cintre sur doubleaux plein cintre.

Les piliers sont installés sur des bases à plan rectangulaire de type R0000. Eux-mêmes sont de type R1111. Nous avons constaté à de nombreuses reprises que des nefs primitivement charpentées avaient été ensuite voûtées grâce à l’adjonction aux piliers de pilastres permettant de soutenir les doubleaux de la voûte. Dans un tel cas, les piliers initiaux sont de type R1010 et ils sont transformés en piliers R1111. Nous envisageons quatre scénarios.

Scénario 1 (le plus complexe : construction en trois étapes). La nef primitive était charpentée avec des piliers de type R0000 et des arcs simples reliant ces piliers : nef analogue à celle de la Madeleine de Béziers (étape E1). Au cours d’une deuxième étape de travaux, les piliers R0000 auraient été arasés à hauteur de 50 cm. On aurait construit sur ces moignons de piliers des piliers de type R1010 avec des arcs doubles reliant les piliers. Les impostes supportant ces arcs doubles sont à chanfrein vers l’intrados de la courbe conformément à un modèle observé à plusieurs reprises (étape E2). La nef serait restée charpentée. Dans une troisième étape de travaux, la nef aurait été voûtée grâce à l’adjonction de pilastres (transformation des piliers R1010 en piliers R1111) (étape E3).

Scénario 2 : Par rapport au scénario précédent, pas d’étape E1. On passe directement à l’étape E2 puis à l’étape E3 : piliers initiaux de type R1010 construits sur des bases rectangulaires, puis piliers de type R1111.

Scénario 3 : Par rapport au scénario précédent, pas d’étape E2. On passe directement de l’étape E1 (piliers de type R0000) à l’étape E3 (piliers de type R1111).

Scénario 4 : Une seule étape de travaux, pas d’étape E1 ou E2 ; on construit d’un seul jet la nef actuelle (image 5).

Le scénario 4 est, bien sûr, le plus simple. Mais selon nous le moins crédible. Il suffit d’observer l'image 6 de la façade Ouest pour constater, malgré le manque de netteté, qu’il y a eu au moins trois transformations de cette façade (Indice de possibilité 5%).

Le scénario 3 est quant à lui plus envisageable. Cependant, l’existence d’une discontinuité entre, d’une part l’imposte soutenant le doubleau de la voûte du vaisseau centrale, et d’autre part, la corniche de séparation entre la voûte et le mur latéral, met en doute cette hypothèse (Indice de possibilité 15%).

Le scénario 2 ne semble pas susceptible d’être mis en défaut par les diverses observations (Indice de possibilité 50%).

Il reste à prendre en compte le scénario 1 (Indice de possibilité 30%). Nous envisageons ce scénario pour des raisons intuitives. D’une part, le plan de l'image 1 nous semble être celui d’une église primitive antérieure à l’an 800 (date estimée avec une grande marge d’incertitude). D’autre part, l’existence d’arcs doubles reliant deux piliers successives est selon nous révélatrice d’une église postérieure à l’an 800 (date aussi estimée avec une grande marge d’incertitude). Une réponse définitive pourrait être apportée par l’étude de la façade Ouest. On y voit en effet le tracé du plan en coupe verticale de ce qui pourrait être la nef primitive ; avec la partie du vaisseau central en surélévation par rapport aux toits des collatéraux. On pourrait, sur la planche à dessin, reconstituer le plan de l’édifice initial et voir si la hauteur de ses piliers correspond à la hauteur des piliers actuels.


Datation envisagée
En attendant cette vérification, nous privilégions le scénario 2 et proposons comme datation pour l’église Notre-Dame-la-Blanche de Savasse : l’an 900 avec un écart de 200 ans.




La chapelle Saint-Martin du prieuré du Val des Nymphes

Nous avons visité cette église en octobre 2007. C’est-à-dire à une époque au cours de laquelle nous n’envisagions même pas de réaliser une étude sur le premier millénaire. De plus, nous n’avons pas eu accès à l’intérieur, barré par une grille à travers laquelle nous avons pu prendre quelques photographies (image 11).

Le site du Val des Nymphes est en lui-même très agréable, entouré d’une part de mystère. Il a été occupé durant le premier millénaire. On y a trouvé les vestiges à fleur de sol d’une église dite « mérovingienne » (Nous n’aimons pas ce mot qui fait croire à l’existence d’un peuple mérovingien, peuple qui n’a existé que dans l’imagination fertile des historiens), des bassins, un ermitage et, bien sûr, l’église Saint-Martin.

Une étude très intéressante sur cette église a été effectuée sous le nom : « Étude d’élévation de la chapelle Notre-Dame du Val-des-Nymphes » par François Vairaux. (Dans Archéologie du Midi Médiéval Tome 12 1994).

Fait rare : cet archéologue a étudié chacune des pierres de l’édifice pour examiner les marques de tâcheron. Il a de plus essayé de reconstituer une évolution de la construction à partir de ces marques de tâcheron. Auparavant, il avait recueilli tous les renseignements écrits sur cet édifice.

Voici des extraits de son rapport : « L’église Notre-Dame a sans doute été créée suite à l’implantation en ce lieu d’un prieuré dépendant de l’abbaye de Tournus entre la fin du IXesiècle et le milieu du XIe siècle (c’est à dire entre la donation de Donzère par l’empereur Charles le Gros à l’abbé de Tournus Blitgaire (juin 887) et la première mention du monastère Vallis Nimfarum lors de la confirmation des biens de Tournus par le roi Henri Ier (Mai 1059) (Juvenin 1733)). À partir du XIIesiècle, on assiste au transfert progressif de la population du Val des Nymphes vers le site fortifié de La Garde...La dernière mention du cimetière du Val des Nymphes date de 1361... En 1540, le prieuré est rattaché au chapitre de Grignan. En 1578, les habitants de La Garde portent plainte contre le chapitre peu enclin à réparer l’église. Dès 1601, le procès-verbal de l’évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux, Antoine Ducros, présente l’édifice comme abandonné (« Nous a été répondu qu’il y avait l’église Notre-Dame des Nymphes où l’on va quelquefois en procession et dire la messe »)...Une visite épiscopale de 1644 témoigne de la fréquentation réduite du lieu...Un mariage y est célébré le 19 novembre 1686. L’ancien monastère s’éloigne encore plus des préoccupations des Lagardiens puisqu’une transaction entre leur communauté et le chapitre de Grignan du 10 septembre 1775 signale à nouveau le refus des habitants de payer l’entretien de l’église du Val des Nymphes... ».

Comme on le voit, ce rapport, dont on ne donne ici que de courts extraits, est précis et détaillé. Qu’on nous permette néanmoins d’émettre quelques réserves au sujet des extraits écrits ci-dessus. Ou plutôt de l’interprétation donnée par la datation. La première de ces réserves concerne la datation de l’église Notre-Dame, « entre la fin du IXesiècle et le milieu du XIesiècle ». On sait qu’il y a eu donation de Donzère à l’abbaye de Tournus. Mais Donzère devait constituer un vaste territoire et il est fort possible que toutes ses possessions n’aient pas été citées dans l’acte de donation. Souvent dans de tels actes, les formules sont très générales : « fait donation. des terres cultivées, des prairies, des bois, des maisons, des ponts, des moulins, etc. ». En conséquence l’église Notre-Dame pourrait avoir fait partie de cette donation et serait donc antérieure à l’an 887. Inversement, le monastère Vallis Nimfarum cité dans l’acte de 1059 aurait pu avoir pour abbatiale l’église dite « mérovingienne » et non l’église Notre-Dame, qui donc aurait été construite après l’an 1059. Comme on le voit, ces textes ne sont pas très révélateurs d’une datation. Il est cependant possible que les textes authentiques soient plus révélateurs... Si toutefois ils existent encore ! On sait en effet que nombre de textes ont été perdus.

La deuxième des réserves concerne le déclin progressif du monastère du Val-des Nymphes et de son église Notre-Dame. Qu’il y ait eu déclin, cela est évident ! Mais regardons de près les dates associées à ce déclin : XIIesiècle, 1361, 1540, 1578, 1601, 1644, 1686 et enfin 1775. Apparemment, nous avons là un déclin sur six siècles. Il nous semble que c’est beaucoup. Surtout lorsque nous apprenons que la dernière mention du cimetière date de 1361. Pendant quatre siècles, les habitants seraient venus assez régulièrement à cet endroit sans le prétexte d’aller voir leurs morts présents ailleurs. Cela semble étonnant. Nous partons du principe qu’une mémoire collective, si elle n’est pas soutenue par des ouvrages écrits, disparaît dans les 150 ans. Ainsi, en l’an 2018, un septuagénaire a une bonne mémoire des événements de mai 1968, une moins bonne mémoire de la guerre de 1939-1945 qu’il n’a connu que par l’ouï-dire de ses parents, une mémoire encore moins bonne de la guerre de 1914-1918 qu’il ne connaît que par l’intermédiaire d’anciens combattants rencontrés lors de son enfance. Et une mémoire quasi-nulle de la guerre de 1870, les derniers adultes témoins de cette guerre étant morts bien avant que lui-même soit né. En conséquence, nous pensons qu’un souvenir disparaît dans les cent cinquante à deux cent ans s’il n’est pas entretenu d’une façon ou d’une autre. Et nous le savons très bien à notre époque au cours de laquelle nombre de chapelles disparaissent régulièrement sous le choc des démolisseurs.

Dans le cas de Notre-Dame, ce souvenir a dû se perpétuer durant des siècles pour une raison que nous ne connaissons pas (existence d’un cimetière après 1361, lieu de pèlerinage fréquenté très régulièrement à l’occasion de fêtes comme les rogations).

Mais cela suppose que la chapelle soit aussi très régulièrement entretenue. Les disputes entre parties prenantes au sujet de l’entretien et de la restauration de cette église montrent que certains étaient attachés à sa conservation. Dans le cas contraire, elle aurait été très vite abandonnée et ses ruines recouvertes de ronces. Bien que, dans les textes précédents, aucun ne témoigne de travaux effectués entre 1361 et 1775, de tels travaux ont très probablement été effectués mais les documents les concernant ont été perdus.

Si nous avons longuement parlé de cette introduction à l'« Étude d’élévation de la chapelle Notre-Dame du Val-des-Nymphes » de François Vaireaux, c’est à cause de sa longue description des marques de tâcheron qu’il effectue après l’énoncé des textes. En effet, l’auteur attribue ces marques de tâcheron à des maçons du XIIe siècle. Nous pensons que ces marques de tâcheron sont beaucoup plus tardives, du XVIe au XVIIIe siècle. Nous n’avons pas eu l’occasion de voir les marques de tâcheron du Val-des-Nymphes mais nous les avons observées en plusieurs autres endroits. On les trouve plutôt en Provence sur des monuments principalement romans, en général à l’extérieur de ces monuments. Mais on les observe aussi sur des monuments plus récents comme des ouvrages d’art du Canal du Midi datés du XVIIIe siècle. C’est d’ailleurs cette dernière constatation qui fait envisager une datation tardive. Hormis la Provence, on ne voit pas de telles marques appliquées systématiquement sur des monuments romans. Par ailleurs, celles que nous avons vues en Provence sur des monuments romans sont gravées sur des blocs réguliers d’apparence presque neuve et en des endroits exposés aux intempéries. Ce qui fait obligatoirement envisager que ces pierres ont été posées en remplacement de pierres dégradées. C’est exactement la technique réalisée à l’heure actuelle par les tailleurs de pierre restaurateurs des édifices anciens : ils déposent les pierres dégradées et les remplacent par des pierres nouvelles.

En conséquence, et bien que nous ne les ayons pas observées, les marques de tâcheron de Notre-Dame du Val-des-Nymphes pourraient avoir été faites non par des maçons du XIIe siècle mais par d’autres maçons du XVIIeou du XVIIIe siècle attachés à restaurer un édifice qui a dû subir des périodes d’abandon. En particulier durant les guerres de religion vers les années 1560-1570.

Le fait que l’église soit à nef unique est déjà source de difficulté pour une datation. Si on ajoute à cela les interventions diverses effectuées à la Renaissance ou à la période classique, la datation devient pratiquement impossible.

La seule petite possibilité de datation pourrait résider dans l’archivolte du portail d’entrée (image 9). Une scène y est représentée : ce sont deux oiseaux affrontés portant une sorte de selle (oiseaux au canthare ?). Au dessus d’eux, un décor d’oves. Nous sommes à la recherche d’éléments nouveaux permettant de dater ce type de décor.


Datation envisagée pour la chapelle Saint-Martin du prieuré du Val des Nymphes : an 1050 avec un écart de 150 ans.




L’église Saint-Jean-Baptiste de Valence

Voici ce que nous apprend un panneau situé à proximité de cette église : « L’église Saint-Jean. Elle est une des premières églises implantées à Valence au IVesiècle après Jésus-Christ.

L’église elle-même a été reconstruite dans la première moitié du XIXe siècle dans le style néo-roman
...

Un clocher du « premier art roman » . Le clocher-porche, dont la structure daterait du XIIe siècle, doit son décor à une restauration de 1866-1876, plus romane que nature. Les bandes lombardes sont empruntées au premier art roman implanté par les maçons lombards au XIe siècle. Les archères viennent renforcer l’aspect médiéval. L’illusion est accentuée par l’altération de la pierre. Seuls certains chapiteaux (décor végétal ou historié : Tobie et le poisson, la Luxure) semblent être d’origine... »

Contrairement à ce que semble dire ce texte, les bandes lombardes du clocher-porche visibles sur l'image 14 ne sont pas selon nous une imitation du XIXe siècle. À cette époque là, autant que nous puissions en juger, les architectes ne cherchaient pas à créer des illusions d’ancienneté par altération de la pierre. Par contre, la partie inférieure (image 15) pourrait avoir été restaurée au XIXe siècle. Les deux premiers étages du clocher seraient donc d’origine. Selon nous,la construction des arcatures lombardes s’est étalée sur plusieurs siècles. Celles-ci dateraient des environs de l’an mille.

Nous n’avons pas eu l’occasion de visiter l’intérieur de cette église, mais les images extraites d’Internet nous en donnent une idée.

Revenons à la phrase : « L’église elle-même a été reconstruite dans la première moitié du XIXe siècle dans le style néo-roman. » et examinons de plus près les images 20 et 21. Peut-on dire que le style est « néo-roman » ? Nous voyons des arcs en plein-cintre attribuables à l’art roman dans la partie inférieure. Et des arcs brisés attribuables à l’art gothique dans la partie supérieure. Cette construction est-elle néo-romane ? néo-gothique ? Faut-il inventer un nouveau nom : néo-romano-gothique ? En fait, nous avons rencontré beaucoup d’églises romano-gothiques. Ce sont des églises construites à l‘époque romane qui étaient primitivement charpentées et qui ont été voûtées à l’époque gothique. Mais nous ne connaissons pas d’église néo-romano-gothique. Au XIXesiècle, on construit des églises nouvelles, dans le style roman ou bien dans le style gothique, mais pas un mélange des deux. Si donc cette église n’est pas néo-romane, cela signifie que cette église n‘est pas nouvelle. Elle aurait cependant été construite au XIXesiècle. Que doit-on en déduire ? Deux possibilités s’offrent à nous. Soit la construction du Xen’a pas été une reconstruction intégrale mais la restauration de l’édifice antérieur. Soit la reconstruction a été intégrale mais dans l’imitation tout aussi intégrale d’un monument ancien qui ne pourrait être que l’église antérieure.

En se fiant seulement au clocher porche, la datation envisagée pour l’église Saint-Jean-Baptiste de Valence est : l’an 1050 avec un écart de 100 ans.