L’église Saint-Pierre de Sauveplantade
Dans un site pittoresque de l’Ardèche, le village de
Sauveplantade apparaît tout petit à l’image d’un hameau
isolé (image 1).
Son église elle aussi de dimension modeste trône au milieu
du village. Voyons ce que raconte un panneau situé à
l’entrée du lieu : « Sauveplantade
est une des plus petites églises de la chrétienté. Sur un
espace réduit, elle offre les éléments majeurs de
l’architecture romane.
Mentionnée au VIesiècle, l’église est
confiée au XIesiècle aux bénédictins de
l’abbaye de Cruas qui lui confèrent son allure actuelle :
un plan à trois absides, une nef à deux travées, un
transept très débordant et une croisée de transept
supportant une coupole pyramidale lui donnent tout son
charme.
Très représentative du premier âge roman en Vivarais, elle
réutilise des éléments antiques ainsi que deux chapiteaux
et colonnes de l’église primitive.
À voir également dans l’église, une stèle votive dédiée à
Jupiter, un baptistère à huit pans, et une table d’autel,
creusée en évier, sa tranche sculptée d’un magnifique
rinceau de demi-palmettes.
L’église, miraculeusement conservée, a été classée
monument historique en 1908 ; elle constitue l’un des plus
purs et des plus complets fleurons de l’art roman.
»
Il faut bien entendu faire la part des
choses dans ces propos dithyrambiques. Nous connaissons des
églises nettement plus petites. Et notre site Internet
révèle beaucoup d’autres monuments qui constituent aussi « un des plus purs et des plus
complets fleurons de l’art roman ».
Cependant, en faisant abstraction de la part de chauvinisme
de ce commentaire, nous devons reconnaître que cet édifice
présente un grand intérêt. Peut-être pas pour l’art roman
comme l’affirme l’auteur. Mais pour un art qui lui est
antérieur de plusieurs siècles : un art préroman.
Notons tout d’abord que le texte mentionne l’existence d’une
église au VIesiècle. Mais ce ne serait pas
l’église actuelle qui daterait du XIesiècle.
Disons-le tout de suite, cette explication se situe dans la
normalité de ce que nous rencontrons : à chaque fois que
nous apprenons qu’une église est mentionnée avant l’an
mille, ressort comme un leitmotiv la phrase suivante : «
Mais ce n’est pas l’église actuelle puisque l’église
actuelle date du XIesiècle (ou du XIIesiècle).
». Et à chaque fois on ignore ce qu’est devenue l’église
mentionnée avant l’an mille. Envolée ? Disparue ? Montée au
ciel ? Un miracle ignoré ?
Ce commentaire est d‘autant plus incompréhensible que (ce
nous semble, et au vu du côté dithyrambique du texte) son
auteur aurait mieux fait d’insister sur le fait que cette
église est mentionnée au VIesiècle, … et donc
qu’elle date du VIesiècle, laissant à un
contradicteur éventuel la charge de retrouver l’église du VIesiècle qui, selon ce contradicteur, aurait
disparu.
Il nous semble que cette église retrouverait un prestige
plus grand si son ancienneté devait être reconnue.
Examinons tout d’abord son chevet (images 2 et 3). Il se
présente sous la forme de trois absides accolées. Nous
considérons que la forme des trois absides accolées
caractérise une ancienneté (premier art roman, XIesiècle)
ou art préroman. Souvent ces trois absides accolées se
situent dans le prolongement d’une nef à trois vaisseaux.
On remarque que ces trois absides sont élevées (plus hautes
que larges) et surtout légèrement bombées. Il s’agit là
d’une particularité que nous avons rarement rencontrée (à
Saint-Laurent-des-Arbres/ Gard/ Occitanie/France, à
Leyre/Navarre/Espagne).
L’église est elle-même très élevée (images
5 et 6). Elle est même plus haute que large.
Immédiatement, on remarque sur cette image
6 qu’il existe sur l’arc triomphal deux étages de
chapiteaux. Dans la partie basse deux colonnes monolithes
supportent deux chapiteaux (étudiés plus loin). Nettement
plus haut, des impostes permettent de porter l’arc triomphal
qui se présente comme un arc double (image
7).
La nef (image
9 : nef vue en direction du Sud ; image
10 : nef vue en direction du Nord) est unique (un
seul vaisseau). Lorsque nous l’avons visitée, en mars 2014,
nous n’avons pas suffisamment porté notre attention sur les
murs latéraux. On y voit, que ce soit au Nord comme au Sud,
deux grandes arcades accolées à la paroi. Ces arcades
portent la voûte en plein cintre. Le poids de cette voûte
est en partie supporté par un arc doubleau qui repose sur
des consoles implantées dans le mur. Nous avons ici un peu
de chance, car nous avons constaté auparavant que le la
technique de faire reposer un arc sur des consoles
implantées dans le mur était relativement tardive (XIVesiècle).
Auparavant, les consoles reposaient sur des piliers adossés
au mur. La création de cette voûte serait donc postérieure
au XIVesiècle. La nef qui existait auparavant
devait être charpentée. Comment était donc cette nef qui
existait auparavant ?
Première hypothèse : cette nef était unique. On décide de la
voûter. Mais on ne peut pas le faire, car les murs ne
pourront pas le supporter. On décide alors de doubler
l’épaisseur des murs. Mais si on double l’épaisseur des
murs, cela va créer des problèmes (nef trop étroite,
fenêtres réduites. On a l’idée, non pas de poser un mur
contre un autre, mais d’installer contre le mur des arcs qui
porteront les bords de la voûte. De ce fait, l’ancien mur
sert de contrefort à ces arcs. Cette technique se retrouve
dans un grand nombre d’églises à nefs uniques voûtées.
Deuxième hypothèse : la nef était triple. Cette nef était
formée de trois vaisseaux. Le vaisseau principal était porté
par des piliers reliés entre eux par des arcs. Dans cette
hypothèse, les piliers et les arcs seraient ceux que l’on
voit actuellement. Au cours d’une étape suivante, la nef
triple aurait été transformée en nef unique par suppression
des collatéraux. Les piliers porteurs du vaisseau central
auraient été conservés, mais les larges ouvertures formées
par les piliers et les arcs auraient été obturées par des
cloisons. Le couvrement de la nef aurait eu lieu, soit au
cours de cette transformation, soit lors d’une étape
suivante.
Voilà donc les deux hypothèses. Pour quelle opter ? Il nous
semble que dans le premier cas, il n’aurait pas été
nécessaire de construire des arcs d’une telle épaisseur ;
dans la pratique 30 à 40 cm suffisent ; ici on est à plus
d’un mètre. De toute façon, il ne s’agit là que d’un indice
et il faut d’autres indices pour que les hypothèses se
transforment en quasi-certitudes. Les idées ne manquent pas.
La première d’entre elles consiste à réaliser un plan précis
de l’ensemble. La mise en valeur de symétries permet
d’imaginer quel pouvait être le plan de l’église primitive.
Mais d’autres intiatives sont aussi possibles, comme
l’examen attentif du mur Nord, côté extérieur.
Essayons à présent d’imaginer de toutes ces analyses que
c’est la deuxième hypothèse qui est la plus probable : la
nef primitive était à trois vaisseaux. On se trouve donc en
présence d’une église formée d’une nef à trois vaisseaux
terminée par un chevet à trois absides dans le prolongement
de ces trois vaisseaux. Bien sûr, entre les deux, il y a un
transept, avec une croisée de transept et, au-dessus de
cette croisée, un clocher, mais qu’est-ce qui empêche de
penser que ces aménagements ont pu être faits après ?
Mais encore, si tout cela se vérifie, cette église
primitive à nef à trois vaisseaux, elle ne peut pas être du
XIesiècle, comme cela est indiqué. Ce ne peut
être que l’église citée au VIesiècle (si
toutefois la citation est correcte et bien vérifiée).
Lorsque nous avons visité cette église,
notre attention s’est surtout portée sur les chapiteaux des
images 12 et 13.
Ces deux chapiteaux ont la particularité d’être identiques.
Tout comme les colonnes qui les soutiennent. Les chapiteaux
sont décorés de rosaces à six pétales. On trouve ce type de
décor dans des œuvres désignées comme wisigothiques.
Cependant, nos connaissances en la matière sont très
réduites à cause de la rareté des œuvres et la difficulté à
les ranger dans une catégorie donnée.
Revenons à l'image 6.
L’existence d’un arc triomphal double nous amène à penser
que cet arc a été édifié au moment de la construction du
transept, peut-être au
XIesiècle. Nous pensons qu’un autre arc
triomphal a précédé celui-ci. Il était peut-être placé au
même endroit, mais nettement plus bas. Les colonnes et les
chapiteaux décrits ci-dessus devaient lui servir de support.
Il reste à examiner le mobilier. La belle cuve baptismale
mentionnée ci-dessus nous semble dater du XVesiècle.
Par contre, le magnifique autel des images
18, 19 et 20 apparaît beaucoup plus ancien. Ces
autels sont en général désignés comme étant « romans ».
C’est à dire du
XIeou XIIesiècle. Celui-ci est
selon nous « préroman » . C’est-à-dire antérieur à l’an
mille. De quand exactement ? C’est difficile à dire, car
nous n’avons pas identifié le décor de feuillages qui
l’orne, mais il nous semble qu’on trouve un tel décor sur
des motifs paléochrétiens.
Datation envisagée
: en attendant une meilleure connaissance de la nef
primitive, nous proposons l’an 700 avec un écart de 200 ans.