L’église Saint-Julien de Saint-Julien-du-Serre 

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Nous n’avons pas pu pénétrer à l’intérieur de l’église Saint-Julien fermée au moment de notre visite. Il semblerait cependant que son seul intérêt réside dans son chevet dont nous avons pu voir l’extérieur. Selon nous, ce chevet est postérieur à l’an mille. Donc hors des limites de notre étude. Cependant, certains détails que nous abordons dans cette page sont susceptibles de lui être reliés.


Ce chevet (images 2 et 3) est surprenant au premier abord. Les deux arcs-boutants qui soutiennent ses murs apparaissent incongrus (image 3). On retrouve pourtant là la fonction primitive des arcs-boutants qui était de soutenir des murs déjà construits et menacés de s’effondrer. Plus tard, à l’époque gothique, les arcs-boutants seront installés au moment de la construction. Ce n’est pas le cas ici. Le fait que, sur l'image 3, l’arc-boutant recouvre partiellement l’arc adossé au mur montre bien qu'il a été posé contre cet arc, donc contre un mur préexistant.

Cette analyse détaillée peut être poussée encore plus loin. Observons de près les images 6 et 7. On y voit le même chapiteau représenté sous deux angles différents. Au-dessus du chapiteau, il y a un tailloir. Ce tailloir est taillé en creux. En suivant le sens de la rainure en direction du mur, on s’aperçoit qu’il y a un retour et que ce retour est solidaire du tailloir (image 6). On déduit de ce minuscule détail que le pan de mur situé à gauche du tailloir est contemporain de celui-ci, lequel est contemporain du chapiteau et de la demi-colonne adossée qui le porte. Il est aussi contemporain de l’arc adossé au mur.

Toutes ces considérations peuvent apparaître comme de la casuistique élémentaire. Cela n’en est pas. En effet, dans un premier temps, nous avions envisagé au vu des couleurs différentes que le mur et l’arc qui le surmonte avaient été construits à des époques différentes. Il semblerait que ce ne soit pas le cas (image 5).

Observons à présent l'image 8 et essayons de repérer s’il y a aussi un « retour » des rainures du tailloir des chapiteaux. Ce retour n’est pas visible sur le chapiteau de gauche. Par contre, il l’est sur celui de droite (image 10). Là encore, le mur et le chapiteau sont contemporains. Une telle constatation n’était pas du tout évidente au premier abord : le décor de la fenêtre axiale encadrée par deux colonnettes surmontées de chapiteaux supportant un arc trilobé n’a pas son équivalent pour les fenêtres latérales.


Certains chapiteaux de ce chevet présentent un intérêt dans la mesure où ils évoquent des formes qui ont dû se développer durant des siècles, mais dont ne nous comprenons pas le sens.

Ainsi l'image 6 représente un lion à queue feuillue. La queue passe entre les pattes arrière puis remonte au dessus du corps en forme de tresse pour enfin s’étaler comme une feuille. Une telle représentation est relativement fréquente. Les variantes sont nombreuses. Mais les constantes sont tout aussi nombreuses et posent une foule de questions : pourquoi la queue passe entre les pattes arrière et non aussi les pattes avant ? Pourquoi cette feuille au bout de la queue ? Il est douteux qu’une telle image ait pu être reproduite durant des siècles sans qu’une réponse cohérente ait pu être donnée à toutes ces questions.

L’autre personnage du chapiteau (images 7 et 8) est moins fréquent que le lion à queue feuillue mais tout aussi énigmatique. Il semblerait que ce soit un homme aux traits grossiers en train de déféquer.

Le chapiteau des images 12 et 13 est tout aussi remarquable ... et énigmatique : sur la face avant, un hybride à corps de mouton et figure humaine est saisi par les pattes. Par deux autres personnages. Celui de gauche, mi-cheval mi-humain, porte une longue tresse. Celui de droite, quant à lui totalement humain, porte une tunique et apparaît surexcité. En dessous, ricane une sorte de lézard ailé pourvu de bras humains en guise de pattes.

Nous avons déjà repéré le même type de figure que celle de l'image 16 (chapiteau du portail). C’était à Châtel-Montagne dans l’Allier (église décrite sur ce site). Elle y était même représentée plusieurs fois (images de 18 à 24 de la page consacrée à Châtel-Montagne). On y voyait un homme nu (ou une femme, la figure étant asexuée) levant simultanément les bras et les jambes. Ici, le personnage est nettement humain, probablement une femme (présence de seins). Mais bras et jambes se prolongent en lianes terminées de feuilles. De plus, il semblerait que le personnage soit en train de déféquer. Là encore, de telles images semblent faire allusion à un symbole. Durant un temps, nous avions songé à comparer cette figure à celle de « l’orant », personnage aux bras levés que l’on voit sur des sarcophages paléochrétiens, mais il semblerait qu'ici, le symbole soit plus complexe.

Le chapiteau de l'image 17 est plus difficile. Il semble néanmoins représenter, lui aussi, une scène au symbolisme complexe.

Il faut bien comprendre que toutes ces scènes représentées sur des chapiteaux, que ce soit ici, à Châtel-Montagne ou en d’autres lieux, nous interrogent. Comment se fait-il que sur un édifice de culte chrétien soient représentées des scènes a priori fort différentes de ce que l’on sait du culte chrétien ? Car il ne s’agit pas là d’une pure décoration, comme on peut le voir sur les modillons de bon nombre de chevets. Ces scènes sont réellement « historiées ». Elles racontent des histoires, histoires que nous ne connaissons pas. Ces « histoires » , il faut bien qu’elles aient été inventées. Et ce, dans un passé plus ou moins lointain, par un ou plusieurs peuples qui détenait une certaine singularité par rapport à la religion chrétienne. En cela, et même si, comme nous le pensons, ces chapiteaux sont postérieurs à l’an mille, les histoires qu’ils racontent doivent être, quant à elles, bien antérieures à l’an mille. En cela, cette page s’inscrit bien dans notre étude sur le premier millénaire.


Il reste à étudier un bas-relief que nous avions laissé provisoirement de côté. On le voit sur l'image 5 au-dessus de la baie en plein cintre. L’agrandissement de l'image 4 permet de l’identifier. Il s’agit d’un linteau de fenêtre monolithe. Le dessous du linteau a été taillé en forme d’arc. Ce type de linteau n’est pas rare. Au moins une dizaine d’entre eux sont visibles sur ce site. Pour certains même, de fines rayures concentriques font de ces linteaux des copies d’arcs en plein cintre. Mais bien sûr, tous ne sont pas aussi ouvragés que celui-ci. Sont représentés deux oiseaux encadrant une croix dite « hastée ». On retrouve la scène maintes fois décrite dans ce site des « oiseaux au canthare », une scène héritée de l’Antiquité, mais qui a beaucoup évolué au cours du temps.

Au sujet de ce linteau, voici ce que nous apprend Robert Saint-Jean dans son livre « Vivarais-Gévaudan » de la collection Zodiaque : « Au-dessus de la fenêtre de gauche, on ne manquera pas d’observer, encastrée dans le mur, une curieuse sculpture méplate ; elle représente une petite croix hastée encadrée par deux oiseaux d’une stylisation hardie. La composition et le caractère archaïsant de ce bas-relief, placé ici en remploi, l’ont fait vieillir exagérément. Donné tantôt pour carolingien, voire mérovingien, il est en réalité roman mais remonte au XIesiècle, et constituait le linteau échancré d’une petite baie, peut-être la fenêtre axiale de l’église précédente. »

On retrouve dans ces phrases l’attitude désormais classique des historiens de l’art roman, attitude que nous ne cessons de dénoncer : la « Parole d’Évangile » ; M. Robert Saint-Jean nous apprend que certains historiens ont daté l’œuvre d’une haute époque, mais il ne présente aucun de leurs arguments. Et quand il présente sa propre évaluation, son ton est catégorique : la pièce est du XIesiècle. Il n’exprime aucune hésitation. Nous devons le croire : C’est une « Parole d’Évangile ».

Nous vivons à une époque où la plupart des historiens, y compris les historiens chrétiens, se permettent d’émettre des doutes sur certains passages des Évangiles (dont l’Évangile de l’apôtre Saint-Jean : on me passera cette digression). Alors, ami lecteur, permettez-moi d’émettre des doutes sur ce texte de Robert Saint-Jean. Non sur sa conclusion, car il est toujours possible bien que peu probable que cette œuvre soit du XIesiècle, mais sur le ton catégorique et l’absence d’argumentation.

En fait, nous pensons que lorsqu’il a écrit cela, Robert Saint-Jean devait être affecté de la fameuse « terreur de l’an mille » , terreur que nous avons décrite ailleurs dans ce site : la peur de devoir avouer qu’un objet d’art ou un monument puisse être antérieur à l’an mille  (lire à ce sujet la page de ce site intitulée « Y a-t-il eu une invasion d’Aliens en l’an mille ? »)

Ceci étant, de quand pourrait dater cette sculpture ? Elle servait de linteau à une fenêtre étroite qui pourrait éventuellement être comme l’envisage Robert Saint-Jean, une baie axiale. Nous estimons qu’il y a eu évolution de la dimension des baies, liée à la volonté d’éclairer les absides. Les fenêtres larges et multiples comme celles de ce chevet seraient, grosso-modo, postérieures à l’an 1000. Celles rares et étroites lui seraient antérieures. Cette pierre est à comparer à un linteau situé à Pula en Croatie. Le linteau est daté de l’an 852. Par ailleurs, on trouve des croix hastées (portées sur une hampe ou une haste) sur des mosaïques de Ravenne datées du VIIesiècle, mais il s’agit de croix pattées. Celle-ci qui présente ces cabochons au bout des branches de la croix serait plutôt gemmée analogue aux croix d’Oviedo qui datent du milieu du
IXesiècle.

Datation envisagée pour le linteau ; an 850 avec un écart de plus de 100 ans.

Datation envisagée pour le chevet : an 1075 avec un écart de 50 ans.