L’église Saint-Nicolas de Cellefrouin
Voici quelques indications recueillies
sur un panneau placé à l’entrée de l’église : « Vers
1025, Fruinus et son fils Maurice fondent une abbaye de
chanoines réguliers, reconstruite vers 1060-1070 -
l’église actuelle - et unie à l’abbaye de Charroux par le
pape Pascal II en 1101… ».
Nous sommes habitués à un tel type d’informations, a priori
déterminantes, et qui, dans la réalité, ne le sont pas. Ou
du moins pas au point de ce que l’on pourrait imaginer.
La première partie de la phrase «
Vers 1025 … » a sans doute été écrite après la
découverte d’une charte de fondation de l’abbaye de
Cellefrouin. Il s’agit bien sûr d’un document important. Un
document qui doit être étudié avec soin. Mais qui ne donne
peut être pas les précisions que nous aimerions connaître.
Car fonder une abbaye ne signifie pas construire des
bâtiments, mais créer en un même lieu une communauté
d’hommes ou de femmes décidés à vivre ensemble en ce lieu.
Pour que la communauté puisse venir en ce lieu, il faut que
le lieu en question soit déjà construit ou qu’on donne à
cette communauté les moyens de le construire et d’y demeurer
en permanence.
Par ailleurs, les études faites sur l’histoire des
congrégations religieuses montrent que la vie de celles-ci
n’a pas été figée dans le temps. Ainsi, la congrégation des
bénédictins a été à l’origine de branches plus ou moins
séparées de cet ordre : les clunisiens, les cisterciens, les
mauristes. Et, à l’heure actuelle encore, il n’est pas rare
de voir une communauté nouvelle et dynamique s’installer
dans les locaux d’une autre communauté déclinante. Il ne
serait dons pas surprenant que la même chose se soit
produite il y a un millier d’années.
En conséquence, l’idée selon laquelle la fondation de
l’abbaye vers 1025 aurait permis l’installation d’une
communauté qui se serait enrichie et aurait pu construire,
en ce lieu, 25 ans à 35 ans plus tard, une église, est
envisageable. Mais ce n’est pas la seule. Et nous pensons
que lorsque les chanoines réguliers se sont installés, il y
avait peut-être déjà une église.
Nous revenons au texte précédent où il
est marqué : « reconstruite
vers 1060-1070 - l’église actuelle - ». Pour
préciser que, en admettant même que l’édifice ait été
construit en 1050-1060 (pourquoi « reconstruit » ? Il a été
détruit ?), cet édifice ne peut être l’église actuelle.
On constate en effet que cet édifice n’a pu avoir été
construit en une seule campagne de travaux.
Observons l'image 1
: le toit du croisillon Sud est décalé vers le haut par
rapport au toit de l’abside principale. Si l’ensemble avait
été conçu dès l’origine, les toits seraient alignés à la
même hauteur. Nous pensons que ce décalage vient de la
construction ou plutôt de la reconstruction de l’abside
principale qui aurait remplacé une abside antérieure. La
nouvelle abside qui a été insérée entre des absidioles plus
anciennes. Et dotée d’un avant-chœur. La construction de cet
avant-chœur pourrait s’expliquer par la présence d’une
communauté de chanoines.
Des traces très nettes d’une autre construction, d’époque
gothique, sont visibles sur la façade Sud (image
4).
D’autres traces, moins apparentes, apparaissent sur la
façade Ouest (image 3).
Il faut tout d’abord remarquer que l’église a été
partiellement enterrée. Son portail d’entrée a té refait à
une plus grande hauteur. Ce portail ainsi que la fenêtre qui
le surplombe définissent un axe. On aimerait bien parler «
d’axe de symétire » en ce qui le concerne, mais ce n’est pas
tout à fait un axe de symétrie : l'arcature de droite a
trois arcs, tandis que celle de gauche n’en a que deux.
Cette asymétrie est surprenante et tout à fait inhabituelle
dans l’art roman. Nous n’en connaissons pas la raison.
Une corniche se développe au niveau de la fenêtre délimitant
deux surfaces. Dans la partie supérieure, deux paires de
colonnettes se détachent du plan du mur. Nous pensons que
ces colonnettes n’ont pas une fonction architectonique mais
décorative. Un décor qui ne correspond pas aux canons de
l’art roman. Dans cet art en effet, une colonne n’est pas
brusquement interrompue. Il y a toujours quelque chose après
: arc, corniche, linteau, etc. Nous en déduisons que cette
cassure des colonnettes provient d’un raccourcissement de la
hauteur du mur, d’un abaissement du toit.
Cet abaissement du toit est aussi
sensible à l’intérieur de l’église (image
5). Celle-ci est voûtée en plein cintre sur
doubleaux pleins cintres. Il s’agit d’un type de voûtement
relativement primitif que nous datons du XIesiècle.
Il faut surtout remarquer qu’il n’existe pas de fenêtre
supérieure. La construction de la voûte a empêché le
percement de fenêtres supérieures.
En fait, nous estimons que, comme cela est souvent arrivé,
cette église n’était pas voûtée à l’origine. Elle devait
être charpentée à l’origine. Et avec une forme basilicale,
le toit à double pente du vaisseau principal présentant un
décrochement par rapport aux toits des collatéraux. Le
voûtement du vaisseau principal a provoqué un arasement des
murs gouttereaux de ce vaisseau. Peut-être existe-t-il
encore sous les combles des restes des fenêtres supérieures
de l’ancienne église ?
On constate l’étroitesse des collatéraux (image
6 et plan de l'image
3). Nous pensons que cette étroitesse est signe
d’ancienneté. Nous envisageons l’hypothèse suivante :
primitivement, les grandes églises étaient de plan basilical
à trois vaisseaux, la nef unique étant réservée à de petits
oratoires. Au fur et mesure des siècles, on aurait continué
à construire des basiliques à trois vaisseaux, même pour des
édifices de dimensions modestes. L’existence de collatéraux
très étroits ne se justifiait pas a priori, mais elle aurait
été conservée peut-être pour des questions religieuses
(processions ?). Ce n’est que beaucoup plus tard, aux
alentours de l’an mille, qu’on aurait commencé à construire
de grandes églises à nef unique. C'est d’ailleurs ce que
nous observerons dans les pages suivantes : un grand nombre
d’églises de Saintonge sont à nef unique.
Si l’on observe les piliers des images
6 et 7, on remarque que côtés collatéral et
vaisseau central, des pilastres à section rectangulaire sont
adossés aux piliers. Alors qu'aux côtés Est et Ouest, ce
sont des colonnes à section demi-circulaire surmontées de
chapiteaux qui sont adossées. Cette particularité tend à
montrer, là encore, qu’il a été procédé à un voûtement
tardif, les piliers de type R1010
étant transformés en piliers de type R1111
par la pose de pilastres servant à porter les doubleaux des
voûtes.
L'image 9 montre
l’arc surplombant un collatéral. On est surpris par son
faible diamètre.
Les images suivantes de
11 à 17 montrent une série de chapiteaux. Leur
décor est principalement constitué d’entrelacs de feuillages
(larges feuilles étalées). Mais on trouve aussi des
entrelacs de vannerie et une tête humaine crachant des tiges
(image 11). Nous ne
sommes pas encore suffisamment familiers avec ce type
d’iconographie pour être en mesure d’en faire une analyse
autre que descriptive.
Il reste enfin à découvrir les
bas-reliefs incrustés dans la maçonnerie. On y trouve un
agneau pascal (image 18),
un groupe de deux quadrupèdes (des agneaux ? image
20), une main bénissant (image
19). En ce qui concerne la main bénissant, nous
sommes un peu réservés, car il manque la branche inférieure
de la croix qui devait exister dans la sculpture initiale.
La main serait-elle un ajout ?
Pour les deux autres images, il nous est difficile
d’envisager une datation. L’agneau pascal est représenté dès
l’époque paléochrétienne, mais on le retrouve dans des
sculptures du XIIIeou du XIVesiècle.
Nous attendons de disposer d’un plus grand nombre d’images
pour tenter d’effectuer une datation.
La « lanterne des morts » du cimetière (image
21) pourrait être un bon exemple d’une construction
antérieure à l’an 1000. De telles constructions ont en effet
la particularité d’être rares (on en trouve principalement
en Irlande et en Poitou) et mystérieuses. Pourtant, il
semblerait qu’elles soient un peu plus récentes, du XIIIeou
du
XIVesiècle. Elles n’en deviennent que plus
mystérieuses encore. Il nous faut avouer que les pratiques
funéraires anciennes avec leurs constructions appropriées
(ossuaires, lanternes des morts, fontaines) conservent pour
nous beaucoup de secrets.
Datation de l’église
Saint-Nicolas
Les éléments architecturaux de la nef (présence d’arcs
doubles ou à double rouleau) nous incitent à dater cet
édifice aux alentours de l’an 1000. Certains éléments
militent en faveur d’une datation plus ancienne (collatéraux
étroits, piliers primitifs de type R1010).
D’autres, comme la date de 1025 citée en début de page et
dont il faut tenir compte, militent en sens inverse. Nous
adopterons la datation suivante : an 1025 avec un écart de
100 ans.