La cathédrale Notre-Dame de Nazareth à Vaison-la-Romaine et son cloître 

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Tout autorise à penser que la cathédrale de Vaison-la-Romaine est d’origine très ancienne. La ville de Vasio était la capitale des Voconces, peuple qui occupait la région avant l’arrivée des Romains, puis devenu peuple fédéré des Romains. Il est donc logique d’estimer que l’évangélisation de cette ville s’est effectuée dès les premiers siècles de notre ère et que la cathédrale située à proximité immédiate de la ville antique (image 1) a été un des lieux de cette évangélisation.

Il reste à savoir si cette cathédrale conserve des restes de la cathédrale primitive.


Le plan de l'image 2 est révélateur de l’ancienneté du chevet. En effet, nous estimons que les absides des chevets romans sont semi-circulaires (intérieur et extérieur), pour la plupart d’entre elles. Le type d’abside que nous avons ici, rectangulaire à l’extérieur, semi-circulaire à l’intérieur, ne serait pas roman mais préroman. Par ailleurs, dans son ensemble, le plan présente un certain archaïsme : absides dans le prolongement des vaisseaux de la nef, absence d’ouvrage central (transept), absence d’ouvrage Ouest (narthex).

La façade Ouest (image 3) est révélatrice de cette absence d’ouvrage Ouest. Reproduisant le plan en coupe de la nef, elle est caractéristique des façades des basiliques romaines. Cependant, les traces de réfection sont nombreuses. Ce qui, sachant que la nef a été refaite, s’avère tout à fait normal.

Les étroites fenêtres éclairant les collatéraux (image 4) pourraient appartenir à l’édifice primitif. L’arc qui les surmonte est légèrement outrepassé. L’ensemble de la façade Ouest pourrait être comparé à Saint-Aphrodise de Béziers, modèle que nous situons au Ve-VIesiècle.

Examinons à présent la partie supérieure de cette façade (images 5 et 6). Elle semble avoir été au moins en partie refaite au XVIIIesiècle. Mais en s’inspirant ou en utilisant des modèles antérieurs typiquement romains (pilastres cannelés) dans un assemblage inusité. On retrouve d’ailleurs côté Est (image 11) un assemblage aussi surprenant. Nous n’avons pas jusqu’à présent trouvé des éléments de comparaison suffisants avec des monuments antiques.


L’étude de la façade Sud (image 7) se révèle complexe. D’une part, les deux fenêtres qui apparaissent sur les deux dernières travées et sur le mur gouttereau du vaisseau central sont romanes. Elles prouvent que ce mur a été construit ou restauré à l’époque romane (XIeou XIIesiècle). Mais il ne s’agit pas de l’ensemble du mur puisqu’il n’y a pas trace d’une fenêtre dans la première travée.

Considérons à présent le mur extérieur Sud situé en avant-plan (image 8). On peut voir sur cette image 8 la corniche de rebord du toit. Elle est décorée à l’antique. Nous aurons l’occasion de l’étudier ci-dessous en la comparant à d’autres corniches analogues situées sur le bâtiment.

Auparavant, examinons l'image 27. On y découvre l’existence de deux étroites fenêtres dont l’une, à gauche a été à moitié détruite et l’autre, à droite, est obstruée. Ces deux fenêtres devaient faire partie de l’église primitive. Chacune devait être placée au centre d’une travée. Comme les deux fenêtres sont dans la même travée de l’église actuelle, cela signifie que l’église primitive avait un plus grand nombre de travées que l’église actuelle.

Cette église primitive, elle apparaît sur le plan de l'image 28. Si l’on en croit ce plan, elle devait avoir 6 travées. Le seul point sur lequel nous ne sommes pas d’accord est la datation du XIe siècle inscrite sur ce plan. Nous pensons qu’elle était plus ancienne d'environ 5 siècles.


Revenons à présent à la corniche de l'image 8. La photographie a été prise dans une seule travée entre deux contreforts. L'image 27 permet de voir ce qui se passe au niveau d’un contrefort. À ce niveau, la corniche fait saillie. Tout se passe comme s’il y avait là auparavant un pilastre que le contrefort a recouvert (agrandissement sur l'image 9). On peut donc imaginer que, à la place des contreforts que l’on voit sur l'image 8, il y avait des pilastres. La corniche à décor de feuillages a été placée après les pilastres et les a contournés. En conséquence, on peut considérer que cette corniche a été construite après les travaux qui ont transformé la nef primitive à 6 travées par la nef actuelle à 3 travées.

Nous avions envisagé que cette corniche pouvait être d’origine antique. Nous ne pouvons que réviser cette position : postérieure à l’édification des trois travées, elle est au moins romane (à cause des fenêtres romanes). Mais son décor n’est ni roman, ni gothique. Elle pourrait donc dater de la Renaissance ou de l’époque classique.


Les images 12 et 13 montrent le même type de corniche à la base du clocher. Et on voit encore la même corniche sur le mur extérieur Nord, au-dessus des galeries du cloître (images 15, 16 et 17).

Passons maintenant à l’élément le plus intéressant, le chevet. L’abside principale est plate à l’extérieur. Le plan de l'image 19 révèle l’existence d’un massif en arrondi (n°1 sur le plan). Ce massif formé de blocs irréguliers est un peu surprenant dans la mesure où il ne semble pas se poursuivre de part et d’autre. Peut-être les côtés Nord et Sud ont-ils été détruits au moment de la construction des absidioles Nord et Sud ? En tout cas, on constate sur les images 20 et 21 que les murs de l’abside centrale reposent sur des blocs antiques en remploi.

Les images 22, 23 mais aussi 35 et 36 font apparaître la complexité de transition entre d’une part le chevet préroman et d’autre part la nef reconstruite à l’époque romane.


Sur l'image 24, on peut voir deux des travées de la reconstruction romane. Si celle de droite nous semble réaliste, celle de gauche n’est pas purement romane. Il est fort possible qu’elle ait été entièrement refaite au XVIIesiècle. Le livre « L’autre temps des cathédrales » de Mathieu Lours ne nous dit rien sur la cathédrale de Vaison-la-Romaine. Par contre, il nous informe des infortunes de cathédrales toutes proches de Vaison : Cavaillon pillée et incendiée en 1562, restaurée complètement entre 1564 et 1598, Orange laissée en ruine en 1561, reconstruite en une seule nef et consacrée en 1606, Valence pillée en 1562, démolie en 1567, reconstruite à l’identique de 1604 à 1609. Au vu de cela, on peut estimer qu’il a dû en être de même pour la cathédrale de Vaison : un pillage et des destructions vers l’an 1562, une reconstruction au début du XVIIesiècle. La travée de gauche serait le résultat de cette reconstruction. Les restaurateurs auraient pu conserver des parties anciennes comme le chevet et la travée de droite (travée Ouest) et ils auraient reconstruit les travées centrales dans le style de la travée de droite, mais avec de meilleures connaissances en architecture (arcs brisés surbaissés).


Remarquer le caractère outrepassé de certains arcs. Il est ainsi du plan des absides (image 19), de l’arc d’entrée à l’absidiole Sud (image 23), de l’arc absidal (image 29), de l’arc d’entrée à l’absidiole Nord (image 34).

L’abside principale présente un grand intérêt.

Tout d’abord, l’autel majeur (images 30 et 31) est formé d’une grande table de marbre évidée en son centre, malheureusement non datée. Ce type d’autel est, en général, qualifié de « roman ». Nous pensons qu’il est plus ancien et qu’on doit le comparer avec des autels dits « à cupules », eux aussi évidés (image 32). Remarquer la magnifique plaque en marbre décorée de strigiles qu’il surplombe (image 31). Les décors de strigiles ornaient les sarcophages romains. Nous ne sommes cependant pas certains que cette dalle, peu épaisse, provienne d’un sarcophage.

L’intérêt porte aussi sur le fond de l’abside qui a été sur-creusé, laissant apparaître ce qui devait être le niveau primitif (image 30). Un trône épiscopal est placé, dans l’axe de l’abside, adossé au mur (image 33). Il est installé sur une banquette qui devait accueillir des fidèles ou des prêtres. C’est l’image même de ce qui existait primitivement. Les magistrats romains étaient, comme ici, installés au fond des absides des basiliques. Lorsque la religion catholique est devenue religion d’état, les magistratures suprêmes ont été confiées aux évêques.

Autre mobilier intéressant : le tombeau de Saint Quenin (image 34). Un panonceau nous donne quelques explications : « Tombeau de Saint Quenin, évêque de Vaison : 506 (?)- 578 ou 579. Ce tombeau a été découvert lors des fouilles de restauration de la cathédrale en 1950. Il se trouvait sous le maître-autel de celle-ci. D’après les analyses faites, les ossements trouvés pourraient être ceux de Saint Quenin. Ces ossements furent replacés dans ce sarcophage du VIesiècle (date de la mort de Saint Quenin) le 19 novembre 1950 … »

Il nous est difficile de vérifier la conformité de ces propos. À l’heure actuelle, la datation des ossements est possible (C14), mais l’incertitude sur les mesures demeure importante. Notons que la datation du sarcophage s’effectue par comparaison avec la date de la mort de Saint Quenin. Cette datation du sarcophage nous semble un peu aléatoire. D’une part, nous ne sommes pas certains que les ossements trouvés à l’intérieur soient ceux de Saint Quenin. D’autre part, nous ne sommes pas certains que le sarcophage ait été construit à la mort de Saint Quenin. Les ossements ont pu être déposés dans un sarcophage plus ancien (par réutilisation) ou plus récent (lors d’une translation de reliques).

Par ailleurs, notons que l’abside avec son trône épiscopal et sa banquette soigneusement rangés et son sol parfaitement horizontal nous semblent un peu trop bien organisés pour un ancien chantier de fouilles dont il serait intéressant de retrouver les photographies prises à l’époque. Nous pensons que l’ensemble a été un peu embelli afin de le rendre plus présentable.


L’autel de l’absidiole Nord (images 37, 38, 39) : il s’agit là d’un magnifique ouvrage qui, outre sa qualité artistique, permet une évaluation de datation de ce type d’autel dont la face supérieure a été sur-creusée (comme le maître-autel). Sur les faces latérales, ont été sculptées diverses scènes. Ainsi, sur la face avant (image 38), on peut voir un canthare d’où s’échappe un rameau de vigne avec feuilles et grappes de raisin, tandis que sur la face arrière, deux oiseaux encadrent un chrisme. Un peu plus loin, un rameau de vigne sort d’un autre canthare. Nous sommes en présence de la scène désormais classique des « oiseaux au canthare ». Sauf que, primitivement, les oiseaux encadraient le canthare. Alors qu’ici, ils encadrent un chrisme. Ce symbole est typiquement paléochrétien, de peu postérieur à l’avènement de Constantin le Grand qui avait adopté le chrisme comme emblème.

Les images suivantes de 40 à 43 sont celles de pierres déposées dans les galerie du cloître. Elles sont décorées d’entrelacs dit « carolingiens » qui dateraient donc du
IXeou du Xesiècle. Ce seraient des plaques de chancel : le chancel était une sorte de séparation entre le chœur et la nef.

La plaque de l'image 44 pourrait être un devant d’autel analogue à celui de l'image 31. Remarquons la forme particulière, « ondoyante », des strigiles qui décorent cette plaque. Ce, alors que les strigiles des sarcophages antiques ont une forme régulière, tous les strigiles étant parallèles entre eux.

Très abimée, la plaque de l'image 45, sans doute issue d’un sarcophage, représente un cortège de personnages (des apôtres) levant la main en signe de bénédiction.



Datation


Nous pensons que cette cathédrale est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Nous pensons qu’il devait exister en cet emplacement un temple antique dont il reste une colonne sans doute remontée (image 26) et diverses pierres ayant servi d’assises au chevet (images 20 et 21). Une première église dont il reste le chevet (plan représenté en image 28) est construite vers le VIe siècle (an 550 avec un écart de 150 ans). Aux alentours du XIesiècle (an 1050 avec un écart de 100 ans), la nef de cette église est refaite. Puis, après une probable destruction partielle lors des guerres de religion, la nef est remontée. C’est de cette époque que daterait la corniche couronnant les murs extérieurs de l’église ainsi que le tour du clocher.

De nombreux objets sont antérieurs à l’an mille : les deux tables d’autel (an 450 avec un écart de 100 ans), le trône épiscopal, le tombeau de Saint Quenin (datation ?), les plaques de chancel déposées dans le cloître (an 900 avec un écart de plus de 100 ans), le sarcophage aux apôtres (image 45 : an 400 avec un écart de 100 ans), les devants d’autel à strigiles (an 450 avec un écart de 100 ans).