Site de Carluc à Céreste 

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D’après l’auteur du livre « Provence Romane II » de la collection Zodiaque, « le monastère de Carluc est un site étonnant, un site où la nature et les ouvrages des hommes sont intimement mêlés… ».


Dans ce même livre nous apprenons que « Le plus ancien écrit concernant un établissement monastique à Carluc est une charte de l’an 1011, aux termes de laquelle une puissante famille de Riez fait donation du territoire d’Estoublon, situé dans la vallée de l’Asse, à l’abbé Archinric ; à ses successeurs et à ses moines ; à Saint-Pierre de Carluc, ainsi qu’aux moines qui résideront dans le monastère à construire …». Bien que le texte soit équivoque, tout porte à croire qu’il s’agit d’un monastère à construire, non à Carluc, mais à Estoublon, où subsiste d’ailleurs une église du XIesiècle. ». Nous ajoutons à cette analyse qu’il est fort possible et - pourquoi pas ? - probable, que le monastère en question n’ait jamais été construit : la conservation des archives, surtout pour des périodes aussi avancées, est liée à des problèmes de litiges non résolus. Or dans ce cas, la seule possibilité pour des héritiers de contester cette donation était l’absence de réalisation du projet de construire un monastère.

Poursuivons l’étude du texte : « Dans les décennies suivantes le monastère de Carluc fait l’objet de nombreuses et importantes donations…Elles consistent en d’importants domaines situés à proximité de Carluc : ainsi à Sainte-Croix-d’Alauze (1043), Saint-Geniez (milieu XIesiècle), Vinon (1074) … ». Puis l’auteur cite les dates de 1114 et 1118 et termine ainsi son paragraphe : « Cette union eut pour conséquence la reconstruction du monastère, que l’étude archéologique situe précisément dans le deuxième quart du XIIe siècle, au moment même où à Montmajour, sortait de terre le bel ensemble que l’on connaît… ».


Ami lecteur, permettez au modeste rédacteur de ce site que je suis d’exprimer son admiration plus ironique que profonde vis-à-vis des archéologues qui sont arrivés à dater ce monastère du deuxième quart du XIIesiècle. En effet j’ai vécu, de 1947 à ce jour, trois quarts de siècle et je suis absolument incapable de différencier une habitation du troisième quart du XXesiècle d’une autre du premier quart du XXIesiècle!. Par contre, ayant vécu cette période, j’ai eu l’occasion d’assister non seulement à la construction d’immeubles HLM, mais aussi à leur destruction ou à leur rénovation, et, pour certains, à deux reprises. Et je déduis de cette expérience qu’il y a dans toute construction des évolutions et des remaniements. Vouloir réduire la construction de Carluc à cette seule période semble donc problématique.

Le plan du site de Carluc (reproduit dans le livre mais non ici), donne les légendes suivantes : rocher, XIIe, XIIIe, XVIIe, XVIIIe, moderne. Mais pas de date antérieure au XIIesiècle.


Le seul bâtiment encore debout est la chapelle dédiée à Saint-Pierre (images 2, 3, 4). Lorsque nous l’avons visitée, en octobre 2007, nous n’avions pas encore établi certains critères de datation, et en particulier nous n’avons pas songé à photographier la nef qui pourrait être plus ancienne que le chevet. Nous ne sommes pas pour autant certains qu’une meilleure connaissance de cette nef soit profitable : les nefs uniques, comme c’est le cas ici, sont difficiles à dater.

Voici la description par l’auteur du livre « Provence Romane II », du chevet (images 2 et 6) : « Construite en surplomb, l’abside, pentagonale tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, a été très fortement remaniée à la fin du XIIIe siècle, sinon au début du XIVesiècle, comme on peut s’en rendre compte à l’extérieur par l’imparfaite liaison des assises entre le chevet et le massif cubique qui abrite la travée de chœur, au Nord-Est en particulier. Elle prend appui sur les fondations, semi-circulaires à l’intérieur et pentagonales à l’extérieur, de l’abside romane primitive. »

Les images 2 et 6 confirment cette analyse : le chevet, tant à l’extérieur qu’à l’extérieur (voûte d’ogives, appareil très soigné d’aspect « gothique », fines colonnettes, grandes baies), semble bien dater du XIIIesiècle. Par contre, nous ne sommes pas certains que les bases du monument, restes de « l’abside romane primitive » datent du seul XIIesiècle. La description qui en est faite « semi-circulaires à l’intérieur et pentagonales à l’extérieur » pourraient témoigner d’un édifice plus ancien (du premier millénaire ?).

Si les murs extérieurs du chevet et de la nef datent du XIIIesiècle, les corniches des bords de toit (images 8 et 9) apparaissent plus anciennes. Peut-être ont-elles été récupérées sur l’ancien chevet ?


Au moment de notre visite, nos avons porté plus d’attention à deux colonnes situées aux angles de murs, de part et d’autre du chevet (images 10 et 12). L’emplacement de ces colonnes est tout à fait inusité. Une quelconque utilité du point de vue architectonique est peu envisageable. Et dans la région, on ne voit pas beaucoup de monuments qui présentent une telle anomalie.

On peut envisager que l’on est en présence d’une représentation symbolique de la « pierre d’angle » :
« La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Image que l’on rencontre à plusieurs reprises dans la Bible : le Psaume 118 , puis dans Isaïe 28, 16-172, Mathieu 21, 42, 46, les Actes des Apôtres et la première Épître de Pierre.

L’emplacement de ces colonnes, la finesse du travail de sculpture, font penser à des œuvres du XIIIesiècle. On est cependant surpris de découvrir dans les scènes des chapiteaux, (Daniel dans la fosse aux lions ou Samson supportant les colonnes du temple : image 11), ou (Couple d’oiseaux encadrant un Arbre de Vie : image 12) , des thèmes antérieurs de plus d’un demi-millénaire. Peut-être y a-t-il eu copie d’un modèle plus ancien ?


Il nous semble néanmoins que le plus important est ailleurs. Il se révèle dans la présence sur le site de tombes de pierre à intérieur anthropomorphe. Certaines sont creusées directement dans le sol (images 5 et 17). D’autres ont été déposées dans une galerie rectiligne ( images 15, 16 et 17).

On estime en général que de telles tombes remontent au VIeou au VIIesiècle. Et les datations au C 14 des ossements découverts lors de fouilles récentes (dans d’autres sites que Carluc) confirment ces observations. Ceci signifierait que le site de Carluc était occupé bien avant le XIIesiècle.

Mais il n’y a pas que cela ! D’autres raisons militent en faveur d’une occupation antérieure à l’an 1000. Tout d’abord, l’aspect « troglodytique » du site, fréquent dans des fondations du Haut Moyen-Âge. Il semblerait que les populations, et, parmi elles, les moines, aient cherché à s’enterrer. Cette pratique peut être liée à des questions de défense, mais aussi à des questions symboliques : être plus près du royaume des morts. Une autre raison milite en faveur de l’ancienneté. Le site a été abandonné assez tôt ; hormis la chapelle qui a pu être restaurée comme lieu de pèlerinage, il ne semble pas subsister de construction du Moyen-Âge. Par contre, l’aspect tourmenté du site montre qu’il a probablement été exploité comme carrière durant le Moyen-Âge. Il existe enfin une dernière raison : le plan du monastère. Du moins tel qu’il apparaît actuellement. Il faut bien comprendre que ce plan n’a rien de comparable avec celui d’un monastère de cénobites vivant en communauté : un monastère clos contenant outre l’abbatiale, un cloître et des bâtiments disposés autour de ce cloître. Le plan de Carluc s’apparenterait plutôt à celui d’un monastère d’anachorètes, c’est à dire d’ermites dispersés un peu partout autour d’un noyau central constitué par une ou plusieurs petites églises. Ces ermites vivent en autarcie, chacun ayant son petit oratoire privé. A intervalles réguliers (par exemple les dimanche), ils se réunissent pour des célébrations communes.


Datation

A la différence de l’auteur de « Provence Romane II », nous estimons que le site de Carluc est beaucoup plus ancien que le XIIesiècle.

Nous pensons qu’il a été occupé dès le Veou VIe siècle par une population de « barbares », auxiliaires des romains de Provence. Attention, « occupé » ne signifie pas forcément « habité ». En effet, le grand nombre de tombes découvertes, et de celles restant à découvrir, fait envisager qu’on est en présence d’un vaste cimetière. Certes, un monastère a été installé à cet emplacement dès cette époque. Mais il s’agissait sans doute d’un monastère destiné au culte des morts. En effet,certains textes de la fin du Premier Millénaire mentionnent le fondation d’un monastère pour « prier pour le repos de notre âme ».